Le droit du travail en Grèce, un article de Michel Miné

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A la suite de nos articles sur le syndicalisme grec, nous avons reçu un message de Michel Miné, juriste en droit du travail (et collaborateur sur ce plan de la CGT), qui nous alerte sur un article publié dans Médiapart sur le droit du travail en Grèce. Où l’on découvre que la troïka est allée bien plus loin que ce qu’elle était en droit d’imposer en application des traités, notamment des baisses du salaire minimum qui ne font absolument pas partie des compétences de l’Union. Ainsi que des violations du droit de la négociation collective.

 

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Renforcer le droit du travail en Grèce

Le gouvernement grec doit respecter les engagements européens et internationaux souscrits par la République hellénique. Et pour ce faire, il lui appartient de réformer le droit du travail et ainsi de réviser des réformes qui ont été imposées par « la Troïka » en application de Mémorandums successifs.

Les institutions européennes ont imposé à l’État grec des réformes législatives du droit du travail. Ce faisant, ces institutions (la Commission, le Conseil et la Banque centrale européenne) sont ici allées au-delà de leurs prérogatives sur plusieurs points.

En effet, la politique sociale et en particulier le droit du travail relève de la compétence des États. L’Union a ici une compétence subsidiaire : elle ne peut que soutenir et compléter l’action des États et ce dans certains domaines limitativement indiqués et uniquement au regard de certains objectifs.

Les domaines sont en droit du travail : l’amélioration, en particulier, du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs; les conditions de travail; la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail; l’information et la consultation des travailleurs; la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs; les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l’Union; l’égalité entre les femmes et les hommes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail.

Les objectifs des actions menées par l’Union avec les États sont la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions.

Concernant l’intervention des institutions européennes dans la réforme du droit du travail en Grèce, deux sujets retiennent spécialement l’attention : les rémunérations et le droit de la négociation collective.

En matière de rémunérations, l’Union européenne n’est pas juridiquement compétente pour adopter des mesures s’imposant à un État membre. Cette question des rémunérations est explicitement exclue de la compétence européenne en vertu du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 153 § 5). Par conséquent, l’Union à travers ses Décisions du Conseil n’était pas habilitée à imposer une réduction du salaire minimum (de 22 %) et en particulier une réduction aggravée pour les jeunes travailleurs de moins de 25 ans (de 32 %).

En matière de négociation collective, les institutions européennes peuvent uniquement intervenir pour soutenir et compléter l’action des États afin de développer le dialogue social. Or ces institutions ont imposé une transformation du droit de la négociation collective prévoyant la priorité à la négociation d’accords d’entreprises moins favorables que les accords de secteurs, la possibilité de négociation dans les entreprises avec des « associations de personnes » en dehors des syndicats, la réduction de la durée des conventions de secteurs, etc.

Ces réformes mises en œuvre par l’État grec ont été contestées devant les instances de contrôle de l’Organisation internationale du travail et du Conseil de l’Europe de Strasbourg. La Grèce comme les autres États membres de l’Union européenne a ratifié des Conventions de l’O.I.T. et la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe.

En matière de rémunération, au regard du droit à un salaire équitable prévu par la Charte sociale européenne, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe a relevé la violation par l’État grec de la Charte sur de nombreux points concernant notamment les jeunes. Une illustration emblématique : le salaire minimum des jeunes de moins de 25 ans est inférieur au seuil de pauvreté. Le Comité a conclu à la violation de la Charte sur de nombreux points par l’État grec. Pour le Comité, « la crise économique ne doit pas se traduire par une baisse de la protection des droits reconnus par la Charte. Les gouvernements se doivent dès lors de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que ces droits soient effectivement garantis au moment où le besoin de protection se fait le plus sentir » (Décisions du Comité de 2012). Le précédent gouvernement grec avait reconnu ses multiples et graves défaillances mais n’avait formulé aucun engagement pour y mettre fin.

En matière de droit de la négociation collective, dans les branches et les entreprises, le Comité d’expert de l’Organisation internationale du travail « constate (…) la présence de nombreuses et sérieuses atteintes à la liberté de négociation collective et au principe de l’inviolabilité des conventions collectives librement conclues (…) ». Pour l’OIT, « le recours répété à des restrictions législatives de la négociation collective ne peut, à long terme, qu’avoir un effet néfaste et déstabilisant sur le climat des relations professionnelles, compte tenu que de telles mesures privent les travailleurs d’un droit fondamental et d’un moyen de promouvoir leurs intérêts économiques et sociaux » (Rapport du Comité de la liberté syndicale de 2012). L’OIT admet des réformes législatives liées à une situation de crise grave mais exige que les règles fondamentales demeurent respectées : en premier lieu, la libre négociation.

L’O.I.T. a formulé une Recommandation au gouvernement : « les autorités publiques devraient promouvoir la libre négociation collective et ne pas empêcher l’application des accords collectifs librement conclus », les partenaires sociaux devant être « pleinement associés » « à toute modification future touchant les aspects fondamentaux des droits de l’homme, de la liberté syndicale et de la négociation collective qui constituent l’essence même de la démocratie et de la paix sociale ».

Ainsi, le gouvernement grec d’hier en appliquant les réformes imposées par les institutions européennes en est arrivé à ne plus respecter ses engagements internationaux en matière de droits de l’Homme dans le travail.

Par conséquent, pour respecter la légalité internationale, le nouveau gouvernement doit réformer le droit du travail appliqué en Grèce pour le mettre en conformité avec ses engagements et répondre ainsi favorablement aux demandes de l’Organisation internationale du travail et du Conseil de l’Europe.

Les institutions de l’Union européenne (la Commission, le Conseil et par conséquent les États membres) doivent se montrer respectueux de la lettre et de l’esprit des Traités de l’Union européenne en matière de droits de l’Homme dans les domaines économiques et sociaux ainsi que des traités internationaux ratifiés par ces États.

L’ensemble des acteurs pourraient utilement relire la Déclaration de Philadelphie, de l’O.I.T., rédigée en 1944 au lendemain de la seconde guerre mondiale : la « paix ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale », « il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger, et (…) il est urgent d’améliorer ces conditions (…) ».

Les droits de l’Homme doivent être garantis par les États en particulier au moment où les personnes sont le plus en difficulté. Les droits de l’Homme ne sont pas un luxe pour les périodes de prospérité.

Bien entendu, des réformes sont nécessaires en Grèce, notamment pour que ce beau pays se dote d’un État plus efficace dans de nombreux domaines (fiscalité, éducation, santé, etc.). Ces réformes nécessaires doivent être élaborées et conduites dans le respect des engagements internationaux et européens de la Grèce.

Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des Arts et Métiers, Le droit social international et européen en pratique, 2013, 2ème éd., Eyrolles, et « Brefs propos concernant la situation de la République hellénique », Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, n° 2014/1.

 

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