L’extrème droite allemande présente des candidats dans les entreprises

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L’article ci-dessous, paru dans Les Echos,  montre que l’AFD (Alternative für Deutschland), parti d’extrême-droite en Allemagne, tente de s’implanter dans les élections de conseils d’entreprises (CE). L’AFD reprend un langage très « social » et « antimondialisation« . Il y a même des tentatives de créer des syndicats « alternatifs » contre la bureaucratie.

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Comment l’extrême droite s’impose dans les usines allemandes
THIBAUT MADELIN / Correspondant à Berlin Le 01/03/2018 LES ECHOS

Chez Daimler, qui donne le coup d’envoi jeudi aux élections du comités d’entreprise, le syndicat d’extrême-droite Zentrum Automobil présente des candidats.

 ENQUÊTE
Proche du parti Alternative für Deutschland ou pas, les mouvements d’extrême droite prennent pied parmi les ouvriers allemands. Une menace prise de plus en plus au sérieux par le puissant syndicat IG Metall.
« L’accord salarial est un événement clef vers un monde du travail moderne».  Ce 6 février, Jörg Hofmann, le président d’IG Metall, a de quoi être fier. Le puissant syndicat a de nouveau marqué l’histoire des relations sociales en Allemagne en obtenant une hausse de salaire de 4,3 % et, surtout, la possibilité pour les 3,9 millions d’employés de la métallurgie de  réduire leur temps de travail jusqu’à 28 heures par semaine pendant deux ans .
Cela faisait des années qu’il n’avait pas marqué autant de points face au patronat. Des années aussi que les grèves d’avertissement, suivies par 1,5 million d’employés en Allemagne, n’avaient autant mobilisé. Mais, après une nuit de négociation marathon,  Jörg Hofmann n’a pas seulement en tête le sort des employés de Daimler, Siemens ou Bosch. Il a les yeux rivés vers les élections de comités d’entreprise, qui débutent ce jeudi en Allemagne.
 Le plus grand syndicat du monde est, en effet, confronté à la concurrence bruyante d’une alliance d’extrême droite. Chez Daimler, qui donne le coup d’envoi d’un scrutin étalé sur trois mois, le syndicat Zentrum Automobil (ZA) présente plusieurs candidats. Il est déjà présent depuis 2010 au comité d’entreprise de l’usine d’Untertürkheim du géant automobile, mais n’avait pas fait de vagues jusqu’ici.
Nouvelles ambitions de l’AfD
Après le  triomphe du parti populiste Alternative pour l’Allemagne (AfD) , qui a obtenu 12,6 % des voix élections de septembre sur fond de crise des réfugiés, le leader de ZA, Oliver Hilburger, a cependant de nouvelles ambitions.
« Mes amis, maintenant que l’AfD siège dans presque tous les parlements [fédéral et régionaux, ndlr], nous allons bientôt, nous aussi, nous installer dans beaucoup de comités d’entreprise, a-t-il déclaré en février à Dresde lors d’une manifestation du mouvement anti-islam Pegida. Notre campagne est une attaque en règle contre le monopole des grands syndicats », a-t-il ajouté devant une foule scandant « résistance ».
Avec la plate-forme « Un pour cent », gérée par un groupuscule d’extrême droite, son mouvement invite les employés du pays à se présenter aux élections de comités d’entreprise. « Le syndicat patriotique », comme il se présente, leur offre toute forme de soutien.
L’alliance présente des listes dans quatre sites de Daimler, mais aussi chez Opel à Rüsselsheim ou BMW à Leipzig. Au total, elle revendique 500 candidats sur tout le territoire. Une quantité certes négligeable comparée aux 180.000 candidats qui se présentent aux élections, mais assez pour faire trembler l’IG Metall et le patronat. Et changer le climat social outre-Rhin.
 
