Un choc de syndicalisation !

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Nous publions la version intégrale d’une tribune libre parue dans Libération du lundi 6 janvier 2014. Elle est signée Gérard Billon et Patrick Brody, en charge de la syndicalisation à la CGT.

IL FAUT UN CHOC DE SYNDICALISATION !

 

Alerte rouge ! Des salariés qui manifestent avec leurs patrons, d’autres qui reprochent aux syndicats de les empêcher de travailler le dimanche, une montée du vote ouvrier en faveur du Front National, etc… nombreux sont les éléments dans la période actuelle qui montrent qu’une frange grandissante du salariat considère que le syndicalisme n’est pas en capacité de leur apporter du mieux dans leur vie présente et à venir. On pourrait se tranquilliser en se disant que les syndicats gardent une image positive dans l’opinion, que les salariés ont plus confiance dans les syndicats que dans les partis politiques et les instances patronales mais force est de constater que pour la grande majorité d’entre eux, la question de s’y impliquer ne se pose pas. En effet, même si la désyndicalisation s’est arrêtée dans les années 90 et qu’il y a depuis une quasi stabilisation des effectifs syndiqués, nous sommes dans une situation de sous syndicalisation pérenne qui entraine des reculs non seulement sur le niveau et le contenu des luttes sociales, mais aussi sur les valeurs d’unité, de solidarité, d’émancipation, de démocratie, que porte le syndicalisme et qui ont jusqu’ici irrigué la société française.

Dans le même temps, tout en versant des larmes de crocodile sur le faible taux de syndicalisation dans notre pays, le MEDEF et les forces politiques favorables au libéralisme économique, qu’elles soient de droite ou de gauche, agissent pour instaurer dans les faits un syndicalisme institutionnalisé, intervenant non plus dans un rapport de représentation du salariat, mais dans une logique de corps intermédiaire chargé de la gestion des risques sociaux. Dans la poursuite de son action de longue date, en échec jusqu’à présent, de favoriser un pôle réformiste majoritaire dans le syndicalisme français, le patronat aidé par les gouvernements successifs, est engagé depuis plusieurs années dans une bataille pour éliminer le syndicalisme d’adhérents  au profit de syndicats-institutions tenant leur légitimité d’un vote de représentativité qui apparaît à juste titre tellement flou dans ses finalités, en particulier à toutes celles et ceux qui n’ont pas de syndicat dans leur entreprise, qu’ils n’y participent pas. Et d’ailleurs  ils auront encore moins l’occasion d’y participer puisque le gouvernement envisage ni plus ni moins que la suppression des élections prud’homales, faisant ainsi un nouveau pas dans l’éloignement entre les mandatés syndicaux et celles et ceux qu’ils sont censés représenter.

Ainsi, le patronat et les pouvoirs publics, en maniant à la fois répression et multiplication de structures de consultations et dialogue en tout genre sur leurs objectifs au mépris de véritables négociations, parviennent à ce que la représentation et la capacité d’action des syndicats soient remises en cause par les salariés eux-mêmes. Et comment peut-il en être autrement quand le syndicalisme est absent de secteurs entiers du salariat, comme les PME et TPE, ou se concentre un grand nombre d’ouvriers, de jeunes, de femmes, qui sont souvent les plus précarisés ?

Comment peut-il en être autrement quand la plupart des syndicats comptent au plus quelques dizaines de syndiqués dans des entreprises de plusieurs centaines de salariés ?

Comment peut-il en être autrement quand, même quand le syndicat est encore fortement implanté, les élus et mandatés sont de plus en plus sollicités pour passer leur temps dans les réunions avec les directions et dans les transports plutôt qu’avec les salariés ?

Et dans cette situation, la loi sur la représentativité ne change rien au contraire : elle sanctionne un rapport de force entre les syndicats qui ne tirent leur légitimité que du vote d’une partie minoritaire du salariat et d’un nombre encore plus minime d’adhérents. Cela rend évidemment possible toutes les combines et arrangements sans réelles possibilités d’intervention des travailleurs et à leur détriment…et donc les éloigne encore plus du syndicalisme.

On nous rebat les oreilles avec le syndicalisme institutionnalisé, qui ferait des miracles, notamment en Europe du Nord, en nous cachant soigneusement qu’il est alimenté par des dispositifs sociétaux qui favorisent une « syndicalisation-assurance » très peu mobilisatrice et dont finalement l’efficacité est remise en question par les salariés eux-mêmes dans les périodes de crise, comme actuellement ou l’on assiste à une forte désyndicalisation en Suède, au Danemark et même dans plusieurs secteurs en Allemagne.

Partout, les salariés n’attendent pas grand chose de tout ce qui est institutionnel (partis, élus, parlements, etc…) et donc de plus en plus, ils mettent les syndicats, qu’ils considèrent comme extérieurs à eux, dans le même sac.

Il faut donc travailler à reconstruire un syndicalisme d’adhérents, vraiment représentatif de toutes les catégories de salariés, si l’on veut stopper cette dérive d’acceptation de la loi du marché comme dogme incontournable, qui enferme les syndicats dans un rôle de « gestionnaires du moindre mal » et entraine les salariés qui la subissent vers les fausses solutions d’individualisme et de remise en cause de l’intérêt général du monde du travail.

Et pour cela, il y a besoin d’un véritable « choc de syndicalisation » dans ce pays !

En effet, même si des syndicats, des équipes militantes ont développé, avec un certain succès, des initiatives, des campagnes de syndicalisation, même s’il y a eu des mobilisations d’ampleur depuis 1995, impliquant des millions de personnes dans des luttes longues et tenaces, cela n’a pas fait bouger de façon significative le nombre de syndiqués dans le pays.

Même dans les entreprises ou les syndicats ont des pratiques de proximité, répondent aux attentes des salariés, font des voix aux élections professionnelles, rares sont les endroits ou cela se traduit par des progressions significatives du nombre de syndiqués.

En fait, malgré l’engagement de nombre de militants, malgré les luttes des salariés pour résister à la déferlante libérale, s’est développée depuis les années 80, tant dans les transmissions professionnelles que sociétales ou familiales, l’idée d’un syndicalisme impuissant à enrayer la fragilisation du monde du travail .

Du fait du développement du chômage, de la faillite de la gauche quand elle arrive au pouvoir, du ralliement socialiste au libéralisme, de l’écroulement des pays de l’Est, le fait de se syndiquer est apparu d’avantage comme un engagement individuel relevant de la conscience de chacun plutôt que comme un investissement dans un mouvement jouant un rôle moteur et majeur dans le progrès social.

Reconstruire un cercle vertueux de syndicalisation de masse, entrainant le développement d’un syndicalisme d’adhérents, en capacité de remporter des succès revendicatifs et d’imprégner toute la société d’une culture de progrès social, est un défi majeur qui interpelle en premier les centrales syndicales elles-mêmes. Bien sûr il y a au sein même des syndicats, de tous les syndicats, des partisans d’un syndicalisme institutionnel qui sont présents et même qui sont en position dominante dans certains d’entre eux. Mais en même temps, quelle que soit leur appartenance syndicale, bien plus nombreux sont les syndiqués qui veulent et qui agissent pour un syndicalisme qui fonde sa légitimité, sa représentativité sur son implantation, son organisation dans le monde du travail.

La présentation de la syndicalisation comme une question individuelle, qui sollicite les salariés seulement pour leur intérêt personnel, pour bénéficier des résultats de leur participation à l’action collective, voire même pour bénéficier de services syndicaux, ne suffit pas, preuve en est, à sortir de l’état de sous syndicalisation que nous connaissons.

Relever le défi de la syndicalisation passe par la création des conditions d’une appropriation collective du syndicat pour en faire une force dans laquelle les salariés se reconnaissent, se sentent représentés.

Cela pose directement la question de la permanence, de l’intensité et de la conduite de la politique de syndicalisation de chaque organisation syndicale et des moyens à mettre en œuvre en terme de structuration, de décloisonnement, de cadres syndicaux, de formes d’organisation pour sortir du « dialogue social managérial » et favoriser l’adhésion et l’intervention de toutes les catégories de salariés. Il s’agit de construire, à partir des aspirations revendicatives qui s’expriment, de nouvelles bases d’action collective, intégrant l’ensemble de celles et de ceux qui participent au travail collectif d’une entreprise, d’un site, d’une zône professionnelle. C’est décisif notamment pour implanter le syndicalisme dans les entreprises de moins de 50 salariés, d’ou il est quasiment absent bien que la moitié des salariés y travaille, ou bien pour syndiquer des jeunes, qui ne sont pas des « individualistes forcenés », comme on l’entend trop souvent, mais plutôt confrontés à des modes d’entrée dans la vie professionnelle, 85% des embauches se font en CDD, qui créent un fossé entre leur vécu et l’utilité du syndicat.

