Une table ronde de syndicalistes sur la situation

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Le bulletin Passerelles, qui se définit comme « bulletin de liaison pour l’action et la réflexion pluraliste des gauches, des mouvements sociaux … » publie une table ronde avec des responsables syndicaux CGT, FSU, Solidaires, UNSA, ainsi que le MNCP.  Sur les difficultés actuelles du syndicalisme, la question de l’unité, le rapport aux forces politiques et le lien au salariat.

cov passerelles

 

Dossier Syndicalisme et Mouvement social

 

1- Le rapport des forces face à Macron. Il y a eu plusieurs journées de luttes contre les ordonnances Macron (12 septembre, 21 septembre, 19 octobre) et dans la Fonction publique (10 octobre). Ce n’est pas facile de mobiliser massivement contre les ordonnances.  Pourquoi ? Est-ce dû au fait qu’on n’a pas gagné en 2016 contre la loi El Khomri ? Ou au résultat de la présidentielle et ce à que représente Macron ? Ou encore à l’absence d’alternative claire à op- poser aux recettes libérales ? Est-ce que les contre-propositions alterna- tives sont nécessaires pour aider au développement des luttes ? Comment concevoir une convergence des luttes aujourd’hui ?

Robert Crémieux – Sur le moyen ou long terme le rapport de force peut être inversé. Il n’y a pas eu que les journées de lutte syndicales interprofessionnelles. Il y a eu des mobilisations unitaires : celle de la Fonction publique, celle des retraités ; il y aura celle des chômeurs samedi 2 décembre ; la mobilisation contre la baisse des APL se poursuit. FO a rejoint le Front intersyndical pour le 16 novembre. Une recomposition du champ syndical est possible, celle du paysage politique est en cours.

Gérard Aschiéri – N’étant plus en responsabilité, mon point de vue est sans doute partiel mais je ne sais pas s’il y a une cause unique ; je pense qu’il y a plutôt une convergence de facteurs. En premier lieu il ne faut pas oublier combien l’idéologie néo libérale a gagné du terrain dans les esprits ces dernières années : la montée en force du thème de « l’assistanat » en est un signe parmi d’autres; il y a perte de confiance à la fois dans la possibilité de construire des alternatives de progrès et dans les organisations traditionnelles : cela touche bien sûr les partis politiques comme l’ont montré les dernières élections mais aussi les organisations syndicales, même si la défiance envers elles n’est pas au même niveau. Il faut dire que l’échec des grandes mobilisations interprofessionnelles à aboutir à des résultats en 2016 mais aussi depuis plusieurs années (songeons à 2010 par exemple), n’a pas contribué à donner confiance dans l’action collective, bien au contraire. Les résultats des présidentielles et des législatives – et pas seulement le succès inattendu de Macron- sont selon moi le signe de ce désarroi et en même temps ont sans doute contribué à le renforcer en déstabilisant toutes les forces progressistes, pas seulement les partis politiques. Les grandes organisations syndicales plutôt que d’en débattre entre elles en ont tiré des conséquences divergentes et ont chacune de son côté essayé de se repositionner face à cette situation nouvelle. Et bien sûr l’absence d’unité n’a fait que renforcer la difficulté à mobiliser : non que cette absence mine la confiance dans la capacité d’obtenir satisfaction mais elle fait peser un doute sur la légitimité  des revendications.

Christian Mahieux – Le poids des défaites sociales passées et du contexte politique pèse. La tactique des journées d’action espacées dans le temps et le sectarisme nous pénalisent aussi. Mais il y a un vrai problème de mobilisation dans les entreprises et les services, une faiblesse énorme vis-à-vis de pans entiers du monde ouvrier, à commencer par les chômeurs et chômeuses mais pas seulement. Au-delà du constat, ce qui doit nous préoccuper est de tirer le bilan et de mettre en œuvre des politiques syndicales permettant que ça change. Il y a une bataille essentielle à mener, celle de l’hégémonie culturelle car nous sommes défaits sur ce terrain depuis de nombreuses années ; peut-être faut-il prendre cela à bras le corps dans nos organisations et reconstruire ; ce qui signifie faire une priorité de cela.

