Reportage : la CGT va au contact avec les Gilets jaunes

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Le reportage ci-dessous est publié dans la NVO.fr : il montre que sur le terrain les militant-es CGT cherchent à rejoindre le mouvement des gilets jaunes. Avec des résultats.

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Gilets jaunes et CGT : convergences sur les ronds-points

2 janvier 2019 |
Par | Photo(s) : DR+JEAN-FRANCOIS MONIER+Zakaria ABDELKAFI+JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP
Depuis le 17 novembre, des militants CGT se rendent à la rencontre des gilets jaunes. Là où le courant passe, ces rapprochements ont fait émerger de nombreuses convergences revendicatives.

Quand les gilets jaunes lancent leur premier appel à manifester le 17 novembre, la CGT refuse de prendre part aux cortèges où le Rassemblement national (RN) a décidé de défiler. Pas question de manifester aux côtés de l’extrême droite. « Au début, on était très méfiants », reconnaît Fabrice David, secrétaire de l’union départementale CGT de Loire-Atlantique. Comme ce militant, beaucoup à la CGT voient d’un œil circonspect ce mouvement anti-taxe né sur les réseaux sociaux auxquels de nombreux petits patrons s’associent.

Des gens qu’on n’avait jamais vus

Dans les permanences syndicales, on voit alors débarquer des travailleurs inconnus au bataillon. « Les gens mobilisés chez les gilets jaunes sont des salariés de petites entreprises où l’on est peu présents, des publics précarisés que l’on n’avait jamais vus, relève Pierre Marsein, secrétaire de l’union départementale CGT de Haute-Loire. Sur le département, les salaires sont inférieurs de 20% à la moyenne nationale, on a beaucoup de temps partiel subi, de femmes seules. Les gens se font exploiter, il y a une exaspération totale et une grande colère ».
A Orléans, l’union départementale CGT est contactée après avoir vu passer sur les réseaux sociaux un tract CGT. « Ce sont des jeunes qui ne connaissaient rien aux syndicats, aux bourses du travail. On a eu une discussion passionnante, débattu de l’utilité de l’impôt, s’enthousiasme Aurelio Ramiro, secrétaire de l’UD. Ce qui a fait déborder le vase, c’est qu’ils habitent à 30-40 km de l’agglo orléanaise. La hausse du carburant impactait directement ce qui leur restait à vivre. »

Il y a des secteurs où des fachos se regroupent entre eux. Là, la discussion n’est pas possible, mais dans d’autres ça se passe très bien

François Bonnin, trésorier de l’union locale CGT de Châtellerault.

 

Partout, des syndicalistes se rendent à la rencontre de ces gilets jaunes qui se sont regroupés pour exprimer leur colère. L’accueil qui leur est réservé diverge selon la composition sociologique de ceux sur les points de blocage. A Elbeuf dans l’Eure, le syndicat CGT a dû montrer patte blanche pour amorcer un échange avec les « jaunes ». « Ce sont des salariés perdus, qui morflent. Au début ils ne voulaient pas de nos couleurs. On s’est expliqués, on a distribué des tracts. Ils ont vu qu’ils s’étaient trompés d’adversaire» ,raconte Christian Morin le secrétaire de l’union départementale CGT normande.
Défiance ou simple méconnaissance ? Certains gilets jaunes se hérissent à la vue des syndicats. « A la Roche-sur-Yon, on a emmené nos tracts mais on s’est fait jeter. Il y a un rejet du politique et du syndicalisme », déplore Olivier Jacques, en charge de la vie syndicale à l’union départementale CGT de Vendée. Beaucoup de structures déplorent la mauvaise image qu’a pu donner la mobilisation des routiers ; la CGT et FO avaient appelé à la grève le 9 décembre pour le pouvoir d’achat avant de négocier avec le gouvernement. « On nous a traité de vendus » , regrette Nathalie Charron, secrétaire administrative de l’union départementale CGT d’Eure-et-Loire.