IG Metall tiraillé
« Nous observons ce développement avec inquiétude, a reconnu le patron de Daimler, Dieter Zetsche. J’appelle les salariés à se mobiliser pour cette élection».  C’est le seul chef d’entreprise qui s’est exprimé sur le sujet. De son côté, IG Metall parle d’un « épiphénomène » qu’il « observe attentivement ».
Le Comité d’entreprise (CE) se dissocie strictement de toutes les idéologies d’extrême droite et néonazies et des activités de certains membres qui en relèvent
En réalité, l’organisation de 2,3 millions de membres est très mal à l’aise, tiraillée entre une réaction claire et la volonté de ne pas faire de publicité à un concurrent qui reste, pour le moment, marginal. Face à la pression médiatique, le comité d’entreprise de l’usine Daimler de Stuttgart-Untertürkheim, l’usine historique du groupe, vient toutefois de sortir de son silence.
Dans une déclaration de quatre pages, le CE, dominé par IG Metall, « se dissocie strictement de toutes les idéologies d’extrême droite et néonazies et des activités de certains membres qui en relèvent ». De fait, les candidats de Zentrum Automobil ont au moins un passé sulfureux.
Oliver Hilburger était en effet membre de l’ancien groupe de rock néonazi Noie Werte, dont une chanson décrit le bras droit d’Hitler, Rudolf Heß, comme un « grand héros » et qui a inspiré le groupuscule terroriste NSU, à l’origine de l’assassinat de neuf immigrés turcs et grecs entre 2000 et 2011. Parmi ses acolytes, plusieurs ont côtoyé des milieux skinheads.
 
