Les cadres supérieurs SNCF : pas d’accord avec E. Borne

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on Google+Share on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Les cadres de haut niveau de la SNCF (moins de 2000 personnes), représentés par leur Syndicat national des cadres supérieurs (SNCS), s’ils ne soutiennent pas la grève, écrivent à la ministre E. Borne pour expliquer leur désaccord avec la réforme. Un point de plus dans le rapport des forces. Très bien argumenté.

logosncs1

Objet : Nouveau Pacte Ferroviaire Paris, le 5 avril 2018

 

Madame la Ministre,

Madame Elisabeth BORNE Ministre des Transports Hôtel LE PLAY

40, rue du Bac 75700 – PARIS

 

De très nombreux cheminots se sont engagés dans un mouvement particulièrement dur soutenu notamment par deux organisations syndicales réformistes. Le SNCS ne peut soutenir un tel mouvement particulièrement pénalisant pour nos concitoyens en particulier les plus faibles mais la responsabilité d’une telle situation ne saurait incomber qu’aux seuls cheminots.

 

De ce fait, cette situation conflictuelle très grave nous conduit à nous adresser à vous car la nécessité de réformer doit s’appuyer sur des éléments concrets objectifs et non se traduire par une mise en cause injustifiée du corps social des cheminots qui a entraîné un tel mouvement.

 

Pour des raisons de stratégie politique, vous avez fait le choix, avec le Président de la République et le Premier Ministre, de livrer à la vindicte populaire les cheminots et à les mettre en cause, en laissant entendre notamment qu’il y aurait un lien entre les récents dysfonctionnements de la SNCF et les cheminots (statut, organisation du travail, etc.).

 

A ce petit jeu pernicieux et irresponsable quant aux conséquences prévisibles, les médias et les réseaux sociaux se sont précipités sur ce dossier et des caricatures grossières ont fleuri :

 

« Les cheminots rentiers du rail », « l’emploi à vie », « le statut en or massif », « des billets gratuits à gogo pour toute la famille …les cousines », « les agents ne font même pas les 35 heures », « la charge énorme des retraites », « surcoût du statut : 30 % », etc.

 

Les cheminots, comme tous les travailleurs de ce pays, n’ont aucune raison de mériter cette mise au pilori.

 

Ils ne méritent pas non plus d’être soumis à un chantage : « l‘Etat va enfin assumer ses responsabilités d’actionnaire sur le plan financier, partiellement et en fin de quinquennat ! » mais en échange d’efforts partagés notamment une modification des règles de leur contrat de travail.

 

 


Ce n’est pas honnête car absolument rien n’est immédiatement engagé concernant ce problème primordial et récurrent depuis 1938 quand la SNCF a repris la concession d’entreprises privées endettées.

 

A part ces promesses verbales vagues, rien sur la mise en place à très court terme d’un système robuste et pérenne permettant à l’Etat de reprendre dans son périmètre, au moins sur le plan financier, les infrastructures ferroviaires.

 

La fonction publique et les entreprises publiques représentent plus de 6 MILLIONS de salariés que le Président de la République s’est bien gardé de comparer aux agriculteurs, préférant mettre en exergue les seuls 150 000 cheminots car ces derniers, du fait des récents dysfonctionnements qui ne leur sont pas imputables, subissaient la critique injuste de leurs concitoyens et étaient dans la ligne de mire des médias.

 

Madame la Ministre, aujourd’hui, tous les cheminots sont meurtris et se sentent humiliés par la mise en cause de leur conscience professionnelle et de leur engagement quotidien, notoirement reconnus et, en les accusant injustement, vous avez provoqué leur révolte.

 

 

Parmi les cadres supérieurs de nombreux collègues sont très choqués par l’attitude du gouvernement qui laisse croire par ses « derniers plans à répétition » que rien n’avait été fait auparavant. Certains cadres supérieurs seraient prêts à se joindre ponctuellement au mouvement malgré les séances de « câlinothérapie » initiées par vous-même et le Premier Ministre.

 

 

En outre, vous sous-entendez que la SNCF est inactive.

 

Or, à l’intérieur même de l’entreprise le malaise est grand, y compris chez les cadres et cadres supérieurs, devant les réorganisations à répétition :

  • 2014 : fin de RFF avec la création des 3 EPIC (SNCF ; SNCF Mobilités ; SNCF Réseau) et une nouvelle SNCF au montage compliqué et perturbateur qui ne règle en rien le problème de la dette du système, malgré les promesses du
  • 2016 avec l’engagement fort de l’encadrement pour faire face à la concurrence en travaillant sur l’organisation du temps de travail (objectif avorté par la faute du gouvernement) …

 

 

Par ailleurs, sur instruction du Gouvernement, la Direction de l’entreprise assène aux cheminots le projet stratégique pour « construire demain » ce qui interpellent vivement notamment les cadres supérieurs. Il leur est demandé :

  • d’aligner les coûts sur les standards européens,
  • d’améliorer la polyvalence des métiers,
  • mieux organiser le travail,
  • former aux métiers de demain,
  • renforcer la productivité industrielle,
  • moderniser le dialogue social,
  • mieux intégrer les mobilités.

 

Cette liste qui pourrait être complétée par bien d’autres points fait partie depuis bien longtemps de tout ce qui fait la raison d’être de tout dirigeant dont l’action permanente est notamment de préparer l’avenir dans toutes ses composantes.

 

Contrairement à ce que semble insinuer le Gouvernement, la SNCF est une entreprise qui bouge et qui est en progression constante y compris en se préparant à la concurrence. Par exemple, il y a l’innovation digitale en Fret et bien d’autres, l’amélioration permanente de la qualité avec NExTEO qui va rendre possible la circulation d’un train toutes les 108 secondes, le programme Robustesse et Information, la préparation à la concurrence avec une diminution drastique des frais généraux ainsi que la préparation des agents à cette concurrence dans le cadre d’une convention collective, le management de proximité, la place primordiale de SNCF sur internet, FIRST, H00, PRISME, OUIGO, API SNCF et bien d’autres programmes ou réalisations qui se trouvent tous les jours sur « LES INFOS ».

 

 

Il n’est pas dans la raison d’être du SNCS d’élaborer la politique ferroviaire de la nation mais, dans ce contexte, nous sommes tout à fait légitimes à vous poser les questions émanant de cadres supérieurs sur un dossier qui les implique fortement.

 

Question 1 liée directement aux propos du gouvernement et, encore dernièrement lundi 2 avril, de M. Jean-Baptiste DJEBBARI rapporteur sur la loi ferroviaire pour LREM.

 

La dégradation du service ferroviaire est mise en exergue et les cheminots en seraient la cause.

 

A partir d’éléments non contestables, qu’est ce qui relève statistiquement en pourcentage

  • de l’explosion de la population entraînant des surcharges insupportables (exemple classique le RER A pour RATP et SNCF) ;
  • de la dégradation des infrastructures vieillissantes et n’étant plus en capacité d’absorber un tel niveau de trafic, dégradation due à la faute inexcusable de l’Etat et des politiques n’ayant pas pris en compte le besoin d’extension de voies ferrées dans la politique de la ville ;
  • de décisions d’organisation inadaptée de la part de la direction de la SNCF ;
  • des cheminots eux-mêmes ?

 

Préambule Question 2

 

En France, l’infrastructure ferroviaire est la seule infrastructure lourde à ne pas être placée dans le périmètre de l’Etat contrairement par exemple aux routes et aux fleuves et à ce qui se fait d’une manière ou d’une autre dans les pays comparables comme l’Allemagne.

Le réseau ferroviaire relève de l’aménagement du territoire et donc de l’Etat. Or, jusqu’à maintenant, force est de constater que l’Etat et les politiques ont fait des projets TGV parfois discutables, en se servant de la SNCF comme banquier, en délaissant les transports de la vie quotidienne et en laissant l’infrastructure se dégrader.

 

Le Premier Ministre a raison quand il  déclare  (Assemblée  Nationale  du  3.04.18) :  le  statu quo n’est pas possible !

 

Le Projet de Loi pour un nouveau Pacte Ferroviaire met en évidence les 3 grandes difficultés du transport ferroviaire français :

  • Le sous-investissement du réseau depuis des décennies,
  • Les coûts de production seraient supérieurs de 30% aux autres entreprises ferroviaires à cause d’une part du vieillissement des infrastructures et d’autre part de l’organisation même du groupe public ferroviaire, de son fonctionnement, de ses méthodes et de son statut,
  • Le contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau qui consacre la poursuite de la dérive de l’endettement du système

 

Ces 3 points mettent en exergue la part fondamentale des infrastructures, quelles sont les suites données ?

 

RIEN SUR LA MISE EN PLACE A TRES COURT TERME D’UNE SOLUTION CONCRETE, ROBUSTE ET PERENNE CONCERNANT LE PLACEMENT DES INFRASTRUCTURES FERROVIAIRES, AU MOINS SUR LE PLAN FINANCIER, DANS LE PERIMETRE DE L’ETAT.

 

 

Question 2 : La décision du gouvernement de différer le traitement de l’endettement est-elle sans appel et finalise-t-elle le choix de ne pas sortir, à très court terme, le système  ferroviaire de l’impasse financière devenue insupportable dans laquelle il se trouve par la faute inexcusable de l’Etat actionnaire responsable depuis 1938 ?

 

La décision actuelle du Premier Ministre est un engagement fort de reprise d’une part de la dette avant la fin du quinquennat. Il suffit qu’il y ait un problème vers la fin du quinquennat et la décision passera à la trappe. De plus cette reprise est conditionnée aux efforts des cheminots (quelles seront les règles de mesure ?) et cela sous-entend que les cheminots ne font pas déjà des efforts.

Enfin, même si le nouvel organisme ne conserve qu’une partie de la dette, la dérive recommencera car aucune entreprise n’a les capacités financières d’assumer l’entretien et l’investissement des infrastructures ferroviaires et rien n’empêchera l’Etat de continuer à se servir de ces entreprises.

 

 

Question 3

 

Le premier ministre prétend que la dette de la SNCF, c’est la dette des cheminots et que ce sont eux qui génèrent cette dette. Or, encore récemment, il a fallu acheter des matériels non strictement nécessaires et il est bien connu que les estimations de trafic de la ligne

PARIS-BORDEAUX ont été sur estimées pour faire passer le projet (comme d’autres) et qu’il faudra verser à VINCI des compensations très importantes.

 

Depuis le lancement du TGV SUD-EST, quel est année par année, pour le réseau, d’une part, et pour le transporteur, d’autre part, le montant des dépenses engagées par grand projet à la demande du gouvernement (lignes TGV, achat de matériel non nécessaire pour aider des entreprises etc.) ainsi que le montant des défauts de couverture du service public (lignes TET par exemple) ?

 

Question 4

 

Avec la création de RFF, le transporteur n’a plus eu en charge la dette de l’infrastructure, quel a été année par année le résultat et notamment le montant des dividendes versées par le transporteur à l’Etat ou placées à la demande de l’Etat en remboursement de la dette des infrastructures ?

 

Question 5

 

La SNCF supporte le poids de la dette et notamment le remboursement des emprunts liés à l’infrastructure ferroviaire et utilise cette infrastructure. Sauf si l’Etat reprend l’ensemble de la dette à son compte, comment les entreprises concurrentes prendront elles leur part à l’effort imposé à la SNCF ?


Question 6

Préambule

Le dernier audit sur l’infrastructure ferroviaire établi par l’équipe de l’expert Yves Putallaz, constate que :

  • La France investit sensiblement moins que la moyenne européenne
  • Il manquerait un demi-milliard d’euros entre le contrat de performance et les besoins théoriques de renouvellement

La situation est très dégradée pour la signalisation et les équipements électriques. Ils contribuent à 75 % des incidents et 60 % des impacts sur la ponctualité.

Comment le gouvernement entend-il assurer la remise en état de l’infrastructure et ce faisant assurer l’avenir du ferroviaire sans budgéter ce demi-milliard d’euros ?

NOTA : il est évident que le gouvernement se trouve devant une situation catastrophique à cause d’investissements insuffisants par rapport à ce qu’il aurait fallu faire depuis 2005 (rapport de l’Ecole Polytechnique de LAUSANNE).

Question 7

Compte tenu de l’état de l’infrastructure, pendant combien d’année les utilisateurs du train, notamment en région parisienne, vont-ils subir un niveau important de dysfonctionnements ?

Question 8

Quel sera l’avenir des lignes TGV déficitaires qui ne seront évidemment pas choisies par les entreprises concurrentes sachant que la péréquation ne sera, en principe, plus possible ?

Question 9

Comment sera couverte la charge très importante des petites lignes ? (Le Rapport SPINETTA estime cette charge à 1,7 milliards annuels)

Question 10

Il existe un statut des industries électriques et gazières qui s’applique à la branche qui compte 160 entreprises. Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi immédiatement de stigmatiser les cheminots avec la suppression du statut en introduction de sa réforme. N’était-il pas possible de passer par une négociation au niveau de la branche ferroviaire, ce qui aurait permis de mettre en évidence les points délicats de l’organisation du travail et du dictionnaire de filières et de rechercher une solution par la négociation pour évoluer vers une convention de la Branche Ferroviaire

Bien évidemment, nous sommes à votre disposition, pour que vous nous donniez votre avis sur tous ces points, afin de renseigner l’ensemble de nos collègues cadres supérieurs et dirigeants.

Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, à l’assurance de notre haute considération.

Dominique GROSSET                                                        Jean WIELAND

Président                                                                          Président Adjoint

Print Friendly

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *