Crise sanitaire et travail de la police

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on Google+Share on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Cette interview (la « midinale » de Regards) d’Anthony Caillé, secrétaire national CGT-intérieur (ministère), présente la situation de crise sanitaire vu du côté de la police qui surveille l’attitude des populations et les autorisations de sortie. Elle donne aussi un aperçu du travail des policiers (qui « ont la trouille, comme tout le monde« ), souvent ignoré, et observe que dans les logements des plus pauvres, le respect du confinement est très difficile. 

280px-Logo_regards_jpg

http://www.regards.fr/politique/societe/article/crise-sanitaire-on-a-un-petit-apercu-de-la-mediocrite-de-l-etat-a-faire-face

23 mars 2020

Crise sanitaire : « On a un petit aperçu de la médiocrité de l’État à faire face »

LA MIDINALE AVEC ANTHONY CAILLÉ. Face au Covid-19, les policiers sont, eux aussi, en premières lignes. Avec les risques que cela comporte. Protection des agents, répression de la population, violences et service public, on en a causé avec le secrétaire national CGT-Intérieur.

Anthony Caillé est secrétaire national CGT-Intérieur.

 Regards. D’une manière générale, comment se passe ce confinement pour les policiers ?

Anthony Caillé. Ça se passe à peu près comme l’ensemble des autres salariés. Le ministère de l’Intérieur a pris des mesures un peu tardivement sur un minimum de présence au travail. En fonction des services, ça va de 60% de présents à 15%. C’est peu. Je pense que l’idée, c’est de faire du roulement, le plus longtemps possible. On n’a pas de chiffres sur le nombre de collègues contaminés – on peut comprendre que ce chiffre reste à la discrétion du ministre. On parle de 5000 cas… On a quand même des commissariats fermés. Sur Paris, on a des brigades complètes qui sont inopérantes. C’est compliqué. Par exemple, la brigade des réseaux ferrés (qui s’occupent des transports franciliens) sont tous confinés. C’est donc d’autres agents qui viennent faire le job, mais ils méconnaissent totalement le travail dans les transports – même s’il n’y a pas la fréquentation habituelle. En termes d’organisation, de savoir-faire et de faire-savoir, c’est compliqué.

Depuis ce week-end, vous avez enfin eu l’autorisation de porter des masques, mais, en avez-vous ?

La difficulté, c’est qu’il n’y a pas de masques partout. On est très en retard là-dessus. On voit bien qu’on n’a pas du tout prévu ce type de situation. Ce qui me choque, c’est le discours absolument pas cohérent du gouvernement, qui crée des situations qui peuvent mettre en péril les agents, notamment les policiers.

Avez-vous des consignes particulières pour vous protéger ?

Bien sûr que non ! Les seules consignes qu’on a eu la semaine dernière, c’est de ne pas porter de masques et de ne les porter qu’à partir du moment où on est en position de contrôler une personne susceptible d’être malade. On n’est pas médecin, comment voulez-vous qu’on sache ? Et puis, nous aussi on peut véhiculer le virus. On contrôle 200 personnes par jour, si vous êtes porteur asymptomatique, vous pouvez contaminer 200 personnes. On tirera des conclusions une fois la crise passée. Mais la situation est catastrophique. On est censé être préparé aux attaques NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), quand on sait que dans les commissariats il y a deux ou trois tenus NRBC et que les dates de péremption pour certaines sont très largement dépassées… Là, on a un petit aperçu de la médiocrité de l’État à faire face.

Est-ce que la situation de la police n’est pas similaire à celle du milieu de la santé, dans le sens où la crise révèle les gestions politiques passées ?

Complètement. On a affaibli le service public. Pour la simple et bonne raison que, depuis au moins 20 ans, les gouvernements successifs veulent s’en séparer, filer ça au privé. L’hôpital a été attaqué bien avant la police. Nous, on s’est toujours dit que, comme on était un ministère régalien, on passerait au travers, et on a bien vu qu’avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy et la privatisation des missions de police, ça peut exister. Aujourd’hui, il y a plus d’agents de sécurité privée que de policiers en France. Et ces agents sont armés, peuvent fouiller vos affaires, etc. Ils ont vraiment une mission de police.

La situation sur le terrain est-elle tendue ?

Bien sûr, les policiers ont la trouille. Ils sont comme tout le monde. Et quand on leur demande d’aller au charbon, ils y vont. Mais sans aucune protection, pas de gant, pas de masque, donc ils se disent qu’ils peuvent attraper le virus, le ramener à la maison. Par rapport à la population aussi, on sent bien que les collègues sont hyper tendus au moment des contrôles.

« On est à 80.000 amendes, c’est colossal ! C’est un choix politique, une idéologie qui existe depuis une vingtaine d’années. On a bien vu la gestion des foules sur la loi Travail, les gilets jaunes, la réforme des retraites… On est sur une police qui fait peur, une police martiale, une police de la répression. On n’est absolument pas dans la prévention ou dans l’accompagnement. »

On aurait pu penser que le confinement était une occasion unique pour renouer le lien entre la population et sa police, vous plaçant – je caricature – du rôle du flic qui verbalise à celui qui protège…

Encore une fois, le discours du gouvernement dit qu’il y a une mesure de confinement et qu’il n’y dérogera pas. L’Intérieur a bien dit qu’il ferait preuve de la plus extrême sévérité envers ceux qui ne respecteraient pas le confinement. On est à 80.000 amendes, c’est colossal ! C’est un choix politique, une idéologie qui existe depuis une vingtaine d’années. On a bien vu la gestion des foules sur la loi Travail, les gilets jaunes, la réforme des retraites… On est sur une police qui fait peur, une police martiale, une police de la répression. On n’est absolument pas dans la prévention ou dans l’accompagnement. C’est la suite logique avec le confinement. Dans nos rangs, il y a de tout : des collègues font du zèle en disant que ça n’est absolument pas normal que des gens sortent dans la rue, d’autres comprennent la situation et ont bien conscience que certains sortent pour aller au boulot, pas pour se faire plaisir. La seule difficulté, c’est que celui qui voudrait faire autre chose que du zèle ou de la répression, il ne peut pas. Il y a un effet d’entraînement, dans une corporation qui se veut très sévère.

On a pu observer des scènes absolument contraires, des violences policières aux policiers chantant et dansant dans les rues… Qu’en dites-vous ?

On voit bien que la police, c’est avant tout un métier de femmes et d’hommes. Les policiers n’ont pas tous les mêmes réactions face à la situation. Mais quand même, ce qui ressort le plus, ce sont les scènes de violences, et non pas celles de « joie ». Les violences sont gérées comme d’habitude, il n’y a pas de différences, à partir du moment où vous tombez dans l’outrage et la rébellion. Covid-19 ou coupe du monde de football, il n’y a pas de changement.

Des policiers ont verbalisé des sans-abris. C’est du zèle là aussi ?

Franchement… Si c’est avéré… Ça n’est même plus du zèle. J’ai bien un autre mot qui me vient à l’esprit…

Pour revenir aux amendes, 10% d’entre elles ont été données en Seine-Saint-Denis. Comment l’expliquez-vous ?

C’est le territoire le plus pauvre. Vous avez des familles qui vivent à dix dans un 60m². Vous vous voyez rester confinés dans cette situation ? Quand on connaît l’architecture et le taux de pauvreté du département, c’est évident que c’est une bombe à retardement. On paupérise le 93 depuis 40 ans. Il n’y a plus de médecins, les centre sociaux n’existent quasiment plus, depuis Nicolas Sarkozy l’État donne moins de moyens aux associations dont beaucoup ont disparu, il y a un taux de chômage énorme et quand ils bossent, c’est le boulot les plus difficiles, ce sont eux qui nettoient les métros entre 2 et 3h du matin, etc., etc. Avant, le service public jouait le rôle d’amortisseur social – qui existe toujours au niveau national. La Seine-Saint-Denis est l’exemple d’un territoire sans service public. Ça se fissure tout de suite. Du point de vue de la police, c’est comme pour les profs, on envoie les gamins qui sortent de l’école, qui n’ont jamais mis les pieds dans ce département, la fracture sociale est énorme, ils ne comprennent même pas ce qu’il se passe. Donc les jeunes arrivent avec un sentiment d’insécurité – j’insiste, un sentiment d’insécurité – monté en épingle par deux, trois grandes gueules des commissariats, un peu facho. Et voilà.

« Quand Bruno Le Maire propose une prime de 1000 euros aux salariés du privé, c’est grave. Ça ne donne du travail qu’aux policiers et aux soignants, et sans prime de risques ! »

On a aussi vu des témoignages de citoyens se faisant interpeller par la police pour le contenu de leurs courses : jusqu’où peut aller le contrôle policier ? Jusque dans l’assiette ?

Eh bien, il va jusque-là, jusque dans l’assiette. C’est complètement con. Je ne suis pas médecin, je ne peux pas vous dire ce qu’il faut faire, si on peut sortir pour faire un footing… tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’y a aucune cohérence. Comment voulez-vous qu’on fasse appliquer la loi quand on dit aux gens « vous ne sortez que pour les courses de premières nécessités » tout en laissant ouvertes les boutiques de vente d’alcool. De même, on ne peut pas dire « restez chez vous » mais « allez au boulot ». Quand Bruno Le Maire propose une prime de 1000 euros aux salariés du privé, c’est grave. Ça ne donne du travail qu’aux policiers et aux soignants, et sans prime de risques !

Une loi vient d’être adoptée au parlement, punissant la multirécidive de non-respect du confinement de peine de prison. Ce qui veut dire garde à vue. Cela vous inquiète ?

On va créer de la promiscuité. Et on voit bien ce qu’il se passe dans les prisons actuellement. Encore une fois, on est sur du tout-répressif. Il y a très certainement des gens qui déconnent, mais de là à prendre le risque de mettre en garde à vue, dans un commissariat, des gens porteurs du Covid-19… De plus, je ne suis pas certain que cela touche de la même façon les habitants de Seine-Saint-Denis et ceux qui vivent dans le 10ème arrondissement de Paris. Par ailleurs, on attend toujours de savoir comment est-ce qu’on saura si quelqu’un a été verbalisé plusieurs fois. À ma connaissance, il n’y a aucun moyen de savoir. Ça voudrait dire qu’il y a un fichier. Pour le créer, il faut une loi, un décret, l’accord de la CNIL. À la limite, si c’est sur le ressort d’un même tribunal de police, peut-être que celui-ci peut savoir, mais je doute qu’il soit possible de croiser autant d’informations.

Pensez-vous qu’après la crise, l’État prendra ses responsabilités et mettra plus de moyens dans les services publics, dont la police ?

Non. Je pense qu’après la crise, ça ne changera pas. Après le Bataclan, on nous avait dit « les mesures de sécurité, les pompiers, les policiers, les hôpitaux, c’est hyper important, ça va changer », rien n’a changé, au contraire, derrière, on a continué les fermetures de lit, on n’a pas embauché les 3000 policiers promis (on est plutôt sur du 1500, dont beaucoup de contractuels). On continue à dépecer le service public.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc

Print Friendly

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *