« Je ne laisserai personne cracher à la figure des cheminots » (Laurent Berger)

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Ayant accepté les ordonnances pour le Code du travail, que Macron veut renouveler à la SNCF, la CFDT trouve maintenant que cela fait beaucoup. De plus, la CFDT a beau négocier sérieusement les feuilles de route gouvernementales (« faire le job« ), le gouvernement n’en fait qu’à sa tête. Le rôle propre de la CFDT comme « corps intermédiaire » est nié. 

 

Laurent Berger : « La méthode Macron, c’est : vous discutez et je tranche »

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« Attention au chamboule-tout décidé dans la précipitation et sans réel dialogue », avertit le secrétaire général de la CFDT, dans une interview aux « Echos ».

Dans une interview aux « Echos », le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, « alerte le gouvernement sur le danger qu’il y aurait » à ne pas respecter le résultat des négociations sur la formation et sur l’assurance-chômage. Il met aussi en garde l’exécutif sur la montée des mécontentements.  Hostile au recours aux ordonnances pour la  réforme de la SNCF , il estime que « les difficultés de l’entreprise ne peuvent se résumer au  statut des cheminots , après des années de sous-investissement ».

Deux accords nationaux interprofessionnels négociés en 48 heures, c’est du jamais vu, non ?

Il faut s’en réjouir. La CFDT a fait le job, et dans des conditions compliquées. Le résultat, ce sont deux textes qui créent de nouveaux droits. Ils sont le pendant des ordonnances réformant le Code du travail, le volet sécurisation pour les travailleurs. J’alerte le gouvernement sur le danger qu’il y aurait à le compromettre.

Manifestement, Muriel Pénicaud ne partage pas votre avis. Elle doit annoncer dans les prochains jours une réforme de la formation professionnelle qui devrait remettre en cause la gestion paritaire du système. Est-ce un casus belli ?

Il est regrettable qu’à peine la négociation finie,  Muriel Pénicaud ait choisi de critiquer injustement son résultat , au lieu, d’abord et avant tout, de souligner les nouveaux droits que nous avons instaurés pour les salariés. Cela dit, on verra en fonction du contenu précis des annonces. On a besoin d’opérateurs gérés par les partenaires sociaux pour recueillir les besoins de compétences et qui conseillent les entreprises. Bien sûr qu’il faut réduire le nombre de branches professionnelles ou revoir les OPCA [organismes paritaires collecteurs agréés des fonds de la formation, NDLR] dans une logique de filière. Tout cela, on peut en discuter. Mais si ça revient à mettre les salariés face à leur smartphone pour utiliser leurs heures de CPF, alors on aura loupé la transformation car les moins qualifiés, ceux pour qui la formation n’est pas forcément un bon souvenir, seront les grands perdants.

C’est pour cela que l’accompagnement gratuit et universel est si important. Il faut donc maintenir cet acquis de la CFDT dans la négociation : ceux qui n’en ont pas besoin s’en passeront, les autres en profiteront.

Êtes-vous prêt à ce que la collecte des fonds de formation soit retirée aux OPCA, comme certains le souhaitent ?

La collecte des fonds de formation mutualisés n’est pas un sujet pour la CFDT. Le sujet qui nous obsède c’est l’effectivité des droits acquis. Les gens se moquent du back-office. C’est pour cela qu’on a souhaité une réforme des certifications professionnelles ou qu’on se penche sur la question de la qualité des organismes de formation. Là, il y a encore du travail à faire. La CFDT n’est pas fermée à regarder comment faire évoluer les OPCA, on ne peut pas nous taxer de conservatisme. Mais le gouvernement ne peut pas décider dans son coin sans en discuter. Attention aux fausses bonnes idées !

J’ai été conseiller en insertion professionnelle. Il y a énormément de personnes qui n’auraient jamais retrouvé du travail si on n’avait pas été là. Il est faux de dire que chacun peut se débrouiller tout seul pour trouver une formation. On a besoin du conseil en évolution professionnel. C’est indispensable.

Mais vous signez quand même l’accord, bien que le gouvernement n’en reprenne qu’une partie…

On le signe en demandant au gouvernement que l’ensemble des droits soient effectifs et garantis dans le projet de loi. Si on passe d’une organisation à l’autre brutalement, alors cela ne fonctionnera pas. En 2013, quand nous avons négocié le précédent accord, et malgré toute l’énergie des syndicats, du patronat et de l’Etat, il a fallu un an et demi pour tout mettre en place. Le changement, c’est long. Le gouvernement doit entendre les négociateurs.

Le ministère du Travail n’est pas convaincu non plus par votre accord sur la couverture chômage des démissionnaires. Il voulait une indemnisation moins favorable qu’en cas de licenciement…

Nous ne voulons pas de droits dégradés pour les démissionnaires qui profiteront de ce nouveau droit. C’est une ligne rouge pour la CFDT.

Le volet contrats courts de l’accord sur l’assurance-chômage n’est pas très différent de ce qui est déjà prévu et n’a jamais été appliqué. Pourquoi la CFDT a-t-elle accepté ?

L’accord renvoie à des négociations dans les branches qui doivent se dérouler cette année. Et il rappelle que le gouvernement appliquera des sanctions financières si elles échouent. Cela fait partie de l’équilibre de l’accord. La ministre du Travail doit très vite annoncer le dispositif de sanctions qui s’appliquera en 2019. On ne lui demande pas un gros effort puisque le bonus-malus était une promesse de campagne ! La diminution du nombre de  contrats courts est un enjeu majeur pour l’emploi de qualité.

Le gouvernement sous-estime-t-il les tensions sociales provoquées par ses réformes ?

