Une étude universitaire sur la direction de SUD-Rail

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Gabriel ROSENMAN (ancien cheminot) nous fait parvenir un mémoire (Pratiques de l’Interdisciplinarité en Sciences Sociales- M1) réalisé dans le cadre d’un cursus à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) sous la direction du sociologue Julian Mischi.  Il s’agit d’une étude sur : « Le Bureau Fédéral de SUD-Rail : composition et continuité d’une direction syndicale, entre professionnalisation et renouvellement des dirigeants« . Nous donnons ci-dessous accès à l’étude complète, nous publions le sommaire de ce travail ainsi qu’un extrait.

 Introduction : Syndicalisme, théorie et pratique

  • – SUD-Rail : l’exception qui confirme la règle ? 5
  • – Pour une sociologie du syndicalisme qui combine processus organisationnels, trajectoires individuelles et structures sociales 11
  • – Entretiens biographiques et méthodologie empirique 21
  • – De la pratique vers la théorie : un retour réflexif 23

: La fédération SUD-Rail : histoire, structuration et culture militante

  • – SUD-Rail : une histoire de distinction et de crises 34
  • – Les règles de fonctionnement, un concentré de politique 45
  • – Une culture militante anti-bureaucratique 53

 Les compositions successives du BF : diversité et professionnalisation

  • – Le BF et la Fédération 61
  • – Sociographie des BF successifs 69
  • – Le problème des équilibres professionnels 75
  • – De la recherche de la diversité au classement par l’hétérogénéité 79
  • – La découverte d’une sous-population centrale 83

 Comment devient-on dirigeant fédéral à SUD-Rail ? Étapes et interstices de la carrière syndicale

  • – La première adhésion syndicale : le doigt dans l’engrenage 90
  • – Les premières responsabilités : la nature a horreur du vide                                                          98
  • – La candidature et l’élection au BF : une sélection en amont                                                       100
  • – Les interstices de la carrière syndicale                                                                                     108

Les membres du BF « en situation » : rôles multiples et répartition des tâches

  • – Où et comment observer les membres du BF ?                                                                         115
  • – Des rôles différents selon le contexte                                                                                       117
  • – Le Conseil Fédéral : la scène centrale                                                                                      121

 

Conclusion                                                                                                                                 p.128

Bibliographie                                                                                                                             p.134

Annexes                                                                                                                                      p.143

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  • Extrait : après avoir réexposé les travaux qui décrivent un syndicalisme coupé de ses racines et très largement animé par des « professionnels » éloigné des réalités et des luttes, Gabriel Rosenman explique ce qu’il en est à SUD Rail.

« SUD Rail : un contre exemple ? 

Pourtant, en examinant un secteur comme celui des cheminots en France, on est forcé de constater le contraire. Tout d’abord, le secteur cheminot fait preuve d’une combativité exceptionnelle depuis une dizaine d’année : depuis 2007, la majorité des 160 000 cheminots a participé à six grèves reconductibles nationales (en 2007, deux fois en 2010, en 2014, en 2016 et en 2018), allant de dix jours à plus de trois mois, notamment contre la libéralisation du secteur et les réformes successives du système de retraite. Aucun autre secteur du monde du travail ne peut en dire autant sur la même période. Même lors d’une année « calme » comme 2009, par exemple, marquée par l’absence de conflit national, la DARES recensait une moyenne de 136 jours de grève pour mille salariés dans le pays, mais de 597 jours dans le secteur des transports. De manière générale, le secteur cheminot semble donc contredire fortement le constat d’une baisse de la conflictualité sociale.

Et si l’on se penche sur le troisième syndicat le plus représentatif chez les cheminots, SUD-Rail, on est forcé de constater que son positionnement dans le champ syndical et la fréquence de son recours à la grève sont constants depuis sa création. En effet, depuis sa création, la Fédération SUD-Rail occupe une position de nouvel entrant radical et prétend refuser les règles du jeu, en se plaçant souvent en marge de l’intersyndicale, ou en appelant seule à des grèves, toujours dans le même registre : refus des compromis, appel à la lutte et à la grève reconductible. On est loin du « tournant réformiste » qui caractérise les autres syndicats.

Enfin, si l’on étudie plus précisément la direction de SUD-Rail et son Bureau Fédéral (BF) d’une quinzaine de personnes, on constate là aussi un décalage complet avec le constat d’une professionnalisation généralisée du syndicalisme, à la fois en termes d’engagement dans une carrière longue et d’éloignement par rapport au poste de travail. En effet, parmi les soixante- trois responsables fédéraux que SUD-Rail a compté depuis sa fondation en 1996, cinquante-deux ne sont restés en responsabilité que six ans ou moins. Plus précisément : trente-neuf sont restés en responsabilité moins de trois ans (soit un mandat), treize entre trois et six ans (deux mandats), neuf entre six et neuf ans (trois mandats), et seulement deux plus de dix ans (quatre mandats).

Il semble donc que les carrières longues y soient possibles mais très minoritaires. Et il en est de même pour la déconnexion avec le poste de travail : si quelques dirigeants n’ont pas travaillé pendant des périodes pouvant atteindre la dizaine d’années, la plupart sont soit retournés au travail après leur mandat, soit ont continué à travailler pendant celui-ci. Ici encore, on est loin du constat de déconnexion complète avec les salariés représentés. SUD-Rail semble aussi contredire le constat d’une homogénéisation du « personnel » syndical. En effet, le profil des membres passés par son BF est extrêmement varié, aussi bien du point de vue de l’âge, que du métier, de l’expérience syndicale, du niveau d’études, des origines socio-professionnelles, des engagements politiques, etc. Au fil des mandats successifs, le BF a ainsi pu regrouper des cadres et des ouvriers, des cheminots et des sous-traitants de la SNCF, des militants titulaires du seul Certificat d’études et d’autres titulaires de diplômes de troisième cycle en Anthropologie, des syndicalistes en responsabilité depuis plus de vingt ans et d’autres avec moins de deux ans d’expérience, des syndicalistes apolitiques et des militants d’extrême gauche, des enfants de cheminots depuis 5 générations mais aussi des enfants de cadres, d’enseignants ou de paysans.

Au-delà des caractéristiques individuelles de ses membres, c’est même la composition d’ensemble du BF, son centre du gravité, qui a fortement varié tout au long de ses vingt ans d’existence. L’étude statistique que j’ai réalisée sur le BF montre qu’au fil de son histoire, on est passé d’un premier BF composé d’une majorité d’anciens dirigeants oppositionnels de la CFDT, très expérimentés et souvent liés à divers courants d’extrême gauche, à un BF actuel composé d’une majorité de roulants, primo-arrivants et peu politisés. Pendant la période de quatorze ans qui s’étend entre ces deux pôles, la composition du BF a fortement fluctué, alternant des périodes avec une large majorité d’agents d’exécution et d’autres avec une moitié d’agents de maîtrise et de cadres, des périodes dominées par la stabilité des dirigeants et d’autres par leur turn-over… Au cours des vingts ans d’existence de SUD-Rail, les BF successifs ont donc été caractérisés par la forte variation de leur degré d’hétérogénéité : les BF très homogènes ont alterné avec ceux composés par une plus grande diversité de profils et sans caractéristique sociale évidente« .

 

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