A propos d’un tribune non publiée et de la non parution des journaux le 26 mai: un débat sur la liberté de la presse

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Nous reproduisons ici l’article de Médiapart sur la non parution des journaux le 26 mai, suite à leur refus de publier une tribune de Philippe Martinez que seule l’Humanité a fait paraitre. Médiapart reproduit aussi le communiqué de la FILPAC (fédération CGT du livre et de la communication) expliquant la décision des grévistes. Plus bas, nous publions un article de l’Humanité expliquant, avec des remarques du Syndicat national des journalistes (SNJ) CGT,  comment les journalistes des grands médias sont parfois mal reçus dans les manifestations, ainsi que les pressions subies par les grands patrons de presse. 

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  • Liberté de la presse: la CGT n’imprime pas

La Filpac-CGT a demandé aux quotidiens de publier ce jeudi un communiqué signé Philippe Martinez, sous peine de bloquer leur diffusion. À l’exception de L’Humanité, la presse nationale a refusé, y voyant une atteinte fondamentale à la liberté de la presse et à son pluralisme.

Un communiqué, sinon rien ! L’exigence est pleinement assumée par la Filpac-CGT (la Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication). Le marché était le suivant : soit vous publiez la tribune de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, ce jeudi, soit on bloque la parution de vos journaux. Une immense majorité des quotidiens nationaux a refusé ce qui a été perçu comme un chantage, une atteinte à la liberté de la presse et à la pluralité des médias. Quelques quotidiens, nationaux ou régionaux, ont cependant accédé à la demande, sous des formes différentes.

Le communiqué de la FilpacLe communiqué de la Filpac

Interrogé par Mediapart sur le fait de savoir s’il assumait ce mode d’action, Philippe Martinez a lui-même pris ses distances : « Non, non. On m’a demandé une tribune, je l’ai écrite. Elle devait être publiée dans les journaux, point. » Mais alors, soutient-il l’action de la Filpac ? « Je soutiens la grève des salariés de la Filpac. Les salariés décident des formes de lutte, je ne décide pas à leur place. »Prudence donc, avant les comptes-rendus de manifestation dans les journaux demain, face à une démarche qui a profondément choqué bon nombre de rédactions. Car, bien sûr, les quotidiens n’étaient déjà pas parus le 31 mars et le 28 avril. Mais sur un motif classique de grève : le refus de la loi sur le travail.

Cette fois, les choses se sont passées différemment. Didier Lourdez, membre du SGLCE (Syndicat général du livre et de la communication écrite), explique : « Si les éditeurs avaient voulu faire passer tout ou partie du texte, on aurait pu discuter. Ils n’ont pas fait de contre-proposition, n’ont pas eu l’intelligence de proposer un autre mode d’expression. Leur fin de non-recevoir a fait monter les enchères dans les ateliers. »

