FERC CGT : la lettre CHSCT N° 54

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La fédération de l’enseignement, de la recherche et de la culture CGT (FERC) publie une lettre sur les activités des CHSCT de son secteur. Ci-dessous l’accès à la lettre complète, le sommaire et un des articles issu de l’Instituy du travail européen.

 


LETTRE CHSCT N° 54 novembre-décembre 2018

Sommaire

La vie CGT dans les registres

– CGT FercSup Paris VIII : alerte risques graves et moyens du travail

– CGT Vert Marine : alerte management et machines dangereuses

– CGT CROUS : alerte harcèlement

– CGT Educ Loiret : alerte amiante

– Droit de retrait pour cafards à l’ADOM

Vie syndicale

– L’Observatoire des Conditions de Travail de la CGT Spercrif

– CGT INRA : souffrance et demande d’enquête CHSCT

– CGT FercSup Pau : déclaration intersyndicale

– CGT INRA IDF : maladies professionnelles

– CGT Educ Cantal : conférence de presse sur réforme et conditions de travail

Inspection du Travail

Affaire Tefal, décision de la Cour de cassation

– CGT Educ 76, suite inspection du travail à inspectrice d’académie

Risques Psycho-Sociaux et Burn Out

Institut syndical Européen Travail Santé : vers une éclipse des Risques Psycho-Sociaux au travail

– Asdpro : la majorité parlementaire refuse la reconnaissance des pathologies psychiques pro.

Médecine du Travail

–      Dr Djemil : Le Conseil d’État ou courage fuyons

–      Communiqué CGT FERC

Actu CGT

–      CGT Occitanie : communiqué pétition (rapport Lecoq)

–      La maison des lanceurs d’Alerte – MLA

–      CA de l’Anact

–      Déclaration des organisations au conseil de la Cnamts, PFSS

Le livre

Qui a tué les mineurs de Givors ? Pascal Michalar

Enseigner l’esprit d’entreprise à l’école – Lucie Tanguy

  • Extrait : dimension européenne

Risques Psycho-Sociaux et Burn Out

Europe : vers une éclipse des “risques psychosociaux” au travail ?     

Institut Syndical Européen Travail Santé

 

Au moment où plus personne ne conteste l’importance croissante des « risques psychosociaux » et où se stabilise l’usage même de l’expression pour les désigner, dans les cénacles européens s’organise et se confirme un glissement sémantique vers la thématique plus englobante de la santé mentale. Sous les atours d’un élargissement du débat, c’est l’éclipse de l’expression « risques psychosociaux » qui s’opère, et avec elle, le délitement ou la marginalisation du lien avec les conditions d’emploi et de travail dont ils procèdent.

À partir de la fin des années 1980, les risques psychosociaux sont apparus, dans de nombreux pays européens, avec une acuité qui réclamait une prise de conscience et des actions de l’ensemble des acteurs investis dans la santé au travail. C’est forts de ce constat que, dans le cadre du dialogue social européen, les partenaires sociaux se sont emparés de la problématique pour aboutir à la signature des accords-cadres autonomes sur le stress en 2004, puis sur la violence et le harcèlement au travail en 2007. Si ces accords ont effectivement favorisé une prise de conscience de l’importance de ces risques, alors qualifiés d’« émergents », force est aujourd’hui de constater, au travers des effets délétères que ces facteurs de risques produisent sur la santé d’un nombre toujours croissant de travailleurs, que ces accords se sont révélés impuissants à endiguer une progression qui s’apparente désormais à une véritable pandémie.

Face à ce constat alarmant, et étant entendu que l’existence d’une législation (et donc l’obligation de s’y conformer) est le principal facteur qui pousse les entreprises à agir dans le domaine de la

 

prévention des risques professionnels, nombreux sont les observateurs qui appellent de leurs vœux une initiative législative portant sur les risques psychosociaux au niveau européen. Une directive en cette matière présenterait l’avantage d’œuvrer à une harmonisation de la protection dont jouissent les travailleurs des différents États membres, là où la Commission reconnaît elle-même qu’un niveau de protection minimal fait défaut au sein de l’Union.

Il semble pourtant que ces vœux soient condamnés à rester lettre morte. La problématique des risques psychosociaux, quelle que soit sa progression et malgré les inquiétudes qui lui sont associées, se heurte en effet, à l’instar de la plupart des autres matières relatives à la santé et à la sécurité, à la paralysie de la machine réglementaire communautaire. Une paralysie amorcée dès le début de l’ère Barroso (2004) et consolidée avec l’amorce du programme REFIT (Regulatory Fitness and Performance) dès 2012.

La communication intitulée Cadre stratégique en matière de santé et de sécurité au travail, publiée par la DG Emploi et Affaires sociales en juin 2014, atteste du désengagement des instances communautaires à l’endroit des risques psychosociaux en écartant jusqu’à l’horizon 2020 la possibilité de renforcer le cadre réglementaire afin de mieux les prévenir. Si cette communication prend acte de la prévalence du stress chez les travailleurs européens, elle se limite à confirmer qu’il

« conviendrait de s’y intéresser » et demeure évasive sur les mesures à mettre en œuvre pour améliorer la prévention et enrayer la progression des risques qui y conduisent.

