Et encore sur la Charte d’Amiens et Jean Luc Mélenchon

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Un article de Médiapart revient sur les écrits de Jean-Luc Mélenchon à propos des rapports entre syndicalisme et forces politiques, ainsi que la Charte d’Amiens.

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Jean-Luc Mélenchon défie les syndicats sur leur terrain

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Dans un post de blog publié fin octobre, le leader de La France insoumise interroge l’indépendance des syndicats vis-à-vis du politique. En creux, il appelle les organisations de salariés à soutenir son mouvement dans le combat social.

 Un sillon qu’il trace, peu à peu, dans l’action et la réflexion. Jean-Luc Mélenchon refuse d’abandonner l’ensemble du combat social aux organisations syndicales. Dans un article publié sur son blog le 30 octobre, le fondateur de La France insoumise met en débat la question de l’indépendance du mouvement social vis-à-vis des partis politiques, en l’occurrence de son mouvement, dans un contexte de « coup d’État social », selon la terminologie adoptée par la FI.

 © capture d'écran - Site de Jean-Luc Mélenchon © capture d’écran – Site de Jean-Luc Mélenchon

« La forme et la tactique de résistance à la politique du gouvernement ne peuvent plus rester enfermées dans le “chacun de son côté”. Il est plus que temps d’organiser la jonction des efforts entre le mouvement social, associatif et les forces politiques de la résistance au coup d’État social », écrit-il, près avoir reconnu – non sans un certain courage politique – que, « pour l’instant, Macron a le point ».

Jean-Luc Mélenchon n’est pas aveugle. Il voit que la mobilisation initiée par les organisations de salariés comme la CGT, la FSU et Sud-Solidaires contre les ordonnances réformant le code du travail reste confinée aux seuls militants. Ces organisations peinent à mobiliser les salariés sur des sujets aussi complexes que la mise en place du conseil d’entreprise ou la possibilité de négocier l’instauration du CDI de chantier au niveau de la branche professionnelle.

Les deux premières manifestations nationales, les 12 et 21 septembre, se sont soldées par des rassemblements totalisant au mieux 400 000 participants, selon le décompte syndical. Et ce, malgré l’apport d’une bonne partie des unions départementales et des fédérations de Force ouvrière, dont le leader, Jean-Claude Mailly, s’était opposé au principe, et de troupes de la CFE-CGC, pourtant peu encline à entraîner les cadres et les techniciens dans la rue. Malgré tout, la dispersion demeure de mise, comme à la fin de l’été, y compris pour le prochain appel à manifester le 16 novembre, toujours pas relayé par la CFDT.

Cette diversité des modes d’action pousse donc Jean-Luc Mélenchon à avancer ses pions pour prendre le relais des organisations syndicales. Il pointe aussi une évolution structurelle, comme « ces négociations séparées de certaines branches professionnelles, cruel démenti du système syndical confédéré, où la force du collectif est poussée à s’émietter. Ne pas accepter de le voir, c’est renoncer à imaginer la réponse à la question : comment inverser le cours des événements ? Voilà la seule question qui vaille. C’est celle que [lui] pose ».

Stéphane Sirot, historien au Cevipof de Sciences Po et spécialiste des mouvements sociaux, reconnaît aussi « l’affaiblissement des confédérations » : « On l’a déjà vu lors de la contestation contre la loi El Khomri, puis celle contre les ordonnances, où des fédérations ont joué leur partition, comme pour les routiers ou les fonctionnaires. » Entre une CFDT qui évolue vers un syndicalisme de lobbying et une CGT qui prétend – à tort, en ce moment – pouvoir faire plier le gouvernement par la rue, le professeur d’histoire estime juste l’analyse du leader de La France insoumise.

Mais le député des Bouches-du-Rhône ne s’arrête pas à ce constat de l’émiettement et de la décentralisation du combat syndical. Tout en renouvelant son soutien aux défilés syndicaux, il exhorte à trouver des voies pour « faire reculer le pouvoir, sauver nos acquis sociaux et une manière de vivre en société ». Il rend responsables de la faible mobilisation les organisations de salariés. Son argument : après le défilé des Insoumis le 23 septembre et sa proposition de se « mettre en retrait en appelant les syndicats à diriger tout le mouvement » et de défiler sur les Champs-Élysées, la stratégie des centrales a échoué.

Il en appelle donc à évacuer la charte d’Amiens, texte fondateur de 1906, qui pose notamment les bases de l’indépendance de la CGT par rapport au parti socialiste unifié l’année précédente. Aujourd’hui, des organisations telles que Force ouvrière, la FSU ou Solidaires s’en réclament, même si le contenu révolutionnaire en a été plus que gommé.

Il est temps d’« en finir avec cette hypocrisie », écrit Jean-Luc Mélenchon. « Il faut savoir faire équipe et joindre les efforts de mobilisation entre la sphère politique et la sphère du mouvement social », ajoute-t-il. Implicitement, c’est un appel de ralliement à La France insoumise, laquelle se pose depuis les élections législatives comme la seule force d’opposition au gouvernement. Selon son leader, ses représentants se sont « trouvés progressivement absolument seuls sur la barricade ».

Une analyse et une proposition qui font bondir Jean-Marie Pernot, politologue à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) : « Il y a un problème de date et de sens. Le texte invoqué a été rédigé en 1906 justement parce qu’à l’époque il n’y a plus qu’un seul parti. C’est donc une réaction globale du corps syndical contre un rapprochement avec un parti socialiste nouvellement unifié l’année précédente. » Ce qui, selon le chercheur, invalide la voie prônée par Jean-Luc Mélenchon, dont le mouvement, justement, souhaite avoir cette place centrale à gauche.

Théo Roumier, membre du comité éditorial des cahiers de réflexions Les Utopiques de l’Union syndicale Solidaires, reconnaît la pertinence du débat sur la seule légitimité des syndicats à mener la contestation sociale, même s’il ne la valide pas (voir son post de blog dans le Club de Mediapart dès août 2017). Comme le note Elyane Bressol, ancienne présidente de l’Institut CGT d’histoire sociale, « la question posée n’est pas d’une nouveauté extraordinaire ». De fait, des relations entre le PCF et la CGT aux amitiés entre la CFDT et le PS, les liens entre organisations de salariés et partis politiques ont régulièrement été interrogés.

Aujourd’hui, La France insoumise, par la voix de Jean-Luc Mélenchon, alimente à nouveau le sujet. Le calendrier est loin d’être innocent : « On peut supposer que son message s’adresse principalement à la CGT, qui n’est plus dominante », analyse Stéphane Sirot. Une CGT qui, par la voix de son secrétaire général Philippe Martinez, avait refusé de soutenir le candidat à l’élection présidentielle début 2017.

Elyane Bressol questionne la démarche de Jean-Luc Mélenchon : « Je ne vois pas l’élément fondamental qui conduirait à donner une prééminence au politique par rapport au syndical. Il y a de la place pour tout le monde. » C’est pourtant ce que comprend Théo Roumier dans le texte de Jean-Luc Mélenchon : « Le pari de La France insoumise est d’être cette force hégémonique à gauche. Ils mettent tout au service de ce projet-là. »

Il n’empêche : Jean-Luc Mélenchon révèle la perte d’idéologie des forces syndicales, en particulier de la CGT, et compte occuper ce champ laissé en friche. « Il est dans une stratégie d’OPA sur les organisations syndicales ; il a ça dans le viseur », témoigne un dirigeant d’une fédération CGT qui reconnaît : « Nous sommes en état de faiblesse sur les propositions, on est tétanisés. Nous pourrions prendre plus de risques. » Ce que concède Jean-Marie Pernot : « La rupture n’est pas une alliance supposée avec le champ politique. La question, c’est la discussion au sein et entre les syndicats qui vont dans le mur. » Stéphane Sirot y voit une vertu : « Cela peut au moins pousser les confédérations à réfléchir à leur stratégie et leur projet politique. »

Cet état de faiblesse des organisations de salariés, que révèle Jean-Luc Mélenchon, met évidemment mal à l’aise l’organisation de Philippe Martinez. Le secrétaire général a poliment décliné l’invitation à s’exprimer sur le sujet. D’autres cadres approchés ont refusé de parler. À Force ouvrière, c’est par le truchement d’un éditorial, le 8 novembre que son secrétaire général, Jean-Claude Mailly, par ailleurs sollicité par Mediapart en vain, a répondu à Jean-Luc Mélenchon : « Un responsable politique appelle à la jonction des forces politiques associatives et syndicales de résistance. C’est certes son droit, mais ce n’est pas compatible avec nos valeurs et notre pratique. » Fermez le ban.

Plus profondément, certains pointent l’impossibilité de cette « jonction » par la nature même du combat à mener : « Son rôle de parlementaire, c’est de soutenir le mouvement social, pas l’inverse », répond Elyane Bressol. Théo Roumier, qui revendique la grève comme levier pour obtenir des avancées, s’interroge sur le type d’organisation qui fera alors le travail sur les territoires et dans les entreprises auprès des salariés, si un mouvement politique absorbe et monopolise la contestation sociale.

Au-delà, Jean-Marie Pernot évoque l’absence de linéarité entre l’engagement dans un syndicat et le vote – voire le ralliement – en faveur d’un mouvement politique. C’est, selon le chercheur, le trou noir de l’analyse de Jean-Luc Mélenchon : « Quand on regarde le vote politique des adhérents des syndicats, c’est très diversifié. Il n’y pas de lien direct entre l’action syndicale et l’action politique. » Une enquête Harris Interactive du 24 avril dernier montrait la diversité des votes des militants syndicaux, même si ceux issus de la CGT déclaraient à 51 % voter pour le leader de La France insoumise au premier tour de la présidentielle.

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La nouvelle tentative de Jean-Luc Mélenchon a la vertu de faire réfléchir les tenants de la lutte syndicale classique, à défaut de les ébranler encore. La politique du gouvernement va continuer d’alimenter le mouvement social et l’opposition radicale de La France insoumise. Et donc la discussion autour de l’opportunité « de faire tomber ou non ces frontières artificielles » entre syndicats et mouvement insoumis, comme l’exprime Manuel Bompard, le directeur des campagnes de La France insoumise.

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