Encore sur la CFDT et…le rapport au politique

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On ne soulignera jamais assez le contraste entre la CFDT 2014 et celle de hier ou d’avant-hier. Karel Yon, chercheur spécialisé sur le syndicalisme, commente ici un document sur l’intervention CFDT dans les municipales de 1977.

Accès au document CFDT (photocopie) : CFDT-municipales76

Un exemple d’intervention syndicale dans une campagne municipale

Par Karel Yon

Le document que nous présentons ici donne à voir une forme d’intervention syndicale possible dans une campagne électorale. Il s’agit d’une courte brochure de 8 pages éditée par l’union régionale CFDT du Nord-Pas-de-Calais en 1976, à l’occasion des élections municipales de l’année suivante. À cette époque, le discours officiel de la centrale était encore celui de la lutte contre le capitalisme. L’union de la gauche PS-PC n’avait pas encore conquis le pouvoir, mais on espérait cette victoire pour les élections législatives de 1978, les municipales apparaissant comme une première marche vers la conquête de l’État. Et l’on pensait encore que cette victoire pourrait « changer la vie ». C’était la crise, déjà, l’emploi industriel était sévèrement attaqué (particulièrement dans le Nord) et l’austérité était déjà avancée comme la seule politique possible…

Pourquoi ce document conserve-t-il une actualité ?

En premier lieu parce qu’il donne à voir un syndicalisme qui ne réduit pas son action revendicative aux frontières de l’entreprise ou même de l’économie. La mission syndicale est pensée de manière extensive, comme devant prendre en compte tous les besoins, problèmes et intérêts auxquels les travailleurs, peuvent être confrontés. Les revendications ne sont pas nécessairement très radicales, mais elles couvrent un champ de préoccupations qui concernent les travailleurs non seulement sur le terrain de l’emploi mais aussi en fonction d’identités transversales (locataires, usagers des services publics, citoyens, habitants d’un écosystème) et spécifiques (immigrés, femmes). On a là une conception du syndicalisme qui fait écho aux réflexions d’un Bruno Trentin sur la nécessité de représenter le « travail vivant » et non le travail subordonné, tel qu’il est figé dans les catégories dominantes de l’économie capitaliste[1].

Deuxième intérêt de ce document, il manifeste un style d’intervention syndicale dans le champ politique qui se distingue des modalités traditionnelles de soutien à un parti, un individu ou un programme. Ce type d’intervention, on l’a par exemple vu ressurgir à l’occasion des dernières élections présidentielles avec les appels à voter contre Sarkozy et Le Pen ou pour Hollande… avec toutes les déconvenues qui en ont découlé. Ce que le document laisse entrevoir, c’est que ces déconvenues sont peut-être moins liées à l’appel au vote en soi (un syndicat ne se lie pas nécessairement à un parti parce qu’il lui exprime un soutien) qu’à l’absence d’une intervention autonome des syndicats sur le terrain de la stratégie politique. Cette revendication d’autonomie se manifeste aussi par le souci revendiqué de ne pas mettre les luttes entre parenthèses le temps des élections. Il n’est cependant pas question dans la brochure de développer un programme syndical qui soit alternatif à celui des partis. Il s’agit plutôt de présenter une perspective générale, un point de vue syndical interprofessionnel et confédéral informé par une grille de lecture spécifique qui faisait l’identité de la centrale cédétiste à l’époque, celle du socialisme autogestionnaire. C’est dans ce cadre donnant un sens stratégique à l’action syndicale que les syndicats de base sont invités à formuler des revendications concrètes, charge à eux ensuite de les faire valoir auprès des candidats aux élections, voire d’investir des militants pour les représenter sur le terrain des élections politiques. L’autonomie des syndicats est ainsi respectée, laquelle permet dès lors d’ajuster la pratique syndicale à chaque contexte spécifique (degré d’homogénéité sociale et/ou politique de la section, degré d’ouverture du milieu partisan local), mais dans un cadre stratégique qui donne un sens globale à l’action syndicale, celui de la lutte contre l’exploitation et l’oppression capitalistes. La fameuse « double besogne » codifiée dans la Charte d’Amiens ! Il serait bienvenu que cette réflexion renaisse dans les rangs syndicaux : pourquoi militons-nous ? Où allons-nous ? La « démocratie sociale » est-elle une alternative satisfaisante au socialisme, à l’autogestion ? Si non, qu’avons-nous d’autre à proposer ?..


[1] Bruno Trentin était un dirigeant syndical et intellectuel italien très écouté. Il a systématisé ses analyses dans un ouvrage publié en Italie à la fin des années 1990 et récemment traduit (Trentin, La Cité du travail. La gauche et la crise du fordisme, Paris, Fayard, 2012). Il y critique la « subordination culturelle » de la gauche à la raison taylorienne et fait de la lutte contre la réification du travail le cœur du combat syndical, ce qui passe notamment par une démocratisation réelle de la sphère productive.

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