SUD Rail : « Réapproprions-nous le service public ferroviaire »

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Au moment où se négocie la future Convention collective nationale du secteur ferroviaire (qui comprend les cheminots SNCF mais aussi des salariés d’entreprises privées), la fédération SUD Rail (Union syndicale Solidaires) publie une importante brochure explicative sur les enjeux des transformations qu’a connues la SNCF. Elle complète par ses propositions en matière de transport écologique.

 

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Les 144 pages de cette brochure sont plutôt denses et sa lecture permet d’acquérir une bonne connaissance du dossier pour des syndicalistes hors secteur de la SNCF. Une critique de forme cependant : le texte republie beaucoup de textes déjà publiés par SUD Rail, et les juxtapose souvent sur des thèmes semblables. De ce fait il n’évite pas des redites, quelquefois sur des pages entières. Mais cela permet parfois de mieux saisir une argumentation sur un sujet qui demande quelques efforts.
Sont ici rapportés et commentés abondamment des éléments d’histoire peu connus des chemins de fer, les évolutions du statut de l’entreprise et l’acharnement à vouloir la plier aux règles de la concurrence (et à terme la privatisation, déjà actuelle pour les marchandises), le conflit qui a entouré la loi de 2014 avec une lutte d’ampleur, des analyses passionnantes sur les enjeux écologiques globaux sur les transports, et enfin les questions de statut des travailleurs du rail. La négociation de la convention collective en cours a déjà abouti à un accord (refusé par SUD Rail) sur le périmètre des entreprises et activités concernées ; il reste à négocier les dispositions statutaires, normalement pour juillet 2016. Guillaume Pépy, PDG SNCF, a déjà annoncé en guise de cadeau de Noël 2015 la remise à plat des 35h : pourquoi se gênerait-il dans le climat actuel ? Nous nous contenterons ici de décrire quelques aspects seulement de ce gros travail, afin d’inciter à sa lecture.
160 ans d’histoire
Les chemins de fer étaient à partir du milieu du 19ème siècle un ensemble d’entreprises privées, quoique fortement régulé par l’Etat, qui passait des concessions avec des sociétés chargées de gérer les lignes et répondant à un « cahier des charges ». Certains aspects du statut des cheminots sont très anciens (exemple régime de retraites) et répondent classiquement à la volonté patronale de stabiliser une main d’œuvre très fortement qualifiée et donc précieuse.
Mais l’ampleur des investissements nécessaires à une vraie desserte nationale du réseau aboutissent très vite à un déficit structurel du système (que le privé refuse d’assumer). « En 1936, explique SUD Rail, le déficit cumulé atteint l’ordre de grandeur du budget de l’Etat » ! La notion très commentée de « déficit » du chemin de fer fait donc partie de son histoire ancienne. C’est une des raisons fondamentales qui expliquent qu’un 1937 (Front Populaire), l’ensemble des chemins de fer est regroupé dans une Société anonyme (SA) avec 51% de capital public et 49% pour les anciennes sociétés privées (qui se contentent alors d’empocher des dividendes fixes, plutôt que de subir une faillite). Le statut des cheminots, y compris le régime d’horaires complexe, sera acté par la suite par une loi de 1940, puis précisé par un décret en 1999 aboutissant au régime dit RH-077 aujourd’hui sur la sellette (la loi de 1940 est clairement abrogée depuis 2014) et très menacée ; à ne pas confondre avec la directive RH-001, en fait le statut datant de 1950, réglant les relations entre la SNCF et ses agents (rémunérations, conditions d’accès au statut entre autre).

