Après Jean-Pierre Page, un article de Jean-Marie Pernot sur la FSM

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Nous avions publié  (le 1er janvier 2018) de larges extraits, et l’accès au texte complet,  d’un long document  de Jean-Pierre Page, ancien responsable de la commission internationale de la CGT, visant à réhabiliter la Fédération syndicale mondiale (FSM) aux yeux des syndicalistes CGT notamment. Nous remercions Jean-Marie Pernot, chercheur en sciences politiques (IRES et CHS du 20ème siècle) de nous avoir adressé une critique de ce document, que nous publions ci-dessous.

 

Actualités de la FSM ou « le retour des morts vivants »

Jean-Marie Pernot[1]

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Syndicollectif a publié récemment des extraits d’une note de Jean-Pierre Page, ancien responsable au département « international Europe » de la CGT et ardent propagandiste d’un retour de la CGT à la FSM.

Cette campagne pourrait relever de l’anecdote un peu fantaisiste mais doit être prise au sérieux puisqu’il semble qu’un certain nombre de structures et de militants de la CGT se posent cette question d’un éventuel retour à la FSM que la confédération, rappelons-le, a quitté officiellement en 1995. Malgré un vote sans opposition lors du congrès confédéral, une fédération ne l’a jamais quittée (Fédération de l’agroalimentaire), une autre fédération de la CGT  qui l’avait quittée y est revenue (celle des industries chimiques), l’UD des Bouches du Rhône y a adhéré et il semble que quelques autres UD se posent la question, voire un peu plus que cela.

Ce (petit) mouvement se nourrit de déceptions légitimes ressenties à l’égard de la Confédération syndicale internationale (CSI) ou vis-à-vis de la Confédération européenne des syndicats (CES). Mais JP Page exploite ces frustrations en cherchant à réhabiliter ce fantôme revenu du fond des âges qu’est la FSM. En fait, cette tentative se nourrit surtout de la méconnaissance profonde de ce qu’a été et ce qu’est encore la FSM.

Nous voudrions ici apporter quelques éléments tirés de nos propres travaux de recherche et de diverses autres contributions de chercheurs, de militants ou de responsables du syndicalisme international à propos de cette organisation[2]. Il convient de préciser qu’il ne s’agit pas ici de porter jugement sur les organisations et les militants qui s’y retrouvent, du moins pas de tous, certains contextes pouvant expliquer le maintien de cette référence ; il s’agit de réagir au discours tenu par des revenants du type JP Page dans le rôle plaisant de pourfendeur de la bureaucratie.

Une continuité historique, le rôle majeur du discours

La Fédération syndicale mondiale d’après 1949 avait trois composantes : les organisations des pays capitalistes développés, en fait la CGT et la CGIL italienne ; des organisations des pays colonisés ou récemment sortie de la colonisation, ce qu’on appellera un peu plus tard le tiers-monde ; enfin, les pays du bloc socialiste, de  loin les plus nombreux puisqu’en 1969, le dirigeant des syndicats soviétiques (Pimenov) pouvait écrire dans la revue de la FSM que : « Presque 60 % des membres des syndicats affiliés à la FSM sont des soviétiques, 30 % appartiennent à des pays qui ont d’excellents rapports fraternels avec le premier pays socialiste ». Toutes les études, tous les témoignages ne laissent aucun doute : la FSM n’a été, entre 1949 et le début des années 90, qu’une dépendance de la politique étrangère de l’Union soviétique.

On peut en donner mille exemples, mais le plus évident est cette absence de toute critique sur les libertés syndicales dans les pays dits socialistes. Mais outre son très faible caractère « syndical », ce qui la désigne est surtout qu’elle est le lieu même de l’inaction, une bureaucratie entretenue par l’État soviétique sans aucune production concrète[3]. La CGT, par exemple, a pu faire de la formation dans les pays d’Afrique, mais à part le financement par la FSM (c’est-à-dire par l’État soviétique), c’était d’abord l’initiative de l’organisation française.

