Guyane, un dossier de Solidaires: sortir du colonialisme

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Nous publions ce dossier de Solidaires consacré à la Guyane, qui explique en introduction : « La plupart des informations proviennent de camarades pleinement investies dans les actions en cours, notamment de militants et militantes Sud éducation. Nous reprenons également quelques communiqués nationaux de structures Solidaires et un texte à propos du rôle des « 500 frères ». »

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[…]

Voici la plate-forme de revendications pour l’éducation portée par les syndicats :

 Infrastructures scolaires : plan de construction de 5 lycées (Maripasoula, Macouria, Saint-Georges, Matoury, Saint-Laurent) 10 collèges et 500 classes de primaire en utilisant les matériaux locaux. Retour ligne automatique.

 Gratuité des transports scolaires et de la restauration en favorisant les produits locaux, fourniture de matériel pédagogique pour tous les élèves.

 Politique académique : valider le principe de la mise en place d’une politique académique adaptée avec l’introduction officielle dès la rentrée prochaine de l’étude des langues maternelles, de l’histoiregéographie du territoire, des sciences en s’appuyant sur les structures technologiques, de recherche et de l’environnement naturel guyanais.

 Mise en place d’un projet académique sur 5 ans avec gouvernance stable et au fait des réalités guyanaises.  CDIsation des contractuels et embauche de 400 ILM (Intervenants en Langues Maternelles).

 Ouverture de filières en relation avec le développement (biodiversité, or, spatial, eau, sciences du vivant et du sol, langues…)

 Université : construction du pôle de Saint-Laurent, création de 20 postes, versement automatique de la taxe professionnelle du CSG (Centre Spatial Guyanais) pour la formation continue.

 Ouverture et stabilisation de filières en relation avec le développement.

 Désenclavement, construction de la route de Bélizon à Maripasoula pour l’accès de tous les élèves (écoliers, collégiens, lycéens et étudiants) à l’éducation. Elle s’intègre à la plateforme unitaire inter-catégorielle qui est cours d’élaboration

[…]

  • Extraits d’une analyse du mouvement des 500 frères (pas très proche …du syndicalisme) :

Analyse réalisée par Joëlle Palmieri est chercheure en sciences politiques., membre associée du Laboratoire les Afriques dans le Monde (Lam) et membre du Réseau Genre en Action (réseau francophone d’expert-es genre et développement).

[…]

«  Les 500 frères. Né après le meurtre d’un habitant d’un quartier populaire de Cayenne en février 2017, ce « collectif contre l’insécurité » dit s’emparer des questions économiques et sociales, le chômage, la déscolarisation, etc., et tient ses distances avec les 37 syndicats composant l’Union des travailleurs guyanais (UTG), jugée pas assez dure. Ses actions se veulent musclées et ses revendications visent davantage à renforcer les moyens policiers et judiciaires : éradication des squats, construction d’une deuxième prison, maintien d’un escadron de gendarmes mobiles affecté en renfort, renvoi dans leur pays d’origine des détenus étrangers pour y purger leur peine, soit plus de 50 % des détenus. Les 500 frères dénoncent une immigration non contrôlée8. Mickaël Mancée, un des porte-parole, assume la radicalité du collectif en la matière : « Un voleur mort, c’est un voleur qui ne vole plus », en sous-entendant que la majorité des voleurs sont des étrangers. Il se dit prêt à mobiliser ses « frères » s’il n’aboutit pas : « Aujourd’hui, on dialogue. On fait tout pour empêcher une guerre civile. On est tous pères de famille, on n’en a pas envie… Mais si les voyous veulent la guerre, on la fera ».

Cagoulés et vêtus de noir des pieds à la tête, ces hommes – il n’y a pas de femmes – aujourd’hui soutenus par la population, disent remettre en cause l’abandon des pouvoirs publics. Parmi eux, on compte des artisans, pêcheurs, ouvriers, chefs d’entreprise, d’anciens militaires… âgés de 25 à 55 ans9. Leur nom viendrait du film « 300 », un péplum américain sorti en 2007 qui sublime la vaillance et la beauté de 300 soldats spartiates face à l’armée perse, représentée comme barbare et décadente. Même si 100 serait le nombre des membres du collectif, soit un Guyanais sur 3 000, le lien entre le groupuscule et la fiction ainsi que la bande dessinée dont elle est issue, est certainement incarnée par l’idéologie véhiculée : un penchant pour l’ordre et la lutte contre la barbarie, personnifiée par l’Autre. Enfin, « Frères, parce que la Guyane est notre mère », explique Mancée.

« Pères de famille », « frères », fils de la « mère » génitrice, êtres de sexe masculin, virils assumés en somme, ces hommes en uniforme revendiquent leurs xénophobie, classisme, paternalisme et sexisme. Ils sont prêts à en découdre, à tuer, à faire la « guerre » aux étrangers, aux pauvres (les squatteurs par exemple) et à protéger « leurs » femmes, sœurs, mères. L’émergence récente de ce groupe fait écho à l’Afrique du Sud, où les manifestations xénophobes et la violence vont croissant, et, en raison des cagoules et du besoin de dissimuler les visages, aux actions des groupes fascistes et des commandos militaires ou policiers.

Car enfin, cette situation critique et la mise en exergue de ce groupuscule manifestement peu progressiste posent question. Elles révèlent un détournement des luttes anticapitalistes, anticolonialistes, anti-impérialistes, une forme d’instrumentalisation des mouvements et par là même la dépolitisation de leurs actions et revendications. On assiste à une mystification viriliste et militariste de la contestation. Ce tour de passe-passe s’inscrit dans une histoire et un contexte anciens. La Guyane connaît une violence extrême et des modes de socialisation qui y sont liés : les relations interpersonnelles ne peuvent se faire que sur le terrain de la violence et ceci relève de l’histoire coloniale post-esclavagiste du département français. L’héritage des relations sociales hiérarchisées imposées par l’esclavage, inhumain, institutionnalisé par l’État et central à l’organisation des territoires dits d’« outremer » pendant plus de trois siècles, se traduit aujourd’hui dans les rues de Cayenne, Kourou, RemireMontjoly, Matoury, etc. La violence entre sexes, classes, races et « autochtones »/migrants traduit une colonialité en marche, où les rapports de domination entre État et territoire, État et populations, populations entre elles, s’imbriquent, se reproduisent, s’étendent, se renforcent, pour parachever des hégémonies profitables à l’expansion du capitalisme.

La double approche des médias classiques et responsables politiques hexagonaux qui consiste d’une part à mépriser la population guyanaise, son quotidien, ses pensées et expressions, et d’autre part à accorder une place de choix à un groupuscule aux pratiques militarisées, xénophobes, sexistes, caractérise leur volonté politique majeure d’exclure le débat, la contestation, l’exercice de la citoyenneté et la démocratie de la scène publique, à la périphérie (outre-mer) comme au centre (hexagone). Prétendre le contraire serait sinon naïf au moins contreproductif. « 

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