J Claude Mailly s’en va, mais quelle sera la vraie suite pour FO?

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Médiapart publie une enquête-analyse sur le passage de relai entre Jean-Claude Mailly et Pascal Pavageau comme secrétaire général de Force ouvrière.  Mais le mystère « Mailly 2017 », après le « Mailly 2016 », demeure. Donc également l’incertitude sur la suite du positionnement de FO, au-delà des phrases peut-être plus combatives.

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FO tourne la page Mailly avec soulagement

Par et

Après 14 ans à la tête du syndicat, Jean-Claude Mailly le quittera à l’issue du congrès qui s’est ouvert ce lundi à Lille. En interne, ils sont peu nombreux à regretter ses positions conciliantes envers Emmanuel Macron. Son successeur Pascal Pavageau durcit déjà la ligne.

Une semaine électrique pour Force ouvrière. Ce lundi 21 avril, le syndicat a lancé à Lille son congrès, qui durera jusqu’à vendredi. Une semaine pour acter un sacré bouleversement, et purger des mois difficiles : après 14 ans à son poste, le secrétaire général Jean-Claude Mailly passe la main, au profit de son dauphin désigné, Pascal Pavageau. Sans surprise, puisque le numéro deux de FO est le seul candidat. Mais avec un soulagement certain pour bon nombre d’adhérents. Les positions de l’encore secrétaire général vis-à-vis d’Emmanuel Macron et de ses réformes, vues comme trop conciliantes par beaucoup, ont créé de fortes tensions dans le syndicat. Des tensions qui ont culminé fin septembre, lorsque le comité confédéral national, sorte de parlement du syndicat, a mis en minorité Jean-Claude Mailly et l’a forcé à accepter une manifestation – bien tardive – contre les ordonnances réformant le droit du travail.

 © Reuters/Pascal Rossignol © Reuters/Pascal Rossignol

Cette période de tensions est révolue, a promis Pascal Pavageau à Mediapart, quelques heures avant le début du congrès. « Les choix de notre secrétaire général lui ont été propres, je n’en connais pas les raisons, et ils appartiennent au passé. On a eu un an de bizarreries, qui venaient d’une seule personne », assure dans une formule assassine celui qui sera élu patron de FO le 27 avril. C’est dire la rancœur qui existe au sein du syndicat envers celui qui l’a dirigé depuis 2004.

L’incompréhension était visible à l’œil nu dès l’été. À l’automne, divers représentants du syndicat, où les dissensions ont toujours pu s’exprimer à l’air libre, ne cachaient plus leur exaspération. Parmi les plus virulents, on trouvait Nadine Hourmant, secrétaire départementale du syndicat dans le Finistère. Celle qui est actuellement plongée en pleine liquidation judiciaire de son entreprise, le volailler Doux, compte les jours jusqu’à la fin de la semaine : « On attend tous qu’il y ait un chamboulement à la tête de FO. Les militants sont demandeurs, il est plus que temps, il est devenu insupportable d’entendre Jean-Claude Mailly. Je l’ai dit et je le maintiens, il a trahi son mandat, il ne représente plus ce pour quoi il a été élu. »Patrice Clos, patron de la fédération des transports, est à peine moins sévère. « Pour notre fédération, les choses sont claires : vivement qu’on passe à autre chose !, s’exclame-t-il. Les positions de Mailly sont peu appréciées par nos adhérents. FO, non, ce n’est pas ce qu’il s’est passé pour les ordonnances. Notre syndicat a 70 ans cette année, il faut qu’on le retrouve. »

Et même un secrétaire confédéral, membre du bureau du syndicat, ne cache pas sa satisfaction : « Ces derniers mois, si le bureau confédéral a affiché des positions unanimes pour soutenir le secrétaire général, c’est surtout parce que les minoritaires voulaient préserver l’image de l’organisation à quelques mois du congrès. »

Ce son de cloche devrait se faire largement entendre pendant le congrès. Lors du discours d’inauguration dans « sa » ville ce lundi matin, même la socialiste Martine Aubry, qui ne cache pas son amitié très ancienne pour Mailly, lui a demandé pourquoi FO ne s’était pas opposé plus fortement aux ordonnances… « Je ne vois pas pourquoi ceux qui sont déjà montés au créneau contre les ordonnances ne le feraient pas au congrès, reconnaît Michelle Biaggi, la secrétaire confédérale chargée de l’organisation de l’événement. Chez nous, on n’a jamais empêché personne de parler. Sur les 150 interventions prévues, des adhérents vont monter sur tous les sujets, et ça sera bien sûr aussi l’occasion d’aller engueuler le bureau confédéral. Ce sera forcément l’occasion d’un bilan, puisque le rapport d’activité du bureau sera soumis au vote. »

