Syndicalisme et mouvement social au 21ème siècle

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La revue « Regards croisés« , de l’Institut de recherches de la FSU (IR-FSU), publie un numéro 34 (avril-mai-juin 2020) intitulé « Syndicalisme et mouvement social au 21ème siècle« .  Ci-dessous le contexte et des extraits d’articles pour donner envie de lire le numéro.

  • Contexte : En fait, ce numéro remplace un colloque prévu au printemps 2020 (annulé à cause de la pandémie), organisé à l’occasion de la sortie du tome 2 de l’histoire de la FSU (La FSU dans la cour des grands), coordonné par Alain Dalançon, Josiane Dragoni et jean-Michel Drevon (dits « les 3D« !). Les auteur-es avaient invité des responsables syndicaux CGT, FSU et Solidaires, ainsi que des chercheur-es : leurs interventions ont donc été mises par écrit pour publication. A noter que la revue comprend aussi un grand entretien avec l’historienne Danielle Tartakowsky sur la  crise actuelle et des comparatifs historiques : « L’Etat décricoté, de la Résistance à LRM« .
  • « L’image d’une revue intersyndicale » ? Ce numéro constitue, de mon point de vue (Jean-Claude Mamet), un bon exemple ou une image de ce que pourrait être une revue ou un outil intersyndical de débat, comme la revue Collectif a pu l’être (années 1980- début 1990) ou comme Syndicollectif.fr s’efforce d’en évoquer la possibilité. Nous consacrons donc une large place à des extraits d’articles et donnons accès au numéro entier (il doit être également possible de se procurer la revue papier e écrivant à : institut@institut.fsu.fr).
  • Télécharger l’accès au numéro complet : wetransfer-47d885
  • Les intervenant-es (cité-es suivant l’ordre du numéro) : Jean-Michel Drevon (co-auteur du livre sur l’histoire de la  FSU), Paul Devin (président de l’Institut de recherche IR-FSU), Christophe Aguiton (Attac, participe à la création de SUD-PTT), Bernard Thibaut (ancien secrétaire général de la CGT, membre du BIT), Sophie Béroud (politiste, université Lyon 2), Jean-Marie Pernot (politiste, IRES), Alain Dalançon-Josiane Dragoni-Jean-Michel Drevon (co-auteurs du livre sur l’histoire de la FSU), Maryse Dumas (ancienne secrétaire confédérale CGT, CESE), Baptiste Talbot (Fédération des services publics CGT), Jean-Marc Canon (fonction publique UFSE CGT), Christophe Delecourt (UFSE CGT), Annick Coupé (Attac, ancienne porte-parole de l’Union syndicale Solidaires), Verveine Angeli (secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires), les ancien-nes et nouveaux secrétaires généraux FSU Gérard Aschieri- Bernadette Groison- Benoît Teste, et enfin Christian Laval et Francis Vergne (chercheurs IR-FSU, coordinateurs de N’attendons pas la fin du monde-Syllepse).