Au début, il y avait des vus caricaturales de part et d’autre. Des camarades voyaient les gilets jaunes comme des « populos », un peu fachos. En échangeant, ils se sont rendus compte que c’était le commun des citoyens

Damien Girard, secrétaire de l’union locale CGT de Saint-Nazaire

Après un mauvais démarrage, la situation s’est rapidement débloquée dans les Pyrénées-Atlantiques. « Des camarades sont allées sur les barrages des péages pour nouer des liens. Ils n’ont pas été très bien accueillis. Puis des gilets jaunes sont venus nous voir. On a vite vu qu’ils n’étaient pas hostiles. Ils n’étaient pas très éloignés de nous et avaient une vraie réflexion sur la fiscalité », relate Jean-Claude Zapparty, secrétaire de l’union départementale CGT des Pyrénées-Atlantiques.
Le rapprochement entre syndicalistes et gilets jaunes a fait émerger des débats de fond. « Nous avons eu des discussions sur la nécessité d’augmenter les salaires sans rogner sur les cotisations sociales, sur le fait qu’il faut que ce soit les patrons qui paient et pas l’État », détaille le secrétaire de l’union départementale CGT de Haute-Loire. Des échanges semblables ont émergé à Châtellerault, renouant avec la tradition syndicale de l’éducation populaire. « On leur a expliqué pourquoi on revendiquait du salaire brut alors qu’eux parlent en net, qui est ce qu’ils voient sur leur fiche de paie, commente François Bonnin, secrétaire de l’union locale CGT viennoise. Sur les cotisations sociales – qu’ils appellent « charges » -, on a fait un travail pédagogique pour montrer que ça servait à financer la santé, les hôpitaux. Ils nous ont entendus ».

80 à 90% de revendications communes

Sur le terrain, des revendications ont été listées de part et d’autre, faisant apparaître de nombreuses convergences. « On est en train de regarder leur cahier de doléance. On est d’accord à 80%, même s’il y a encore des trucs qui nous choquent, par exemple sur la revendication d’un revenu pour les femmes aux foyers », signale Jérôme Delmas, secrétaire de l’union départementale CGT du Lot. Aux dires des syndicats, les cahiers de doléances auraient beaucoup évolué depuis le début du mouvement. « On a dépassé la taxe sur le carburant. On voit qu’on a des revendications communes sur le pouvoir d’achat, les retraites, le chômage, la fiscalité… », énumère Sylvain Moreno, secrétaire CGT du groupe Lafarge, qui a appelé à rejoindre les gilets jaunes.

Les revendications ont évolué, elles rejoignent beaucoup ce que l’on porte. Les contacts avec la CGT y sont sans doute pour quelque chose

Jean-Claude Zapparty, secrétaire de l’union départementale CGT des Pyrénées-Atlantiques

Localement, les syndicats se sont appuyés sur ces convergences pour lancer des actions aux côtés des gilets jaunes. « Ils réclament le retour des commerces de proximité. On leur a proposé de bloquer le Auchan, où les salaires sont très bas et qui touche beaucoup de CICE sans créer d’emploi. Ça leur a tout de suite parlé », témoigne Matthieu Viellepeau, secrétaire de l’union locale CGT de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). A Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, chasubles jaunes et rouges se sont rassemblés le 1er décembre devant la gare pour réclamer d’une même voix la réouverture de la ligne SNCF de train voyageurs Pont-Saint-Esprit-Avignon-Nîmes. « Les gens sont obligés de prendre la voiture pour aller jusqu’à Avignon. Les gilets jaunes se sont réappropriés cette revendication portée par la CGT », se réjouit Patrick Lescure, secrétaire de l’union locale CGT de Bagnols.

Gilets jaunes, gilets rouges : souvent le même combat !

Ce mouvement hétéroclite de salariés précarisés, de chômeurs, de retraités et de petits patrons tous éprouvés par des fins de mois difficiles, beaucoup de syndiqués l’ont rejoint spontanément, n’hésitant pas à enfiler une chasuble fluo pour aller bloquer barrages et ronds-points. « Les gens n’en peuvent plus. Ils ont des vies de merde, ils sont usés. Et en plus on les prend pour des gueux, des gens qui ne réfléchissent pas. Là on a l’occasion de montrer que la CGT n’est pas la caricature véhiculée par les médias. Il faut y aller », estime Christophe Chrétien, secrétaire du syndicat CGT Sanofi Tour, très impliqué dans le mouvement.

La couleur n’a pas d’importance. Le but c’est la convergence des luttes, c’est ce pour quoi on se bat

Matthieu Viellepeau, secrétaire de l’UL de Fontenay-sous-Bois.

A Marseille, Nantes et Toulouse, comme dans nombre de petites villes, des travailleurs en rouge et jaune ont défilé ensemble, entonnant les mêmes slogans. Au sein du syndicat, si certains affichent encore de la réserve, voire de la défiance, beaucoup saluent un mouvement qui a ravivé le désir d’action collective et d’engagement citoyen. « Je n’allais plus aux manifestations de la CGT, j’avais l’impression que ça ne servait plus à rien. Mais avec ce mouvement, ça a repris du sens », lâche un militant croisé aux côtés des gilets jaunes, place de l’Opéra à Paris le 15 décembre.
Les mesures annoncées par Emmanuel Macron sur le pouvoir d’achat n’ont pas éteint la colère des gilets jaunes, tout au contraire. « Ils étaient très remontés, ils ont pris ça pour du foutage de nez, surtout les gens au chômage. Les intérimaires qui bossent pour l’usine Airbus de Méaulte savent que les salariés vont se jeter sur les heures sup défiscalisées et qu’eux vont faire perdre leurs contrats d’intérim », fait remonter François Falize, secrétaire de l’union locale CGT d’Albert (Somme).

Agir dans les entreprises

Le 14 décembre sur BFM, journée d’action unitaire, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez a rappelé la nécessité d’agir par la grève dans les entreprises afin d’obtenir des hausses de salaire. Dans les boîtes, le mouvement des gilets jaunes a commencé à infuser chez les salariés. « Ça a libéré la parole dans les ateliers. Les salariés se sont mis à parler du CICE, des dividendes versés… Tout ce qu’on dit depuis cinq ans ! Mais là, comme BFM et Cnews en parlent aussi, ils ont les écoutilles grandes ouvertes », souligne Thomas Beaudouin, Délégué syndical central chez PSA.

Il y a une grande colère des masses. Ce qu’il faut, c’est faire vaciller le capital. Et cela, ça ne peut se faire que dans les boîtes

Pierre Marsein, secrétaire de l’UD de Haute-Loire

Le 22 novembre à Marseille, cent cinquante militants de l’union départementale CGT ont rejoint avec leurs drapeaux les gilets jaunes bloquant le rond-point de la Mède, pour y installer un piquet de grève devant le dépôt pétrolier Total. Les salariés de la bioraffinerie ont aussitôt décidé d’entrer en grève en soutien, appelant à une hausse de salaires dans le cadre des négociations salariales annuelles (NAO).

Près d’Orléans, le 19 décembre, des gilets jaunes installés sur le rond-point de la zone industrielle de Saran ont bloqué, avec l’appui là aussi de la CGT, l’entrée et la sortie des camions de livraison d’un entrepôt Amazon. « On voulait agir ensemble afin d’appuyer le syndicat dans la boîte qui réclamait une prime de noël que le patron d’Amazon a refusé » , explique Aurelio Ramiro, de l’union départementale CGT du Loiret.
Une action saluée par le secrétaire du syndicat CGT John Deere, une usine de production de moteurs, elle-aussi implantée à Saran. « Il faut s’attaquer aux gros, ceux que le gouvernement aide le plus avec le CICE, les encourage Sami El-Messaoudi. Mais il faut aussi avoir une vision globale. Aujourd’hui les blocages des ronds-points, ce sont les petits commerces qui les subissent. Les petits patrons qui sont dans le rouge avant noël disent à leurs salariés qu’ils vont devoir se séparer d’eux. Des salariés au Smic vont perdre leur boulot ». Chez John Deere Saran, le syndicat a arraché au patron une augmentation de 3% lors des dernières NAO. Preuve, par l’exemple, que c’est bien dans les boîtes que peut se jouer en ce début d’année la bataille du pouvoir d’achat.

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