Gilles Desseigne – Les formes traditionnelles de la protestation (grèves, manifestations,…) ont été soigneusement caricaturées et ringardisées depuis un certain temps. Quand s’ajoute l’absence de résultats malgré le nombre de personnes dans la rue et éventuellement la perte de salaire pour la beauté du geste, il ne faut pas s’étonner des difficultés à opérer des mobilisations massives au-delà du cercle militant heureusement signi- ficatif. Pourtant les objectifs sont le plus souvent partagés par l’opinion (Loi El Khomri, ordonnances, …). D’autres formes d’expression massive (pétition, réseaux sociaux,…) doivent être explorées.

La difficulté est d’autant plus grande que les formes de la concertation sont peu ou prou respectées et que les mesures les plus dangereuses sont très techniques et donc peu compré- hensibles par les salariés.

Jean Marc Canon – Globalement, le rapport des forces face à Macron ne me semble pas se poser dans des termes radicalement différents de ceux qui prévalaient déjà sous la mandature de François Hollande. Pas sous l’angle du débat qui, au bout du compte, ne me parait pas signifiant de savoir si la politique actuelle est l’héritière directe de celle des cinq années précédentes ou si elle diffère à ce point qu’elle constitue plus qu’une aggravation, une véritable rupture libérale. Ce n’est pas le lieu dans cette contribution de m’étendre sur un sujet qui mériterait des pages entières de développement. Non, ce qui à mes yeux est structurant et pose difficultés, au moins sur le plan syndical, c’est un certain nombre d’éléments qui sont apparus et se sont ancrés dans la réalité depuis un temps certain. D’abord, le sentiment – si ce n’est le constat – que les luttes sur des grands enjeux transversaux ne sont pas couronnées de succès depuis le retrait du CPE en 2006. C’est bien sûr le cas des combats contre les réformes régressives et successives des retraites mais aussi, tout près de nous, de celui contre la loi El Khomri. Dès lors que l’idée de l’échec s’installe, confortée qu’elle est par cette litanie d’échecs, la mobilisation massive et inscrite dans la durée, jamais facile au demeurant, s’en trouve notoirement handicapée. À cela s’ajoute une donnée objective qu’il est vain et contre-productif de vouloir cacher : les lieux de travail où le syndicalisme est absent – a fortiori, celui se réclamant de la transformation sociale et de la lutte– sont plus nombreux que ceux où il est présent. Sans embellir un passé qui, de ce point de vue, n’a jamais été mirifique, la situation s’est quand même singulièrement dégradée ces cinquante dernières années. Je suis intimement convaincu qu’il ne s’agit pas là d’un horizon indépassable.

Même s’il est à la croisée des chemins, le syndicalisme a tout à fait les moyens d’être, bien d’avantage qu’au- jourd’hui, une force incontournable qui, au‐delà de la préservation des acquis, soit motrice pour de nou- velles conquêtes sociales essentielles. Mais, pour cela, je considère que les luttes indispensables et légitimes sur les grandes questions de société ne doivent plus être abordées de manière exclusivement binaire. En d’autres termes, laisser infuser le sentiment qu’à partir du moment où l’on n’a pas tout gagné (retrait total, abrogation complète), on a tout perdu, est à la fois inexact et démotivant. Il n’y a pas de petites victoires et n’oublions jamais que, pour faire simple, les forces qui pensent que le capitalisme n’est pas la fin de l’histoire ont aussi besoin de démontrer leur pertinence par les succès qu’elles permettent d’acquérir. S’agissant du nombre de syndiquées et de syndiqués et, par voie de conséquence, de militantes et de militants, j’estime que nous sommes à la fin d’une séquence où l’on a pu considérer – de manière implicite ou explicite – que la caractérisation de classe avait de fait le primat sur celle de masse.

Même si, évidemment, le rôle et l’efficacité du syndicalisme n’est pas réductible au nombre de syndiqués, les très nombreux déserts où pas le moindre délégué ne pointe à l’horizon constituent un frein objectif au développement d’une pensée et de propositions alternatives et, à fortiori, d’un rapport de forces puissant et inscrit dans la durée. Partout, il faut donc prendre cette question à bras le corps et, en dépit des obstructions du patronat et des politiques gouvernementales successives, concrétiser cette exigence d’accroitre très fortement le nombre de syndiqués.