Et ce vote risque d’être très raide pour Jean-Claude Mailly, 65 ans. Quitte à effacer une partie de son bilan. Qui se souvient que dans les années 1980, ce militant de toujours de FO, permanent dès 1981, était l’assistant de Marc Blondel, alors en pleine bataille interne contre André Bergeron ? Ce dernier tentait justement de faire passer une ligne réformiste sur la flexibilité du travail, et avait échoué. Qui a encore en tête que Mailly était monté en première ligne contre le contrat première embauche (CPE) en 2006, ou qu’il avait appelé, seul, à une journée de grève générale contre la réforme des retraites en 2010 ?

En 2016, Mailly avait la dent très dure contre la loi El Khomri

Ces dernières déclarations, lors de sa « tournée d’adieu » dans les médias, ne suffiront sans doute pas à changer l’image qu’il s’est forgée en un an. Le 5 avril, face à l’Association des journalistes d’information sociale (Ajis), il a pourtant ostensiblement durci le ton, avertissant le gouvernement : « Quand on donne le sentiment que tout est décidé d’avance, cela ne participe pas au dialogue social. Et quand l’herbe est trop sèche, n’importe quelle étincelle peut mettre le feu ! » Et le 10, sur LCP, il s’est interrogé : « Pourquoi le gouvernement a-t-il refusé un débat sur l’avenir du service public républicain ? Il fait comme du temps de Nicolas Sarkozy, il travaille en catimini avec une structure qui s’appelle “Cap 2022”. »

Mais il est trop tard. Jean-Claude Mailly restera comme celui qui a refusé de critiquer trop violemment la réforme du code du travail. « C’est mal me connaître de penser que quelqu’un pourrait m’envoûter. Je ne suis ni chiraquien, ni sarkozyste, ni hollandais, ni macroniste », a-t-il déclaré lors de son discours d’ouverture du congrès. « Notre comportement a été le plus efficace possible dans un contexte donné », cela a été « la meilleure tactique à adopter », a-t-il encore assuré, déclenchant quelques protestations dans l’assistance. Ce discours jette, il est vrai, un voile pudique sur ses déclarations passées. En juin 2017, il affirmait par exemple dans Le Monde que la concertation autour des ordonnances allait « dans le bon sens ». Quelques semaines auparavant, il avait eu des mots très aimables en direction de la nouvelle ministre du travail Muriel Pénicaud et sur son directeur de cabinet, venu tout droit du Medef.

Cette attitude reste un mystère en interne. « En off, il dit qu’il a craint pour l’existence des syndicats et y compris de FO. Macron avait annoncé vouloir se payer tout le monde, y compris les syndicats… Il a peut-être eu vraiment peur pour l’organisation ? », spécule un responsable départemental. Qui ne lui donne pas plus raison que les autres militants interrogés : « Il croit qu’il a été entendu sur les ordonnances, ce n’est pas vrai. Avec la réduction du nombre de représentants du personnel, nous allons perdre des militants partout, dans les entreprises, dans les unions syndicales, au plus près des salariés et ça va faire mal. Et les discussions qu’il a eues avec Édouard Philippe, Muriel Pénicaud et Emmanuel Macron tout l’été, nous n’en avons rien su, il a fait ça tout seul dans son coin. »

En 2016, Jean-Claude Mailly était un opposant résolu de la loi sur le travail. En 2016, Jean-Claude Mailly était un opposant résolu de la loi sur le travail.