En philosophie du langage, on distingue une catégorie particulière de discours dits « performatifs » : un discours « performatif » est un discours qui agit sur le réel du fait de son simple énoncé[4]. Par exemple, le maire de la commune mariant un couple, la formule « Je vous déclare uni(e)s par les liens du mariage » est un discours performatif en ceci que son énoncé crée la situation, les époux sont mariés parce que le maire l’a dit. Eh bien pour la FSM et depuis ses origines, tout discours prononcé est performatif : la FSM dit qu’elle pratique un syndicalisme de classe, elle dit qu’elle combat l’impérialisme, alors elle est le syndicalisme de classe et elle est anti-impérialiste. De ce fait, elle est un formidable pourvoyeur de discours, de communiqués, d’adresses, de commémorations, de toutes les catégories du discours, le plus radical si possible. Le problème, c’est que dans la réalité, elle ne fait rien de tout ça. Elle ne fait que se gorger de déclarations et de dénonciations, elle dit qu’elle lutte mais elle ne lutte pas. Certains de ses affiliés luttent mais, en tant qu’organisation, elle ne sait qu’organiser des conférences et des colloques, déconnectés de toute pratique réelle.

Cette caractéristique reste très actuelle et présente une continuité assez remarquable avec la tradition : par exemple, JP Page dit que la FSM soutient les luttes menées à Marseille par la CGT et il illustre cette démonstration par le fait que Mavrikos, son secrétaire général, est venu faire un discours à Marseille pendant le mouvement contre la loi El Khomri. L’action, c’est le discours.

On s’arrêtera ici à deux exemples, intéressants parce qu’ils ont une remarquable continuité : la lutte contre les multinationales et les pavillons de complaisance.

La dénonciation des multinationales et l’inaction de la FSM

Les années soixante ont connu un essor très important des entreprises multinationales, c’était même un des traits principaux de l’internationalisation du capitalisme de ce temps. Au sein de certains Secrétariats professionnels internationaux comme ceux de la métallurgie (FIOM), de la chimie (ICEF) ou de l’agroalimentaire (UITA), des luttes ont été menées pour assurer la coordination entre syndicats relevant de ces entreprises multinationales. Ces SPI (secrétariats professionnels internationaux) avaient même constitué au sein de quelques entreprises multinationales des conseils mondiaux qui ont mené des luttes à peu près coordonnées (Ford, GM et Chrysler dans l’automobile, Akzo et Saint-Gobain dans la chimie, Nestlé, Unilever dans l’agroalimentaire et d’autres)[5]. Les résultats ont été modestes parce que ces initiatives étaient vivement combattues par les multinationales. Elles ont pu toutefois, pendant certains conflits, éviter que ces entreprises ne contournent les grèves dans un pays en intensifiant le travail dans les autres pays.  La FSM a toujours dénoncé (et elle continue) les syndicats et les dirigeants « réformistes » qui pourtant étaient en lutte dans ces entreprises multinationales sans que jamais elle n’organise quoi que ce soit dans ce domaine. La CGT et la CGIL ont participé à de telles initiatives chez Michelin ou Dunlop-Pirelli (en 1972), parfois avec le mouvement des shop stewards britanniques, officiellement « avec le soutien de la FSM » mais en réalité de leur propre initiative. La direction de la FSM a également organisé une « rencontre antimonopoliste Europe-Asie » des syndicats alimentaires en 1974 qui a adressé un « appel pressant aux trois fédérations internationales de l’alimentaire de la FSM, de la CISL et de la CMT pour l’unité d’action » mais qui n’a pas été plus loin. Derrière ces appels, il n’y avait, comme à l’habitude, rien d’autre que des discours.

Il est arrivé également que face à des grèves chez Fiat en Italie, l’entreprise fasse venir des pièces de Pologne ou de Russie où elle avait des usines sans que cela ne fasse réagir le moins du monde les « syndicats » polonais ou soviétiques et encore moins la FSM. De même le charbon de cette même Pologne acheminé vers l’Angleterre dans les années 60 et 70 lorsque les mineurs anglais étaient en grève. La totalité des coordinations qu’il y a eu à cette époque au sein des entreprises multinationales l’ont été en dehors de la FSM même lorsque des équipes syndicales appartenaient à des organisations adhérentes de celle-ci. Les fédérations des métaux de la CGT et de la CGIL italienne s’en désolaient régulièrement mais il n’était pas question de froisser les entreprises multinationales au moment où l’Union soviétique les appelait à investir dans sa zone d’influence. Ce qui n’a jamais empêché bien sûr la dénonciation des réformistes acoquinés avec l’impérialisme.

Même chose sur les pavillons de complaisance : depuis 1948, l’ITF (International Transportworkers Federation) mène une campagne récurrente contre les pavillons de complaisance : elle a mené cette lutte et elle la mène encore au sein de la Commission maritime de l’ONU mais aussi sur le terrain. Ses militants ont pris l’habitude de s’introduire sur les bateaux en les bloquant jusqu’à ce que les armateurs acceptent la convention collective internationale qu’ITF a établie pour les marins. C’est ainsi qu’elle a constitué un corps d’inspecteurs (une centaine dans le monde, choisis parmi les militants des transports de ses affiliés nationaux) qui s’imposent sur les bateaux pour vérifier l’application des conventions. ITF récupère par ailleurs près de 1000 marins par an, abandonnés avec les vieux bateaux pourris par des armateurs sans scrupules. La FSM n’a jamais rien fait contre les pavillons de complaisance, ni dans le passé où l’Union soviétique les utilisait allégrement, ni aujourd’hui. Elle se contente d’insulter les syndicats réformistes coupables, comme l’écrit Page, de « liaisons incestueuses avec les entreprises transnationales, avec les institutions financières » et, pour faire bonne mesure, avec « les fondations supranationales en accointance avec les services de renseignements US et d’autres ».

Parmi les officines dénoncées par Page, figure le Global Labour Institute, basé à Genève. Cette mise en cause mérite qu’on s’y arrête. GLI a été fondé par Dan Gallin et un certain nombre de militants de gauche en responsabilité dans certains SPI. Gallin lui-même, qui se recommande du trotskisme, a été pendant vingt ans secrétaire général du SPI des travailleurs de l’alimentation (UITA). Il a fait l’objet de plusieurs tentatives de débarquements par les dirigeants de la CISL, comme d’autres dirigeants de SPI (dans la métallurgie en particulier). Car les SPI ont toujours maintenu des politiques autonomes de la CISL même s’ils acceptaient de se situer, avec des nuances, dans le même camp de la guerre froide. C’est ainsi que l’Internationale graphique a accueilli en 1966 la fédération du livre de la CGT, malgré les pressions de la CISL. L’UITA a conduit de nombreuses luttes en Amérique latine, des campagnes, pas des discours, contre les multinationales américaines comme United fruit ou Coca Cola, pour faire libérer des militants syndicalistes emprisonnés. Aujourd’hui le GLI rassemble un réseau de chercheurs et de syndicalistes, fait connaître les conflits et les documents importants pour les débats du syndicalisme international, il organise des confrontations et de la formation de responsables et de militants dans des universités syndicalistes en Grande Bretagne (Manchester), à New York et désormais en France, puisque plusieurs groupes militants se sont unis pour créer une telle structure, très ouverte, pour le mouvement syndical francophone. C’est un lieu de réflexions favorable à un syndicalisme appuyé sur les luttes et l’auto-organisation des travailleurs. L’assimilation de telles activités (si, en plus, on peut y trouver la trace du trotskisme) avec celles de la CIA est une vieille rengaine stalinienne que JP Page n’hésite pas à remettre au goût du jour : on croyait vraiment ces temps dépassés mais les morts vivants ont la peau dure…

Quant aux SPI, ils se sont transformés à partir de 2000 en 11 fédérations syndicales internationales (FSI, Global unions en anglais). Leur activité est inégale mais construire de l’action internationale qui soit autre chose que des proclamations, ce n’est pas simple et, pour m’être intéressé à certaines activités de l’ITF, je peux attester qu’elle a fait plus pour les travailleurs du monde en dix ans que la FSM tout au long de sa brillante carrière.