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Mais comment expliquer ce déficit structurel ? Bien sûr les investissements sont importants en infrastructures et machines (Diesel, électrique, TGV…). Mais contrairement à d’autres moyens de transports, comme la route, où ils sont pris en charge par l’Etat pour le plus grand bonheur des constructeurs d’automobile (le produit phare du 20ème siècle), la SNCF a été contrainte de gérer la totalité de ses comptes et dépenses en interne, d’emprunter sur le marché financier, etc. De plus, la route est devenue la championne incontestée du trafic fret, aspirant depuis longtemps le fret SNCF réduit à une peau de chagrin et privatisé (diminution de 65% du trafic fret SNCF entre 2000 et 2013 ; part du fret SNCF passant de 60% du total transport fret en 1950 à 9% aujourd’hui).
L’aberration de la séparation infrastructure et réseau
On connait la chanson en boucle de la Commission européenne depuis les années 1990 : il faut ouvrir à la concurrence « libre et non faussée » les réseaux de services publics, sauf éventuellement …ce qui relève des infrastructures trop couteuses, monopoles naturels et admis comme tels où l’initiative privée serait déficiente, et où les prix sont optimum.
La brochure de SUD Rail répète avec force détail que la fameuse directive 91-440 (en 1991) n’obligeait nullement à une désintégration de la SNCF en deux entités distinctes, comme cela a été décidé en France (contrairement à d’autres pays) sous un gouvernement de droite en 1996 puis appliqué par le gouvernement Jospin en 1997. La directive 91-440 se bornait « seulement » à une séparation comptable entre l’infrastructure (rails) et l’exploitation. En effet, les traités européens contraignent à ouvrir la concurrence, mais se disent « neutres » sur le régime juridique des sociétés assurant un service. Mais en France, on poussa le zèle jusqu’à créer deux sociétés : Réseau ferré de France (RFF) pour les rails et la SNCF pour l’exploitation, payant un péage à RFF, avec la possibilité que d’autres exploitants utilisent aussi le réseau (le premier train de fret privé circule en 2005). Le comble de l’absurde était que c’était la SNCF qui continuait à entretenir le réseau, passant une convention avec RFF, et se faisant rémunérer pour cette activité, en même temps qu’elle payait les péages d’utilisation des rails !
La brochure donne des détails explicatifs montrant que ce qui est possible techniquement pour des réseaux souples comme la route (où une voiture ou un camion peut à tout moment changer de direction) est impossible pour un réseau « guidé » comme le chemin de fer, où tout est lié par des contraintes fortes. La circulation des trains, les sillons horaires, la sécurité, la maintenance, obligent à une forte intégration technique, une unicité de gestion de l’entreprise. Et non pas aboutir à une situation où « les cheminots ont le sentiment de ne plus travailler tous dans la même entreprise » (page 25), notamment parce que la SNCF après 1997 ne s’est pas contentée de se séparer de l’infrastructure, mais s’est scindée verticalement en plusieurs activité avec des gestions distinctes : Grandes lignes, Fret, Transports express régionaux (TER), banlieue de Paris, etc.
Une nouvelle directive européenne plus récente (2012/34/DE) n’oblige toujours pas à tronçonner les entreprises du rail, mais à bien séparer juridiquement « les fonctions essentielles », sur deux aspects et pas davantage : les décisions quant à la tarification des péages par les utilisateurs, et la répartition des sillons horaires pour le passage des trains (on imagine que l’entreprise historique, la SNCF en l’occurrence, ne doit bénéficier pour cela d’aucun privilège en régime concurrentiel). Mais cela n’a pas empêché la direction de la SNCF et les gouvernements successifs de produire des rapports successifs, et d’organiser une bataille idéologique pour préparer les esprits à une fausse unification de la SNCF par la loi de 2014.
Acharnement libéral
La brochure décrit les étapes qui conduisent du constat du « fiasco » de la séparation organique décidée en 1997 avec la création de RFF jusqu’à la loi de 2014. SUD Rail montre en effet que la reprise de la dette par RFF en 1997, en échange de la séparation en deux entités, n’a rien réglé. Si la dette SNCF s’effondre au 31 décembre 1997, les péages payés par la SNCF à RFF aboutissent à ce que « de 1997 à 2014 inclus, la SNCF a versé au total à RFF 47, 18 milliards d’euros constants de péage, soit 1,8 fois la dette d’infrastructure reprise par RFF en 1997 (20 milliards) ». Tout est donc à revoir.
Sous Sarkozy, avec l’épisode des Assises du ferroviaire, on semble faire miroiter un soutien industriel au ferroviaire, tout en préparant une privatisation du transport voyageur régional.
Il se produit alors un très curieux intermède avec l’avis du Conseil économique social et environnemental (CESE) où Thierry Lepaon (pas encore secrétaire général CGT) et Jean-Marie Géveaux (UMP) présentent conjointement un avis finalement voté majoritairement en juin 2012 (donc sous Hollande). Cet avis préconise l’expérimentation de l’ouverture à la concurrence par des entreprises privées dans 3 à 6 régions pour le transport voyageurs. Votent pour : la CGT, l’UNSA, la CFTC, la CGC, le MEDEF, la CG-PME… ; s’abstiennent : la CFDT, FO, la FSU et vote contre : Union syndicale Solidaires. Il est vrai que l’avis ressemblait à un échange donnant donnant: privatisation voyageurs contre effacement des 40 milliards de dettes par l’Etat, et débat sur la « question controversée de la séparation entre gestionnaire du réseau et opérateur ferroviaire » (voir ci-dessous l’intervention étonnante de Thierry Lepaon au CESE).