C’est bien que le président se préoccupe d’améliorer l’image de la France à l’international. Mais il fait comme si la question sociale avait disparu avec l’amélioration de la conjoncture, comme si c’était devenu une question subalterne. Je dis au gouvernement : attention, danger ! Il commet une grave erreur, car les grands enjeux sociaux sont devant nous.  La croissance est de retour , tant mieux, mais elle doit être plus inclusive. Beaucoup de personnes, de beaucoup de territoires, ne sont pas montées dans le train et continuent de décrocher. Les facteurs d’inquiétude d’avant l’élection présidentielle sont toujours présents. Le pays ne s’en sortira pas sans une politique sociale ambitieuse et assumée. Nous sommes à un moment clef du quinquennat.

Peut-il y avoir de fortes mobilisations ? La formation professionnelle ne fait pas descendre les gens dans la rue…

Le mécontentement ne se mesure pas tout le temps à l’aune du nombre de manifestants. Ce que je vois, c’est que les tensions s’accumulent dans les Ephad, les hôpitaux, chez Carrefour, dans les prisons, la police, l’éducation, les collectivités territoriales… Il faut apporter des réponses concrètes aux agents. Et puis il y a la SNCF. Le gouvernement pouvait se permettre de procéder par ordonnance sur la réforme du marché du travail, car il l’avait clairement dit pendant la campagne et parce que la réforme est intervenue juste après l’élection. Ce n’est pas le cas pour la SNCF. Si le gouvernement donne le sentiment qu’il se précipite, ça se passera mal…

Mais la SNCF peut-elle continuer comme cela ?

Il y a trois sujets. Sur l’ouverture à la concurrence, nous ne la voulions pas, mais nous ne sommes pas fermés à regarder les conditions de mise en oeuvre. Sur la gouvernance, la  SNCF doit rester une entreprise publique et dans ce cas, nous pouvons débattre des évolutions éventuelles. Quant au statut des agents, expliquez-moi en quoi cela nécessite des ordonnances ? Un tel dossier doit être traité par la concertation et la négociation au sein de l’entreprise. Surtout, les difficultés de l’entreprise ne peuvent se résumer au statut des cheminots, après des années de sous-investissement.

Oui, l’entreprise doit évoluer, mais avec les cheminots, pas contre les cheminots. Là, on leur présente la réforme en disant : « Tout cela est un peu de votre responsabilité alors on va vous remettre au boulot ». Je ne laisserai personne cracher à la figure des cheminots, pareil pour les fonctionnaires.

Vous n’êtes manifestement pas séduit par la méthode Macron…

Je ne suis pas anti-Macron ou pro-Macron, je suis attaché à la justice sociale et à la démocratie. Autrement, on fait progresser toutes les forces conservatrices. Sur la formation professionnelle et l’assurance-chômage, je vous rappelle qu’on a été confrontés à des lettres de cadrage pas forcément très débattues et au contenu très aléatoire, et que les négociations se sont déroulées sans que l’on sache vraiment ce que voulait le gouvernement. Moi, pendant les nuits de négociation, je ne dors pas. Muriel Pénicaud aurait pu m’appeler dans la nuit de mercredi à jeudi si elle trouvait que le projet en discussion lui posait problème, non ?

C’est la première fois que l’on entend un syndicaliste réclamer officiellement des tractations en coulisse…

Le gouvernement a eu des échanges avec l’ensemble des négociateurs durant ces négociations. Elles ont été ouvertes à la demande du gouvernement, il était donc logique qu’il les accompagne. Le problème, c’est qu’à tous les étages de l’exécutif, au ministère du Travail ou ailleurs, on peut vous donner la date à laquelle va se faire l’arbitrage par Emmanuel Macron – lundi pour la formation et l’assurance-chômage -, mais personne n’est capable de prévoir son contenu.

La méthode Macron, c’est : Vous discutez et je tranche, et personne ne sait de quel côté ça va tomber. On a des interlocuteurs suspendus à la décision du président de la République. Cela pose un problème de fonctionnement démocratique et d’efficacité.

Avec Emmanuel Macron, plus question de laisser au patronat et aux syndicats le pouvoir d’édicter les normes sociales. N’est-ce pas aussi un échec cuisant pour la CFDT ?

Non. La CFDT comme d’autres a largement montré qu’elle n’était pas fermée aux réformes. Nous revendiquons d’ailleurs un syndicalisme de transformation sociale. Mais attention à la méthode. Il y a dans ce pays des corps intermédiaires attachés à l’intérêt général qui méritent d’être écoutés, considérés ! Au sein de la CFDT, le mécontentement commence à monter et la façon dont l’exécutif va réagir aux deux accords de la semaine dernière sera déterminante pour la suite. Attention au chamboule-tout décidé dans la précipitation et sans réel dialogue. Si on nous piétine, il ne faudra pas ensuite venir nous chercher pour éteindre l’incendie.

Ne vous sentez-vous pas un peu seul désormais à prôner le primat des partenaires sociaux sur le social, compte tenu du désengagement du Medef ?

On a effectivement une partie du patronat qui est tétanisée avec la  succession de Pierre Gattaz au Medef, ce qui n’aide pas dans les négociations. Mais il n’y a pas que le Medef, il y a aussi l’U2P et la CPME avec laquelle nous venons de signer un texte commun sur la responsabilité sociale et environnementale. L’histoire sociale, ce n’est pas une photo mais un film avec des moments où ça patine et d’autres où ça va mieux.

Propos recueillis par Leïla de Comarmond, Etienne Lefebvre et Alain Ruello

 

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