La mansuétude du Mailly 2017 contraste en tout cas très fortement avec sa position lors de la contestation de la loi El Khomri, au printemps 2016. Son syndicat était alors allié avec la CGT pour contester la réforme gouvernementale. Dans un livre faisant le bilan (mitigé) de la mobilisation, Mailly n’avait pas de mots assez durs pour la volonté de François Hollande de faire passer cette « contre-réforme multiminoritaire ».Les pages du livre recèlent quelques perles, notamment contre le dirigeant de la CFDT, Laurent Berger : « Quand Laurent Berger sera premier ministre, Manuel Valls pourra être candidat au secrétariat général de la CFDT et il faudra des syndicats pour défendre les salariés », ironisait-il alors. Moins d’un an après, Jean-Claude Mailly essayait pourtant de ravir à la CFDT la place de syndicat pivot dans le dialogue avec le gouvernement ! « Chez les salariés, il y a beaucoup d’incompréhension et de colère rentrée. De telles lois conduisent à gommer les différences entre la gauche et la droite », jugeait encore Jean-Claude Mailly. Des mots que ses opposants en interne reprendraient volontiers pour critiquer ses choix face au président Macron.

Même les membres du bureau confédéral, plutôt proches du secrétaire général sortant, semblent un peu embarrassés pour expliquer ses positions les plus récentes. « Ce gouvernement a un style beaucoup plus tranchant que les précédents, et il faut que nous soyons au bon niveau pour y répondre. Mais nous n’avions pas été habitués à ce style, tente la secrétaire confédérale Marie-Alice Médeuf-Andrieu. Trois ou quatre mois après l’élection d’Emmanuel Macron, il était un peu compliqué de l’évaluer, et Jean-Claude Mailly a cru à la loyauté de l’autre partie, c’est louable. Aujourd’hui, la situation est clarifiée. » De son côté, Michelle Biaggi, qui quitte le bureau après 22 ans d’engagement au niveau confédéral, revisite elle aussi les premiers mois du quinquennat Macron : « Si toutes les organisations syndicales avaient ramé dans le même sens, peut-être aurait-on obtenu plus de choses. Je dis bien peut-être. Et je reste convaincue qu’il fallait discuter jusqu’au bout, pousser au maximum. »

« Avec Pascal Pavageau, le balancier repart vers la fermeté »

À l’issue du congrès, la rupture de ton s’annonce nette. Pascal Pavageau, que nous avions invité à Mediapart Live juste après le deuxième tour, et dont le nom n’a pas été prononcé une fois par Jean-Claude Mailly ce lundi, commence déjà à montrer les muscles. « Nous avons en face de nous une vision portée par le président : une logique du chacun pour soi, de casse assumée de l’ensemble des cadres collectifs. Tous les exemples de réformes imposées depuis un an vont vers l’individualisation des droits, et la fin de l’égalité républicaine, analyse-t-il. Face à cela, la priorité du congrès est de sortir avec une ligne claire. Le moins que l’on puisse dire est qu’il y a eu des hésitations et des débats en interne depuis un an. Je ne suis pas du tout inquiet sur notre capacité d’en sortir avec une ligne revendicative, de combat, pour répondre à cette vision. »

 Les syndicats face à Macron: vers un troisième tour social ?

Le futur nouveau dirigeant de FO a peaufiné quelques punchlines, qu’il déroule auprès des journalistes. « La méthode d’Emmanuel Macron, c’est je pense, donc tu suis », lâche-t-il par exemple régulièrement ces derniers jours. Dit autrement, « nous avons un président qui ne supporte plus les contrepoids, mais qui accepte les lobbies, patronaux par exemple ». Cet ingénieur en travaux publics de 49 ans, engagé à FO depuis ses études, a été nommé il y a quinze ans secrétaire national du Syndicat des ingénieurs en travaux publics, puis secrétaire fédéral à la Fédération de l’équipement, de l’environnement, des transports et des services. Autant dire qu’il est un très bon connaisseur de la fonction publique et un ardent défenseur du service public.

Ce profil devrait avoir un impact dans les négociations en cours sur l’avenir de la fonction publique. Après la manifestation du 23 mars, les syndicats unis appellent à une nouvelle journée de mobilisation le 22 mai, jugeant que le gouvernement prépare le démantèlement, ou du moins le net affaiblissement, du statut de fonctionnaire. FO, traditionnellement très implanté parmi les agents du public, devrait œuvrer pour que la contestation dure.

« J’ai été frappé par la clarté de l’argumentaire de Pascal Pavageau, mais aussi par la fermeté de ses positions, note un ancien représentant du Medef, rompu aux négociations. Il y a toujours eu des cycles à FO : Bergeron a beaucoup accompagné les réformes, Blondel a durci le ton, il y a eu finalement plusieurs Jean-Claude Mailly en fonction des périodes. Manifestement, avec Pascal Pavageau, le balancier repart vers la dureté, la fermeté. »

Pascal Pavageau lors de la manifestation parisienne du 16 novembre 2017. © D.I. Pascal Pavageau lors de la manifestation parisienne du 16 novembre 2017. © D.I.