C’est en 2013 avec Hollande que se prépare (après les rapports Auxiette et Bianco) la loi qui prétend vraiment tirer le bilan négatif de 1997 et du RFF. Elle écarte l’hypothèse de sociétés anonymes (comme cela s’est fait à la Poste), et affiche vouloir rassembler l’entreprise sous un chapeau unique mais en réalité accouche en 2014 de trois EPIC (établissements publics industriels et commerciaux) au lieu de deux : la SNCF dit « de tête » (lié à l’Etat, mais coquille vide selon SUD Rail), la SNCF Réseau, « filiale » qui reprend RFF plus les activités de maintenance et d’entretien, la gestion des circulations (sillons horaires) et la SNCF Mobilités, deuxième « filiale » opérationnelle en relation directe avec la clientèle, ne conservant plus que les mêmes rôles que les entreprises privées ferroviaires et facilement privatisable. 50 000 cheminots qui s’occupaient auparavant des sillons et de la maintenance des rails tout en n’étant pas à RFF retrouvent un semblant d’unité professionnelle en passant à SNCF Réseau. Mais SUD Rail est convaincu que ce n’est qu’une question de temps avant qu’une nouvelle séparation ait lieu, selon la théorie libérale en vogue préconisant une gestion séparée en trois étages : gestion d’infrastructure (GI), gestion des sillons et postes de commande, et entreprise ferroviaire (EF).
Courant 2015 et 2016, la confrontation continue avec la bataille autour de la Convention collective de la branche transport ferroviaire.
Une politique globale et intermodale de transport écologiquement compatible
C’est un des chapitres les plus passionnants de la brochure, pour quiconque s’intéresse après la COP 21 à une réforme en profondeur de l’ensemble des transports terrestres et aériens : rail, route, fluvial, avions.
Cette partie permet de comprendre très clairement les choix récurrents des pouvoirs publics depuis un siècle, notamment en faveur de la route. Le gouvernement n’a jamais voulu reprendre à son compte la dette SNCF tout en étant largement co-responsable de son ampleur, par exemple par le développement des TGV. Par contre les investissements en faveur de la route sont énormes sur longue durée. Entre 1980 et 2013, la route a bénéficié de 351 milliards d’euros d’investissements d’infrastructures, soit les 2/3, alors que le train a bénéficié de 18% et le reste des transports collectifs (Métro, RER, tram) de 10 %, et seulement 7,7% pour le maritime.
Plus généralement, la brochure montre que le capitalisme mondial fait payer à la collectivité une accroissement exponentiel du transport de marchandises de toutes sortes (en tonnage 1000 fois plus élevée en 2000 qu’en 1850). Ce choix est un des facteurs fondamentaux de nuisances de toutes sortes (santé, accidents…) et de pollution atmosphérique, à cause de la consommation d’énergie fossile : 30% de consommation d’énergie pétrolière en 1973, 70 % en 2012, très loin devant l’industrie (8%) et le résidentiel (10,6%). Dans cette globalité des transports, le part dévolu au train est extrêmement faible, alors que son coût écologique, qui n’est pas nul, est considérablement plus faible : le train totalise 10% du trafic en consommant 1,7% de l’énergie totale du transport. La voiture est responsable de 82% des déplacements voyageurs contre 8,9% en train ; le poids lourd transporte en France 84% des marchandises contre 9,5% par le train. Le transport routier totalise 91,7% des émissions de gaz à effet de serre en 2012 contre 0,4% au train ! Et comme dit le texte, « ce sont les modes de transport les plus énergivores et émetteurs de gaz à effet de serre qui voient croitre leur trafic » de manière constante.
SUD Rail préconise donc un « partage modal différent » au profit de la voie d’eau, du cabotage maritime et du train. En 2010, SUD Rail a participé à lancer un Appel unitaire en ce sens (voir en complément ci-dessous le lien pour le texte intégral), se terminant par l’exigence de « relocalisation de l’économie », et « la création d’un grand service public de transport ferroviaire et routier de marchandises ». Syndicalement seule l’Union syndicale Solidaires a signé avec SUD Rail, aux côtés de nombreuses associations d’usagers, ATTAC, Les Amis de la terre, …et des forces politiques.
L’isolement de SUD sur cette question, sur le plan syndical, s’explique peut-être parce que l’appel ne se prononce pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, pour une relance du fret ferroviaire qui viendrait compenser la part irresponsable que prennent la route et les camions. Le texte priorise surtout la relocalisation économique (donc la diminution du transport) en pointant le fait que s’il faut augmenter le fret, la disproportion entre les deux modes de transport est aujourd’hui telle qu’elle rendrait « hors de portée » les investissements nécessaires pour un rattrapage. Le fret ferroviaire n’est donc pas considéré comme « une priorité environnementale ». Il y a là sans doute matière à débat, dans le syndicalisme comme dans la société.
Dominique Mezzi

 

 

En complément :

  • le rapport du CESE (rapporteurs Thierry Lepaon et Jean-Marie Géveaux) de juin 2012 sur l’ouverture à la concurrence du trafic voyageurs (version résumée) : FI13_srv_travail_adt

Extraits : « 7. Initier l’expérimentation de la mise en concurrence des TER début 2015, après mise en place des textes juridiques et
mesures d’accompagnement, en tenant compte d’une anticipation possible par le 4ème « paquet ferroviaire » en préparation
de l’échéance de 2019 prévue par le règlement OSP ;
8. Fonder l’expérimentation sur un volontariat régional, l’Etat invitant…. »

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