Le « renouveau » de la FSM, faits et gestes

JP Page évoque un « renouveau ». Notons qu’il est qualifié « d’incontestable », ce qui est bien présomptueux alors qu’il est obligatoire pour s’en convaincre d’en croire les dirigeants. Car une autre singularité de la FSM est de ne publier aucune donnée vérifiable sur la réalité de ses effectifs et pas davantage sur ses sources de financement : il suffit depuis toujours qu’un adhérent, même isolé, vienne participer à une rencontre quelconque ou à un congrès pour que son syndicat et ses effectifs soient comptabilisés en autant d’adhérents de la FSM.

Le renouveau n’est pas non plus dans le ton de ses discours et puisque ceux-ci résument à peu près les modalités de son existence, il convient de regarder un peu les discours tenus ici ou là par son secrétaire général, Mavrikos, responsable de PAME, la fraction syndicale du Parti communiste grec, un parti parmi les plus soudés dans le bloc de pensée stalinienne que l’on puisse trouver. Dans un document de 2011, la FSM énonce ses principes de base parmi lesquels « le droit pour chaque peuple et chaque classe ouvrière de décider eux-mêmes pour leur présent et leur futur », ou encore « la FSM lutte pour les libertés syndicales et démocratiques (…) et s’oppose à la violence d’État, l’autoritarisme et la persécution des syndicalistes »[6]. Bel exemple de double langage, auquel ont souscrit avec enthousiasme les syndicats adhérents de la FSM imbriqués dans les régimes politiques libyens, soudanais et autres Coréens du nord ! Mais là encore, la continuité l’emporte car au congrès de Varna, en 1973, la FSM avait adopté une charte qui revendiquait déjà : « Le droit de participer à toute activité syndicale en pleine souveraineté et indépendance ; le droit de grève (…), la non utilisation contre le mouvement syndical de mesures de police ou de législation répressive ; le droit de diffuser la presse et la propagande syndicale, le droit d’élire librement leurs dirigeants »[7]. Charte votée à l’unanimité bien sûr, applaudie par les syndicats soviétiques et tous ceux de la zone « socialiste », c’est-à-dire 90 % des adhérents de la dite FSM à l’époque.

La FSM, JP Page, nous l’assure, est une organisation unitaire : en 2012, Mavrikos évoque au congrès de la Cosatu sud-africaine (dont quelques fédérations et non des moindres ont récemment adhéré à la FSM) les différences entre CSI et FSM. « Les dirigeants de la CSI, ceux de la CGT en France, de la CGIL en Italie ou encore les dirigeants britanniques des TUC, du DGB allemand, les syndicats des Pays-Bas, de Suède, ont soutenu la guerre impérialiste. Pourquoi ? Parce que leur objectif était que la bourgeoisie de leur pays emporte une plus grosse part du pillage du pétrole, du gaz et des autres richesses libyennes ». Et pour ceux qui caresseraient l’idée d’une unification mondiale du syndicalisme à laquelle appelait d’ailleurs imprudemment la présidente de la CSI Sharan Burrow, Mavrikos répond qu’on ne peut « unir l’eau et l’huile », « Deux lignes distinctes, l’une promouvant la lutte contre le capital et l’impérialisme et une autre conduisant à la subordination aux objectifs du capital et de l’impérialisme ». Avec une analyse aussi fine, il ne fait pas de doute que l’unité d’action est en marche…

 