Cette ligne, Pascal Pavageau l’« assume » pleinement. « Mes positions n’ont pas varié depuis que j’ai été élu au bureau confédéral, en octobre 2009, affirme-t-il. En septembre 2011, j’ai informé mes camarades que je serais candidat lorsque Jean-Claude Mailly s’en irait et, depuis, j’ai été le seul candidat officiel. Or ma ligne est connue de mes camarades et, s’il y avait eu un problème en interne, il pouvait évidemment se créer une alternative. Ce que je veux incarner et porter semble convenir à la majorité. »

De notoriété publique, Pavageau s’est affronté à son ancien camarade du bureau confédéral Stéphane Lardy. Ce dernier, unanimement reconnu pour ses compétences sur les questions sociales, campait sur une ligne « réformiste », plus encline à signer des accords avec le patronat. Longtemps dans la position du dauphin désigné, Stéphane Lardy était trop contesté par l’aile gauche du syndicat pour s’y maintenir. Il a finalement quitté FO pour l’Inspection générale des affaires sociales en avril 2016, avant de devenir conseiller au ministère du travail de Muriel Pénicaud, travaillant aux côtés du directeur de cabinet Antoine Foucher, l’ancien « monsieur social » du Medef (Mediapart a d’ailleurs révélé qu’il avait été nommé au ministère dans des conditions irrégulières).

Dans les semaines et les mois à venir, Pascal Pavageau va donc s’attacher à redonner un peu de lustre à son syndicat. D’abord en posant à nouveau les bases de son socle militant. « À Force ouvrière, nous voulons que les droits des salariés soient adossés à des cadres collectifs, et pas attachés aux seuls individus », rappelle-t-il. Soit l’exact contraire des positions de l’exécutif. En insistant toujours sur l’importance de la négociation collective, ensuite : « Je suis très inquiet quand je vois que la course à la présidence du Medef [la succession de Pierre Gattaz aura lieu le 3 juillet – ndlr] se joue sur celui qui va dire le plus fort que la négociation collective et le paritarisme, c’est has been, ou dangereux. C’est une position affligeante, suicidaire pour nous tous. »

Mais le nouveau dirigeant n’oublie pas non plus de rappeler la singularité de FO, qui a toujours tenu à se démarquer de ses grands concurrents, CFDT et CGT. « Je n’ai pas d’interlocuteur privilégié, il est hors de question de me retrouver bras dessus bras dessous avec seulement quelques interlocuteurs dans toutes les mobilisations ou discussions », affirme-t-il. À ce titre, FO ne défilera pas le 1er mai avec d’autres syndicats, et prévoit seulement une conférence de presse à Paris. Et après avoir montré qu’il était combatif, Pascal Pavageau n’oublie pas non plus d’adresser un tacle à la CGT, qu’il juge insuffisamment prête à participer aux négociations collectives. « Je suis à FO pour construire, pour négocier, pas pour user mes baskets dans la rue, pas pour arracher des chemises ou pour brûler des palettes », balance-t-il. Fidèle à la position traditionnelle de sa confédération, il refuse aussi « tout engagement politique » et juge « impensable » de participer à un rassemblement comme celui qu’organise le 5 mai le député insoumis François Ruffin.

Dans moins d’une semaine, la page se tourne pour le syndicat. Et Jean-Claude Mailly a semble-t-il déjà refermé ce chapitre. Dans son dernier texte en tant que secrétaire général, il s’est contenté d’aligner les formules plates, appelant à « conjuguer la fidélité à nos valeurs et positions de fond avec le pragmatisme » et prévenant que « [sa] conception du syndicalisme et de la responsabilité [le] conduit à ne pas intervenir sur ce qui guidera la confédération dans les années à venir ». Et son dernier discours, en ouverture du congrès de Lille, n’a pas non plus enflammé les foules. « C’était curieux : une seule heure de discours et il n’a pas levé le nez de sa feuille, ça ne ressemblait pas un à rapport de fin de mandat, décrit un participant au congrès. Il n’a même pas fait cet effort, de montrer un peu d’enthousiasme pour expliquer ses choix et son bilan. Le camarade cheminot a été plus applaudi que Mailly. »

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