Philippe Martinez et les débats de la présidentielle

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Dans Les Echos du 16 janvier 2017, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, commente les thèmes mis en débat par l’élection présidentielle et alerte sur le danger de la droite et du Front national. Il situe aussi l’enjeu pour la CGT de l’année 2017 sur le calcul agrégé de la réprésentativité des organisations syndicales. 

 

Philippe Martinez : « Valls, Hamon, Macron, Mélenchon… tous sont loin de la réalité du monde du travail »

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INTERVIEW – Le leader de la CGT juge sévèrement les politiques, tous « loin de la réalité du monde du travail ». Il pense « plus que jamais » nécessaire de mener une « campagne d’explication sur le vrai visage du parti de Marine Le Pen ».

Interview réalisée par Leila de Comarmond, Etienne Lefebvre et Alain Ruello

Les deux premiers débats de la primaire du PS ont eu lieu. Que pensez-vous des programmes des candidats?

Ils ne sont pas à la hauteur car ils ne partent pas assez de la réalité du travail. C’est un problème que ne concerne pas qu’eux, d’ailleurs. Prenez la santé. Les politiques en général devraient aller sur le terrain discuter avec les soignants pour prendre la mesure du manque d’effectifs et de moyens. Ils auraient dû aller à Tarbes à la polyclinique de l’Ormeau où nous avons réussi à arracher une belle victoire après 64 jours de conflit. Ils auraient pu rencontrer de jeunes infirmières qui leur auraient expliqué leurs difficultés à faire leur métier dans l’intérêt des malades et non pour faire gagner de l’argent aux actionnaires.

Même Benoît Hamon qui propose les 32 heures et le revenu universel…

Sur le revenu universel, nous avons beaucoup de réserves. C’est la négation du travail or le travail structure les individus, c’est un savoir-faire, un lien social.

Arnaud Montebourg aussi s’inspire de vos propositions…

Je ne demande pas qu’on reprenne nos slogans. J’ai vu plusieurs fois Arnaud Montebourg lorsqu’il était ministre et lui ai conseillé par exemple d’aller voir le plan lancé par notre syndicat avec la direction de la recherche du groupe Renault sur le travail. Il ne l’a jamais fait. On a vraiment un problème, avec tous nos politiques, de déconnexion avec la réalité.

Comment la CGT va-t-elle se positionner vis-à-vis des candidats à la présidentielle, en particulier de Jean-Luc Mélenchon que certains dirigeants ont l’intention de soutenir ?

Nous allons en discuter bien sûr mais je ne doute pas que nous appellerons à faire barrage au Front national comme lors des précédentes élections. Pour le reste, la Confédération générale du travail doit garder ses distances avec les candidats. Notre rôle est de poser des questions et de voir comment les candidats se positionnent et nous rencontrerons ceux qui le demandent. Maintenant, je ne souhaite pas que les membres du bureau confédéral [direction resserrée de la CGT] prennent position pour tel ou tel. Et je ne vous dirai pas pour qui je vais voter. Cela dit, je ne suis pas le patron de la CGT mais le secrétaire général de la confédération. En vertu du fédéralisme, chacune de nos organisations est indépendante. Et à titre individuel, un secrétaire d’Union départementale ou de fédération a toute liberté d’appeler à voter pour qui il veut.

Quels candidats ont déjà demandé à vous rencontrer ?

Pour l’instant aucun, même s’il peut y avoir ambiguïté avec la rencontre de Gérard Larcher, jeudi soir. Je m’y suis rendu car il est avant tout président du Sénat. D’ailleurs, il ne dit pas du tout la même chose que François Fillon sur certains points clefs : il ne défend pas la fin du monopole syndical, il explique qu’il y a besoin de dialogue social à tous les niveaux, etc. Je lui ai demandé qui de François Fillon ou de Gérard Larcher allait écrire précisément le programme du candidat sur la place des syndicats en particulier.

Plus globalement, quel regard portez-vous sur la campagne ?

Nous avons eu l’épisode burkini puis l’épisode anti-réfugiés pour commencer… En ce moment, les débats ont plus de tenue car ils portent un peu plus sur les questions économiques et sociales. Ce n’est pas la CGT qui va s’en plaindre. Nous qui défendons les 32 heures ne pouvons que nous féliciter que la question de la réduction du temps de travail soit installée dans le paysage, idem pour les salaires, Et certains parlent même d’industrie !

Cette fois-ci, le Front national a adopté un discours très social, proche de celui de la CGT..

En vitrine, c’est vrai qu’ils affichent le discours CGT sur les salaires, la retraite à 60 ans, mais le Medef est dans l’arrière-boutique. Il n’y a pas à chercher beaucoup pour le voir. Il ne vous a pas échappé que le FN propose la suppression de cotisations sociales. Expliquez-moi comment on finance la retraite à 60 ans sans cotisations… Nous devons plus que jamais mener une campagne d’explication sur le vrai visage du parti de Marine Le Pen. Ce n’est pas facile de combattre son discours populiste, mais nous y sommes résolus. Même si nous sommes le syndicat le moins impacté par le vote d’extrême-droite, les sondages le montrent.

Le protectionnisme de Donald Trump, mis en avant par le FN, peut aussi séduire les ouvriers…

Il ne faut pas se tromper de combat. Donald Trump comme Marine Le Pen veut opposer les salariés entre eux. Ils sont convaincus en outre que le problème de fond serait le coût du travail, ce que nous dénonçons. Donald Trump va donner de l’argent aux constructeurs automobiles et autres pour qu’ils restent aux Etats-Unis en compensant le niveau des salaires par des subventions ou des baisses de fiscalité. Nous, nous pensons que le coût du travail est un faux débat contrairement à celui sur le coût du capital. Nous défendons les savoirs faire et le niveau des garanties collectives par exemple en inscrivant obligatoirement des clauses sociales dans les appels d’offre. C’est comme ça que l’on peut garantir l’emploi en France, pas en jetant dehors les immigrés.

Comment expliquer l’éclatement actuel de la gauche ?

Là aussi, le FN tire les débats. C’est dû à une dérive, à une perte de repères. La même qui fait que certains y compris à gauche sont obnubilés par le coût du travail alors qu’ils devraient s’interroger sur le coût du capital. Mais il y a plus inquiétant encore : les électeurs sont de plus en plus massivement sur un vote de rejet et non d’adhésion. Les politiques en sont les premiers responsables parce qu’ils ne portent plus de débats de fond.

Y compris Jean-Luc Mélenchon ?

Valls, Hamon, Macron, Mélenchon… tous sont loin de la réalité du monde du travail. Et les conseillers dont ils ont choisi de s’entourer aussi. Cette déconnexion est grave. Je ne suis évidemment pas d’accord avec quelqu’un comme Raymond Soubie, qui a été le conseiller social de plusieurs présidents de droite, le dernier étant Nicolas Sarkozy, mais il semble quand même connaître un peu plus la réalité du monde du travail, ce qu’est le travail. On ne trouve plus ce type de profil dans l’entourage des politiques.

Quel bilan tirez-vous du quinquennat de François Hollande ?

Le quinquennat a donné lieu à quelques avancées sous la forme de réformes sociétales, je pense en particulier au mariage pour tous. Il ne faut pas les négliger. Cela fait la différence entre le PS et Les Républicains. Mais même sur ce plan, le bilan est très limité. L’extrême droite tire beaucoup le débat politique. Sur la question des réfugiés, de la laïcité ou du droit de vote des immigrés, on voit que les promesses n’ont pas été tenues. Et sur le plan économique et social, il ne s’est rien passé de positif pour les salariés.

Croyez-vous à l’inversion de la courbe du chômage ?

Quand il fait gris comme en ce moment, il y a toujours un coin de ciel bleu quelque part… Mais si sur un an, le nombre de demandeurs d’emplois de catégorie A (ceux qui ne travaillent pas du tout) a baissé, ce n’est pas le cas toutes catégories confondues. Les radiations ont augmenté et la précarité a pris de l’ampleur. La mode consiste à dire « peu importe la qualité et la durée de l’emploi, du moment que vous en avez un ». C’est le modèle britannique ou italien. Construire sa vie quand on ne sait pas ce que l’on fait la semaine suivante, ce n’est pas le modèle de société qu’on revendique. Le CDI reste notre référence.

Le compte personnel d’activité, qui s’inscrit dans la lignée de votre sécurité sociale professionnelle, n’est pas une avancées pour les salariés ?

La CGT a porté l’idée de sécurité sociale professionnelle pendant tout le débat sur la loi travail, même si on a eu du mal à se faire entendre. Mais le CPA manque d’ambition ! A chaque fois qu’on change de travail, on repart de zéro, c’est un vrai problème. De leur côté, les fonctionnaires s’inquiètent que certains droits puissent être remis en cause. Aujourd’hui, on ne parle pratiquement plus que du CPA, du droit à la déconnexion et un peu de la garantie jeune. Mais l’essentiel, c’est bien l’accroissement de la flexibilité que va permettre la loi travail et qui fait que cette réforme s’inscrit dans la continuité de ce qui s’est fait avant, à savoir beaucoup d’aides pour les très grandes entreprises, et moins de droits pour les salariés.

En minorant ainsi les évolutions qui vont dans votre sens, ne craignez-vous pas de donner l’image d’un syndicat qui accumule les défaites ?

On attendait d’avantage d’un gouvernement qui nous a promis monts et merveilles. On a besoin d’une autre politique de formation, on a fait plein de propositions sur les apprentis, les donneurs d’ordre et les sous-traitants avec notamment la création d’écoles de filières industrielles… Nous sommes, c’est vrai, peu entendus.

Et le droit à la déconnexion ?

Rien n’est contraignant ! Idem concernant l’égalité homme femme, premier sujet de préoccupation des salariés. Cela fait trente ans qu’on empile les lois, la première remonte à Yvette Roudy en 1983, mais l’écart de salaires ne baisse pas. Pourquoi? Parce que les entreprises ne sont pas obligées d’appliquer la loi.

Des organisations de la CGT (dont InfoCom, Goodyear…) ont déposé un premier recours contre un des décrets de la loi travail au Conseil d’Etat et en annoncent d’autres. Vous en pensez quoi ?

J’ai appris ça par la presse. Quand on a la prétention de défendre l’intérêt de tous, cela réclame un peu de coordination. Ces syndicats sont très mal conseillés et cela peut avoir des conséquences problématiques pour tous les salariés. Nous allons bientôt déposer un recours avec Force ouvrière au niveau de l’OIT. Nous avons aussi sollicité la CGC. Au niveau national, nous allons nous appuyer sur des cas concrets. C’est plus efficace que quand on fait de la théorie, même si ça plaît moins à ceux qui s’écoutent parler.

La loi travail a déjà permis de nouveaux accords d’entreprise. Que pensez-vous de celui trouvé chez Renault sans la CGT ?

Que du mal ! On change les noms des accords, « de compétitivité », « d’emploi », « offensif », « défensif »… mais les résultats sont toujours aussi catastrophiques, sauf pour le salaire du PDG. La balance des emplois est toujours négative, les salariés vont travailler une heure de plus chaque jour sans qu’on tienne compte des conséquences pour leur santé, ni pour la qualité des produits.

Il y a pourtant des syndicats, majoritaires, qui signent…

C’est le pluralisme, je le respecte, ils estiment qu’ils limitent la casse… Ils devraient davantage mesurer les conséquences pour les salariés.

Sur le travail le dimanche, la méthode Macron semble faire ses preuves : les syndicats obtiennent des contreparties supérieures à ce que la loi aurait pu fixer…

Mais on aurait pu aussi fixer des seuils minimum légaux de rémunération, tout en conditionnant l’ouverture le dimanche à des accords majoritaires. Ce qui me pose problème, c’est qu’aujourd’hui, on soit obligé de travailler plus pour gagner plus, comme le disait un ancien président de la République et comme le reprend aujourd’hui Manuel Valls. Les salariés y sont contraints par la faiblesse de leur pouvoir d’achat. Ce n’est pas ma philosophie du travail.

Le 15 février, c’est bon, la négociation sur l’Assurance chômage repart ?

Il ne faudrait pas que le Medef joue la montre en attendant l’élection présidentielle. On est reparti dans des tours de tables pour savoir ce que veulent les uns et les autres, on nous présente des études, on met en place un groupe de travail. Les problèmes de l’Assurance chômage sont clairs. Je ne fais pas un procès d’intention à Pierre Gattaz, mais il est temps d’accélérer.

François Chérèque a été un grand dirigeant de la CFDT et la CGT salue sa mémoire

Les syndicats réformistes progressent. Appréhendez-vous les résultats de la prochaine mesure de représentativité, qui pourrait placer la CFDT numéro 1 devant la CGT ?

Cela va être évidemment beaucoup commenté, surtout si la CGT est deuxième, mais cela ne nous traumatiserait pas. Il n’y aura pas de suicide collectif à la CGT ! Nous savons de toute façon que nous avons besoin d’améliorer nos pratiques, en allant plus vers les salariés, en parlant aux cadres des sujets qui les intéressent, en nous implantant dans les entreprises où on est absent, ce que la CFDT fait mieux que nous. Il y a 400.000 électeurs potentiels d’écart entre nous.

C’est par peur de remous internes que vous n’avez eu aucune expression publique lors du décès de François Chérèque ?

J’ai écrit à la CFDT, cela a été dit dans notre bulletin d’information confédérale, et je ne me suis pas caché pour aller à son enterrement, même s’il y a eu des critiques effectivement. Mais j’assume. S’il a pris des positions que je ne partage pas, François Chérèque a été un grand dirigeant de la CFDT et la CGT salue sa mémoire. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord qu’on ne doit pas se respecter. Lorsqu’au plus fort du conflit sur la loi travail, nous avons débattu publiquement avec Laurent Berger, nous l’avons fait dans un respect mutuel, cela a déçu certains…

 
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