52ème congrès CGT, les enjeux, les controverses

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Ci-dessous une contribution présentant les enjeux du 52ème congrès de la CGT (13 au 17 mai 2019). Nous remettons (ici : https://wp.me/p6Uf5o-2qv) l’accès aux documents mis en débat. Cet article comportant une dimension de débat critique et aussi de polémique avec certains des contradicteurs de l’orientation CGT, nous avons mis à disposition, pour éclairer un encadré en fin de page,  un article récent de Jean-Pierre Page, ancien responsable du secteur international de la CGT et partisan de son retour à la Fédération syndicale mondiale (FSM). C’est un enjeu important du congrès.

 

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CGT : un congrès lourd d’enjeux

Jean-Claude Mamet

De congrès en congrès, les enjeux deviennent de plus en plus décisifs pour la CGT. Au congrès de Marseille d’avril 2016, en pleine mobilisation sur la loi Travail, il s’agissait à la fois d’agir en phase avec le mouvement, mais aussi de solder une crise de direction (crise Le Paon), en réalité plus profonde sur le mode d’organisation CGT et la stratégie. A Dijon, au 52ème congrès du 13 au 17 mai 2019, tout ce qui n’a pas été résolu précédemment sera mis sur la table, au risque d’un embouteillage.

Mais il faut aussi reconnaitre que les problèmes posés touchent tout le syndicalisme, toutes les organisations qui agissent dans les luttes sociales, voire même interrogent sur une crise globale de l’organisation des luttes collectives et de leur expression.

Le défi Gilets jaunes

La première chose qui frappe en cette période de préparation d’un congrès, c’est que rien ne semble prévu pour susciter le débat dans les publications de la CGT : pas d’espace dédié, pas de tribunes, ni écrite ni électronique. C’était pourtant une tradition.

Il y a certes dans la NVO d’avril 2019 des reportages intéressants sur les initiatives prises par certaines organisations CGT pour encourager la discussion (Est de la France, Paris).  Ajoutons qu’on peut lire sur le site de certaines structures (exemple : chimie) des commentaires très critiques sur l’orientation proposée pour le congrès. Nous y reviendrons. Sans préjuger du fond, il est d’ailleurs assez normal et sain que des structures CGT (fédérations, UD, UL…) s’expriment sur les questions en débat. Un congrès CGT est certes « le congrès des syndicats », selon la formule consacrée et statutaire. Mais le syndicalisme étant un mouvement collectif, chaque structure a acquis une expérience qui rend légitime son point de vue, s’il est partagé et s’il permet un échange utile (comme on peut l’observer dans les congrès d’autres organisations, comme Solidaires ou la FSU, où les fédérations et unions syndicales font souvent connaitre leur point de vue sur les débats en cours). Cela n’empêche pas forcément- au contraire- qu’en dernier ressort ce soient les délégué-es des syndicats qui proposent et tranchent par leur vote.

Le congrès se tiendra en situation « chaude », avec la secousse énorme que provoque dans la société et le syndicalisme le mouvement des Gilets jaunes. Il y aura très probablement une « motion d’actualité » au congrès sur ce point. Ce fut le cas au congrès de Marseille en plein cœur de la lutte contre la loi Travail. Cette fois-ci, comme rien dans les documents mis à disposition n’évoque l’actualité, l’attente risque d’être décuplée. Or, il suffit d’écouter les militants-es CGT, ou de lire la presse CGT : le mouvement des Gilets jaunes est sur toutes les lèvres, dans toutes les têtes. Le numéro 1751 du Peuple (organe officiel de la CGT) de février 2019, qui retranscrit les débats du Comité confédéral national (CCN), réunissant avant le congrès les directions fédérales et départementales, montre à quel point la situation obsède le réseau militant. Quasiment toutes les interventions, à commencer par le rapport de Philippe Martinez, évoquent le défi des Gilets jaunes pour le syndicalisme. Soit pour prendre distance, soit pour trouver au contraire le moyen de converger et d’amplifier le rapport des forces sociales.

Il serait donc logique que les organisations et délégué-es puissent assez tôt disposer d’une actualisation de la partie du texte d’orientation exposant la stratégie des luttes. Attendre le congrès serait prendre le risque d’une exaspération. D’autant plus que la « matière CGT » est devenue facilement inflammable : les congrès sont souvent le théâtre d’expressions de colère, d’autant plus vives que le débat démocratique, le traitement tout à fait normal des divergences, n’est pas préparé en amont. Cela témoigne d’une inquiétude existentielle : la CGT est-elle encore en phase avec son temps ? N’est-elle pas dépassée sur sa gauche par des mouvements plus efficaces ? Est-elle encore enracinée dans la réalité du monde du travail ? Que faut-il faire pour remonter la pente ? Et inversement, pourquoi la CGT est-elle concurrencée sur sa droite, en matière d’implantation, par une CFDT dix fois plus éloignée qu’elle des attentes populaires les plus vives ?

Beaucoup dans la CGT tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme, notamment sur la baisse des recrutements. Des (bonnes) résolutions ont été prises, mais peu appliquées. Comme si la structure CGT était paralysée par une sorte d’inertie des volontés rendant tout changement très difficile. Il en va de même de l’évolution des structures elles-mêmes. Pas mal de jeunes salariés-es regardent la CGT (voire au-delà le syndicalisme en général) comme une machine inadaptée à leurs attentes. Lorsqu’ils ou elles côtoient des cégétistes dans le travail quotidien, il n’y a pas d’hostilité, au contraire même. La demande d’un outil de type syndical existe donc. On le voit avec les « cortèges de têtes » très vivants qui précédent depuis 2016 toutes les manifestations. Mais justement, ce « syndicalisme et ces interpro de la rue » (où tous les métiers se mélangent), expriment une liberté d’agir nouvelle, « pour un syndicalisme du mouvement » (voir nos articles à ce sujet dans : www.syndicollectif.fr).

La CGT menacée

Autrement dit : dans quelle société vivons-nous ? Après plus d’un siècle d’existence, la CGT n’est-elle pas menacée comme elle a pu l’être après la chute du mur de Berlin, comme en témoignait les débats des années 1990 ?  Heureusement, la première salve des luttes contre la domination libérale du monde (1995 et années suivantes) a opportunément redonné de l’énergie collective.

Quinze ans après, la défaite de 2010 sur les retraites, contre Sarkozy, a fortement ébréché cette illusion. Le renouveau possible des méthodes d’action que la bataille de 2016 contre la loi Travail avait mis à jour n’a pas été exploité. La portée politique de la lutte sociale- alors que l’intersyndicale de 2016 était de fait l’opposante principale du gouvernement- n’a pas été exploitée syndicalement (ni politiquement d’ailleurs), laissant ainsi s’installer l’idéologie macronienne et son triomphalisme désespérant. L’Etat néolibéral et vertical enrégimente la question sociale à coup de mesures fiscales, détruisant le salaire socialisé, accompagné de mépris et de répression violente.

Mais la chaine sociale a craqué dans un maillon inattendu et souterrain. Les invisibles, les non syndiqués, les non organisés, les abstentionnistes, les révoltés jusqu’ici sans voix, ont fait irruption sur la scène. Cette révolte, non issue du syndicalisme, charrie bien sûr des scories, des dérapages de toutes sortes (parfois instrumentalisés), souvent porteurs de schémas invraisemblables sur le lieu et l’origine des inégalités sociales (les Champs-Elysées par exemple). En apparence, il ne prend pas pour cible directe le patronat. Mais cahin-caha, il s’est peu à peu coagulé dans une dimension « classiste » bien que non clairement formulée. Des équipes CGT le voient bien et tentent la jonction. La direction de la CGT le reconnait. P. Martinez le dit : ce sont presque nos propres revendications. Mais sous prétexte qu’il n’y aurait pas d’interlocuteur chez les Gilets jaunes (ou qu’il y a des « petits patrons » parmi eux), rien n’est fait nationalement pour construire une politique d’ouverture. La CGT reste dans son couloir.

Le résultat est le suivant : les deux mondes de la résistance sociale- mouvement des Gilets jaunes et syndicalisme- continuent à se regarder en chien de faïence. Les deux cours d’eau ne forment pas un fleuve. La combativité « jaune » se répand dans la société, dans les luttes, dans le regain de vigueur des luttes de chômeurs, ou le dynamisme retrouvé dans l’Education nationale. Mais personne nationalement (sauf des structures CGT dites « oppositionnelles ») ne cherche à faire synthèse, personne ne tend la main à l’autre. Comme si on attendait que…tout redevienne comme avant. Mais qui n’avance pas recule.

 

L’intérêt du document d’orientation

 

Le document d’orientation proposé au congrès ne manque pas d’intérêt.  Il comprend un préambule et cinq parties : 1 : réalité et avenir du travail ; 2 : Statut du travail salarié ; 3 : Rapport de forces et convergences des luttes (dont la question de l’unité) ; 4 : Déploiement, syndicalisme de masse ; 5 : Enjeux européens et internationaux.

A propos du thème « travail », la CGT a entrepris une réelle évolution. On peut s’en apercevoir par sa participation active au Collectif Travail et Démocratie, mis en place depuis l’automne 2018 avec des chercheurs, des psychologues, des associations agissant sur ce thème, des SCOP, des analystes et experts CE et CHSCT, et aussi d’autres syndicats (Solidaires, FSU).  Le Collectif Travail et Démocratie vise à approfondir l’approche du travail et montrer les retards du mouvement ouvrier à cet égard. Les cégétistes présents, en responsabilité confédérale, expliquent le renouvellement d’approche : pas seulement écouter les salarié-es, pour ensuite mieux leur transmettre la vérité CGT (conception « avant-gardiste » remise en cause). Mais considérer que les salariés eux-mêmes sont les meilleurs « experts » de leur travail concret, celui qui est rarement étudié et discuté, et faire d’eux et elles des « passeurs de parole ». Cette méthode (qui porte des résultats revendicatifs et en syndicalisation) se retrouve dans le document. Mais il n’est pas certain que toute la CGT se soit emparée de cette approche nouvelle partout au même niveau. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cette question figure en tête des documents de congrès. Sauf qu’au congrès lui-même, il en est peu question. On vérifiera à Dijon le chemin parcouru.

Il est également possible qu’au congrès, comme cela a déjà été le cas, l’approche par « la porte d’entrée du travail » entre en tension avec la démarche plus ancienne, qualifiée un moment de « colonne vertébrale » :  celle du « statut du travail salarié », et de la « sécurité sociale professionnelle », point 2 du document. Cette autre démarche a longtemps été soupçonnée de dérive « réformiste » (négligeant la lutte contre les licenciements et la responsabilité des patrons), ou de possible mise en cause des « acquis » des conventions collectives existantes ou encore du statut de la fonction publique ou des entreprises publiques (SNCF, EDF…). Il y a donc maintenant une double crainte : que la « démarche travail » dérive elle-même vers une adaptation de la CGT à la seule écoute des salariés et donc à l’oubli des orientations « de classe » du syndicat. Crainte s’ajoutant à celle plus classique que le « statut du travail salarié » englobe et dilue les statuts publics, à l’heure où le gouvernement les attaque frontalement. Le document s’efforce de montrer la complémentarité des approches, mais réussira-t-il à convaincre ? Cette question (le travail concret ou « réel », et les statuts professionnels) n’agite pas que la CGT. Elle est au centre de bien des controverses publiques.

S’y ajoute un défi supplémentaire : les travailleurs des plates-formes, les autoentrepreneurs, qui n’ont pas le statut juridique de salariés (et souvent affirment refuser la « subordination » qu’ils subissent pourtant de plein fouet sur le plan économique) intéressent-ils la CGT ? Faut-il et comment les syndiquer, les organiser ? Il y a des résistances. Le document semble évoluer vers la notion de « statut du travail » tout court, englobant les statuts ubérisés, ce qui pourrait provoquer des inquiétudes. L’évolution contemporaine du monde du travail sous domination néolibérale percute fortement les routines syndicales.

Les luttes, c’est politique

Les difficultés de la convergence des luttes sont abordées sans faux fuyant : « Les dernières manifestations interprofessionnelles n’ont pas recueilli la masse attendue au-delà de nos forces et de notre corps militant » (document d’orientation). Et beaucoup oralement ajoutent : nous sommes mêmes en-dessous de nos forces. Au CCN de février, certaines interventions rapportées dans le Peuple N° 1751 demandent des explications aux fédérations qui n’appellent pas aux actions confédérales décidées collectivement.

Là encore, là surtout, la question des Gilets jaunes interpelle fortement. Pourquoi les luttes syndicales ne font guère trembler le pouvoir (quand bien même elles mobilisent maintenant plus de monde les 5 février et le 19 mars que le total des manifestations Gilets jaunes), alors que les Gilets jaunes l’ont fait vaciller sur ses bases à la fin de l’année 2018 ? La CGT argumente sur la grève, que les Gilets jaunes n’emploient pas, et qu’elle qualifie comme « l’arme la plus efficace ». Le document d’orientation n’oublie pas cependant de pointer d’autres outils et « l’inventivité dans la conduite des luttes » : pétitions « virales », actions Robin des bois (remise de l’électricité aux ménages subissant des ruptures), etc. On se souvient aussi des débats chez les cheminots à propos de la grève 2 jours sur 5 du printemps 2018.

Il faut le reconnaitre : le débat sur la stratégie des luttes, comme le printemps 2016 l’a montré, est devenu très difficile. Mais peut-être faut-il admettre aussi que ce qui a fait la force des Gilets jaunes à la fin de 2018, outre une popularité incroyable, c’est leur audace à cibler le pouvoir politique : Macron symbole de l’Etat néolibéral honni. Or, c’est bien cet objectif de politisation que le mouvement de 2016, ou celui des cheminots de 2018, n’a pas voulu ou su prendre en charge. Admettre la dimension politique de l’action est une des questions nodales que le syndicalisme bercé par une certaine liturgie de la Charte d’Amiens de 1906 ne parvient pas à résoudre. Sans oublier les rapports de …subordination que la CGT a elle-même acceptés au cours de la période Union de la gauche et de symbiose avec le PCF. Période dont elle voudrait justement se débarrasser, mais sans avoir inventé de réponse nouvelle, au-delà de la sempiternelle affirmation que la CGT « n’est pas neutre », mais refuse la « co-élaboration d’une projet politique » (déclaration d’octobre 2005).

Avec le processus « Marée populaire » de 2018, qui avait abouti à la manifestation du 26 mai 2018, et qui associait syndicats, associations, forces politiques, une ébauche de nouvel outil semblait s’inventer. Sans parler de « co-élaboration », un processus d’échange aurait pu s’amorcer sur le fond. Mais la CGT a dit en septembre 2018 que Marée Populaire ne devait pas être un « collectif pérenne ». Qu’en pense-t-elle maintenant ? Le document n’en dit pas un mot, sans fermer la porte aux « convergences » « avec le monde associatif et politique ». Pourquoi mettre le monde associatif sur le même plan que les forces politiques, comme cette phrase semble le suggérer ? Comment avancer  ?  Rien n’est précisé.  Le débat, même s’il est complexe (c’est le cas dans tous les syndicats), n’est pas posé. Or, la CGT, par toute son histoire, ne peut pas rester muette, ou trop générale, sur une telle question. Mettre la poussière sous le tapis ne prémunit personne.

 

L’unité, pomme de discorde

La construction du rapport des forces débouche sur le débat très clivant à propos de l’unité syndicale. Vieille question, là aussi. Dans toute son histoire, la CGT n’a cessé d’alterner entre phase unitaire (1966-1978) et phase de repli (mandature Krasucki au début). Tout en affichant que « la promotion d’un syndicalisme unifié est au cœur de son identité » (document d’orientation du 52ème congrès). Cela fait en effet partie de ses statuts.

Louis Viannet a tenté, avec la conception du « syndicalisme rassemblé », de dépasser le faux clivage entre l’unité par le bas (celle des travailleurs), souvent priorisée par les sectaires, et l’unité par le haut, qui serait celle des dérives « réformistes ». La formule de Viannet semblait donc plus complète et prometteuse. Elle le fut en 1995 (ou encore en 2006 contre le CPE), mais dès la fin des années 1990, elle a été comprise, malgré toutes les dénégations des secrétaires généraux successifs, comme une volonté de privilégier la CFDT. En réalité, cette formule est devenue au fil du temps une rhétorique de l’unité, sans que rien ne change dans le paysage syndical, où la CGT devait…rester la CGT immuable. Ainsi les rapprochements esquissés avec la FSU (au moment du congrès de Nantes en 2009) ne donnent lieu à aucun débat, hormis pour quelques initiés. Quant à Solidaires, dont le réseau militant recherche sur le fond la même chose que la CGT, jamais la CGT n’en discute : c’est un angle mort.

L’alternance des phases d’unité et de repli sur la seule CGT est donc repartie de plus belle après la défaite de 2010, où la CFDT faisait partie du front syndical tout en freinant des quatre fers. Mais la CGT est moins que jamais en situation de mobiliser seule (comme certains en rêvent) à la hauteur des attaques du capitalisme libéral et des gouvernements à sa botte. D’autant que le monde social bouge en profondeur sous les pas des militants essoufflés par trop de tâches. Les jeunes, les précaires, les femmes, les catégories des services, de l’économie numérique, ne se reconnaissent pas dans les traditions et les routines syndicales.

Dans cette situation où il faudrait discuter calmement des limites atteintes par les pratiques routinisées, certaines organisations CGT estiment que « c’est la faute au syndicalisme rassemblé », et notamment des rapports avec la CFDT (pourtant bien minces !) si des luttes d’ampleur ne sont pas menées. Certains en viennent même à penser que l’unité d’action de 2016, scellée avec Force ouvrière pendant six mois, a également été la cause de la défaite, redoublée en 2017 sur les ordonnances Macron. Cette critique interne a été entendue au 51ème congrès de Marseille par Philippe Martinez, qui a paru enterrer le « syndicalisme rassemblé » (la formule) et admettre qu’elle avait conduit à trop privilégier des rapports de « sommet ». Mais là encore, la formule tant décriée n’a pas été remplacée par une vision nouvelle. Une partie de la « base » a été rassurée provisoirement, mais la stratégie CGT n’y a rien gagné en clarification.

Le document du 52ème congrès, fort heureusement, insiste à nouveau sur l’impératif unitaire. La nécessité du rassemblement « permanent » réapparait, avec la bonne indication : viser la masse des travailleurs. Mais si comme l’affirme le document, le « trop grand nombre d’organisations syndicales » finit par « nuire au rassemblement du monde du travail », aucune esquisse n’est tracée pour en sortir par le haut et susciter une nouvelle dynamique militante dans le salariat. Par exemple en approfondissant les rapprochements (une esquisse avait débuté avec FO avant sa crise de direction) avec ceux qui sont les plus proches (FSU, Solidaires, FO). En posant ouvertement le défi d’un pôle commun structuré et stable, incluant le monde associatif. Et simultanément en proposant un cadre de débat public avec les organisations les plus éloignées (CFDT) dans leurs conceptions nationales, mais dont les militants-es peuvent être plus disponibles sur le terrain.

Or la CFDT a récemment réussi deux choses : promouvoir un cadre commun de propositions avec d’autres syndicats (UNSA, CFTC) et des associations (17 organisations en tout), tout en amplifiant l’écho de cette démarche avec l’aide du « politique » Nicolas Hulot. La CFDT « opposante » de Macron, comme le dit généreusement Le Monde ? Certainement pas, mais capable d’initiative : oui.

