L’unité syndicale en débat (Ecole Emancipée)

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on Google+Share on LinkedInEmail this to someonePrint this page

L’article ci-dessous est publié dans la revue N° 73 (septembre-octobre 2018) de l’Ecole Emancipée, tendance de la FSU. Juste en dessous, le sommaire complet du numéro.

siteon0

L’unité syndicale en débat

arton2652-15c67La question unitaire fait partie des « gènes » de la FSU, depuis sa création en 1994. Son nom, ses statuts, ses textes de congrès, ses pratiques passées montrent toute l’importance qu’elle accorde à ce pan de son orientation. Pourtant, notamment depuis quelques années, l’unité syndicale, la façon de la mettre en œuvre, sont au cœur de ses débats internes.

Lors de l’écriture des textes de congrès FSU (le fameux « thème 4  »…), il est de tradition, et à juste raison, de distinguer en matière d’unité, ce qui relève de « l’unité d’action » pour et dans les mobilisations, et une unité plus « structurelle » (avec une organisation syndicale commune à construire).

Le syndicalisme français est divisé en termes d’organisations (au moins sept à vocation interprofessionnelle et confé- dérale, la FSU à vocation Fonction publique…) mais surtout, il est traversé par deux grandes orientations difficile- ment conciliables : un syndicalisme assez fidèle à ses origines, de « transformation sociale » (qui situe sa démarche syndicale dans une optique de sortie des règles du capitalisme, vers une autre société plus éga- litaire, plus juste socialement, avec une tout autre répartition des richesses existantes), et un syndicalisme dit « d’accompagnement » du fonctionnement capitaliste de la société (qui cherche à améliorer les choses « à la marge », celle-ci étant très faible à l’heure du néo libéralisme triom- phant). Jusqu’ici, on trouve la CGT, Soli- daires et la FSU parmi les premiers, tenants d’un syndicalisme qui sait qu’il doit instaurer des rapports de force par la mobilisation. Parmi les seconds, on trouve la CFDT, l’UNSA, la CFTC, qui pensent d’abord «  négociation ». Dans son histoire, FO a plutôt cheminé des seconds vers les premiers.

Comme l’a dit le texte adopté par le dernier congrès FSU, s’il n’y a pas deux « camps » figés :

« Les convergences entre CFDT et UNSA s’appuient sur une orientation syn- dicale d’accompagnement des « réformes » sans remises en cause de leur caractère libéral. Elles justifient ainsi leur non engagement dans l’action avec le syndi- calisme de transformation sociale. »

Même si CFDT et UNSA peuvent ne pas être d’accord en tout point avec la « méthode Macron », elles en partagent largement le fond, pensant qu’il n’y a pas d’alternative possible au capitalisme.

Ce qui sépare les deux orientations en présence, ce n’est pas une question de degré dans la radicalité des formes d’action, c’est une question stratégique de fond : combattre ou accompagner le libéra- lisme. De ce point de vue, la FSU ne saurait être dans un entre-deux, elle a toujours été clairement sur une orientation de transformation sociale et non d’accom- pagnement. Même si elle doit œuvrer à l’unité la plus large, elle ne se situe pas « à mi-chemin » des uns et des autres. Elle est résolument du côté de la lutte et de la transformation sociale.

Il est clair qu’une coexistence durable dans un même cadre syndical est impossible entre ces deux orientations, tant les analyses, les revendications et les pratiques syndicales sont différentes. Pour autant, incarnées par leurs différents syndicats, peuvent-elles cheminer ensemble à l’occasion d’une mobilisation ?

Ce n’est pas facile, mais pas impossible, car comme le libéralisme balaye tout, il ne laisse parfois pas d’autre choix au syndicalisme d’accompagnement que de s’opposer aussi (plus facile parfois sur des questions « sociétales »)… Il est même nécessaire de chercher à rassembler toutes les forces pour donner un signal fort de mobilisation, cela peut être un stimulant décisif pour entraîner une majorité de salarié-es dans l’action. L’aspiration à l’unité est forte chez ceux-ci et il est légitime de chercher à y répondre. Cela ne signifie nullement que les désaccords d’orientation ont disparu, ils seront même présents tout au long du processus de mobilisation avec une volonté d’aller au compromis le plus « bas » et le plus rapidement possible pour le syndicalisme d’accompagnement. Mais le fait d’avoir démarré ensemble la mobilisation sur une revendication juste (souvent un refus) est une contrainte dont celui-ci peinera à s’extirper aux yeux des salarié-es en action. C’est le syndicalisme de transformation sociale, le plus souvent à l’initiative, qui devrait en tirer bénéfice (le sentiment est plus compliqué si la lutte se termine par une grosse défaite…). L’unité syndicale la plus large dans l’action n’est certes pas une précondition à celle-ci (il est nécessaire que le syndicalisme de transformation sociale prenne ses responsabilités même en cas de refus du syndicalisme d’accom- pagnement…) mais elle peut lui être sacrément utile. C’est la raison pour laquelle il est légitime que le syndicalisme de lutte cherche, pour être un levier en direction des salarié-es, à agir ensemble tout en proposant à tous les syndicats une participation commune à l’action.

Rassembler le syndicalisme de transformation sociale

L’année scolaire écoulée n’a pas révélé de « vérité absolue » entre une « unité large » et une unité plus réduite (au syndicalisme de transformation sociale…). La grève FP du 10 octobre était appelée par tout le monde sur les salaires, elle fut une réussite mais sans plus (et surtout sans faire bouger le gouvernement !). Celle du 22 mars (sans CFDT et UNSA) fut d’un cru légèrement supérieur, mais sans pour autant plus de réussite en termes de résultats. Celle du 22 mai (à nouveau appelée par tout le monde) fut plus faible. On a vu que tous les syndicats étaient impliqués dans la grève particulière de la SNCF, avec un fort taux de grévistes au départ, mais que l’unité s’est effilochée au bout de deux mois de lutte (avec des désac- cords sur les objectifs revendicatifs et les formes de lutte). Au plan interprofessionnel, après les mobilisations sur la loi El Khomri avec un spectre syndical limité au syndicalisme de lutte (la CFDT appuyant la loi), la petite lutte contre les ordonnances Macron a suivi la même voie avec un syndicalisme interprofessionnel divisé (la CFDT et l’UNSA limitant leurs critiques à l’insuffisance de leur association au «  dialogue social »). À ce niveau, la seule unité « totale » date de la bagarre (perdue) sur les retraites en… 2010 !

Le succès d’une initiative d’action, quel que soit son degré d’unité, dépend avant tout de la perception qu’ont les salarié-es des enjeux de la bagarre : nature de l’attaque, rapport de force dans la société (idéologique, politique, économique…), attitude du pouvoir, hauteur du sentiment d’exaspération, détermination des syndicats, état de la force collective de « lancement »…C’est en partant de ces paramètres que les salarié-es se lancent, en se saisissant de l’instrument mis entre leurs mains par les syndicats, quel que soit leur nombre.

Notre congrès du Mans avait dit « la nécessité de réunir les conditions d’un rassemblement du syndicalisme de transformation sociale ». Cette unité avait réussi à exister durant ces dernières années et elle avait été souvent un point d’appui pour une unité plus large et des mobilisations construites ensemble (faut-il rappeler le 22 mars ?). Force est de constater qu’aujourd’hui, elle a du mal à exister et la FSU n’est pas exempte de responsabilités là-dessus (relativisant souvent l’intérêt d’une unité qui ne soit totale…). L’attitude de la CGT de prendre les décisions avant d’échanger avec ses partenaires potentiels n’aide pas non plus. Ni unité la plus large, ni même unité plus « restreinte » du syndicalisme de transformation sociale. Et ce alors que le gouvernement multiplie les offensives pour remettre en cause le statut des fonctionnaires comme jamais cela n’avait été le cas auparavant !

La FSU doit tenir bon sur une orientation syndicale qui ne cède rien aux projets de destruction des conquis sociaux. L’enjeu est de (re)gagner l’hégémonie idéologique dans le monde du travail face à un libéralisme qui a brouillé les repères (le « ni gauche, ni droite » cher à Macron).

Nous devons renforcer les synergies avec la CGT et Solidaires car ce sont les syndicats avec lesquels nous partageons une orientation de fond contre les politiques libérales. Ce qui ne veut pas dire être acritiques entre partenaires, nous avons avec eux des débats sur les mandats, sur l’action, sur la façon de mener la lutte (l’unité notamment…), qui sont des débats fraternels précisément parce que notre horizon est commun.

Cette orientation devrait être celle de notre fédération, elle fait partie des mandats de notre dernier congrès du Mans en 2016 concernant le travail que nous avons à faire pour participer au rassemblement du syndicalisme de transformation sociale, mandats que nous avons toutes et tous votés.

Les éléments d’analyse y étaient clairs, loin de toute interprétation « d’entre deux », et poussaient, à partir d’une dyna- mique commune, à la construction d’un nouveau cadre syndical unitaire : « La FSU s’engage dans cette dynamique sur la base d’objectifs clairs : il s’agit de contribuer, dans le respect de l’indépendance syndicale, au développement d’un syndicalisme de lutte et de transformation sociale progressiste, à vocation majoritaire, porteur de propositions offensives et novatrices, attaché à construire les mobilisations et les rapports de force nécessaires pour faire aboutir ses revendications.

À cet effet, la FSU entend poursuivre et accentuer son travail avec la CGT et Solidaires, sans mettre de limites sur les forces qui pourront participer à cette construction. » Dans un cadre politique et social nouveau depuis plus d’un an, nous pensons que loin d’être remis en cause, ces éléments d’analyse et d’orientation s’en trouvent renforcés. Une réponse syndicale est nécessaire, et cela passe par la recherche d’une réponse déterminée, la plus unitaire possible avec nos partenaires qui s’opposent au libéralisme et veulent la transformation sociale.

LAURENT ZAPPI

lundi 29 octobre 2018 

  • Sommaire de la Revue 73 (septembre-octobre 2018)

p.2 Une vraie alternative à l’enfermement des enfants : la liberté !

p.3 Edito : Nous faire entendre, vite !

EDUCATION

p. 4 et 5 Cap 22 : dans l’Éducation aussi, « en marche » pour le top ten
p.6 et 7 Handicap : les droits à l’épreuve des faits
p.8 Programmes : cent fois sur le métier, remettons notre ouvrage !
SYNDICALISME

p.9 Parcoursup : coller, ou ne pas coller (au milieu) ? Là est la question !
p. 10 et 11 L’unité syndicale en débat…
p. 12 à 14 Syndicalisme et politique…
SOCIETE

p. 15 Au service des mineur-es isolé-es étranger-es !

DOSSIER p. 16 à 23 Formation des enseignant-es

p. 16 et 17 Quels enjeux pour la formation ?
p. 18 et 19 Une formation en souffrance
p. 20 et 21 La cerise et le gâteau
p. 20 et 21 Les débats dans la FSU
p. 23 Mieux former plus d’enseignant-es : l’ambition de l’école émancipée
INTERNATIONAL

p.24 et 25 L’Union européenne : direction l’implosion ?

FEMINISME

p.26 Invisibles détenues
p.27 Un an après #MeToo et #BalanceTonPorc, où en est-on ?

HISTOIRE

p.28 et 29 Paul Lévi, une figure révolutionnaire méconnue

CULTURE

p.30 Chic, c’est la rentrée !
p.31 Une radio au cœur de la crise

p.32 Université d’été des mouvements sociaux à Grenoble, août 2018

Print Friendly

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *