Industrie, fret et transition écologique : des réflexions CGT

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Deux conférences de presse ont eu lieu récemment, organisées la première par trois fédérations de la CGT (cheminots, transport, métaux) et l’autre plus particulièrement par la fédération cheminots à propos du fret ferroviaire notamment (« Ensemble pour le fret »). Nous donnons accès aux documents complets et en livrons des extraits. La réflexion sur la politique industrielle et le tournant écologique a vraiment commencé, même si cela peut susciter des débats. 

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Extraits du premier document : (cheminots, transports, métaux)

[…] « La CGT revendique une véritable rupture avec cette logique en développant une intervention plus vigoureuse de la puissance publique dans l’économie, non pas pour seulement socialiser les pertes énormes liées au covid-19, mais aussi pour réorienter le sens du développement économique de notre pays :

 

 

  • Le Gouvernement doit définir des objectifs clairs et précis en matière de répartition La CGT propose le doublement de la part des modes doux d’ici 2050. Des étapes, avec des objectifs intermédiaires, doivent être établies en tenant compte de ce qui peut immédiatement être réalisé (modifications légales et règlementaires, politique fiscale, utilisation de moyens existants…) et ce qui doit être lancé dès aujourd’hui pour un résultat à moyen termes (programme d’investissement dans le matériel et les infrastructures, R&D…). Des moyens adaptés au respect de ces objectifs doivent être déployés, notamment un grand plan d’investissement dans les infrastructures. Et un système de contrôle des objectifs, à chaque étape, avec des dispositifs de correction en cas de retard, doit être mis en place.
  • Le transport public ayant un impact direct sur l’économie et l’aménagement du territoire, il ne doit pas être laissé aux mains des intérêts privés qui ne savent développer que les solutions immédiatement L’investissement dans les infrastructures lourdes, les enjeux environnementaux, les choix d’aménagement du territoire, les politiques sociales d’accès au transport, le développement de filières industrielles, sont des éléments stratégiques qui doivent être confiés à des entreprises publiques, répondant aux commandes de la collectivité. La CGT propose que les grandes compagnies de transport soient des entreprises publiques, donc le retour au Statut d’EPIC de la SNCF et de la RATP, l’intégration de Transdev dans ces groupes, la renationalisation d’Air France- KLM (en coopération avec l’Etat néerlandais)… La constitution d’une holding générale pour coordonner l’ensemble des transports publics doit également être mise en débat. Enfin, les règles de mise en concurrence obligatoire des concessions de transport doivent être abrogées.
  • Pour coller au plus près des besoins, une complémentarité entre les modes de transport doit être mise en œuvre. La puissance publique doit organiser cette complémentarité des La CGT propose que l’objectif soit un accès de tous les territoires à tous les modes de transports, en proportion de l’utilité sociale qui leur aura été reconnue. Par exemple, la restructuration du groupe Air France et le démembrement de sa filiale Hop, qui assure les dessertes régionales avec du matériel adapté, ne nous paraît pas aller dans le bon sens. Son remplacement par les compagnies Low Cost ne fera que relancer la concurrence avec le mode ferroviaire. Le mode aérien, pour sa très grande rapidité, a un rôle à jouer dans la réponse à une partie des besoins.
  • Il ne peut pas y avoir de modes de transport de qualité sans personnel bien traité. La CGT propose que la rupture avec la dérégulation s’illustre particulièrement dans la gestion des personnels avec le renforcement de l’emploi de qualité, des statuts et des conditions sociales des
  • Pour rendre la transition écologique acceptable, elle doit se dérouler sans casse Pour cela, la CGT propose l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle dans les transports. Ainsi, toute restructuration décidée pour se conformer aux objectifs de reports modaux, ne se ferait plus par les licenciements et la liquidation des entreprises, mais par la gestion des parcours professionnels des salariés, en offrant à certains la possibilité de partir plus tôt en retraite, à d’autres de se former pour prendre un poste plus qualifié dans leur branche (mutation transversale), ou encore pour accéder à un emploi dans un autre mode de transport (mutation horizontale). Ces évolutions librement choisies seraient assurées par une structure de placement et de formation externe aux entreprises de transport, et financée par une cotisation sociale de ces entreprises.
  • Une place plus centrale doit être donnée aux usagers dans les processus de décisions concernant les transports Cela passe par des débats au Parlement sur les objectifs, les budgets et l’organisation règlementaire des transports. Mais également par la création d’instances consultatives de proximité dans lesquelles les usagers, les collectivités et les salariés puissent échanger, définir les besoins et participer à l’élaboration des schémas de transport (dessertes et infrastructures).

Afin de garantir un véritable droit d’accès aux transports pour tous, une tarification sociale très ambitieuse doit être développée. La CGT propose de poser la question de la gratuité pour les populations les plus précaires. Mais aussi de nouveaux droits tarifaires, par exemple pour garantir le droit aux vacances, à l’accès à la culture ou aux sports.

 

Extraits du document : « Ensemble pour le fret ! » (CGT cheminots)

 

[…] LES RAISONS DE LE « FER » !

Développer le transport ferroviaire de marchandises n’est pas juste une question d’affinité. Il y a des raisons objectives d’impulser rapidement et massivement un report modal vers le train.

LES EXTERNALITÉS NÉGATIVES DU TRANSPORT ET LES AVANTAGES DU FERROVIAIRE

Une externalité négative apparaît quand le coût d’une action pour la société (c’est-à-dire le coût social) n’est pas assumé totalement par celui qui entreprend cette action, ce dernier n’assumant que le coût privé de son action, ce qu’il a réellement dépensé.

Le secteur des transports se caractérise par quatre grands types

d’externalités négatives :

  • La congestion, c’est-à-dire l’encombrement des voies de circulation qui entrave l’activité ou le déplacement d’autrui ;
  • L’accidentologie, qui permet d’appréhender le risque d’accidents corporels et matériels ; la mortalité, les blessures et parfois les handicaps générés par les accidents de transport ;
  • L’environnement, notamment la pollution des eaux, des sols et de l’atmosphère (qui permet d’appréhender le risque de maladie lié aux facteurs de pollution) et le bruit (qui permet d’appréhender les risques sanitaires et psychosociaux liés aux nuisances sonores) ;
  • Les effets externes liés à l’aménagement du territoire (perte ou gain d’attractivité, consommation d’espace et effets de coupure en milieu urbain, effets d’agglomération).

Ces externalités sont loin d’être anodines pour l’économie, l’environnement ou la société.

Le secteur des transports est l’un des plus gros contributeurs de la pollution liée à l’activité humaine. En France, en 2018, il représente 30 % des gaz à effet de serre émis par le pays ! C’est un chiffre qui augmente. L’action sur les transports pour améliorer la qualité de l’air est donc déterminante.

Les externalités provoquent un coût humain important, en perte de temps dans les bouchons, en morts et en blessés liés aux accidents, en pathologies respiratoires suite aux pics de pollution, etc.

Par exemple, 3 448 personnes ont trouvé la mort dans un accident de la route en 2018, et 73 253 ont été blessées (dont un tiers de blessés graves). 14 % impliquent un poids lourd (alors qu’ils ne représentent que 2 % du parc) et 6 % un VUL. Les taux de gravité sont deux fois supérieurs aux accidents n’impliquant que des véhicules particuliers.

Ce coût ne doit pas être uniquement pris sous l’angle économique. Il doit faire l’objet de prévention pour en réduire l’impact au maximum.

Or, les externalités ne sont pas les mêmes pour tous les modes de transport.

La route est 29 fois plus mortelle que le ferroviaire.

Du point de vue environnemental, quand le train (pour les voyageurs et les marchandises) émet 0,4 % des gaz à effet de serre du secteur des transports, les poids lourds (uniquement marchandises) en émettent 21,3 %. Le transport d’une tonne de marchandises par train pollue 20 fois moins que par camion !

 

 

L’INERTIE DU MARCHÉ AU BÉNÉFICE DU TOUT ROUTIER : IL FAUT CHANGER DE MODÈLE !

En théorie, les utilisateurs de chaque mode de transport devraient payer leur coût social, c’est-à-dire la somme de leur coût privé (les coûts qu’ils supportent directement, comme la consommation de carburant) et de leurs coûts externes (les coûts qu’ils engendrent pour la collectivité, en termes d’usage des infrastructures, de nuisances environnementales, de dépenses médicales, etc.).

Mais en pratique, les différents modes sont largement exemptés du paiement de leurs externalités, qui sont prises en charge par la collectivité :

Congestion routière en France en 2013 = 17 milliards (source : INRIX et Centre for Economics and Business Research). Ce coût devrait augmenter à 22 milliards d’euros en 2030.

Insécurité routière en France en 2018 = 44,1 milliards d’euros (source : ONISR), dont 33,4 au titre des accidents corporels et de leurs conséquences.

La pollution est encore plus coûteuse, puisqu’elle impacte la santé, la biodiversité, le climat…

Dans un système de concurrence « libre » entre les modes, où le prix du

 

De la même manière, les « marchés du carbone » qui visent à faire payer les émissions de CO2 sont des solutions très limités, qui ne suffisent pas. Ils font l’objet de tractations sans fin sur le juste prix de la tonne de CO2 (et celle-ci est très largement sous-évaluée à cause de l’action acharnée des lobbies). Et par ailleurs, ces mécanismes conduisent à développer des activités à émissions soi-disant négatives pour financer la pollution d’autres activités. Finalement, cela revient à organiser un « droit à polluer » plutôt qu’une transformation réelle des outils de production ou de transport.

Cette inefficacité se vérifie dans les bilans : sur les 30 dernières années, les modes les plus polluants et les plus accidentogènes ont vu leur part modale s’accroître. Le mode routier est devenu quasiment hégémonique.

Transport intérieur de marchandises (en milliards de tonnes.km, chiffres 2016)

 

Routier = 287,7 soit 88 %
Ferroviaire = 32,6 soit 10 %
Fluvial = 6,8 soit 2 %

 

 

LES ENJEUX, L’URGENCE : IL Y A OBLIGATION DE RÉSULTATS !

 

Les externalités liées à la congestion, l’accidentologie et l’environnement sont déjà très importantes. Le rapport du GIEC et d’autres travaux scientifiques ont notamment montré l’impact que les émissions de gaz à effet de serre pourraient avoir sur la vie humaine dans un futur proche.

Il y a donc déjà urgence à agir.

 

Trafics de marchandises et parts modales (source : rapport « projections de la demande de transports sur le long terme »)

 

Mode

2012 2030 2050
 

Mds t. km

Part modale  

Mds t. km

Part modale  

Mds t. km

 

Part modale

Route 263,5 86,8 % 382,7 86,7 % 489,9 85,1 %
Fer 32,5 10,7 % 47,2 10,7 % 70,5 12,2 %
Fluvial 7,7 2,5 % 11,6 2,6 % 15,6 2,7 %
Total 303,7 100 % 441,5 100 % 576 100 %

 

 

Le mode routier devrait alors assumer 489,9 milliards de tonnes.km en 2050, soit une hausse de 86 % des volumes. C’est autant de poids lourds en plus sur les routes, et donc d’externalités négatives supplémentaires !

C’est un modèle qui n’est pas soutenable.

Pour limiter la progression du mode routier, il faut absolument développer plus massivement les autres modes.

 

UNE AUTRE RAISON DE DÉVELOPPER LE FERROVIAIRE : IL FAUT STOPPER LE GÂCHIS !

La dérégulation a été initiée avec la directive européenne de 1991, mais n’a été réellement mise en application qu’à partir de 2001 avec la directive sur l’ouverture à la concurrence du fret et la gestion des infrastructures.

Dès lors, les règles du marché se sont progressivement imposées dans l’organisation et la gestion du système ferroviaire, quand bien même celui-ci restait largement sous propriété publique.

Cette évolution a eu des conséquences désastreuses en termes social, industriel et économique.

Sur la période de dérégulation 2001-2020, les effectifs dédiés au transport de marchandises SNCF sont passés de 20 000 agents à  4 000, soit une suppression de 80 % des effectifs !

 

Résultat : le Fret ferroviaire est dans une spirale infernale de déclin qui impacte sa capacité à maintenir son outil industriel et ne lui permet pas de rétablir une situation financière saine.

