Réflexions après le 5 octobre

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Christian Mahieux, qui anime la revue Les Utopiques de l’Union syndicale Solidaires, publie sur le site Alencontre un article de bilan et de réflexions suite à la journée du 5 octobre 2021. Il revient beaucoup sur le rôle « politique » du syndicalisme et le refus de la séparation entre syndicalisme et politique, notamment au nom de la recherche d’un « débouché » politique selon l’expression souvent entendue.  Le débat est ouvert. 

Metro

France. Après le 5 octobre…

Par Christian Mahieux

La journée nationale de grève et manifestations organisée en France le 5 octobre ne restera pas dans l’histoire; ce n’est pas un échec, mais la mobilisation fut moyenne pour ce qui est des manifestations, faible en termes de grève.

Nous ne reviendrons pas ici sur le contexte. On peut se référer au texte de Léon Crémieux, paru quelques jours avant le 5 octobre. Il n’y a rien à y ajouter. Sauf un possible désaccord autour de… la seule toute dernière phrase [1]. Il y est fait référence à «la large apathie des directions syndicales». Outre le point de discussion à propos de la notion de «direction» pour une organisation syndicale, n’y a-t-il pas là un risque de simplification d’une situation plus complexe? Notre problème vient-il vraiment d’une supposée apathie de Philippe Martinez (CGT), Yves Veyrier (FO), Benoit Teste (FSU), Simon Duteil (Solidaires), Murielle Guilbert (co-porte-parole de Solidaires)? On peut craindre que non. Certes, on pouvait espérer que sorte de l’Intersyndicale organisée le 11 octobre au soir, un nouvel appel unitaire. Mais si tel avait été le cas, est-ce que ça aurait suffi à faire en sorte que cela pèse plus que le 5 octobre dans le rapport de forces?

Cette date du 5 octobre était connue dans les milieux militants depuis le mois de juillet; elle a été rendue publique le 30 août: durant toutes ces semaines, combien de tournées syndicales, de permanences syndicales, de réunions d’information syndicales sur les lieux de travail, d’assemblées générales préparatoires dans les syndicats, etc.? Où a-t-on tenté de faire vivre l’unité syndicale de l’appel national, par des initiatives intersyndicales sur le terrain? Dans combien d’entreprises, les sections syndicales se sont-elles préoccupées de faire connaître la journée nationale du 5 octobre, au personnel de la boîte, aux collègues des boîtes de sous-traitance, aux salarié·e·s des boîtes alentour? Poser ces questions n’est pas une critique des équipes syndicales de base: c’est simplement tenter de pointer des éléments constitutifs de la moyenne réussite de la journée du 5 octobre. Si ces manques expliquent, en partie, nos difficultés, alors il faut s’atteler à la tâche, voir comment faire mieux à l’avenir. Ce sera plus utile que la radicalisation en paroles.

Des luttes sociales, il y en a!

Dans tous les secteurs professionnels et toutes les régions, il y a des luttes, des grèves, des débrayages, des rassemblements. Y compris dans le secteur privé, contrairement à ce que des syndicatologues, pas forcément syndicalistes, racontent souvent. Aldi en Bourgogne, Bergams dans l’Essonne, Knorr en Alsace, Arc en ciel à Paris-Jussieu, Transdev en Seine-et-Marne… Cette dernière est significative: elle dure depuis le début du mois de septembre, porte sur les conditions de travail et les salaires, dénonce le système des appels d’offres qui organise, pour le patronat, toujours plus d’exploitation des salarié·e·s lors de chaque renouvellement de contrat. On peut d’ailleurs soutenir financièrement les grévistes: www.cotizup.com/mec-grevistes

Construire des campagnes unitaires locales et nationales?

Les dernières Commission exécutive confédérale CGT, comme le récent congrès national de l’Union syndicale Solidaires, ont décidé deux campagnes prioritaires: pour la réduction du temps de travail à 32 heures hebdomadaires et pour l’augmentation des salaires et pensions. Voilà de quoi alimenter des cahiers revendicatifs communs, par secteurs professionnels et sur le plan interprofessionnel; des cahiers revendicatifs, mais aussi des campagnes syndicales de terrain pour les faire vivre et les voir aboutir. Entreprise par entreprise, service par service, chantier par chantier, les 32 heures, c’est combien d’emplois? Quels contacts et initiatives revendicatives avec les organisations et collectifs de chômeuses et chômeurs? N’est-il pas temps d’abandonner les «bureaux d’embauche» symboliques pour en revenir à des réquisitions d’emplois par l’action directe collective des travailleurs et travailleuses, celles et ceux qui ont un emploi conjointement à celles et ceux qui n’en ont pas?

Sur les salaires, les Négociations annuelles obligatoires (NAO) sont une période propice pour l’action syndicale sur le sujet, mais sans doute faut-il aller au-delà, reprendre l’offensive pour récupérer une plus grande part de ce que nous volent les capitalistes; tant pour les salaires que pour les pensions de retraite ou l’indemnisation du chômage.

Quelles perspectives?

Pour une partie des forces sociales, y compris syndicales, on se réfugie derrière le traditionnel «nécessaire débouché politique». Comme si les acteurs et actrices des luttes ne construisaient pas eux et elles-mêmes ce débouché, à l’aulne des combats collectifs émancipateurs menés! Pour ces camarades, le «débouché politique» ne peut venir que du Parti, de leur parti pas des autres, des élections institutionnelles. En tout état de cause, ce n’est abordé que sous la forme de la prise du pouvoir d’Etat, en déléguant celle-ci aux partis. Dans la perspective d’une société autogestionnaire, cela mérite un autre examen.

A l’occasion du 5 octobre, le secrétaire général de la FSU a fort bien résumé ce que portent ces courants politiques: « Les salarié·e·s restent convaincus de l’importance de se mobiliser dans la période mais manquent de perspectives politiques. Ce qui fait que beaucoup ont passé leur tour aujourd’hui». En matière de perspectives, voilà qui n’en offre guère !

Le syndicalisme est politique. Il rassemble celles et ceux qui décident de s’organiser ensemble sur la seule base de l’appartenance à la même classe sociale. Ensemble, ils et elles agissent alors pour défendre leurs revendications immédiates et travailler à une transformation radicale de la société. L’oppression liée au système capitaliste, oppression économique issue des rapports de production et du droit de propriété, est commune à toutes celles et tous ceux «d’en bas». C’est là que se joue l’affrontement de classes: si ça, ce n’est pas politique! Ça n’empêche pas, bien au contraire, de considérer qu’il y a d’autres formes d’oppressions, qu’il ne s’agit d’ailleurs pas de hiérarchiser, ni entre elles, ni vis-à-vis de l’oppression économique. Les luttes féministes, antiracistes, contre les oppressions et pour l’égalité, la liberté, contre les violences policières, écologistes, etc., font aussi de la politique.

La répartition des rôles qui veut que le parti s’occupe de politique et le syndicalisme du social est une impasse. Alors que les syndicats sont, ou du moins devraient être, l’outil d’organisation autonome de la classe ouvrière, elle les cantonne dans une fonction mineure, leur nie la capacité d’agir pour changer la société. A l’inverse, elle pousse les organisations politiques à considérer que cette tâche est leur exclusivité et donc qu’elle est déconnectée des mouvements sociaux.

Redéfinir l’espace syndical

Un grand nombre d’associations jouent un rôle considérable dans le mouvement social. Quasiment toutes se sont construites parce que le syndicalisme a abandonné des champs de lutte ou les a ignorés et, de fait, elles font «du syndicalisme» tel que défini ici: associations de chômeurs et chômeuses, pour le droit au logement, de défense des sans-papiers, coordination de travailleurs et travailleuses précaires, etc. D’autres interviennent sur des sujets qui sont pleinement dans le champ syndical: elles sont féministes, antiracistes, écologistes, antifascistes, antisexistes, etc. Se pose aussi la question du lien avec les travailleurs et travailleuses de la terre. Il y a aussi les mouvements anticolonialistes, revendiquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, antimilitaristes, pacifistes, etc. Tout cela concerne les intérêts et l’avenir de notre classe sociale et c’est de ce point de vue qu’il faut les traiter.

Si nous mettons en avant les mouvements sociaux, c’est parce que ce sont eux qui organisent les luttes, l’action directe des travailleurs et des travailleuses. Parmi ces mouvements, le syndicalisme a une particularité essentielle: comme dit précédemment, il rassemble sur la seule base de l’appartenance à la même classe sociale. C’est fondamental. Un syndicalisme de lutte bien sûr, mais aussi un syndicalisme qui ose des ruptures avec l’existant pour mieux avancer. La question de l’unité, voire de l’unification, est importante. Il s’agit aussi de redéfinir les contours de l’organisation syndicale, pour que celle-ci prenne en compte les diversités ici décrites. Mais tout ceci ne doit être, ni des réflexions « d’expert·es » extérieur·es au mouvement syndical et social ni traité indépendamment des questions concrètes évoquées plus en matière de campagne syndicale, de présence là où sont les travailleurs et travailleuses plus qu’avec les patrons, de priorités syndicales décidées et mises en œuvre collectivement… (La photo représente la grève des conducteurs de bus du réseau Transdev, grève commencée en septembre)

Christian Mahieux, syndicaliste (SUD-Rail), membre du comité éditorial des «Cahiers Les utopiques», du «Réseau syndical international de solidarité et de luttes»

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[1] En insistant sur l’accord avec l’ensemble du texte!

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