Grandpuits : une lutte exemplaire éco-syndicaliste

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Les travailleurs de la raffinerie Grandpuits (Seine et Marne) sont en lutte prolongée contre Total qui menace  700 emplois avec des sous-traitants. Lors de la manifestation le 9 février 2021 (voir ci-dessous) devant la Tour Michelet-Total à la Défense, ils en étaient à leur 5ème semaine de grève. Ce conflit pose sur la place publique une question écologique décisive : lutter pour l’emploi, mais aussi pour changer la production. Car Total prétend supprimer 200 emplois au nom d’une réorientation « verte » de la production de l’usine, ce qui est une imposture. La lutte est soutenue par le Collectif Plus jamais ça, où participe la Confédération CGT, et dont se réclame le syndicat CGT Grandpuits. Mais d’autres syndicats négocient dans le dos des grévistes qui vont se réunir en assemblée générale le lundi 15 février pour décider de l’avenir de la lutte. Ci-dessous un article posant les enjeux de cette lutte pour le syndicalisme, l’accès au dossier établi par Les Amis de la Terre et Plus Jamais ça, pour démonter les arguments de Total, ainsi que le tract CGT Grandpuits avant l’AG du 15 février.

 

 

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Syndicalisme et luttes écologiques : un enjeu démocratique

Mardi 9 février 2021, dans le quartier des sièges sociaux de l’Esplanade de la Défense, plusieurs centaines de personnes ont participé à une manifestation devant la tour Michelet du géant Total. A l’appel des salarié-es de la raffinerie de Grandpuits (Seine et Marne), avec leurs tambours sonores et leurs torches, luttant contre un plan menaçant 700 emplois.

Total veut le maquiller en plan soi-disant écologique baptisé « zéro pétrole » (arrêt du raffinage). Etaient là aussi beaucoup de syndicalistes et de militant-es associatifs pour soutenir l’action et lui donner une ampleur politique. Il s’agit en effet de clouer le bec de Total dans ses prétentions frauduleuses, et d’agir pour une alternative écologique de la production bâtie par les travailleurs-raffineurs eux-mêmes et elles-mêmes. Ont pris la parole dans ce sens les représentant-es du Collectif Plus jamais ça constitué au printemps 2020 avec plus de 18 syndicats et associations. Après Adrien Cornet (CGT Grandpuits, fédération de la chimie), ont pris la parole :  Cécile Duflot (Oxfam), Simon Duteil (Solidaires), Jean-François Julliard (Greenpeace), Anaz Kazib (Sud Rail), Cécile Marchand (Amis de la Terre), Philippe Martinez (CGT), Benoit Teste (FSU). Mais aussi des soutiens politiques comme Clémentine Autain (députée LFI), Nathalie Arthaud (LO), François Ruffin (député LFI).

Les raffineurs de Grandpuits sont en grève depuis 5 semaines (caisse de soutien : https://www.cotizup.com/raffineursgpsggvenlutte ). Ils ont participé à la manifestation contre les licenciements du 23 janvier 2021, avec les licencié-es de TUI et plus de 20 autres entreprises menacées. Cette lutte Grandpuits est exemplaire, parce qu’elle pose la question écologique en même temps que la question industrielle. Elle n’évacue donc pas les difficultés à lutter contre la casse de l’emploi, sans se contenter de dire : on veut préserver nos emplis en continuant comme avant, peu importe ce que nous fabriquons. La CGT Grandpuits, avec la confédération, met ce débat sur la place publique. Or, il n’est pas simple. Il fait même l’objet de conflits culturels, de conceptions des luttes, donc souvent d’inquiétudes aussi, et il pose la question de la démocratie dans le choix des nouveaux modes d’actions.

 

amis de la terre grandpuitsExtraits du document de décryptage

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La culture du travail remise à jour

Longtemps, le syndicalisme n’a pas interrogé ce qui se noue dans le travail et son sens pour celles et ceux qui le vivent. Le syndicat se bat pour l’emploi, le salaire, pour de bonnes conventions collectives. Et pour la santé aussi. Mais justement : les Comité d’hygiène et de sécurité-conditions de travail (CHSCT), supprimés par Macron, interrogent le travail au-delà de l’emploi : les techniques, les dangers, les gestes, les atteintes physiques et même les effets dans la société. Qui décide des procédures ? Que fabrique-t-on ? Avec le CHSCT, c’est à la fois l’organisation du travail et sa finalité qui est posée. Ce dont le patronat refuse de discuter, car il estime être « le seul juge ». Les délégué-es CHSCT ont donc souvent été un peu « à part » dans le syndicat : ils s’occupaient de questions trop mises de côté.