Un vestige du stalinisme

En réalité, comme le souligne Dan Gallin, la FSM est la dernière organisation internationale où le stalinisme se survit en tant qu’idéologie. Dans la note dont des extraits ont été publiés par « Syndicollectif », JP Page illustre bien la persévérance de ce mode de pensée : « Dans une barricade, il n’y a que deux côtés, toute la question est donc de savoir de quel côté on est ! » (p 8 de la note). Cette subtile dialectique est la mise en œuvre d’un principe selon lequel les ennemis de mes ennemis sont nécessairement mes amis. En clair, ceux que combattent les États-Unis sont l’incarnation du bien puisque les États-Unis sont l’incarnation du mal. En fait, c’est du Bush à l’envers. Aujourd’hui les pays capitalistes combattent Assad en Syrie, alors il faut défendre Assad, ils dénoncent le dépeçage de l’Ukraine, alors soutenons Poutine et l’extrême droite russophone d’Ukraine qui l’organise ; si les occidentaux soutiennent le mouvement des parapluies à Hong Kong et les grèves en Chine méridionale, c’est parce que tout ceux-là ne sont que des marionnettes du monde capitaliste.  C’est le principe de la barricade : comme il n’y a que deux côtés, on ne peut tout simplement pas dénoncer les dictatures qui écrasent les travailleurs dans de nombreux pays au prétexte que les américains, les occidentaux, bref les impérialistes, ne les aiment pas (ou, du moins, le disent tant qu’ils ne font pas affaire avec eux).

La mise en cause de ceux qui luttent en Chine conduit quand même à s’interroger sur le côté de la barricade où se trouve réellement JP Page. Si je peux évoquer ma propre expérience, j’ai été reçu en janvier 2013 à Pékin par l’académie de formation des syndicats officiels chinois : les responsables que j’ai rencontrés m’ont expliqué que les syndicats en Chine n’étaient pas, comme en Occident, les représentants des travailleurs auprès de l’État et des entreprises mais des représentants de l’État et du parti auprès des travailleurs. Ils convenaient que cela posait des problèmes dans les moments très conflictuels de l’époque et j’ajouterai que ça en pose encore plus quand les dits syndicats officiels se chargent de matraquer les ouvriers en grève contre les conditions de travail lamentables imposées par le Parti et les entreprises multinationales occidentales. Mais à la FSM, on fait la fine bouche : Page parle de « pseudo syndicalistes chinois soi-disant victimes de la répression, mais dont on ignore qui ils sont, à quel secteur professionnel ils appartiennent et de quelle partie et groupe social de la Chine ils viennent » (p 20 de sa note). Peut-être faudrait-il également connaitre leur nom et leur adresse !

Dans ce type de pensée, la question de l’indépendance syndicale ne se pose pas sauf pour les syndicats appartenant à la CSI ou la CES qui ne sont qu’émanations du grand capital. Dans un autre texte, Page dit que « le concept d’indépendance ne se pose fondamentalement qu’à travers la contradiction capital/travail »[8], ou encore : « Prendre en compte l’indépendance, c’est reconnaître le libre choix de chacun de s’organiser comme il l’entend », ce qui tendrait à supposer que les syndicalistes chinois syriens ou qataris, comme hier ceux du bloc socialiste, ont vraiment le choix de s’organiser comme ils l’entendent. De tels sophismes permettent d’escamoter toute question sur la présence dans la FSM et dans ses échelons de responsabilités de représentants des syndicats officiels du Vietnam, de la Corée du nord, de Cuba et d’autres comme les syndicats de Syrie, du Soudan ou des Émirats arabes qui ne sont que des émanations du parti au pouvoir, de l’État ou de la famille régnante.

Cette pensée binaire a une trajectoire historique, celle du stalinisme et des impasses auquel il a conduit le mouvement ouvrier. Cette rhétorique guerrière dénuée de contenu effectif d’action concrète a fait la preuve de son inanité dans les années de la FSM soviétique. L’histoire l’a sanctionnée et sans doute les dirigeants de la CGT qui ont compris cela n’ont pas dit assez clairement les leçons qu’ils en avaient tirées. Palmiro Togliatti, un fin connaisseur du communisme international, avait déjà déclaré : « La FSM constitue l’une des plus graves lacunes de notre mouvement » et il l’assimilait à ces « vieilles formules qui ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui ». Cette citation émane de son testament politique, il date de 1964 !