Michelle Kapala – Le rapport de force à Macron existe et s’il n’est pas facile encore de mobiliser massivement on peut voir pourtant de nombreux mouvements de grève dans beaucoup de secteurs et/ou d’entreprises. Il manque le petit plus qui fera de ces mouvements isolés un mouvement d’ampleur ; on évoque l’individualisme ambiant … Mais il est aussi question me semble- t-il d’information ou de désinforma- tion selon le point de vue d‘où on se place. Il est indispensable de créer les conditions d’une véritable infor- mation des salariés face aux enjeux de la destruction, de la disparition des conquis sociaux, Sécurité Sociale en tête. Il est indispensable de faire comprendre ce que représente réel- lement par exemple le remplacement du salaire différé par l’impôt. Peut- être que les syndicats subissent aussi le même élan de méfiance que celui à l’encontre des politiques.

2 La question de l’unité: Le mouvement syndical semble peiner à s’unir nationalement (sauf dans la fonction publique et aussi dans quelques régions) pour combattre les ordonnances Macron et le plan en 18 mois qu’il a fixé pour chambou- ler les conquêtes sociales. Comment l’expliquer ? Qu’est-ce qui fait obsta- cle ? Peut-on recréer les conditions de l’intersyndicale de 2016? Est-ce qu’un dialogue sans tabou, organisé publiquement, serait possible? Cela permettrait-il, selon vous, d’acter des convergences et pistes de travail, de débattre des dissensus, afin de per- mettre aux salarié-es de s’emparer de ces questions ?

Gérard Aschiéri – Je ne veux pas me poser en donneur de leçons mais une chose m’a frappé : la presse a fait état d’une réunion secrète entre leaders des principales centrales pour se mettre d’accord sur des lignes rouges que le gouvernement ne devait pas franchir dans la rédaction des ordonnances ; outre que toutes les organisations n’ont pas été invitées, pourquoi ne pas avoir rendu publiques ces exigences communes et montrer ainsi la capacité en dépit des divergences d’afficher un souci commun de ne pas accepter n’importe quoi ? On peut se demander si cela n’aurait pas changé le rapport de forces ; au lieu de quoi le gouverne- ment a fait à peu près ce qu’il a voulu et ni la négociation ni la mobilisation n’ont eu de réelle efficacité. Tout s’est passé comme si la volonté de chacun de se distinguer des autres et de poursuivre une sorte de guerre de tous contre tous l’avait emporté sur toute autre considération. Je pense qu’ont joué pour chaque organisa- tion à la fois des enjeux internes et des enjeux de positionnement dans le paysage syndical.

Il en est allé autrement dans la Fonction Publique pour deux raisons selon moi : d’une part la perception par la masse des fonctionnaires d’une agression généralisée non seu- lement contre leur pouvoir d’achat mais contre leur travail et leurs valeurs,- un sentiment qu’aucune OS ne pouvait se permettre d’ignorer-, mais aussi le fait que même si l’unité a eu des hauts et des bas ces dernières années les organisations de fonctionnaires n’ont jamais cessé de discuter entre elles. On pourrait m’objecter que l’unité dans la fonction publique, si elle a permis une importante mobilisation n’a pas permis pour l’instant des résultats significatifs ; certes mais une seule journée d’action ne saurait suffire et aujourd’hui cette unité préservée fait que des suites rassemblant largement les fonctionnaires sont encore pos- sibles. A ma connaissance la FSU a joué un rôle important pour préser- ver cette unité et je m’en félicite.

Je ne pense pas que l’unité réalisée en 2016 soit l’idéal à atteindre; certes c’est mieux que pas d’unité du tout mais il faut se rappeler qu’il n’y a pas très longtemps- en 2010 par exemple- on a pu connaître une unité bien plus large. Si la colère qui croît contre la politique menée par le gouvernement d’Emmanuel Macron est, comme je le pense, largement partagée par les salariés il n’y a pas de raison de renoncer à cette unité plus large. Pour cela il faudrait que les organisations se parlent au plan national pour analyser la situation et élaborer une plateforme commune qui serait certes un compromis mais pourrait permettre de redonner confiance en faisant apparaître des objectifs légitimés et rendus crédibles par l’unité. Rappelons qu’une telle plate-forme a existé en 2009, il n’y a pas si longtemps. Et bien sûr il faut en débattre à la base, ne serait-ce que parce que sur le terrain les divisions certes existent mais n’ont pas la même intensité. Si on ne le fait pas, s’il n’y a pas de recherche d’unité le risque pour le syndicalisme est, comme le dit JM Pernot dans une interview récente au Monde, celui de « l’insignifiance ».