  • Loi travail : les medias accusés de partialité

    Jean-Jacques Régibier
    Jeudi, 19 Mai, 2016
    Humanite.fr
    logo_Humanite

    Photo AFP
    Mettant dans le même sac journalistes, gouvernement, et policiers, les manifestants et opposants à la loi El Khomeri sont de plus en plus nombreux à dénoncer le parti-pris des médias dominants contre le mouvement social. Le syndicat des journalistes CGT appelle tous les journalistes à rendre compte de manière équilibrée de la réalité du malaise social.
    Ce n’est certes pas la première fois que les médias sont accusés de caricaturer un mouvement social, ni de faire la part belle aux positions du gouvernement, à ceux des pouvoirs économiques, ou à la police. Pour ne parler que d’un passé récent, le SNJ-CGT rappelle le véritable lynchage médiatique qu’ont subi les salariés en lutte de Goodyear ou d’Air France. On se souvient en effet de la ridicule «  affaire »  de la chemise arrachée, passant en boucle pendant des semaines sur toutes les chaînes d’info, comme si tout le mouvement de protestation des salariés d’Air France se résumait à cette anecdote.
    Aujourd’hui, les syndicats de journalistes reçoivent de plus en plus de témoignages de journalistes de terrain, particulièrement les équipes de télévision, qui se trouvent expulsés des cortèges par des manifestants, ou bien se font bousculer ou voient leur matériel jeté à terre. « Jugés indésirables par une partie de ceux qui manifestent contre la « loi travail », ils sont considérés comme les porte-parole des pouvoirs politique et économique … et de la police », explique-t-on au SNJ-CGT.
    Ce constat, tous ceux qui suivent le mouvement social autour de la loi travail depuis plusieurs semaines, l’ont fait. A Strasbourg par exemple, où les manifestations se sont pratiquement toujours déroulées dans le calme, c’était avant tout l’attitude de la presse qui suscitait la colère des organisateurs lors du défilé du 28 avril auquel participaient plus de 5 000 personnes. «  Ce n’est pas aux journaux télévisés de décider ce qu’il en est du mouvement social », scandaient la tête du cortège, indiquant clairement qu’en même temps que le gouvernement, la presse était devenue l’adversaire principal de la contestation. Dans le même temps, des comédiens du Théâtre National de Strasbourg, soutenant la lutte des intermittents du spectacle et qui étaient venus renforcer les rangs des manifestants, interprétaient un sketch dans lequel était dénoncée la servitude des journalistes aux pouvoirs en place. « Pourquoi acheter un journal quand on peut acheter un journaliste ! », déclamait l’un des comédiens.
    Aujourd’hui, c’est dans le choix de l’angle sous lequel va être traité le mouvement social que se manifeste le parti-pris des médias : on ne parle plus du contenu des revendications, mais uniquement des problèmes de violence lors des défilés, alors même que ces violences sont dénoncées par les organisateurs, et sans creuser pour savoir quels comportements policiers peuvent provoquer des réactions de violence. Opération d’escamotage classique.
    Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil sur quelques titres à l’issue par exemple des manifestations de mardi. Le sujet exclusif, c’est devenu : la « violence ». Donc ce qui est censé faire peur à la France silencieuse et réclamer d’urgence l’action vigoureuse des «  forces de l’ordre »  ( demandons-nous pourquoi et qui fait monter inexorablement les forces qui défendent l’ordre social dans ses versions les plus extrémistes. )
    L’Obs titre ainsi, en guise de résumé de la journée: « 6ème journée de manifestations contre la loi travail : tour de France des heurts », titre accompagné d’une vidéo elle-même titrée : « violents heurts dans les manifestations partout en France », le mot « violent » étant écrit en rouge ( les autres en noir ) pour mieux accentuer son côté saignant, une ficelle grossière habituellement réservée à la presse à scandale ou aux publicités tapageuses. Mais le plus grave est que l’information du titre est tout simplement fausse : il n’y a pas eu de violents heurts «  partout en France », il y a eu des heurts dans quelques manifestations en France. On est là dans la pure et simple manipulation mensongère de l’information. La « Charte des devoirs professionnels des journalistes français » de juillet 1918, révisée en 1938 stipule pourtant clairement qu’un « journaliste digne de ce nom (… ) tient les accusations sans preuve, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles. »
    Europe 1 : «  Manifestation contre la loi El Khomri : les policiers n’en peuvent plus. » On assiste là à une amusante inversion de l’ordre des raisons, pour le dire dans le vocabulaire d’un de nos héros nationaux, le philosophe René Descartes. Le sujet de la manif, ce ne sont plus ceux qui y participent, ni les motifs de leur mobilisation, mais le  personnel policier chargé de contrôler les contestataires.
    Le Figaro, finalement, est plus précis, même si encore une fois, les manifestations, comme dans toute la presse,  ne sont vues que sous l’angle des violences : «  Loi travail : des incidents à Paris, Nantes, Rennes en marge des manifestations, » un titre qui permet de contredire en tous cas celui de l’Obs. Sauf qu’il est accompagné d’une image montrant un groupe de policiers enveloppé d’un nuage de fumée noire, avec quelques flammes ( on ne saura jamais d’où elles viennent ) à leurs pieds. Répétons-le : rien n’est plus facile, en recadrant une image serrée ou en plaçant la caméra au ras du sol pour renforcer l’effet « gros plan », de dramatiser une scène qui ne l’est absolument pas dans la réalité, d’inventer purement et simplement une image. Tous les cameramen apprennent ces techniques dans leur cursus de formation. Un simple pétard peut, avec ces techniques, prendre l’aspect d’une bombe redoutable.
    « Dans certaines rédactions, les journalistes et leur hiérarchie ( ont ) l’indignation sélective à l’occasion des mouvements sociaux. Quand des portiques d’écotaxes sont détruits, les responsables ne sont pas des « casseurs » mais des « bonnets rouges » symboles d’une région en lutte. Quand, après une semaine de mobilisation des agriculteurs, le montant des dégâts se monte à 4 millions d’euros, on ne parle pas de casseurs mais de « colère compréhensible » d’une population en souffrance, » explique le SNJ-CGT qui rappelle également que « si les journalistes doivent témoigner des violences lors des manifestations contre la loi travail, ils doivent aussi rendre compte des violences policières inacceptables comme les tirs de flash-ball dans les visages, les lancers de grenade de désencerclement en hauteur et non au sol, les coups de matraque sur des manifestants assis, ou la tactique provocatrice de la coupure des cortèges. » Rappelant que s’il n’est pas acceptable que des journalistes soient agressés quand ils font leur travail, le syndicat explique qu’on se doit également de contester le traitement médiatique des manifestations avec cette focalisation sur les violences et les « casseurs » dans les journaux télévisés, « comme si le gouvernement avait besoin d’auxiliaires pour décrédibiliser une contestation populaire majoritaire dans l’opinion de la loi travail. »
    Dans « Les nouveaux chiens de garde », le journaliste Serge Halimi, en analysant le contenu de la télévision et des grands journaux français,  dénonçait déjà dès la fin des années 90, la collusion entre les pouvoirs médiatique, politique et économique, dans la droite ligne des travaux du grand linguiste et philosophe américain Noam Chomsky.
    Longtemps contenue dans un cercle restreint de spécialistes et de chercheurs, ces analyses sont aujourd’hui en train de descendre massivement dans la rue.
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