Ceux qui veulent s’en remettre encore aujourd’hui à ce type de posture reprennent le chemin de l’impasse sans l’excuse, cette fois ci, de ne pas savoir où elle conduit. On peut constater aujourd’hui que l’exposition des classes ouvrières d’Europe centrale et orientale à la culture stalinienne pendant 50 ans n’a pas franchement accompli la promesse émancipatrice du socialisme. Penser que le salut pour la CGT se trouve du côté de ce retour d’un passé fantomatique n’est qu’une fuite devant les leçons de l’histoire.

Agir pour des évolutions du syndicalisme internationale, c’est ici et maintenant

La question fondamentale des libertés et de la démocratie ne peut être éludée. Malgré tout, malgré leurs limites et leur formalisme, les régimes occidentaux sont plus supportables aux travailleurs que les régimes autoritaires parce qu’au moins, y demeure la possibilité d’y lutter contre l’arbitraire et l’injustice ou d’y mener la lutte des classes si l’on préfère ce vocabulaire. C’est comme la CSI ou la CES : elles sont éminemment critiquables, mais on a le droit de les critiquer. D’ailleurs, elles ne se réduisent pas à la caricature qu’en donne JP Page : la CES, par exemple, n’est heureusement pas limitée à une trentaine de permanents dans un immeuble à Bruxelles, c’est un ensemble d’organisations nationales et internationales avec des expériences et des pratiques diverses et une fois qu’on a dit que tout cela était dominé par le réformisme, on n’a pas dit grand-chose. La campagne en cours d’IG Metall pour les 28 heures de travail par semaine, appuyée par de puissantes grèves (960 000 travailleurs de la métallurgie dans les grèves d’avertissement du mois de janvier 2018), fait davantage dans l’intérêt des travailleurs que les injures et les dénonciations de la FSM. JP Page peut y voir la main du grand capital international mais le patronat allemand et les conservateurs, eux, y voient autre chose et sont vent debout contre cette campagne.

Le syndicalisme européen est perfectible, c’est un fait, mais il est là et il est largement préférable à ce théâtre de morts vivants qui s’imagine encore que la magie du verbe et la condamnation du capitalisme suffit à le faire trembler sur ses bases. Dans cet espace, il y a à apporter et aussi à prendre pour construire des pratiques partagées. Mais c’est là que les batailles doivent être conduites, honorablement, sans insulte et en allant au-delà des caricatures simplistes. Et aussi avec un peu de modestie car s’imaginer que l’on est seul à porter la ligne juste est d’une prétention inouïe au vu de la situation de notre syndicalisme en France dont on aura quelque peine à démontrer que la faute en incombe à la CSI ou à la CES.

 

 

 

[1] Chercheur en science politique, IRES et CHS XX° siècle.

[2] https://hal.inria.fr/file/index/docid/927161/filename/ThA_se_Jean-Marie_Pernot.pdf entre autres…

[3] Voir les entretiens en annexe de notre thèse et, par exemple, le témoignage de Peter Waterman : http://www.hartford-hwp.com/archives/26/035.html

[4] John Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970.

[5] LAVIEC JP (1975) : Syndicalisme et sociétés multinationales, Paris, Documentation française ; LEVINSON Charles (1974) : Le contre pouvoir multinational, la riposte syndicale, Paris, Seuil.

[6] Ces citations sont extraites de D. Gallin : The WFTU – Hydroponic Stalinism, Global Issues https://mulpress.mcmaster.ca/globallabour/article/viewFile/1132/1188013

[7] FSM, VIII° Congrès, Varna, 1973, cité par Laviec, op. cit. p 136.

[8] Ce qui veut dire que la notion n’a pas de sens là où la question du capital a été réglée, l’Union  soviétique hier, la Chine ou la Corée du nord aujourd’hui. Interview de JP Page par Ch. Hoarau, pour Rouge-midi, http://www.collectif-communiste-polex.org/mouvement_syndical/congres%20synd%20mond.htm

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