La communication de janvier 2017, intitulée Des conditions de travail plus sûres et plus saines pour tous

  • Moderniser la législation et la politique de l’Union, confirme la faible ambition de la DG Emploi sur cette matière lorsqu’elle énonce, à propos des risques psychosociaux, qu’« afin d’améliorer la protection des travailleurs dans la pratique, il convient de sensibiliser les employeurs et de leur fournir d’autres guides et d’autres outils ».

Des campagnes de sensibilisation, des guides de bonnes pratiques, des outils informatiques conviviaux, etc. : la Commission propose de poursuivre avec une panoplie de remèdes dont l’usage, maintes fois ressassé ces dernières décennies, n’a pas permis d’infléchir, même modiquement, la progression du mal qui gangrène le monde du travail. En somme, si sur papier, la DG Emploi se défend des accusations d’immobilisme, en promouvant des placébos, elle ne fait pas moins le choix du statu quo.

 

Quand la santé mentale s’invite au travail …

Alors que la DG Emploi affecte une certaine apathie à l’égard de la problématique des risques psychosociaux, dans d’autres cénacles européens, administrés ceux-là par la DG Santé et sécurité alimentaire, c’est l’effervescence autour du concept de « santé mentale ». Depuis une bonne dizaine d’années, les initiatives se succèdent.

Dès 2005, la DG SANCO8 adopte en effet un ambitieux programme de promotion de la santé mentale. Cette année-là, elle publie un livre vert intitulé Améliorer la santé mentale de la population : vers une stratégie sur la santé mentale pour l’Union européenne. À la suite de celui-ci, qui visait selon ses termes à « ouvrir le débat avec les acteurs concernés », elle organise en juin 2008, à Bruxelles, une conférence européenne sur la santé mentale. Cette conférence aboutit à la rédaction du Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être. Ce document, au demeurant assez bref, épingle cinq domaines d’action prioritaires (la prévention de la dépression et du suicide, la santé mentale chez les jeunes et dans le système éducatif, la santé mentale sur le lieu de travail, la santé mentale des personnes âgées, la lutte contre la stigmatisation et l’exclusion sociale). Chacun de ces domaines fait ensuite l’objet d’une conférence thématique, organisée entre septembre 2009 et mars 2011.

En juin 2011, le Conseil de l’Union européenne se penche sur les résultats du Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être. Dans ses conclusions, il invite les États membres et la Commission à mettre en place, dans la continuité du projet précédent, la plateforme « Action conjointe pour la santé mentale et le bien-être », laquelle voit le jour en 2013, pour une durée de trois ans. Au terme de cette

 

période, la DG Santé embraye avec un nouveau projet : le « EU-Compass sur la santé mentale et le bien- être ». Il vise à collecter, échanger et analyser des politiques et des activités entreprises dans le domaine de la santé mentale. Il doit se poursuivre jusqu’en 2018.

Toutes ces initiatives en faveur de la santé mentale et du bien-être sont louables. Pourquoi en effet s’opposerait-on à la promotion de la santé mentale ? Voilà bien un domaine d’initiative qui semble devoir faire l’unanimité. Toujours est-il que ces projets comportent un volet relatif au monde du travail et qu’à l’examen de celui-ci, la prudence s’impose.

En guise de préambule à l’analyse, on peut épingler ce bref paragraphe, emblématique, issu du Pacte et consacré à la santé mentale sur le lieu de travail : « Le travail est bénéfique à la santé physique et mentale. La santé mentale et le bien-être au travail représentent d’importants moteurs de productivité et d’innovation dans l’UE. Le rythme et la nature du travail ne sont plus les mêmes, ce qui entraîne des tensions sur la santé mentale et le bien-être. Des mesures doivent être prises pour lutter contre l’aggravation de l’absentéisme et des incapacités de travail, améliorer la productivité en exploitant le potentiel inutilisé du fait des maladies mentales. Le lieu de travail joue un rôle déterminant dans l’intégration sociale des personnes atteintes de troubles mentaux. »

 

Les trois premières phrases posent des constats à partir desquels on pourrait s’attendre à un développement sur les conséquences pour la santé mentale de l’exposition à des facteurs de risques psychosociaux. Mais il n’en est rien. Dans l’ensemble de ces projets, le concept de « risques psychosociaux » est soigneusement éclipsé, comme un tabou encombrant, au profit du concept de

« santé mentale », qui apparaît dès lors comme un fourre-tout, ignorant la distinction, pourtant fondamentale dans la pratique, entre les problèmes de santé mentale qui préexistent à l’insertion professionnelle (p. ex. trouble bipolaire, schizophrénie) et ceux qui résultent de l’exposition à des facteurs de risques psychosociaux au travail (p. ex. dépression réactionnelle, burnout).

 

Les mesures à mettre en œuvre pour favoriser l’entrée sur le marché du travail des personnes souffrant de troubles mentaux et les mesures à élaborer pour permettre le maintien ou le retour au travail des travailleurs en souffrance à cause de leur travail ne gagneraient-elles pas à être envisagées séparément ?

 

Le glissement sémantique qui consacre le concept de « santé mentale » et éclipse celui des « risques psychosociaux » est tout sauf anodin.

Cette absence de distinction n’est pas insignifiante, elle témoigne d’un déplacement de la focale. Dans cette perspective, il ne s’agit plus tant de se concentrer sur les causes (les conditions d’emploi et de travail) que sur l’état de santé mentale ; que cet état résulte ou non de l’exposition à des facteurs de risques psychosociaux importe finalement peu dans cette perspective. Par conséquent, l’énonciation d’une critique sociale et politique, qui établit un lien entre des conditions de travail et d’emploi et des atteintes à la santé psychique, se trouve neutralisée.

En se concentrant ainsi sur l’état de santé mentale plutôt que sur les causes susceptibles d’y porter atteinte, le concept contribue aussi à individualiser la problématique. Il s’en suit que les mesures préconisées ne sont pas collectives mais individuelles (p. ex. gestion du stress), elles ne sont pas de nature préventive mais curative (c’est-à-dire médicamenteuse).

L’approche de la DG Santé propose en filigrane d’adapter les individus au travail. La promotion de la résilience a de beaux jours devant elle. En fait, tous les principes condensés dans l’article 6 de la directive-cadre sur la santé et la sécurité des travailleurs (89/391/ CEE), relatif aux obligations générales des employeurs, à savoir une approche préventive, combattant en première instance les risques à la source et privilégiant les mesures de protection collective sur les mesures individuelles, se trouvent battus en brèche. Le glissement sémantique qui consacre le concept de

« santé mentale » et éclipse celui des « risques psychosociaux » est donc tout sauf anodin.

 

Un autre écueil de ces projets centrés sur la « santé mentale » saute aux yeux : l’ambiguïté de leur finalité. Par-delà la seule question du choix des concepts, ce qui interpelle également, c’est la rationalité qui les sous-tend. L’objectif semble moins être la santé mentale pour elle-même que ce qu’elle permet en termes d’employabilité et de productivité.

Certes, le lieu de travail peut constituer un lieu d’intégration sociale pour les personnes dont la santé mentale est fragile. Mais cette intégration sur le marché du travail ne peut être bénéfique qu’à au moins deux conditions. D’une part, il faut que celle-ci soit volontaire et jugée envisageable par un médecin ayant la pleine confiance du patient. Elle ne peut résulter de « politiques d’activation » des malades telles qu’il semble s’en ébaucher dans certains pays européens (p. ex. Belgique) afin de réduire les dépenses de la sécurité sociale. D’autre part, il semble évident que cette intégration doit, pour n’être ni compromise ni dommageable, présenter des garanties quant aux conditions de travail, en particulier en termes d’exposition à des « risques psychosociaux ». Des adaptations de postes peuvent être nécessaires et il importe donc de s’assurer a priori du concours des employeurs.

En juin dernier, à Luxembourg, à l’occasion de la seconde conférence du projet EU-Compass qui a réuni une centaine de participants, la Commission, qui avait pris grand soin de réunir tout ce que l’Europe compte d’associations actives dans le domaine de la santé mentale, n’avait pas jugé utile de convier la Confédération européenne des syndicats. Ainsi, au terme de l’intervention des employeurs européens qui avaient, quant à eux, été invités à exprimer le point de vue du banc patronal européen sur ce qu’il convient de mettre en œuvre en matière de santé mentale au travail, il ne se trouvait guère de vis-à-vis pour faire connaître la position des travailleurs européens.

 

Interrogés en plénière à ce sujet, les organisateurs ont persisté et signé en déclarant, en toute simplicité, qu’« il n’est pas possible d’inviter tout le monde »… Dans ces cénacles, on ne semble guère vouloir s’encombrer de l’article 154 du traité de Lisbonne : un partenaire en vaut un autre et l’on préfère s’entourer de partenaires plus conciliants. Après tout, ce n’est pas ce qui manque à Bruxelles. Il existe une multitude d’associations actives dans le domaine de la santé mentale qui effectuent un travail de lobbying soutenu au niveau européen (p. ex. l’Association européenne contre la dépression) et qui ne sont guère regardantes sur l’acquis communautaire en matière de santé et sécurité au travail.

On se souviendra par exemple que lors de la 11e Journée européenne de la dépression, l’Association européenne contre la dépression, dont l’un des sponsors est la société pharmaceutique Lundbeck (laquelle produit des antidépresseurs…), a indiqué souhaiter que la Commission initie rien de moins  qu’une « révision de la directive 89/391/CEE […] pour s’assurer que cibler l’impact de la dépression devienne une priorité majeure sur les lieux de travail » !

Puisqu’il semble inutile d’espérer, à court et à moyen termes, une initiative législative dans le domaine des risques psychosociaux, il reste à souhaiter que la DG Emploi défende l’acquis existant, pour s’assurer que les principes de la directive-cadre ne puissent être foulés au pied dans d’autres initiatives communautaires.

 

 

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