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Syndicalisme et mouvement social au 21ème siècle

  • Jean-Michel Drevon : « …La publication du tome II de l’histoire de la FSU, La FSU dans la cour des grands, présenté au congrès de la FSU de Clermont-Ferrand au mois de décembre 2019, avait conduit l’IR-FSU à demander aux «3 D*», coordinateur.ice.s de l’ouvrage, de construire un colloque sur le thème «Regards croisés sur syndicalisme et mouvement social au XXI e siècle ». L’objectif était de réunir des chercheur.se.s et des syndicalistes (CGT, Solidaires et FSU) dans deux tables rondes, pour débattre de la situation du syndicalisme à la lumière du passé récent, afin de réfléchir à des perspectives. Après le mouvement des Gilets jaunes, celui, exceptionnel, sur les « retraites », battait son plein. Tout le monde était fin-prêt pour le 1er avril 2020…, quand le confinement lié à la pandémie nous contraignit à le reporter, sine die. Mais nous n’avons pas abandonné le projet pour autant. Nous avons alors sollicité celles et ceux qui devaient intervenir dans ce colloque pour le remettre en perspective, en tenant naturellement compte des tout derniers bouleversements, en particulier les effets économiques, sociaux et environnementaux de la crise, mis en lumière par la pandémie. C’est l’objectif de ce numéro spécial de Regards Croisés...« 1PJ0R6P4a-OW-5jl4f3VBby_lvAvPasKKqxCc4IVXRqZNg-gXDne_hvdR0fSF7252EJ7MA=s85
  • Paul Devin, président de l’Institut de recherches de la FSU : « …Du fait de sa volonté de transformation sociale, le syndicalisme ne peut se soustraire de la lutte contre cette idéologie dominante dont on sait qu’elle est l’instrument de la domination matérielle et symbolique. Mais pour y parvenir, le syndicalisme d’aujourd’hui doit accepter d’interroger ses propres représentations sur le travail, la production, la consommation. Nous devons réussir à construire et à partager des perspectives qui n’opposent plus emploi et environnement, qui sont capables d’une dialectique assumant à la fois la revendication d’une plus grande égalité de revenus et la rupture avec les modes actuels de consommation, qui interrogent la réalité démocratique de nos organisations sans mépris démagogique, ni idéalité naïve. Tout cela demande à ce que nous soyons entendus par l’ensemble des travailleurs. Il nous faudra cesser les inutiles querelles et retrouver la détermination à agir pour mettre fin à la division syndicale et construire des convergences avec le militantisme associatif, conditions des rapports de force nécessaires et de la massification des mobilisations. D’évidence, l’Institut de recherches de la FSU a fait le choix de ces engagements. En septembre 2019, il publiait «N’attendons pas la fin du monde », véritable plaidoyer pour un syndicalisme intégral, capable de prendre en compte la réalité des mouvements sociaux, sans démagogie et avec exigence, mais dans une véritable volonté de «réunir les forces qui travaillent à l’invention d’un nouvel avenir possible ». En juin 2020, l’IR-FSU publie un numéro spécial pour suppléer au colloque prévu suite à la parution du tome II de l’Histoire de la FSU que la pandémie a contraint à reporter sine die. Et ces perspectives d’interrogations sont présentes dans tous les chantiers de recherche de notre institut… »
  • Christophe Aguiton  : « À l ‘évidence la crise sanitaire actuelle est un point de bascule. Un de ces moments de l’histoire des sociétés humaines où se rouvre largement le champ des possibles, et où toutes les certitudes peuvent et doivent être questionnées. Une catastrophe qui peut apparaître comme imprévisible, mais qui, comme la crise financière de 2007-2008 dont l’origine venait d’une mesure a priori progressiste de Bill Clinton – permettre aux plus pauvres d’acquérir leur habitation –, révèle toutes les fragilités de la mondialisation néolibérale et des relations entre humanité et nature. Nous savons tous, aujourd’hui, que la multiplication ces dernières décennies des virus pathogènes pour les humains, du VIH au Covid-19 en passant par Ebola, le SRAS ou H1N1, tient avant tout à la pression des populations humaines sur les milieux naturels surexploités et aux contacts répétés, dus à cette pression, entre animaux sauvages et humains. Mais si vous élargissez un peu le point de vue, il est évident que les menaces sur la nature, et donc l’humanité, se sont considérablement accrues dans la période récente. En addition aux risques épidémiques, le réchauffement climatique qui s’accélère et dont on voit bien qu’aucun gouvernement ne s’est doté des mesures nécessaires pour y remédier, ou l’effondrement de la biodiversité, vont générer d’autres crises majeures: que l’on pense aux centaines de millions de réfugiés climatiques victimes de sécheresse ou d’inondations ou à la disparition d’insectes pollinisateurs indispensables à l’agriculture humaine… »
  • Bernard Thibault :« …L’ Organisation Internationale du Travail ( O I T ) , a g e n c e  s p é c i a l i s é e  d e s N a t i o n s U n i e s , c h a r g é e  d e « p r o m o u v o i r  l a  j u s t i c e  s o c i a l e »,  e s t  u n  o b s e r v a t o i r e  à  l ’ e x p e r t i s e  i n é g a l é e  p o u r  a n a l y s e r  l e s   é v o l u t i o n s  e n c o u r s . S e s  p r e m i è r e s  o b s e r v a t i o n s  s o n t  alarmantes. A la mi-avril près de 7 % des heures de travail auront disparu au second tri- mestre 2020, soit l’équivalent de 195 mil- lions d’équivalents temps plein, 81 % des personnes sont affectées par la fer- meture partielle ou totale des lieux de travail en lien avec les mesures de confi- nement, 1,25 milliard de personnes cou- rent un risque élevé de licenciement ou de réduction de salaire. Cela conduit l’OIT à qualifier cette période de « crise mondiale la plus grave depuis la seconde guerre mondiale » Si le virus ne semble faire aucune dist i n c t i o n d e s e s c i b l e s e n fo n c t i o n d e s o r i g i n e s , d e l a c o u l e u r  d e p e a u  o u  d e s c o n fe s s i o n s  d e s u n s  e t  d e s a u t r e s , fo r c e  e s t  d e  c o n s t a t e r , u n e fo i s  d e p l u s , q u e  t o u t  l e  m o n d e  n ’ e s t  p a s  l o g é  à  l a  m ê m e  e n s e i g n e  p o u r  y fa i r e  fa c e . A uj o u r d ’ h u i  5 5 % d e l a p o p u l a t i o n  m o n d i a l e , s o i t  e n v i r o n  4 m i l l i a r d s  d e  p e r s o n n e s  n e  b é n é fi c i e n t  d ’ a u c u n e  fo r m e  d e  p r o t e c t i o n  s o c i a l e  e t  b e a u c o u p  d e  p a y s  s ’ a p p u i e n t  s u r  d e s  m é c a n i s m e s  d ’ a s s u r a n c e  p r i v é e ( a c c e s s i b l e s  à  u n e  m i n o r i t é ) c o m m e  a l t e r n a t i v e  à  l ’ a b s e n c e  d e  s y s t è m e  p u b l i c . 4 0 %  n e  d i s p o s e n t  d ’ a u c u n e  a s s u r a n c e  m a l a d i e  e t  d ’ a c c è s  a u  s e r v i c e  d e  s a n t é , l e s  c o n d a m n a n t  a i n s i  à  r e s t e r  a u  t r a v a i l  q u e l l e s  q u ’ e n  s o i e n t  l e s  c o n s é q u e n c e s  p o u r  l e u r  p r o p r e  v i e  e t  c e l l e s  d e s  a u t r e s…[…]. L e  p h é n o m è n e  p e u t  s ’ a m p l i fi e r  e n c o r e  s i  r i e n  n e  d e v a i t  c h a n g e r . A  t i t r e  d ’ e x e m p l e  e n  I n d e , o ù  9 0 %  d e  l ’ e m p l o i  e s t  i n fo r m e l , c e  s o n t  4 0 0  m i l l i o n s  d e  t r a v a i l l e u r s  q u i  r i s q u e n t  d e  s ’ e n fo n c e r  d a n s  l a  p a u v r e t é  d u r a n t  l a  c r i s e !« 
  • Sophie Béroud, Jean-Marie Pernot : « …Une colère sociale maintenue Au moment où survient la pandémie de Covid-19, plusieurs mouvements sociaux s’étaient relayés depuis 2018 culminant dans la mobilisation contre le projet de réformes des retraites: le mouvement des gilets jaunes, les grèves dans les EPHAD puis dans l’ensemble du système de santé montraient déjà certaines fractures sociales bien connues. Sans revenir sur les détails de cette période, les mouvements sociaux qui traversaient le pays depuis plusieurs mois évoquaient ce que de nombreux commentateurs ont appelé des «colères sociales». Ces colères qui se sont parfois exprimées en dehors de cadres collectifs déjà éprouvés – comme celle des gilets jaunes – ont connu leur acmé dans le mouvement contre les retraites, mouvement fort, discontinu dans ses formes et très divers par l’étendue des groupes mobilisés…[…]. O r , c o m m e  o n  l ’ a  r a p p e l é , i l e x i s t e  p l u s  q u ’ u n  h i a t u s  e n t r e  c e  m o u v e m e n t  s o c i a l  d e  t r è s  h a u t  n i v e a u  e t  l ’ é t a t  d u  m o u v e m e n t  s yn d i c a l , fr a g m e n t é  e t  à  l a  p e i n e  p o u r  o r g a n i s e r  v é ri t ab l e m e n t l ’ e n s e mb l e  d u  g r o u p e  s o c i a l  q u ’ i l  e n t e n d  r e p r é s e n t e r . E n  m ê m e  t e m p s , c e  m o u v e m e n t  s yn d i c a l  a  g a gn é  d e s  fo r c e s  d a n s  l e  l o n g  c o m b a t  c o n t r e  l a  r é fo r m e  d e s  r e t r a i t e s  e t  n ’ a  fi n a l e m e n t  p a s  s u b i  d e  d é fa i t e , a l o r s  m ê m e q u e  l e  r e c o u r s  a u  4 9 . 3  a n n o n ç a i t  u n  p a s s a g e  e n  fo r c e  d é v a s t a t e u r  d u  g o u v e r n e m e n t . D a n s  l a  c o n figu r a t i o n a c t u e l l e  a v e c  d e s  p a r t i s  p o l i t i q u e s  p r o g r e s s i s t e s  p r o fo n d é m e n t  a ffa i b l i s  e t  u n  m o u v e m e n t  a s s o c i a t i f  mu l t i fo rm e , i l  r e vi e n t  a u  s yn d i c a l i s m e  u n e  p a r t  d e  l a  r e s p o n s a b i l i t é  « d ’ i n t e l l e c t u e l c o l l e c t i f » , c ‘ e s t – à – d i r e  u n e  a p t i t u d e  à  p r o p o s e r  u n e  r e p r é s e n t a t i o n  d e  l a  s i t u a t i o n , d e  s e s  c a u s e s  e t  d e s  v o i e s  p o s s i b l e s  p o u r  l a  t r a n s fo r m e r … »
  • Alain Dalançon-Josiane Dragoni-Jean-Michel Drevon :« …Des pistes en débat- Faut-il refonder le syndicalisme ? Nul doute qu’il ait en tout cas besoin de se remettre en question, pour inventer les chemins de l’émancipation en ce XXIe siècle. À partir du réel, à partir du travail de tous les professionnels. En mettant au premier plan l’utilité sociale et écologique du travail, qui a été mise en lumière lors de la pandémie…[…]. Dans cette optique, les structures syndicales ne sont pas un sujet à traiter en dernier lieu, comme s’il découlait naturellement des pratiques démocratiques. C’est de l’outil collectif dont il est question. Unification, auto-organisation et autogestion, prééminence de la structuration horizontale ou verticale : ces sujets ont constamment occupé une place importante dans les débats syndicaux. Ne pas laisser aux seuls partis politiques le soin de définir le projet politique ne signifie nullement en revenir à l’anarchosyndicalisme repeint aux couleurs d’aujourd’hui. Il est temps de sortir de la fragmentation, de l’autonomie par défaut et de l’indécision entre organisations d’accord sur l’essentiel. Ce qui implique l’abandon d’un certain patriotisme des syndicats, des convergences avec d’autres formes d’organisation, allant de pair avec une ouverture aux problématiques nouvelles de la démocratie du genre, de l’accueil des migrants, de l’aide aux pays pauvres — qui ne peut se réduire à la suspension de leur dette –, de l’écologie, question centrale qui déborde la préservation de la nature et nécessite d’autres modes de production et de consommation. Dans ces domaines, dès le début du siècle, certains syndicats, dont la FSU, avaient participé à la recherche tâtonnante d’alternatives pour l’émergence d’un monde différent. « Prémices prometteuses » écrivions-nous. Mobiliser les intelligences et les forces vives du syndicalisme, des associations, des collectifs citoyens pour construire, au niveau national, européen et mondial, non pas une pseudo «convergence» mais des alternatives mobilisatrices et porteuses d’avenir: voilà l’ordre du jour et l’enjeu. Ce qui demandera certainement patience et opiniâtreté. Lucien Sève disait en 2018 peu avant sa mort: «La tâche qui domine est l’invention concrète d’un post-capitalisme, énorme tâche qui ne s’accomplira pas d’un coup comme en rêvait la révolution à l’ancienne, mais au contraire par enchaînement cohérent de réformes révolutionnaires. Chaque collectif qui travaille en ce sens est dans le vrai, mais à condition impérative de mettre son objectif particulier à la hauteur de la visée transformatrice générale. » Et pour cela, nous avons besoin d’une utopie nouvelle, libératrice et mobilisatrice car « l’avenir a lui aussi son histoire qui reste à rêver et à inventer » (L. Bantigny)« .