Il faut espérer que la CGT innove vraiment, en lien avec d’autres organisations qui apporteraient du sang neuf à une force commune à inventer. Beaucoup de gilets jaunes pourraient aussi redonner de l’énergie au syndicalisme, si celui-ci ouvre ses portes et accepte d’être bousculé.logo-federacion-sindical-mundial

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L’international et l’Europe, terrains d’affrontements

Le congrès de Dijon pourrait être le théâtre de vives empoignades sur les affiliations internationales de la CGT, à savoir la Confédération européenne des syndicats (CES) et la Confédération syndicale internationale (CSI, née en 2006). Un nombre de plus en plus grand de structures CGT (fédérations chimie, commerce, agro-alimentaire, unions départementales 13, 94, des syndicats) estiment que la CGT devrait quitter ces organisations et réadhérer à la Fédération syndicale mondiale (FSM) dont elle était sortie en 1995. Elles prétendent ce faisant que la CGT renouerait avec le véritable syndicalisme « de classe » (et de masse ?) ou en tout cas, ne serait plus embarrassée par ses rapports avec la CFDT soupçonnée d’influer davantage sur la stratégie de la CGT depuis que celle-ci est entrée à la CES (début 2000). Comme l’explique Jean-Pierre Page, ancien responsable du secteur international CGT et théoricien du projet d’un retour à la FSM : plutôt que la CGT influence et rende la CES plus combative, « la transfusion idéologique [s’est] opérée dans le sens inverse » (voir notre encart ci-dessous sur cette tribune co-signée Jean-Pierre Page et Pierre Lévy, ancien journaliste à l’Humanité).

Ces syndicats et fédérations CGT « pro-FSM » mettent bien sûr le doigt sur certaines failles de la stratégie CGT. Elles avaient (pour certaines) participé en 2013-2014 à la formation du Collectif Alternative à l’Austérité (Collectif 3A) lancé à l’initiative de la Fondation Copernic contre la politique de François Hollande. Et en ce moment, elles critiquent la frilosité de la confédération qui se refuse à tendre clairement la main au mouvement des Gilets jaunes. C’est pourquoi elles organisent, sans aval confédéral, une mobilisation nationale à Paris le samedi 27 avril prochain, en ayant auparavant pris contact avec des figures connues des Gilets jaunes (comme Priscillia Ludoski) afin de tenter une action commune. La disponibilité de P. Ludoski montre qu’une démarche confédérale était possible. Mieux : qu’elle aurait pu se faire avec d’autres organisations syndicales qui soutiennent les Gilets jaunes (ce qui ne sera pas le cas le 27 avril).

Néanmoins, si ces structures ne manquent pas d’arguments pour critiquer aussi l’inaction de la CES (qui pourrait après son congrès de juin 2019 être présidée par Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT !), la « solution FSM » proposée en alternative au couple maudit CES-CSI laisse pantois.  Si la FSM a pu après la 2ème guerre mondiale représenter un court moment et réellement le mouvement syndical mondial, elle est vite devenue après la guerre froide une branche des appareils d’Etat de l’URSS et ses satellites. Et même pire : une structure proche des Etats dictatoriaux alliés de la diplomatie soviétique. Il parait donc invraisemblable qu’après l’écroulement des pays faussement appelés « socialistes », il y a près de 30 ans, certains syndicalistes regardent encore de ce côté pour trouver une solution aux difficultés bien réelles du syndicalisme contemporain et international.

L’hypothèse d’explication qui vient à l’esprit est la fascination que peut exercer un discours apparemment anti-impérialiste, propre à la FSM, dans certaines structures dirigeantes CGT et pour un certain nombre de militant-es. Ceux-ci ressentent douloureusement que la CGT n’est plus exactement le très grand syndicat hégémonique qu’elle a été, ce qui est dur à admettre (le même ressentiment existe au sein du PCF par exemple, ce qui explique son repli identitaire à son congrès de novembre 2018). Pour la CGT, la solution d’un retour à la FSM ne serait en aucun cas la reprise d’une stratégie « lutte de classe » en phase avec le salariat de notre temps. Elle irriguerait toute l’organisation d’une phraséologie creuse, et qui la menacerait dans son existence même, la coupant des attentes du monde du travail. Elle symboliserait non pas l’avenir, mais un retour vers le passé.

Le syndicalisme, et donc la CGT, en ce 21ème siècle tellement surprenant, est confronté à un problème gigantesque de renouvellement de ses méthodes, de son langage, ses modes d’action, avec un salariat bien plus cultivé, féminisé, ouvert au défi écologiste, pétri d’exigences démocratiques. Pas moins combatif, mais désobéissant. Pas moins radical, mais exigeant du concret. Pas replié sur des certitudes, mais ouvert au pluralisme des expériences et des idées nouvelles. Et sans doute prêt à bousculer les frontières anciennes qui enferment encore trop la CGT dans la perpétuation du même.  La CGT possède les ressources pour cette transformation, cette sortie de crise vers le haut. Le temps est venu d’une nouvelle Confédération unitaire du travail, tournée vers les autres syndicats, avec les gilets jaunes qui le voudront, avec l’invention associative et les expériences vivantes, déjà là autour de nous.

Le 22 avril 2019.

  • Télécharger un article de Jean-Pierre Page et Pierre Lévy : page tribune avec levy
  •  Ci-dessous notre commentaire

Le grand soir anti-impérialiste de Jean-Pierre Page

Voici une étrange tribune en duo de Jean-Pierre Page et de Pierre Lévy, intitulée « Le congrès de la CGT en route vers un basculement conforme à l’idéologie dominante ? », publiée dans le site Le Grand Soir du 16 avril 2019.

Pour illustrer combien ils défendent tous les deux une conception radicalement anti-impérialiste, ils expliquent : « Ceux qui ont armé, financé, organisé, formé les combattants étrangers chargés de renverser le pouvoir syrien, moyennant des souffrances et des destructions inimaginables, ne sont pas des gouvernements inconnus. Et les marchands d’armes ne sont pas des entreprises clandestines. ». Certes ! Mais voilà un étrange renversement des faits : ce ne serait donc pas la Russie qui a bombardé la Syrie et les populations syriennes, pour maintenir debout le tyran assassin de son peuple Bachar El Assad, mais d’autres « gouvernements marchands d’armes ». Tellement marchands d’armes impérialistes qu’ils étaient comme Ponce Pilate dans ce massacre, tant qu’il ne menaçait pas leur ordre du monde. Ils se sont bien gardés par exemple de livrer des armes efficaces aux combattants syriens issus de la révolution populaire de 2011 (comme en Tunisie et Egypte). Des combattants qui en 2011-2012 étaient forcés à prendre les armes puisque Bachar s’est mis à tuer à bout portant son propre peuple, tout en favorisant l’islamisation armée de la rébellion afin de troubler et tromper ses soutiens dans le monde.

 Le même article Page-Lévy pourfend ensuite les conceptions CGT selon lesquelles « le fait migratoire est un phénomène incontournable, stable et continu dans l’histoire de l’humanité ». Autrement dit un fait social et historique, et nullement un fait de « nature » comme ils le disent. Ils assimilent cette conception à celle de l’impérialisme, alors qu’il s’agit plutôt de comprendre et défendre que le rôle de l’Europe et de la France est bien d’accueillir les migrants, qu’ils soient économiques ou fuyants les guerres (Syrie !), comme première action d’urgence (comme le recommande la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948). Au lieu de soupçonner les migrations « de mettre toujours plus de travailleurs en concurrence, et d’imposer ainsi la baisse du prix du travail », ce qui conduit immanquablement à introduire le doute dans la tête des populations (et des syndicalistes !) qui veulent pratiquer l’accueil, et ainsi laisser faire le renvoi des réfugiés ou le refus d’accostage des navires humanitaires.

Ces conceptions ne sont pas étonnantes venant du cosignataire de ce texte à côté de Jean-Pierre Page : Pierre Lévy est en effet devenu rédacteur du mensuel souverainiste Ruptures, très anti-européen, qui ne craint pas de mélanger dans sa rédaction des chroniqueurs de gauche et de droite (y compris à l’UPR). Pierre Lévy se félicite par ailleurs du Brexit, et laisse entendre dans une interview au média RT France que ce qui s’est passé en 2005 en France, avec le refus du TCE, en était une ébauche. Anti-impérialiste ?

JCM

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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