Convenons que nous avons beaucoup d’idées innovantes, d’efforts et de ténacité à déployer parmi les salariés pour parvenir à mettre en œuvre cette ambition de syndicalisation de masse.

Mais si cette situation doit amener les syndicats à des bougés dans leur politique de syndicalisation, elle interpelle également les salariés eux-mêmes et singulièrement toutes celles et ceux qui agissent par leur positionnement , leurs idées, leurs votes, leurs engagements pour que l’humain l’emporte sur la loi du fric et pensent, disent que l’action du syndicalisme est indispensable…mais ne sont pas syndiqués !

Il est temps de s’adresser  à eux en grand, et pourquoi pas de façon intersyndicale, pour leur dire : « Syndiquez-vous. Il y a le choix dans les syndicats et si vous ne pouvez pas, pour une raison ou une autre, adhérer au syndicat que vous voulez, adhérez au syndicat que vous pouvez. Le principal, c’est d’être acteur, engagé dans une force collective qui ne tient sa puissance d’intervention que de ses adhérents. »

La situation actuelle du syndicalisme devrait également interroger les partis politiques progressistes. Il ne s’agit en aucun cas de revenir sur le principe d’indépendance, que tout le monde reconnaît, mais ces partis ont un intérêt objectif au rayonnement d’un syndicalisme représentatif, fort en adhérents, et ils devraient à ce titre, tant dans leur politique interne qu’au travers les mesures qu’ils proposent ou prennent quand ils sont au pouvoir, à quelque échelle que ce soit, favoriser et valoriser la syndicalisation des salariés.

Enfin, il y aurait tout à gagner pour le monde du travail à en finir avec le mur qui existe encore entre le syndicalisme et le monde associatif qui agit sur la solidarité, la paix, l’écologie, le multiculturalisme, etc…Là encore il ne s’agit pas de faire de la courroie de transmission mais de favoriser  le développement de valeurs communes, tant dans la société que dans l’entreprise, en faisant en sorte que l’engagement syndical en soit le vecteur.

Dans la période que nous vivons, il est déterminant pour toutes les forces progressistes que le syndicalisme soit bien perçu par les salariés comme leur force pour à la fois défendre leurs intérêts et leurs revendications au quotidien dans l’entreprise et pour transformer la société afin qu’elle réponde aux besoins humains.

Aujourd’hui il y a besoin de reconquérir le travail comme un droit, un socle de cohésion sociale pour une société solidaire.

C’est cela qu’il faut opposer au mode de domination patronal actuel qui génère injustices, inégalités, recul social pour celles et ceux qui n’ont pour vivre que leur travail et enrichissement insolent pour les tenants de la finance et du capital. Pour y parvenir, toutes les conditions passent par l’intervention des salariés eux-mêmes dans la construction d’un rapport de forces qui leur est favorable. Et la tâche du syndicalisme, c’est de favoriser cette intervention pour qu’ils prennent leurs affaires en mains.

Le rapport des forces c’est en définitive ce que les gens ont dans la tête et pour acquérir cette conscience collective, pour qu’elle s’affirme et se fasse entendre, il faut un syndicalisme dans lequel les salariés se reconnaissent et qui, par ses analyses, ses arguments, fasse contrepoids à l’idéologie dominante.

Cette question d’un syndicalisme fort, portant des valeurs de solidarité, d’égalité, de démocratie, tant dans sa façon de fonctionner que dans ses rapports avec les salariés, et en capacité d’irriguer le salariat dans toute sa diversité, se pose comme un impératif.

Pour y parvenir, l’augmentation sensible du nombre de syndiqués, l’implantation de syndicats qui rayonnent sur toute le réalité actuelle du salariat et dont les adhérents sont des acteurs et des décideurs, sont des défis à relever dans l’urgence pour le monde du travail.

Gérard Billon, Patrick Brody

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