  • Maryse Dumas : « …L’unité pour que le monde du travail se constitue en force d’émancipationSolidarité, interdépendance, valeurs collectives auront été au cœur des prises de conscience de la période. Elles sont à la base des préoccupations qui ont conduit, il y a 125 ans, à la création de la première des confédérations en France, la CGT. Depuis, de nouvelles organisations n’ont pas cessé de se créer, aucune ne s’est dissoute. Chacune revendique son identité et la légitimité de son existence. La concurrence entre syndicats est plus souvent la règle que la coopération. Or, avec une offre incroyablement large en termes de diversité et de nombre d’organisations syndicales, le taux global de syndicalisation ne progresse pas, au contraire. Jusqu’aux années 70, la CGT se fixait l’objectif de l’unification syndicale. Puis elle a pris acte de la réalité durable de l’existence de plusieurs organisations syndicales. Pour construire les rapports de forces les plus favorables possibles aux salariés, la CGT a donc recherché l’unité d’action. À partir des années 90, refusant de se situer dans la constitution de deux blocs syndicaux, l’un dit réformiste, l’autre dit contestataire que prônait la CFDT, elle a défini sa stratégie en termes de «syndicalisme rassemblé». Écartant toute hégémonie d’un syndicat sur les autres, elle a mis en œuvre une démarche visant à ce que tous les syndicats en accord à un moment donné sur une ou des revendications puissent agir ensemble sur cellesci, même s’ils avaient de profondes divergences par ailleurs. C’est cette démarche qui a conduit, par exemple, aux grandes mobilisations rassemblant tous les syndicats de salariés, d’étudiants et lycéens, en 2006 sur le CPE, ou en 2009 sur la crise financière à l’appui d’une plate-forme d’issue à la crise commune à tous. Qu’on le veuille ou non, chaque organisation syndicale a des zones spécifiques d’influence dans le salariat, quelquefois elles se recoupent selon les organisations, quelquefois non. Rassembler tous les syndicats sur des objectifs communs c’est donc aussi se mettre en conditions de rassembler la plus grande partie du salariat. D’autant que l’unité crée une dynamique qui dépasse la simple addition des forces de chacune des organisations. Il ne s’agit pas de rêver l’absence de divergences, pour parvenir à agir ensemble, il s’agit de se mettre en capacité de les dépasser à partir des mobilisations des salariés. Car une réalité s’impose : si, dans l’histoire, les moments d’unité d’action ont été plus rares et plus brefs que les temps de division, ce sont les premiers qui ont nourri les grands mouvements sociaux et les conquêtes sociales qui en ont découlé. L’unité d’action malgré les divergences reste un défi majeur pour permettre au monde du travail de se constituer en force de contestation et d’émancipation.« 
  • Baptiste Talbot, Jean-Marc Canon, Christophe Delecourt : « …Enfin, mais c’est loin d’être le moins important, notre démarche syndicale et nos relations unitaires doivent faire l’objet de modifications significatives. Si nous ne prenons pas nos responsabilités, si nous ne savons pas insuffler un vent nouveau, très vite une inertie certaine fera son retour et nous reproduirons, à quelques nuances près, ce qui était notre lot quotidien depuis longtemps. Bien sûr, le syndicalisme de propositions et de luttes auquel la FSU et la CGT – et d’autres – sont attachées peut se maintenir des années. Mais, est-ce la perspective que nous devons tracer? Devons-nous nous contenter de prolonger – un peu mieux, un peu plus mal, peu importe – les schémas qui sont les nôtres depuis des lustres? Pour notre part, nous répondons clairement par la négative. Nous avons l’intime conviction que nos pratiques unitaires doivent être questionnées pour les améliorer et leur donner un cadre pérenne. Et nous estimons que l’heure est aussi à poser concrètement le débat de l’unification syndicale en impulsant les initiatives, reliées à notre nouveau projet syndical, qui permettent d’envisager l’émergence d’une force syndicale nouvelle, de transformation sociale, à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain. Pour tout cela, nous sommes disponibles et mobilisés.« 
  • Annick Coupé, Verveine Angeli: « Le mouvement des Gilets jaunes, malgré ses contradictions, a mis dans le débat public des questions qui étaient à l’agenda syndical depuis des années: justice sociale, fiscale, écologique, revendications concernant les politiques gouvernementales, etc. Un fort ressort en France sur les questions sociales mais qui s’est exprimé là en dehors des syndicats. Les syndicats n’ont pas été les acteurs majeurs de ce mouvement. Les raisons sont diverses. Conséquence d’un rapport de forces dégradé, les politiques néolibérales et les très nombreuses restructurations ont touché le travail, les entreprises, le marché du travail. Le développement effréné de la sous-traitance et la multiplication de statuts différents parmi les personnes travaillant dans un même lieu ont mis tous les syndicats en difficulté. Les Gilets jaunes ont révélé cet émiettement…[…].Au-delà de ces réalités, il y a une responsabilité propre des organisations syndicales. Toutes les organisations ont des formes de conservatisme. Même pour un syndicat comme Solidaires, ouvert sur les mouvements sociaux et qui n’a pas la culture du syndicat dominant, adapter ses méthodes, sa stratégie est quelque chose de difficile. Ainsi, si Solidaires a été le seul syndicat à reconnaître nationalement les Gilets jaunes comme mouvement social et à appeler à y participer, dans les faits, la participation est restée celle de militant.e.s souvent présents à titre individuel sur les ronds-points, voire dans les manifestations… Il y a donc une certaine inadaptation des structures syndicales à toutes ces nouvelles situations, ce que révèlent fortement les difficultés de prise en charge syndicale liées à la pandémie actuelle.« 
  • Benoît Teste: « …[Mais] on aurait tort d’opposer horizontalité et verticalité. Bien sûr qu’il faut travailler les deux, c’est-à-dire d’un côté la capacité de nos organisations à être de véritables creusets des débats partant des besoins de terrain et de l’autre la capacité à jouer tout notre rôle d’intermédiaire, assumer un aspect institutionnel au sens de l’inscription pérenne et reconnue de nos combats syndicaux. Dans les deux cas, l’enjeu principal, c’est de pratiquer un syndicalisme de masse, Donc il faut rassembler, permettre à chacun·e de sentir qu’il ou elle peut s’exprimer, proposer des idées, faire valoir ses propositions. Les syndicats sont une force collective en prise avec les réalités: ce sont eux qui, par exemple, alertent sur les carences de l’hôpital ou, en temps de crise, sur les protections nécessaires pour les salarié.e.s, ou encore sur la nécessité de prendre en charge les plus démunis. Mais les syndicats sont, en effet, trop faibles pour exercer pleinement ce rôle de « contre-pouvoir ». Pour les renforcer, il faudra relancer une dynamique qui trouve les voies d’une unité plus grande et pérenne de nos organisations. »
  • Bernadette Groison : « …A la sortie de cette crise sanitaire, le syndicalisme doit prendre la main et offrir des pistes de travail, d’initiatives larges pour construire des perspectives qui permettent de croire qu’il est possible de faire autrement que ce que proposent l’austérité et le libéralisme. Sans ces horizons nouveaux, possibles et atteignables, nous n’arriverons pas à mobiliser les forces nécessaires pour changer la donne. Beaucoup de salarié·es, d’agent·es sont en attente de telles perspectives pour participer à ce changement de paradigme. Alors, soyons offensifs, recherchons l’unité syndicale la plus large, allons à la rencontre des salarié·es pour mener avec eux ces débats et ce travail sur les changements à opérer, aussi dans le monde du travail, interrogeons les politiques, continuons notre travail avec le mouvement social… Ce sont là des perspectives passionnantes, porteuses et rassembleuses pour le syndicalisme !« .
  • Gérard Aschieri : « …Et bien sûr cela renvoie à ce qui est un des éléments constitutifs de la FSU, le souci d’être partie prenante du mouvement social que j’évoquais dans ma précédente réponse. Dans ce cadre se pose aussi la question du rapport aux organisations politiques: celui-ci est source de beaucoup de méfiance d’autant que lorsqu’on interroge les salariés sur le syndicalisme un des reproches qui vient est celui de la politisation des syndicats; et inversement la tentation de nombre de politiques peut être d’instrumentaliser le syndicalisme voire de le remplacer. Quand j’entends un dirigeant politique appeler les salariés à se concerter pour définir ensemble les conditions sanitaires de la reprise du travail sans même mentionner les syndicats je ne peux que m’inquiéter. Pourtant je pense qu’il serait dangereux d’ignorer les organisations politiques et de refuser de travailler avec elles mais à une double condition: d’une part, le respect réciproque de l’indépendance et de la spécificité des uns et des autres et d’autre part, la transparence. »
  • Christian Laval et Francis Vergne : « …Dépasser la coupure mortifère entre syndicalisme et politique– De tels moments créatifs ont déjà eu lieu dans l’histoire syndicale, même s’ils ont été rares et éphémères. La référence la plus éclairante à cet égard est peut-être celle du mouvement des bourses du travail à la fin du XIXe siècle, conçues pour « former, instruire et distraire » et donc répondre à l’ensemble des besoins et des demandes de la population ouvrière, dont son éducation professionnelle et socialiste. Il s’agissait, pour reprendre les expressions de Fernand Pelloutier, «d’éduquer pour révolter » et de «donner aux ouvriers la science de leurs malheurs », soit en somme les moyens de comprendre le monde qui les entoure et de concevoir une autre société. On pourrait aussi évoquer la tentative dans les années 30 de la CGT de s’emparer d’un certain nombre d’idées du courant planiste pour en faire un socle de propositions de transformation économique. Plus près de nous, on se souvient encore du moment autogestionnaire de la CFDT de l’après 68, et de la lutte emblématique de Lip en 1973: « on fabrique, on vend, on se paie »… et ça marche ! Ce syndicalisme n’hésitait pas à formuler un projet socialiste d’ensemble appuyé sur trois piliers: la propriété sociale des moyens de production (ni privée, ni d’État), la planification démocratique et l’autogestion de l’entreprise comme de la société. La question centrale au fond n’est-elle pas celle de la déconstruction du cloisonnement entre le social, l’associatif et le politique ? Cette séparation est un produit de l’histoire, elle n’existait pas au début du mouvement ouvrier. A-t-elle encore le même sens et la même pertinence qu’au début ou au milieu du XXe siècle, alors que nous vivons une crise générale de la représentation politique ? Un syndicalisme intégral, transversal et unificateur Ce que nous appelons syndicalisme intégral, c’est d’abord une alternative au syndicalisme intégré, celui qui se laisse dicter l’autolimitation de ses interventions et l’agenda de ses actions par la société néolibérale. Il est transversal au sens où rien de ce qui concerne les conditions, l’organisation et les finalités du travail et de la vie ne lui est indifférent. Il est unificateur au sens où il entend rassembler le salariat aujourd’hui éclaté et désorienté, et autour de lui, toute la population dominée. En fédérant les expériences de lutte, en articulant toutes les raisons de se battre, en montrant toutes les interdépendances entre les formes de domination et de destruction de la société et de la nature, il commencera de dessiner même de façon imparfaite et embryonnaire un «déjà-là » post-capitaliste. C’est le défi que lance le néolibéralisme au syndicalisme. Ce dernier sera-t-il capable de s’emparer de cet enjeu? « .

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