Candidats antimondialisation
Assez pour effrayer les salariés des chaînes de production ? Oui, mais a priori pas tous. Lors des élections législatives, 19 % des travailleurs et 15 % des membres de syndicats ont voté pour l’AfD, selon une enquête d’opinion pour la Confédération syndicale DGB. A l’Est, ce sont même 22 % des encartés qui ont choisi le parti nationaliste.
Il n’y aura pas beaucoup de listes alternatives, mais dans celles où ils se présentent, ses candidats sont redoutables. « Dans cette région, contrairement à l’Ouest, l’AfD a une ligne très sociale et se présente comme un parti de gauche »,constate Melanie Amann, journaliste au magazine « Der Spiegel » et auteur d’un livre sur le parti populiste. Elle se demande toutefois si les médias n’exagèrent pas l’importance du « syndicat alternatif ».
Ce n’est pas le cas de Klaus Dörre, professeur de sociologie à l’université d’Iéna, qui a mené une étude de terrain sur les mouvements de travailleurs de droite. « Il n’y aura pas beaucoup de listes alternatives, mais dans celles où ils se présentent, ses candidats sont redoutables, dit-il. Ils sont combatifs et antimondialisation et font attention à ne pas s’illustrer par des propos racistes». Mais s’ils se présentent comme les nouveaux combattants de la lutte des classes, ils veulent essentiellement agir au service d’une « communauté nationale », juge le chercheur.
A Dresde, on pourrait effectivement prendre Oliver Hilburger pour un révolutionnaire gauchiste. « Les patrons des grandes multinationales se moquent de vous, car ils bougent les travailleurs sur leur globe comme les pions d’un jeu d’échecs,lance à la tribune cet homme barbu de quarante-sept ans, qui compare son mouvement au syndicat polonais Solidarnosc, qui a fait tomber la dictature communiste. Les syndicats établis disent qu’ils se battent pour vous. En vérité, l’IG Metall, le DGB et [le syndicat des services] Ver.di sont un pilier important de ce mouvement global. Pour nous, ils font partie du problème et non pas de la solution
La culture du compromis en danger
Une vision pour le moins réductrice. Le CE de l’usine Daimler d’Untertürkheim, auquel il siège, n’a-t-il pas obtenu une enveloppe d’investissements et une garantie jusqu’en 2030 pour ses 19.000 salariés ? « On négocie dur, mais à la fin on arrive à un compromis », peste une dirigeante d’IG Metall.
Pour elle, en période de croissance, comme c’est le cas actuellement, les relations sont fatalement moins conflictuelles. Les employeurs sont tout aussi discrets qu’inquiets. « Si la culture du compromis est considérée comme une trahison, l’avenir des relations sociales allemandes est en danger », craint une source proche du patronat, qui suit le dossier de près.
C’est toute la difficulté pour les syndicats traditionnels, qui se battent pour les salariés, mais qui siègent aussi aux conseils de surveillance des grands groupes grâce aux lois sur la cogestion. Chez Volkswagen, le président IG Metall du comité d’entreprise, Bernd Osterloh, a au moins autant de pouvoir que les dirigeants et les actionnaires.
Non seulement il s’affiche volontiers avec eux, mais il a perçu une rémunération allant jusqu’à 750.000 euros, qui a été jugée exagérée par la justice. Et comme la direction, il dit n’avoir rien su des manipulations de moteurs Diesel, dont la révélation en 2015 a entraîné la démission du patron et une  crise sans précédent .
Listes de personnes
« La critique des mouvements de droite n’est pas injustifiée, reconnaît Klaus Dörre. Dans certains cas, les syndicats font partie de l’establishment».  Pour lui, c’est aussi cela qui favorise un mouvement moins visible, mais plus large et plus profond que Zentrum Automobil : les candidats aux élections de comités d’entreprise qui se présentent non pas sur des listes syndicales mais sur celles dites « de personnes ».
Un scénario fréquent à l’Est ou dans les PME, où les syndicats sont moins puissants. Pour IG Metall, qui suit cela attentivement, c’est effectivement un danger au moins aussi sérieux que la « liste alternative » officielle de droite.
Denny Jankowski illustre bien ce courant. Elu en avril 2014 au comité d’entreprise de Jenoptik Laser GmbH, une filiale du groupe technologique, il a adhéré à IG Metall seulement trois mois plus tard, pour bénéficier de son assistance juridique notamment. Mais ce candidat AfD aux dernières élections législatives et aux élections municipales, qui auront lieu en avril à Iéna, est également un opposant interne. « L’IG Metall est le bras armé du SPD, qui est à l’origine de la précarité sociale en Allemagne, se plaint-il. Les syndicalistes ne veulent pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent voter».  Pour autant, il n’a pas l’intention de quitter IG Metall et sera à nouveau candidat au CE cette année.
Influence grandissante de Björn Höcke
Denny Jankowski ne travaille pas avec Oliver Hilburger, le leader de ZA, mais tous les deux ont une connaissance commune :  Björn Höcke, leader controversé de l’AfD en Thuringe . Menacé à d’exclusion du parti après avoir regretté l’existence à Berlin d’un mémorial sur l’Holocauste et critiqué la repentance allemande, ce personnage sulfureux est en train de tisser un réseau complexe et opaque visant à ancrer le parti dans les milieux ouvriers.
Parrain du mouvement « Un pour cent », il s’est affiché en novembre dernier à une manifestation aux côtés des salariés de l’usine Siemens de Görlitz, que le géant industriel envisage de fermer. Celui qui tire les ficelles de l’AfD à l’Est soutient également le mouvement ouvrier Alarm ! Créée par Jürgen Pohl, élu nationaliste de Thuringe, cette « fédération alternative des salariés du centre de l’Allemagne » est censée devenir un syndicat. « Les pontes des syndicats sont corrompus depuis longtemps, indique sur son site le député qui siège à la commission des Affaires sociales du Bundestag. Le moment est venu pour quelque chose de nouveau».  Selon un proche, l’initiative répond au refus des syndicats traditionnels de parler avec l’AfD. Jürgen Pohl, qui se bat contre les réformes Hartz, se distancie de Zentrum Automobil, qu’il juge extrémiste.
Devoir de neutralité politique
IG Metall a un devoir de neutralité politique et n’a pas le droit d’exclure de ses rangs des membres de l’AfD, sauf s’ils tiennent des propos ouvertement racistes. Mais le pilier du mouvement « Touche pas à mon pote » dans les années 1980 a toujours été très proche du SPD. Il propose actuellement des séminaires sur « L’AfD et autres extrémistes de droite dans le contexte des élections de comité d’entreprise ».
Craignant de perdre des adhérents, dont le nombre reste stable malgré une forte hausse de l’emploi, IG Metall hésite sur la bonne stratégie. Pour Klaus Dörre, le syndicat doit cependant sortir de sa réserve et attaquer frontalement les radicaux s’il veut stopper la vague.
A Heilbronn, Silke Ortwein ne veut pas dramatiser mais préfère se préparer. Représentante locale du DGB dans cette commune du Bade-Wurtemberg, où l’AfD affiche des records malgré une situation de plein-emploi, elle a organisé le mois dernier une réunion d’information pour les candidats aux élections de comités d’entreprise. Son conseil ? Eviter de poser en photo avec les patrons d’entreprise et parler de ses succès. « Regardez l’accord salarial IG Metall ! », se réjouit-elle. Mais si elle ne connaît pas de candidats d’extrême droite dans sa région, elle sait que le combat ne fait que commencer. « Cela ne va pas disparaître comme un rhume », dit-elle.
Thibaut Madelin
Correspondant à Berlin (Les Echos)
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