Les syndicats face au FN: entre déni, opposition frontale et malaise

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on Google+Share on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Nous publions ci-dessous un papier dit d’enquête de Bertille OSSEY-WOISARD de l’AFP pour nourrir la réflexion

Paris, 4 nov 2016 (AFP) – Des militants syndicaux conquis par le Front national ? Le sujet dérange, reste tabou pour certains syndicats quand
d’autres, comme la CGT ou la CFDT, le prennent à bras le corps à coups de débats, formations et autres appels à « faire barrage ».

Les sondages le montrent, le parti de Marine Le Pen séduit les sympathisants et militants syndicaux.
Toutefois, « à l’exception des sympathisants de FO, les électeurs qui se déclarent proches des autres syndicats se prononcent moins en faveur du FN que la moyenne de l’ensemble des électeurs », relativisent Dominique Andolfatto et Thierry Choffat dans une étude sur les organisations syndicales et le FN.

Aux européennes en 2014, 33% des sympathisants FO ont voté FN, au-dessus de la moyenne nationale (24,9%). Ils étaient 22% à la CGT et 17% à la CFDT, selon un sondage Ifop.

Conclusion des deux chercheurs: « même si le FN a capté le soutien de poignées de syndicalistes, être syndiqué prémunirait contre le vote FN ».

‘Idées fausses de l’extrême droite’ 

Parmi les explications figurent les initiatives de plusieurs confédérations pour déconstruire le discours de l’extrême droite ou contrer les tentatives
d' »entrisme » du FN.
Cette année, la CGT a lancé des journées de formation pour ses délégués. Le premier syndicat français y analyse la politique (associative, sociale,
économique) du FN et les idées de l’extrême droite en général.
« Ce sont des sujets difficiles. Les gens ne parlent pas spontanément.
L’enjeu est d’ouvrir le débat », explique Pascal Debay, membre de la direction de la CGT. Il reconnait aussi que des militants acquis aux idées de l’extrêmedroite –souvent des moins de 30 ans– refusent de venir.
Toutefois, la CGT n’est pas « dans la chasse aux sorcières. Notre travailest de convaincre », insiste ce quadra, Mosellan comme son ex-camarade
cégétiste Fabien Engelmann, maire de Hayange, exclu du syndicat en 2011 après avoir rallié le FN.

Des initiatives intersyndicales ont aussi été lancées. L’association Visa, composée de syndicats CGT, CFDT, FSU, Solidaires ou Unef, propose des journées de formation pour « combattre syndicalement le FN ou l’extrême droite ».
Car il ne suffit pas d’être « dans la contestation, de dire +Ce n’est pas bien l’extrême droite+ », il faut pouvoir « pointer les contradictions » de son
discours, explique Eric Beynel, porte-parole de Solidaires. C’est aussi « un bon moyen pour voir qui parmi les militants peut être tenté par les idées de l’extrême droite ».
Un livre a également été publié fin septembre, intitulé « En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite » à l’initiative de ces syndicats
et de la Ligue des droits de l’Homme. Et ils organisent des débats dans les villes dirigées par des maires frontistes ou proches du FN.

‘Deux poids, deux mesures’

A contre-courant, la CFE-CGC ne « veut pas se mêler de ce débat qui est le lieu exclusif des partis politiques », souligne François Hommeril, à la tête du syndicat des cadres. Et « ouvrir le débat risque de créer des problèmes » en interne.
A la CFTC, le problème est « marginal » et ne « demande pas d’action dans l’urgence », assure Philippe Louis, son président, reconnaissant des cas
« d’entrisme ».
Or la confédération vient d’être secouée par une photo montrant son vice-président, Joseph Thouvenel, discutant jovialement avec la députée FN du Vaucluse Marion Maréchal-Le Pen lors d’une manifestation contre le Mariage pour tous à Paris, mi-octobre. Un moment « douloureux » pour le syndicat chrétien, contraint de rappeler dans un communiqué son « désaccord total » avec les positions du FN qui prône « l’intolérance envers des hommes et des femmes d’autres origines ».
Le FN, lui, s’interroge sur l' »ostracisme » de certains syndicats à son égard.
« Il y a deux poids, deux mesures. Le FN est un parti comme les autres! », s’insurge M. Engelmann. Quand il était à Lutte ouvrière ou NPA –avant
d’entrer au FN– « cela ne posait aucun problème à la CGT », raille-t-il.
Dominique Bourse-Provence, ex-cadre CFDT exclu après avoir appelé à la « préférence nationale », abonde. « Quand j’étais cédétiste, la consigne c’était +On accepte tous les partis sauf le FN+ », raconte ce frontiste resté conseiller prud’homal parisien.
Laurent Berger, numéro un de l’organisation, explique: « historiquement, la CFDT a toujours été extrêmement claire sur les totalitarismes, qu’ils soient fascistes ou communistes ». Et il n’a de cesse d’appeler à « faire barrage » au FN, un « parti pas comme les autres ».

Ligne apolitique de FO

Les rapports du FN avec le monde syndical ont toujours été conflictuels et complexes. A l’origine, « le parti était fortement anti-syndical », souligne le politologue Joël Gombin. Puis il y a eu dans les années 1990 des tentatives –infructueuses car interdites par la justice — de créer ses propres
syndicats.
« Ces dernières années, le FN a changé d’angle d’attaque consistant non pas à investir les syndicats existants mais à rassembler au sein d’un même
collectif, les militants frontistes », décrypte-t-il.
M. Bourse-Provence a ainsi fondé en 2015 le « Cercle front syndical », un groupe de « réflexion et de pression », composé d' »une centaine » de personnes venues de toutes les organisations syndicales et patronales, « sauf Solidaires ».
Il y a aussi le « Cercle national des travailleurs syndiqués », créé en 2011, « qui aide juridiquement des syndiqués stigmatisés parce qu’ils sont au FN »,
explique M. Engelmann.
Autre tactique du FN: faire « émerger des candidats issus du milieu syndical ou passés par un engagement à gauche afin de souligner l’ancrage social ou, plus encore, populaire du parti », soulignent MM. Andolfatto et Choffat. Avoir des militants syndicaux dans ses troupes lui confère « un brevet civique ».

Dans le paysage syndical, FO occupe une place à part aux yeux MM. Engelmann et Bourse-Provence, qui vantent sa ligne apolitique « claire ». Le troisième syndicat français ne donne jamais aucune consigne de vote. Et n’a aucune intention de le faire en 2017, contrairement à la CFDT ou à la CGT.
« Cela ne nous empêche pas de dire ce qu’on pense à la fois sur le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme », insiste Jean-Claude Mailly, son numéro un.
Pour lui, « la question de fond est que ces mouvements naissent des politiques d’austérité ».
Yves Veyrier, membre de la direction de FO, taxe les initiatives CGT ou CFDT « d’opération +com+ ». La déconstruction du discours de l’extrême droite « amène au final à appeler à voter pour l’un ou l’autre des candidats, ce que FO refuse catégoriquement », dit-il.

Print Friendly

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *