Table ronde sur les services publics dans l’Humanité

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Nous reproduisons ci-dessous la table ronde sur les services publics parue dans l’Humanité du 25 janvier, et qui réunissait Annick Coupé, secrétaire générale d’Attac, ancienne secrétaire générale de Solidaires, Baptiste Talbot, secrétaire général de la fédération CGT des services publics et Gérard Aschieri, membre de la délégation FSU au Conseil économique, social et environnemental (Cese).

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Table ronde. Comment développer les services publics ?

Vendredi, 25 Janvier, 2019

Alors que les mouvements sociaux et les enquêtes d’opinion les plébiscitent et que des mobilisations locales soulignent la nécessité de leur présence de proximité, ils sont malmenés par les politiques austéritaires. Avec Annick Coupé, secrétaire générale d’Attac, ancienne secrétaire générale de Solidaires, Baptiste Talbot, secrétaire général de la fédération CGT des services publics et Gérard Aschieri, membre de la délégation FSU au Conseil économique, social et environnemental (Cese).

Dans sa « Lettre aux Français », Emmanuel Macron pose la question : « Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? » Comment réagissez-vous à ces propos ?

Paris - Le 11 avril 2015 - ANNICK COUPE - Réunion Parisienne des Chantiers de l'Espoir, réunion de militants de gauche qui se fixent comme objectif de travailler à la construction d'une alternative et de perspectives politiques communes et d'inventer de nouvelles façons de faire de la politique .- Photo Patrick NussbaumAnnick Coupé Cette question montre bien qu’Emmanuel Macron biaise d’entrée le grand débat. Alors que la question des services publics est centrale dans ce qui s’exprime dans le mouvement des gilets jaunes, il pose comme hypothèse la vision libérale qui prévaut depuis les années 1990 sur les services publics : dépassés, pas rentables, pas utiles… C’est cette vision qui a été le prétexte à un affaiblissement considérable des services publics, voire de leur disparition dans certains territoires ou quartiers. Rappelons que le « chantier de modernisation des services publics » a été lancé par Michel Rocard, alors premier ministre de François Mitterrand, en 1988 : l’argument était déjà que ceux-ci n’étaient plus en adéquation avec la société contemporaine. Le premier de ces chantiers a été la fin du service public des PTT, le changement de statut des personnels, la privatisation de France Télécom (devenue une multinationale cotée au CAC 40 et dont la priorité est le niveau des dividendes versé aux actionnaires), la fermeture de bureaux ou agences postales, la multiplication de services payants qui étaient gratuits auparavant. Le dernier « chantier » en date est celui de la SNCF au printemps dernier, avec exactement les mêmes arguments et les mêmes mécanismes qu’il y a trente ans.

Baptiste Talbot, Secretaire general de la federation CGT des Services publics ©Arthur HERVE/REABaptiste Talbot Dans sa lettre, Macron continue d’inscrire sa vision des services publics dans une visée de baisse de la dépense publique. Cette façon de poser les termes du débat revient à le clore avant de l’avoir ouvert et confirme notre appréciation quant au caractère factice de ce processus. Alors que les services publics sont en difficulté pour répondre à des besoins sociaux en constante croissance compte tenu notamment de l’augmentation de la population, le gouvernement prétend que l’on pourrait faire mieux avec moins. C’est tout simplement absurde ! Il ne faut pas compter sur la CGT pour entrer dans un débat qui consisterait à déterminer quels sont les services publics dont on pourrait aujourd’hui se passer. Si les conditions d’exercice du service public doivent bien entendu évoluer en fonction des besoins de la population, nous considérons que la maîtrise publique des missions actuelles doit être maintenue, compte tenu de l’échec patent des expériences de privatisation, tant pour les usagers que pour les agents et pour le contribuable. La véritable question est donc à nos yeux : quelles sont les missions ayant vocation à entrer ou à revenir dans le giron public ? La renationalisation des autoroutes, par exemple, serait une décision forte et moderne, démontrant que des messages essentiels ont enfin été entendus.

Gérard Aschieri Au lieu de débattre des enjeux d’avenir, il nous joue les médecins de Molière qui ajoutaient la purge à la saignée ! Certes, dans un second temps vient la question de la création de nouveaux services, mais, en demandant quels financements nouveaux dégager, il enferme ainsi le questionnement dans une alternative : soit plus d’impôts, soit moins de services publics. Ce faisant, il esquive bien sûr la question de la justice fiscale et celle de la lutte contre l’évitement fiscal, mais aussi il pose a priori que les services publics sont une dépense, sans jamais s’interroger sur ce qu’ils peuvent apporter en termes de cohésion sociale, d’accès aux droits, d’emploi, de lutte contre le réchauffement climatique, mais également de développement économique, ni même sur ce que coûte leur absence. Les dizaines de milliards concédés aux entreprises par le Cice seraient un investissement pour l’emploi et la compétitivité, mais mettre des moyens dans l’éducation, la recherche, la santé, les transports publics… ne serait que des dépenses ? Comment prétendre faire face aux défis actuels et futurs en sacrifiant les services publics ?

Depuis plus de trois décennies, les nombreuses mobilisations locales et nationales autour de la défense et de la promotion des services publics n’ont pas été prises en compte par les gouvernements successifs. Pourquoi, selon vous ?

Gérard Aschieri Ces mobilisations n’ont pas toujours été vaines ; elles ont remporté des victoires tantôt locales, tantôt sectorielles. Et les Français, de sondage en sondage, manifestent majoritairement leur attachement et leur confiance dans leurs services publics. C’est d’ailleurs à cette réalité que se heurtent ceux qui prétendent par exemple supprimer en masse des emplois publics. Si on regarde sur la durée, on verra que l’emploi public est encore massivement présent dans notre pays ; cela même si les coupes successives ont fragilisé sensiblement les services publics et pénalisent d’abord les usagers qui en ont le plus besoin. Cependant, ces mobilisations ont été régulièrement confrontées au même a priori : la seule façon de réduire les déficits serait de limiter les coûts des services publics. On perçoit le poids d’une idéologie néolibérale que la plupart des nos élites se refusent à remettre en cause, alors que les conséquences sur nos vies, sur notre société ou sur notre environnement en sont dramatiques. Ce refus est renforcé par les fameux critères de convergence, instaurés à la mise en place de l’euro, dont n’interroge que rarement la pertinence en dépit du contexte et des conséquences désastreuses qu’ils peuvent avoir. Et, au-delà des questions financières, cette idéologie postule que la concurrence et les lois du marché doivent être la règle et les services publics des exceptions : comme si la « concurrence libre et non faussée » pouvait assurer la cohésion territoriale, faire reculer les inégalités, ou garantir la transition environnementale… bref prendre en charge l’intérêt général !

Annick Coupé Le choix fait, dans la continuité, par les gouvernements successifs a été dicté par un « totem » : celui de baisser les dépenses publiques à tout prix et quelles qu’en soient les conséquences. Ce choix était dicté par la volonté de baisser les impôts payés par les entreprises, et notamment par les plus grandes, et par les personnes les plus riches. Si moins d’argent rentre dans les caisses de l’État, il faut bien baisser les dépenses publiques ! L’instrumentalisation du « poids de la dette » a été un argument central, en oubliant de dire pourquoi la dette s’était creusée, le rôle des marchés financiers ou le choix fait d’interdire aux banques centrales de financer l’économie… Les cadeaux faits aux entreprises, là aussi aux plus grosses (comme la baisse des cotisations sociales, le Cice, etc.), sans aucune contrepartie en matière d’emploi, pèsent aussi sur les finances publiques. Autre élément : les attaques portées sur les services publics de réseau (poste, télécoms, énergie, transports, etc.) se sont traduites par des logiques de privatisation et d’ouverture à la concurrence, qui ont permis à des entreprises privées de s’installer sur les secteurs rentables et de recréer des quasi-monopoles mais privés, dont les bénéfices vont dans les poches des actionnaires et non plus dans les recettes publiques. Rappelons qu’un des principes fondateurs des services publics était la notion de « péréquation » : ce qui pouvait être rentable servait à financer les services qui ne pouvaient être rentables…

Baptiste Talbot Les nombreuses mobilisations menées pour les services publics n’ont certes pas permis de faire évoluer les orientations politiques des gouvernements successifs. Pour autant, elles ont contribué à préserver une partie des services publics de proximité. Une des forces du camp libéral est d’avoir réussi à diffuser largement l’idée qu’il n’y aurait pas de politique alternative possible. C’est notamment pour cela que les forces du capital ont tant pesé pour étouffer l’expérience de rupture du gouvernement Syriza en Grèce. Il n’en reste pas moins que, sur le temps long, la part des richesses consacrées à l’intérêt général a augmenté dans des proportions considérables. En dépit des coups subis, la place de la protection sociale, de l’emploi public et des services publics est aujourd’hui encore sans commune mesure avec ce que représentaient la puissance publique et les outils de solidarité collective il y a un siècle. Cela dit aussi combien la socialisation des richesses produites correspond à un besoin profond. Cette ambition du service public et des garanties collectives doit être au cœur de la construction d’alternatives de progrès, rassembleuses, offensives, de nature à mobiliser largement, tant dans les luttes qu’au plan électoral. Construire un tel horizon de progrès est une nécessité pour arrêter Macron et ses semblables.

Le sujet est revenu en force avec le mouvement des gilets jaunes, ou encore de façon tragique lors de la prise en charge de certains patients par les urgences hospitalières ou les hôpitaux de proximité. Comment faire aujourd’hui pour développer les services publics qui paraissent si nécessaires pour répondre aux besoins ?

Annick Coupé Si ce sujet est revenu en force avec le mouvement des gilets jaunes, c’est parce que cela touche à la vie quotidienne des gens, et en particulier pour les personnes les plus en difficulté. Cela prouve que ce que les mouvements sociaux (syndicats, associations, collectifs…) disent depuis longtemps est confirmé : les services publics sont un élément d’égalité décisif pour l’accès aux droits, quel que soit le lieu où on habite ou sa situation sociale. Il faut aujourd’hui refonder les services publics pour les rendre accessibles à toutes et tous. Il faut en finir avec une informatisation et une déshumanisation des démarches qui excluent les plus fragiles. Un nouveau pacte doit être construit qui pose la question des moyens, de la présence sur tous les territoires, qui parte des besoins des populations, de la qualité des emplois publics (statut, formation…) et qui intègre l’enjeu de la nécessaire transition climatique. Cela suppose de réorienter les choix politiques en matière de justice fiscale et d’aller chercher l’argent là où il se trouve.

Gérard Aschieri D’abord mener le débat d’idées sur les enjeux pour notre avenir, l’apport des services publics, et les choix budgétaires. Ensuite impulser une politique ambitieuse en termes de justice fiscale : par exemple, le Cese a rappelé que l’évitement fiscal était évalué entre 60 et 80 milliards, plus que le budget de l’éducation nationale. Certes, ce n’est pas un trésor caché qu’il suffirait de trouver, mais une politique résolue permettrait d’en récupérer une part de plus en plus grande que l’on pourrait réinvestir dans l’intérêt général. Et mener la bataille au plan européen : partout existent des formes de services publics largement présentes ; en témoignent les comparaisons internationales sur la proportion d’emplois publics dans chaque pays. Il faut construire des convergences à la fois pour défendre ces services publics et pour faire évoluer les politiques européennes en ce domaine. Enfin, je pense essentiel d’articuler la défense et l’amélioration des services publics avec une bataille pour leur démocratisation, c’est-à-dire l’association des agents et des usagers à la définition des besoins, mais aussi de la façon d’y répondre.

Baptiste Talbot Les batailles pour les services publics ont aussi alimenté la bataille idéologique. Une des principales difficultés du gouvernement, c’est qu’il est minoritaire dans l’opinion quant au bien-fondé de son projet de réduction drastique du périmètre d’action des services publics. Nous avons par contre encore un important travail de conviction à mener pour démontrer que des services publics forts sont finançables, sont bénéfiques pour l’économie et que la crise des finances publiques est une crise de la recette et non de la dépense. Le discours dominant continue de véhiculer l’idée que la dépense publique serait devenue un luxe. Mais on voit avec le mouvement des gilets jaunes que les politiques de réduction de la participation du capital aux dépenses socialement utiles sont de plus en plus contestées. Il s’agit là d’une évolution importante, qu’il convient de saluer et d’encourager, notamment en construisant les convergences de revendications et d’action avec les gilets jaunes.

Entretiens croisés réalisés par Pierre Chaillan
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