Christian Mahieux – C’est un chantier important que nous avons rouvert à travers notre revue Les utopiques 1 . Dans une récente livraison, nous avons cosigné un texte abordant les questions d’unité syndicale mais aussi les perspectives d’unification. Deux positions nous semblent pareillement inutiles : le refus d’envisager cette possibilité et l’incantation sans propositions réalistes, partageables par les équipes syndicales. C’est pourquoi, nous essayons de tracer quelques pistes. Par exemple, aujourd’hui, avancer vers une réunification du syndicalisme de luttes oblige à inventer des solutions novatrices : si chacun et chacune considère que la réunification doit se faire dans sa propre organisation, ça ne marchera pas. Des syndicats unitaires bâtis au plus près du terrain, sans détruire ceux existants, pourrait sans doute créer une dynamique…

Robert Crémieux – La convergence des luttes se construit dans les luttes quotidiennes. Le mouvement social doit se fixer comme objectif de gagner la bataille des idées. Le gouvernement a choisi d’affronter tous azimuts le monde du travail. Mais nous avons des alternatives concrètes à proposer : la réduction du temps de travail ; la transition écologique ; une Europe des peuples ; une économie solidaire  (c’est-à-dire débarrassée de la dictature du profit) ; le peuple comme horizon de la démocratie… Sur ces bases il est possible de réunir une majorité d’idées, de luttes et de gouvernement.

Jean Marc Canon – Cette question, essentielle, se pose depuis des décennies aux travailleurs et au mouvement social. Si le concept du syndicalisme rassemblé aurait, de mon point de vue, mérité d’avantage de clarté dans ses contours et moins de circonvolutions dans sa durée, je demeure convaincu que l’unité syndicale la plus large est un élément déterminant pour fortifier les mo- bilisations et obtenir des avancées.

Je dis « la plus large » car je réfute l’idée de partenaires syndicaux à ce point privilégiés qu’ils en constitue- raient une forme de socle pérenne. L’histoire a montré à de multiples reprises – y compris récentes – que selon les périodes, les contextes et les enjeux abordés, les positions de chacune des organisations syndicales étaient sujettes à des variations parfois surprenantes… dont la CGT n’est pas exempte. Je passe très vite sur la question des contenus car, souvent (trop souvent ?) mise en avant cette dimension me semble un peu virtuelle. En effet, aucune organisation n’a de propension à vendre son âme dans le compromis indispensable que constitue une plateforme revendicative unitaire et, de fait, à sombrer dans une dilution proche de la compromission Et les fameux – et soit disant existentiels– points de doctrine mis en avant par certains le sont souvent par des camarades et/ou des organisations dont l’objectif réel et profond est de constituer de pseudo pôles syndi- caux inscrits dans l’éternité : l’un radical et l’autre réformiste. Et donc, consécutivement, à empêcher une unité aux contours élargis. Donc, pour moi, l’unité est à rechercher systématiquement tant qu’elle ne conduit pas à l’immobilisme. Dans un secteur que je ne méconnais pas totalement, la Fonction publique, sur les 15 dernières années, les mobilisations les plus abouties ont systématiquement résulté d’unité large, voire complète. Ceci posé, je pense également, avec une conviction sans cesse renforcée, que le mouvement syndical doit concrètement se poser la question de son unification. Pour à peine schématiser, la séquence ouverte depuis la libération est synonyme de scissions successives emportant la multiplication du nombre d’organisations syndicales. Rien que dans la Fonction publique, nous sommes aujourd’hui rendus à 9 syndicats représentatifs. En a‐t‐on vu pour autant le nombre de syndiqués progresser ? Pas du tout, au contraire. A‐t‐on assisté à la progression de la participation aux élections professionnelles ? Absolument pas, et même plutôt l’inverse. Avons‐nous vu les victoires du salariat se renforcer ? Que nenni. Dans ses statuts, la CGT a toujours gardé présente l’idée d’une seule organisation pour le salariat. D’autres syndicats ont dans leurs orientations fondatrices cette exigence d’une construction unifiée du mouvement syndical. Ces textes n’ont d’intérêt et de pertinence que s’ils vivent. Pour ma part, à l’aune de ce que l’histoire nous apprend, je suis persuadé que l’émiettement syndical, loin d’être une richesse, constitue aujourd’hui un frein à l’essor du syndicalisme. Et les divergences profondes et insurmontables mises en avant par des dirigeants syndicaux – dont je ne m’extrais pas – sont bien peu structurantes dès lors que l’on interroge les salariés, majoritairement non syndiqués, pour qui, lorsqu’il est présent, le syndicalisme est avant tout affaire du délégué de proximité davantage que de grandes options idéologiques. À partir d’un projet syndical assumé et d’une démarche revendicative arrimée au quotidien des travailleurs, j’estime indispensable d’ouvrir en grand la réflexion sur l’unification du syndicalisme.

J’écris sciemment unification et pas réunification car, en aucun cas, il ne s’agit de poser le débat en termes d’un âge d’or vieux de 70 ans, ou plus, qu’il faudrait retrouver. Dans la même logique, il n’est pas ques- tion de considérer que la trajectoire à trouver reviendrait à ce que des organisations réintègrent la « maison mère », comprendre la CGT. Non, ce qu’il faut co‐construire de la manière la plus ouverte avec comme fondations un syndicalisme qui préconise une transformation sociale syno- nyme de rupture avec les politiques actuelles, basé sur un développe- ment d’un corpus de propositions et assumant la lutte comme un des leviers incontournables pour la construction du rapport de forces, ce qu’il faut donc, c’est une organisation renouvelée, en phase avec les conditions actuelles et à venir œuvrant à l’émancipation du salariat.

Gilles Desseigne – Sur le plan social, la régression est telle que l’unité syndicale s’impose comme l’outil incontournable de la réponse à la technocratie et au gouvernement des riches. La création de Passerelles contribue à ce rassemblement qui ne peut s’effectuer que sur le dialogue et le respect de notre diversité.

Michelle Kapala – Quand les revendications sont claires, et liées sans ambiguïté au mouvement en cours, l’unité ne fait pas défaut ; encore faut il s’entendre sur l’unité en question (avec qui et autour de quelles revendications?) et il semble qu’au moment où j’écris ces lignes l’intersyndicale de 2016 fonctionne à nouveau ; là encore la question de l’information est primordiale ; il est essentiel de ne pas rester entre convaincus.

 

3- Le rapport au politique : Peut-on concevoir que syndicats, forces politiques et associatives puissent s’entendre pour des initiatives communes ou convergentes ? Ou des propositions alternatives ? Sur quels sujets ? A quelles conditions ? Quelles articulations possibles ?

Gérard Aschiéri – Par le passé j’ai souvent plaidé pour défendre l’idée que le syndicalisme ne devait pas être coupé des autres composantes de ce qu’on appelle le mouvement social et c’est un principe que la FSU met régulièrement en œuvre. Mais cela implique que l’on respecte les responsabilités spécifiques et l’autonomie de chacun. En d’autres termes cela implique que l’on écarte tout risque d’instrumentalisation ou de « courroie de transmission », dans un sens ou dans l’autre d’ailleurs. Le syndicalisme a une responsabi- lité, c’est de rassembler les salariés à partir de leurs revendications, ceci quels que soient leur engagements par ailleurs et c’est aux syndiqués de décider de la stratégie à conduire ; il n’appartient à personne de l’extérieur de la définir à leur place. Et je pense que si la recherche de convergences avec d’autres forces que les forces syndicales devait aujourd’hui prendre le pas sur la recherche de l’unité syndicale ce ne serait bon ni pour les organisations syndicales ni pour les salariés et leurs revendications.

Christian Mahieux – Le syndicalisme est politique. Il rassemble celles et ceux qui décident de s’organiser ensemble pour défendre leurs revendications immédiates et travailler à une transformation radicale de la société ; cela sur la seule base de l’appartenance à la même classe sociale. Une grande partie des associations existe parce que le syndicalisme a abandonné des champs de lutte ou les a ignorés. Là aussi, il faut inventer et construire, sans ignorer les enseignements, ni de notre passé, ni de ce qui peut exister dans d’autres régions du monde : une organisation « syndicale et populaire» qui rassemble tous ces secteurs sur une base de classe et sans les caporaliser, doit être possible. Quant aux organisations politiques, elles ont un rôle à jouer aussi mais nous combattons leur prétention à être les seules à « faire de la politique ». Par ailleurs, l’articulation se joue aussi autour de la question du pouvoir ; si l’objet de l’organisation politique est de « prendre » celui-ci, cela s’oppose aux conceptions autogestionnaires que nous défendons (qui ne gomment pas la question du pouvoirmais la posent très différemment).