Il faut le reconnaître : les travailleurs-euses peuvent être très critiques et combatifs contre les atteintes à leurs droits, mais en même temps très fiers de leur travail (à juste titre : c’est le leur). Même si l’objet de ce travail n’est pas ou n’est plus en phase avec des aspirations de la société, notamment sur le plan écologique, ou sur des modes de consommation insensés. Fabriquer des belles bagnoles et lutter contre l’exploitation chez PSA et Renault ont longtemps formé un tout pour la culture ouvrière. Or, c’est cette tradition que la prise de conscience écologique interroge. Il faut un grand courage pour accepter sa remise en cause.

arton23733photo Sergio d’Ignazio

Les travailleurs savent innover

La lutte contre les licenciements est toujours très difficile. Mais il n’est pas rare aujourd’hui que des luttes pour maintenir l’emploi débouchent sur des propositions de productions nouvelles. Cela peut passer par les SCOP et l’économie sociale et solidaire. C’est ce qui s’est produit avec la création de SCOP-TI en 2014 après la longue lutte des Fralib (336 jours !). Ou encore avec les glaces La Belle Aude créées par les salarié-es de l’ex-Pilpa (près de Carcassonne). En En Bretagne, devant la pénurie des masques au printemps 2020, des salarié-es, avec leurs syndicats, interpellent les pouvoirs publics et utilisent les locaux d’une usine fermée pour bâtir une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) afin de produire des masques. Tous ces exemples sont encore fragiles :  ils montrent surtout la capacité à produire sans patron actionnaire. La valeur vient du travail, pas de l’investisseur.

Ces exemples ne sont par ailleurs pas extensibles partout. PME et multinationales ne sont pas comparables. Toutes les technologies sont complexes. Il faut des moyens pour démarrer. Ce sont tous des petits exemples, mais de grands espoirs, comme dans l’action syndicale quotidienne. Par contre l’intelligence ouvrière est partout, pourvu qu’on l’encourage et qu’on l’aide matériellement à déboucher sur des innovations. Le Code du travail devrait rendre légalement obligatoire, en amont des mal nommés « plans sociaux » (PSE), les recherches d’alternatives avec des moyens financiers pour les étudier : un « droit de veto » suspensif à une restructuration. Dans tous les cas évidemment, le salaire doit être maintenu grâce à une sécurité sociale professionnelle (avec cotisations), prolongement et universalisation de la Sécurité sociale dont nous fêtons les 150 ans. Sans sécurité des salaires garantis aux personnes (comme dans la fonction publique), il ne peut y avoir de vraie reconversion industrielle et écologique. C’est aussi la condition pour que les salarié-es puissent imaginer de nouvelles productions socialement utiles.

Salarié-es, usagers, syndicats, associations : même combat

Les travailleurs savent comment produire. Ils et elles savent comment développer des services publics. Ils et elles peuvent accepter un regard extérieur à leur entreprise, même si parfois cela engendre des remises en cause. On se souvient de la catastrophe à l’usine AZF-Total (déjà !) à Toulouse en 2001. Le point de vue de certains salarié-es ou syndicalistes de l’usine, malgré les morts et les souffrances, ne coïncidait pas avec le Collectif Plus jamais ça des riverains, extérieurs à l’usine. Il faut éviter cette coupure.

Dans les chemins de fer, les syndicats sont maintenant en lien fréquent avec les associations d’usagers, par exemple au sein de la Convergence Rail et la Convergence de défense des services publics. La fédération CGT des cheminots produit une réflexion écologiste pertinente, en lien avec d’autres fédérations d’industries (transports, métaux…). Une brochure est publiée : « Ensemble pour le fret », dans laquelle on peut lire : « Du point de vue environnemental, quand le train (pour les voyageurs et les marchandises) émet 0,4 % des gaz à effet de serre du secteur des transports, les poids lourds (uniquement marchandises) en émettent 21,3 %. Le transport d’une tonne de marchandises par train pollue 20 fois moins que par camion ! ».

Syndicats et associations d’usagers peuvent donc être en interaction. Les salarié-es du pétrole ou du rail sont aussi les usagers de la route. Les usagers des voitures ou des transports doux peuvent soutenir le combat des travailleurs-euses de l’automobile pour revoir ensemble comment circuler sans polluer.  Une autre société est possible.

La démocratie au poste de commande

Ce sont des sujets difficiles. Les techniques industrielles dominantes, même si elles bougent sans cesse, sont issues de plus d’un siècle de pouvoir patronal qui domine la technique, et qui a modifié nos paysages et nos vies sans nous demander notre avis. Nous nous sommes presque habitués à une agriculture intensive, quasiment sans paysans, alors qu’elle détruit la biodiversité, même si elle nourrit bien plus de monde qu’il y a cinquante ans. Nous nous sommes habitués à des villes façonnées par la bagnole, plutôt que par des habitats sociaux et conviviaux, proches des lieux de travail. Etc.

La société doit changer, mais il faut le faire avec la population et avec le monde du travail. Cela nécessite un grand débat démocratique interactif. Il faut aller vite, mais sans démocratie, on ne convainc pas. Finalement on perd du temps.

« Citoyens dans le syndicat » (slogan CGT), citoyens dans la société, citoyens dans les associations, dans les quartiers, le voisinage : tous et toutes responsables.

Correspondants de Syndicollectif

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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