La destruction de l’outil de production impacte les capacités du mode à se redévelopper avec une diminution de moitié des gares Fret, une réduction du nombre de triages à gravité (19 à 4), du nombre de terminaux combinés (45 à 27) et du nombre d’installations terminales embranchées permettant de desservir directement les chargeurs  (4 500 à 1 800).

Fret SNCF continue de se séparer d’une partie de son parc d’engins

moteurs. Dans les seuls rangs des locomotives électriques, ce sont ainsi

15 machines supplémentaires qui ont été radiées au cours des neuf premiers mois de l’année 2019. Certaines de ces locomotives n’avaient pas dépassé le cap des vingt-quatre années de carrière.

Evidemment, cette situation a des effets très négatifs sur l’industrie de

production de matériel ferroviaire.

Du point de vue économique, la stratégie d’écrémage des trafics par Fret SNCF a fortement accru le déficit de l’activité et son endettement.

Les autres entreprises ferroviaires sont également dans des situations économiques préoccupantes, entraînant notamment un plan social à ECR en 2017.

 

LE DUMPING SOCIAL EST LE SEUL CARBURANT DE LA CONCURRENCE : IL FAUT CHANGER DE MODÈLE !

Afin de maximiser les profits, le patronat recherche l’abaissement des conditions de vie et de travail des salariés. C’est en ce sens que les moyens de transports les plus ouverts à la déréglementation sociale sont privilégiés, tel que le recours au pavillon routier étranger.

La déréglementation contribue de l’objectif patronal d’augmenter les profits au détriment de la formation et du niveau de sécurité nécessaires. Il en est notamment ainsi de la suppression de l’obligation pour une entreprise ferroviaire de détenir un certificat de sécurité pour exploiter une ligne ou de licence pour un agent de conduite.

Le travail n’est pas un coût, car il est la seule source de création de

richesses. Cependant le travail a un prix, c’est le salaire.

Le patronat poursuit l’objectif d’abaissement du prix du travail dans la branche ferroviaire, d’une part en spécialisant les personnels sur un seul type de trafic, ce qui lui permet de réduire la formation, et d’autre part en développant la polyvalence des personnels au-delà de leur métier, ce qui se traduit par une diminution du niveau de technicité, et donc de qualification.

Cette diminution du niveau de qualification, outre les conséquences sur le niveau de sécurité et la qualité de la production, conduit à la non- reconnaissance de la qualification par le salaire, très partiellement compensée par des éléments de rémunération autres que le salaire.

La spécialisation des personnels induit cependant des surcoûts globaux à l’échelle de l’ensemble du système en ne permettant pas la péréquation des moyens humains et matériels.

Le travail de nuit, très développé dans le transport ferroviaire de marchandises, est porteur de graves atteintes à la santé. Il doit être évité dans toute la mesure du possible, et lorsqu’il ne peut l’être, il doit être limité et compensé en temps de repos pour limiter les effets néfastes. La multi-activités permet de répartir le travail de nuit et donc ses effets sur un plus grand nombre de salariés.

La spécialisation entrave par ailleurs les parcours professionnels des cheminots en les cloisonnant de manière étanche dans des ersatz de PME impropres à garantir et développer le Service Public de transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises.

A ce jour, les promesses patronales et gouvernementales de cadre social de haut niveau ne sont pas tenues.

Par exemple, la proposition de minima de rémunération de branche est très inférieure aux accords d’entreprise existants afin de ne pas améliorer la situation de toutes les entreprises et de permettre un dumping important par d’éventuels nouveaux entrants.

Ainsi, alors que les accords d’entreprise prévoient un salaire d’embauche pour un conducteur de train à 26 581 € par an à Europorte, 27 326 € à la SNCF et 28 000 € à ECR, le salaire minimum d’embauche proposé par le patronat à l’échelle de la branche est de 22 575 €, soit une baisse de 15 à 20 % par rapport à l’existant !

Les organisations syndicales majoritaires ont donc fait valoir leur droit d’opposition sur l’ensemble du volet « classifications et rémunérations » de la CCN ferroviaire.

Le Gouvernement ne doit pas se substituer aux partenaires sociaux en reprenant par décret la proposition patronale.

Une véritable négociation pour un cadre social de haut niveau doit être relancée, comme le demandent les organisations syndicales.

 

 

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