Vingt ans de féminisme intersyndical

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Les éditions Syllepse organisaient le jeudi 27 avril (au Maltais rouge, 40 rue de Malte) une soirée-débat à propos de la sortie du livre collectif Toutes à y gagner (Vingt ans de féminisme intersyndical). Il retrace l’expérience des journées d’études intersyndicales, chaque année en mars depuis 1997. Compte-rendu.

Le livre est coordonné par : Evelyne Bechtold-Rognon, Nina Charlier, Annick Coupé, Elodie De Coster, Sigrid Gérardin, Cécile Gondard-Lalanne, Clémence Helfer.

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Selon les précisions données par Annick Coupé, ce livre a demandé plusieurs mois de travail pour réunir les 90 documents qui ont fait l’objet de communications lors des journées intersyndicales, et en sélectionner 60. D’une manière générale, il y avait en réalité peu d’archives disponibles. Il y a donc un enjeu de mémoire très fort dans cette entreprise de publication. La richesse des textes en témoigne. A chaque fois, les journées intersyndicales réunissaient plusieurs centaines de personnes, syndiquées et militantes, avec des chercheuses-eurs. Environ 10% d’hommes participaient. Si les journées ont été co-organisées entre Solidaires, FSU et CGT, des démarches ont été effectuées auprès de la CFDT, qui a hésité, mais n’a finalement pas donné suite. FO n’a jamais donné de réponse.

Le débat du 27 avril réunissait Evelyne Bechtold-Rognon (FSU), Annick Coupé (ancienne porte-parole de Solidaires). Didier Epzstajn animait la discussion pour Syllepse, sous la forme de questions-réponses avant le débat.

Première question : pourquoi avoir réalisé ces rencontres à partir de 1997 ?

Annick Coupé : Le mouvement social de 1995 voit réémerger une deuxième vague du mouvement féministe, après celle des années post-1968. Dans les années 1980, tous les mouvements sociaux ont été en difficulté, après des acquis institutionnels réels (loi sur l’avortement, etc). La CADAC (Coordination des associations pour le droit à l’avortement et la contraception) a été construite en 1990 pour renforcer la mobilisation pour l’avortement et la contraception. Un appel a ensuite été lancé en 1995 pour une grande manifestation pour les droits des femmes qui a eu lieu le 25 novembre avec plusieurs dizaines de milliers de personnes à Paris. Cette action a été une des premières manifestations du mouvement de novembre-décembre 95. A sa suite, le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) a été lancé en 1996, regroupant syndicats, associations, partis politiques, personnalités féministes. Une nouvelle dynamique féministe s’organisait. Notamment avec des syndicalistes CGT, FSU, des militantes CFDT (de l’opposition), du Groupe des 10, de SUD PTT (l’Union syndicale Solidaires sera fondée plus tard). L’idée était de créer un espace de réflexions entre syndicalistes. La première a eu lieu en mars 1997, mais il n’en reste aucune trace ! Nous pensions sans doute qu’il n’y en aurait pas d’autres. Mais nous avons inauguré des échanges sur les contradictions possibles entre militantisme féministe et militantisme syndical, entre les discours et la réalité du terrain. Nous avions connu pour certaines les Groupes femmes, et notamment les Groupes femmes d’entreprises, dans les années 1970.

Evelyne Bechtold-Rognon : pour ma part, j’ai rejoint l’expérience récemment. En 1997, la FSU était encore une jeune organisation. Le but de ces journées était d’éviter la concurrence des luttes, de remettre en cause une éventuelle « hiérarchie » entre démarche féministe et démarche syndicale. L’histoire des métiers (exemple historique des typographes) a toujours montré une difficulté pour les femmes de se syndiquer. Mais il y a toujours eu des réseaux de connivences entre syndicalistes femmes de plusieurs syndicats.

Deuxième question : comment appréhender le travail des femmes dans sa totalité, entre le travail salarié et le travail domestique ? Comment traiter ensemble les deux approches ? Comment décortiquer les stéréotypes liés à ces deux niveaux de réalité du travail qui ne sont que rarement pris en compte ? La sociologue Danièle Kergoat, qui a participé aux journées d’études, explique la nécessité d’intervenir « sur les deux champs », ce qu’elle appelle la « production du vivre »…

Evelyne Bechtold-Rognon : Je recommande la lecture de l’article de Jules Falquet (« Ce que le genre fait à l’analyse de la mondialisation néolibérale »-2016), où il compare le travail entre femmes et hommes en postulant que les femmes sont considérées comme « femmes de services » et les hommes comme « hommes en armes ». L’article analyse aussi l’emploi domestique, qui devient rémunéré seulement lorsqu’il est salarié. Par exemple, des femmes qui deviennent « cadres » salarient des femmes pour accomplir des travaux domestiques chez elles. Et ce sont souvent des étrangères qui sont alors embauchées, pour des salaires très bas entre 500 et 800 euros. Ces travaux sont alors « invisibilisés » tout autant que le travail domestique gratuit des femmes à la maison. En fait, il y a deux catégories parmi des femmes embauchées de cette façon : celles qui avaient un travail meilleur avant, et dont la situation se dégrade, mais elles sont plus conscientes de leurs droits ; et les migrantes (pour les 2/3) qui sont soulagées d’avoir enfin un travail et qui acceptent tout. En Grèce, la part du travail des femmes a été multipliée par deux sur le marché du travail grâce aux migrantes devenues domestiques.

Annick Coupé : Dans les programmes des journées, nous avons fait le choix systématique de traiter le travail salarié et le « hors-salariat ». Les inégalités dans le travail renvoient aux inégalités dans la société. Nous avons même choisi de traiter des questions très éloignées en apparence du travail salarié et des approches syndicales comme le sport (et les femmes), la culture, l’art, etc.  Il n’y a pas pour les femmes de division entre la sphère publique et la sphère privée.

Par ailleurs, l’article de la sociologue Margareth Maruani montre que les femmes ont toujours massivement travaillé au 20ème siècle et pas seulement à partir des années 1950-60 comme on le croit souvent à tort. Cette croyance provient d’un biais ou d’un tour de passe-passe statistique qui est démontré : l’article rétablit la réalité du travail des femmes dans les années 1920-30.

Est-ce que la place des femmes progresse dans le syndicalisme ?

Annick Coupé: Disons : un peu… Diverses mesures ont été tentées : des quotas (qui ne sont pas des fins en soi), la formation, etc. Mais le monde syndical est encore loin de refléter le monde du travail sur la place des femmes. Et cela même dans la fonction publique ou dans la santé où les femmes sont très majoritaires. Mais la pire situation concerne l’exercice des responsabilités, où la place des femmes demeure très faible partout. Le rapport au temps est différent entre femmes et hommes. Depuis la loi Rebsamen, la composition des listes aux élections professionnelles doit refléter la composition du salariat. Je ne trouve pas cela scandaleux, contrairement à certaines réflexions que j’entends sur cette question dans les syndicats.

Par ailleurs, une nouvelle génération de féministes émerge depuis 7 à 8 ans. Le féminisme n’est plus un repoussoir, alors que c’était le cas dans les années 1990. Et d’autres débats surgissent comme l’intersectionnalité. En revanche, nous avons mis de côté dans nos journées les débats sur les processus de racialisation parce qu’ils sont compliqués et conflictuels. Le terme même de « racisation » de certaines femmes est refusé par une partie des féministes.

Propos recueillis par Jean-Claude Mamet.

 

 

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