Robert Crémieux – Peut-on concevoir que syndicats, forces politiques et associatives puissent s’entendre ? La réponse est oui, c’est nécessaire. Le contexte nous invite à chercher une réponse dans le respect de l’indépendance de chacun. Les défaites de ces dernières décennies posent la question d’une alliance nouvelle. Le mouvement social est un tout.

Croire que les forces associatives, syndicales ou politiques peuvent aboutir à des victoires durables en étant chacune de son côté est une illusion mortifère.

Gilles Desseigne – L’élection présidentielle et la naissance de l’OVNI bonapartiste LAREM ont bousculé tous les repères habituels. Entre le naufrage de la présidence Hollande et la peur de la peste brune, beaucoup ont été sinon séduits, en tout cas intéressés par une démarche présentée novatrice et rassembleuse du « et de droite et de gauche ». Nous voyons bien maintenant que ce mouvement n’est en fait « ni de gauche, ni de gauche » et que les reculs sont considérables (code du travail, logement, inégalités fiscales,…). Mais le corps social est encore pour partie anesthésié et face à une absence de perspective compte tenu de la division mortifère des forces politiques de gauche comme de celles du mouvement syndical, où l’absurdité de la distinction entretenue entre réformistes et protestataires affaiblit l’ensemble des syndicats.

Michelle Kapala – Si l’opposition au gouvernement Macron est indispensable, il est aussi clair que chaque type d’organisation – syndicat et politique – doit rester dans son rôle. Il n’est pas nécessaire de fondre les uns aux autres pour être efficace, bien au contraire.

 

Robert Crémieux – La révolution numérique, les enjeux climatiques, le travail précarisé, obligent à une mutation du syndicalisme et non à une simple adaptation à la modernité. Fondamentalement le monde du travail dans ses diverses composantes reste le socle du rassemblement. Le défi du chômage n’est pas celui de la disparition du salariat mais celui de la démocratie dans tous les domaines, au travail comme dans la cité.

4- Nouveaux défis de société et dans le salariat : Est-ce que la révolution numérique, les enjeux climatiques, les mutations du tra- vail, le travail sans statut salarial à partir de plate-forme, obligent aussi à une mutation du syndica- lisme ? Quelles sont vos pistes de travail sur ces questions ?

Gérard Aschiéri – On peut ajouter de mutliples enjeux, par exemple l’explosion des risques pour la santé liée à des organisations du travail pathogènes…Je ne parle pas au nom de la FSU et donc je ne vais pas évoquer ses pistes de travail. Tout ce que je peux dire c’est qu’à l’évidence le mouvement syndical est percuté par ces questions qui interrogent aussi son rapport aux salariés et au travail réel mais également ses modes d’action : il suffit de voir la place prise aujourd’hui par le recours à internet et notamment les réseaux sociaux dans les mobilisations. Le mouvement syndical ne peut pas laisser à d’autres la réflexion et la construction de propositions qui permettent de retrouver des protections collectives et de renouveler les formes d’engagement dans un contexte en pleine évolution. Cela d’ailleurs pourrait être l’objet d’un travail unitaire.

Mais on ne peut pas non plus laisser penser que les syndicats seraient irrémédiablement en retard et incapables de prendre en compte ce contexte : les revendications autour d’une sécurité sociale professionnelle sont l’exemple d’une telle prise en compte.   Nombre d’organisations syndicales ont des structures qui réfléchissent autour de ces évolutions en cours ou en perspective. C’est le cas par exemple de l’Institut de recherches de la FSU qui réfléchit entre autres sur le syndica- lisme, l’engagement mais aussi sur le Nouveau Management Public ou sur le travail. On peut aussi rappeler que l’UGICT-CGT a créé un Think Tank appelé l’Entreprise Alternative. Le problème est plutôt d’inté- grer ces réflexions dans le débat sur la stratégie de chaque organisation et de conduire le débat avec les sala- riés en partant de l’expérience qu’ils ont de ces évolutions et de la réalité de leur travail aujourd’hui.

Michelle Kapala – Sans parler de mutation du syndicalisme, il est peut-être nécessaire de considérer ces nouvelles formes d’emploi et la révolution numérique afin de pouvoir répondre aux enjeux et problématiques tout en conservant les spécificités du syndicalisme français.

 

 

 

 

 

 

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