Un reportage de Médiapart sur la manifestation parisienne du 9 octobre

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Ce reportage de Médiapart rend bien compte du climat de la manifestation du 9 octobre 2018 à Paris: pas les grandes foules, mais une ambiance de lutte. Plus bas, le communiqué CGT. 

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«Nous montrer, être là, c’est notre seul moyen d’action»

Par et

La manifestation du 9 octobre, à l’appel d’une partie des syndicats pour la défense du modèle social, des services publics et des salaires, a été plutôt bien suivie, notamment à Paris. Psychiatrie, postiers, centres d’appels, enseignants, retraités : ce premier défilé depuis la rentrée est l’occasion pour les opposants au gouvernement de faire l’inventaire des foyers de contestation en cours.

Manifestation à Paris le 9 octobre 2018. © Dan Israel Manifestation à Paris le 9 octobre 2018. © Dan Israel

Fin août, la CGT, FO, Solidaires et les organisations de jeunesse Unef, Fidl et UNL avaient appelé à faire de cette journée un rendez-vous de mobilisation contre la « destruction du modèle social » menée par le gouvernement. Une politique qui « relève d’une logique d’individualisation mettant à mal la solidarité et la justice sociale », « fragilisant une fois de plus les plus faibles, les précaires et les plus démunis », s’indignent les organisations.

Prudent, le numéro un de la CGT Philippe Martinez avait prévenu que le « succès » de la manifestation ne se résumerait « pas au nombre de manifestants », alors que son homologue à FO Pascal Pavageau assurait n’attendre « rien du tout en termes de nombre ».

À cette aune, et au vu d’un mot d’ordre plutôt flou, le rassemblement parisien aura été une bonne surprise pour ses organisateurs. Selon le collectif des médias qui fait réaliser un comptage indépendant par le cabinet Occurrence, et auquel Mediapart participe (lire notre article le plus récent à ce sujet), 21 500 personnes ont défilé. Un chiffre à comparer avec les 16 000 agents de la fonction publique ayant manifesté le 22 mai dernier, et les moins de 3 000 personnes décomptées par la police le 28 juin, pour la dernière manifestation organisée par la CGT et FO.

Ce 9 octobre à Paris, la préfecture de police a compté 11 500 manifestants, et la CGT 50 000. Partout en France, une centaine de défilés étaient organisés. Sans la CFDT. Alors qu’il avait défilé le 22 mai, son secrétaire général Laurent Berger avait par avance dit tout le mal qu’il pensait de cette mobilisation aux « relents politiques ».

« C’est une journée contre le gouvernement. Le boulot d’une organisation syndicale, ce n’est pas d’être pro ou antigouvernement, c’est de proposer des solutions concrètes pour les salariés, pour les travailleurs, pour les chômeurs », avait-il lancé la veille sur BFM TV. Il n’est plus temps de prendre des gants face à ses concurrents : les élections professionnelles de la fonction publique et celles de la SNCF auront lieu à la fin de l’année, et la CFDT entend bien réitérer son succès de mars 2017 dans le secteur privé, en passant devant la CGT.

Les retraités étaient aussi mobilisés le 9 octobre à Paris. © D.I Les retraités étaient aussi mobilisés le 9 octobre à Paris. © D.I

Dans le « carré de tête », alors que les responsables syndicaux Philippe Martinez et Pascal Pavageau cèdent à la traditionnelle photo de groupe, entourés par leur service d’ordre, les questions et les critiques fusent aussi, sur un autre mode : « C’est devenu un cérémonial à Paris qui n’a plus vraiment de sens, on monopolise les médias et l’attention sur deux ou trois visages en tête de manifestation, et le reste du cortège importe peu, s’inquiète Éric Beynel, co-porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. Sans parler de la lassitude à se retrouver là, coincés derrière la corde des officiels, loin des militants. » Le responsable syndical n’exclut plus de boycotter ce fameux « carré de tête » lors du prochain rassemblement, sans remettre en cause le bien-fondé de la manifestation : « C’est peut-être le seul moment où les syndicats apparaissent dans les médias, où on existe dans l’opinion… »

La remise en cause des procédés militants ne se borne pas à la mise en scène des principaux responsables syndicaux : « Il y a 25 ans, en tête, on mettait les entreprises en lutte, les services publics les plus mobilisés, et qui mènent des luttes localement, renchérit Cécile Gondard-Lalanne, co-porte-parole. Ces luttes là existent encore, un peu partout dans le pays ! Mais maintenant, c’est chacun derrière son ballon et son camion, or ça ne convient ni aux salariés, ni aux jeunes, ni à nos militants. »

Le cortège de défense de la psychiatrie parisienne, à Paris le 9 octobre. © Mathilde Goanec Le cortège de défense de la psychiatrie parisienne, à Paris le 9 octobre. © Mathilde Goanec

Quelques secteurs ont cependant défilé derrière une seule et même banderole ce 9 octobre à Paris, malgré des affiliations syndicales diverses. La psychiatrie parisienne par exemple, remontée contre un projet de fusion des trois hôpitaux de la capitale, et qui avait aussi inscrit sur sa banderole rouge le nom des quatorze établissements en France agités par un mouvement social (vous pouvez retrouver ce récent live de Mediapart sur le sujet).

« À Paris, ce qui nous rassemble, c’est la réduction à venir de nos jours de congés, mais chacun défile aussi avec ses propres colères », explique Pascale, infirmière, qui met en marchant la toute dernière touche à une lettre d’alerte à destination des élus du conseil de surveillance de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne. « Moi par exemple, ce qui me choque, c’est de savoir que trois de mes patients dorment dans des hôtels sociaux et que l’on engraisse des marchands de sommeil… » Sa collègue critique de son côté la future organisation du temps de travail, qui vient d’être signée par l’agence régionale de santé (ARS) : « On va faire tourner davantage les équipes, mais ce qui compte pour les malades, surtout en psychiatrie, c’est la permanence des équipes de soins ! »

« Ce sont toujours les personnes les plus précaires qui sont pénalisées »

Les manifestants, dans ces rues de Paris arpentées avec régularité depuis des mois, racontent leurs combats en cours, ou s’y préparent. Dans le cortège CGT, derrière la banderole dénonçant les « retraités maltraités » par le gouvernement, Michèle porte les couleurs de la RATP, où elle a longtemps travaillé. « Je suis là pour marquer le coup, pour dire tout le mal que je pense de la hausse de la CSG pour les retraités, mais aussi dénoncer les problèmes que les dépassements médicaux peuvent poser, surtout en province où on a moins le choix de son médecin, explique-t-elle. Personnellement, je n’ai pas de problème, je vis correctement, mais il suffit de regarder autour de soi pour voir ceux qui sont mis en difficulté, et c’est pour ces gens-là que je défile. » Michèle s’inquiète aussi des informations qui ont commencé à filtrer sur la volonté gouvernementale d’ouvrir à la concurrence certains secteurs des transports parisiens, dont les bus parisiens. « En 2022, on sera en plein dedans, et ce sera trop tard », craint-elle.

« Notre ministre a commencé à recevoir les organisations syndicales, le sujet de l’ouverture à la concurrence des bus en Île-de-France n’est pas nouveau mais on ne pensait pas que ça arriverait aussi vite », note effectivement Bertrand Dumont, cosecrétaire du syndicat Sud-RATP. Après la SNCF, les agents des transports parisiens pourraient donc se lancer dans un mouvement social plus tôt que prévu, potentiellement explosif : « Dans le transport urbain, il n’y a pas vraiment de pognon à se faire pour des entreprises privées, mais l’idée est de positionner des filiales de la RATP pour casser notre statut et faire baisser le coût du travail pour tout le monde. C’est toujours la même technique… »

Les postiers des Hauts-de-Seine, en grève depuis plus de six mois, défilent à Paris. © D.I Les postiers des Hauts-de-Seine, en grève depuis plus de six mois, défilent à Paris. © D.I

Le défilé, à défaut de mot d’ordre clair, est un précipité des luttes en cours. Le stand d’Attac a été ironiquement reconverti en « Gaulois réfractaires à la casse sociale », en réponse à la sortie danoise du président, fin août. Au gré des rues, on croise les postiers des Hauts-de-Seine, en grève depuis 197 jours pour protester contre le licenciement du leader local de Sud-PTT, Gaël Quirante, et dont le calendrier de soutien est distribué par plusieurs personnes.

On trouve aussi Anousone Um, le syndicaliste de Mobipel, le centre d’appels rebelle de Free qui devrait bientôt être vendu, bien que le militant signale que la signature effective n’a toujours pas eu lieu. Non loin de là se tiennent les représentants CGT du palace parisien Park Hyatt Vendôme, en grève depuis 15 jours pour dénoncer la sous-traitance et réclamer une hausse de salaire (Mediapart reviendra bientôt sur ce mouvement).

Dans un tout autre registre, des syndicalistes du ministère des sports tentent d’alerter sur leur sort : le gouvernement a annoncé la suppression prochaine de 1 600 postes de conseiller technique sportif, sur les 4 000 postes que compte le ministère. Ces agents seront transférés pour la moitié d’entre eux dans les fédérations sportives, et relèveront donc désormais du droit privé. « C’est encore pire que les cheminots, on va carrément perdre directement notre statut de fonctionnaire !, s’alarme Raphaël Millon. Jeudi 10 octobre, quelques grands noms du sport devraient se joindre au rassemblement prévu devant le ministère pour tenter d’enrayer l’hémorragie, et la « privatisation » du secteur.

Le secteur public, dans son ensemble, était bien représenté dans le cortège parisien, à la mesure de l’inquiétude qui pèse sur les fonctionnaires et le sort qui leur est réservé dans le rapport “Cap 2022”, rapport qui semble guider l’action gouvernementale. « L’avenir ne s’annonce pas très rassurant pour la fonction publique », confirme Marine, qui défile avec ses amis et collègues Jean-Robert et Tiffany. Tous trois sont professeurs de collège en Seine-Saint-Denis. Leur établissement compte 50 % de grévistes, assurent-ils, « et cela faisait bien longtemps que ce n’était pas arrivé, d’autant que c’est un premier mouvement de rentrée ». Les 1 800 suppressions de poste annoncées par le ministre Jean-Michel Blanquer sont dans toutes les têtes.

« Tout ce qu’on nous annonce, c’est moins de profs, alors que les établissements subissent une hausse démographique, et que toujours plus d’élèves arrivent, rappellent les trois collègues. C’est particulièrement vrai dans les lycées techniques de notre département, où il y a trop d’élèves, pas assez de lycées, et toujours des profs en moins. » « C’est comme pour la réforme des retraites qui arrive, insistent-ils. Ce sont toujours les personnes les plus précaires qui sont pénalisées. »

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Si les enseignants étaient bien présents, les étudiants et les lycéens étaient notablement moins nombreux que dans les défilés précédents. Sous sa pancarte « Jeunesse en colère : ouvrez les portes de l’université », Alix, élève en terminale L au lycée Georges-Brassens dans le XIXe arrondissement, convient que « le mot d’ordre n’était pas super clair aujourd’hui ». Mais avec une vingtaine de ses camarades de lycée, elle a tenu à être présente, pour dire son opposition au système Parcoursup. « Cette réforme laisse des milliers de jeunes aux portes de l’université, ou ne leur donne accès qu’à une filière qu’ils n’ont pas vraiment choisie », déplore-t-elle. Son établissement, à horaires aménagés, n’héberge que des élèves artistes ou sportifs, « un milieu assez privilégié », « où il n’y a pas assez d’action et de mobilisation ». Raison de plus pour ne pas rater le rendez-vous militant du jour.

Pourquoi manifester ? Pour Sandra, qui représente la CGT des services publics dans le Val-de-Marne, la réponse est simple, et globale : « Nous sommes opposés à la politique du gouvernement, qui casse en particulier les services publics, déclare-t-elle. L’État fournit de moins en moins de services à la population, alors que les impôts qui sont censés les financer ne diminuent pas. » Ce défilé est pour elle « le signe de la reprise d’activités, après la pause liée à l’été » et représente « les prémices de l’action » : « Tant qu’on aura des bras et des jambes, on sera là ! »

Ilona et Nassera viennent de Melun (Seine-et-Marne). Militantes FO au Carrefour du centre commercial de Carré Sénart, elles sont de tous les défilés depuis plusieurs mois et ont participé à la grève de mars dans leur enseigne. Ilona explique vouloir avant tout défiler contre la future réforme des retraites, dont les premières bases pourraient être annoncées 24 heures plus tard, pendant une table ronde entre les syndicats, le patronat et le haut commissaire en charge, Jean-Paul Delevoye. Nassera, elle, défile plus globalement « contre l’austérité » : « Je ne suis pas contre les réformes en soi, mais j’en ai marre qu’on tape toujours sur les mêmes, les petits », dit-elle. Toutes deux ont conscience que leur participation à la manifestation « ne changera pas grand-chose, mais on fait ce qu’on peut avec nos petits moyens », disent-elles. « Nous montrer, être là, c’est notre seul moyen d’action, et on recommencera la prochaine fois. »

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Comme c’est le cas depuis plusieurs mois, le cortège de tête, qui précède le carré officiel formé par les syndicats, était très fourni, plusieurs milliers de personnes y défilant, sous des bannières syndicales ou non. La Fanfare invisible assure toujours l’ambiance à l’avant, non loin des bataillons du syndicat anarchiste CNT. Et à la pointe apparaissent les traditionnels Black Blocks, une centaine de jeunes gens masqués et vêtus de noir.

Ils cherchent l’affrontement avec les policiers et les gendarmes qui encadrent – plutôt de loin – les manifestants. Des pierres ou des bouteilles volent sporadiquement, les invectives fusent, et quelques gaz lacrymo y répondent, accompagnés de quelques charges policières très brèves, déclenchant le reflux des manifestants. Juste avant la place Denfert-Rochereau, la tension est assez forte. Un jeune homme habillé en noir prend un coup sur la tête : sonné, il est soigné, puis embarqué par une colonne de CRS. Quelques minutes plus tard, un groupe de gendarmes se retrouve isolé au milieu de la foule hostile, mais non violente. Ils se dégagent en courant sous les quolibets et les insultes, l’un d’eux trébuchant et tombant plusieurs fois à terre.

Dans une certaine confusion, les lacrymos arrivent parfois à quelques centimètres des manifestants « classiques » et le carré officiel de Solidaires en fait les frais, un nuage enveloppant quelques instants le service d’ordre et son porte-parole Éric Beynel.

Un manifestant à vélo, qui tentait de sortir par une rue adjacente non loin de la fondation Cartier, boulevard Raspail, est quant à lui repoussé par les CRS et tombe violemment sur le sol. Il s’en sort avec une bonne entaille au front. « Nous avons appelé les secours », affirme un policier, alors que ses collègues sont massés autour du cycliste, caché dans l’angle d’une porte cochère. « Faut pas faire ça, faut pas aller vers eux, s’énerve un manifestant au sein de la petite troupe de personnes qui assiste à la scène, éberluées. Ils se croient tout permis… » L’homme, du sang sur le front, s’en va en poussant son vélo.

 

  • siteon0-dc90fLa mobilisation demeure : c’est la politique qu’il faut changer !

Ce 9 octobre a été une belle preuve que les salariés, jeunes, demandeurs d’emplois et retraités ne veulent pas de cette politique creusant les inégalités, prenant aux pauvres pour donner aux riches.

Près de 300 000 manifestants ont battu le pavé. Au-delà de ce chiffre, de nombreuses actions ont été recensé sur le territoire sous formes diverses : grèves et débrayages, pique-niques revendicatifs, distributions de tracts, tenues d’assemblée générale, blocage de zones d’activité, etc…

Ces mobilisations ont permis d’inscrire dans un mouvement national, l’expression de revendications locales ou spécifiques de certaines professions.

Toutes et tous se sont retrouvés pour exiger l’augmentation des salaires, des pensions et des minimas sociaux ; l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et l’arrêt de la casse des services publics.

Au cœur des préoccupations également: la sécurité sociale, la santé, la retraite, l’éducation et la formation…  Sur tous ces sujets d’autres choix sont possibles et la CGT est porteuse de propositions pour conquérir de nouveaux droits.

La dynamique unitaire qui s’est construite doit se renforcer et la CGT y contribuera.

L’objectif de cette journée est de démontrer que la contestation sociale est toujours présente et que des alternatives sociales sont possibles. Le gouvernement et le MEDEF doivent entendre et répondre à ces attentes qui s’expriment dans tous les secteurs pour le progrès social.

C’est  la défense et le développement de notre modèle social qui est en jeu. La solidarité doit en être le socle et non l’épaisseur du portefeuille.
Montreuil le 9 octobre 2018.

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