53ème congrès CGT (4) : écologie et luttes de classe

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Le document préparatoire au 53ème congrès de la CGT est presque vide sur la transition écologique. C’est tout à fait paradoxal puisqu’un des points de débat depuis 2020 porte justement sur cette question emblématique, avec la participation de la CGT au Collectif Plus jamais ça. Cet article vise à problématiser cette question.

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La CGT et le défi écologique

« Un défi majeur » : c’est ainsi qu’est nommé dans le document CGT le défi de l’environnement. Il s’agit d’affirmer que « sans sortie du capitalisme, nous ne sauverons pas nos conditions d’existence sur la planète », qu’il n’y a pas de « combat contre la fin du monde » sans « agir sur la fin du mois ». Et ajouter que la CGT dénonce « le concept de capitalisme vert ». D’autres petits paragraphes peu diserts appellent à « lier urgence sociale et urgence environnementale ». D’où la nécessité de développer les « coopérations avec le monde associatif », dont le collectif Plus jamais ça, sans plus de précision.

Au total, il n’y a donc pas d’argumentation développée. C’est un paradoxe, car le précédent congrès contenait des développements beaucoup plus amples sur deux pages. C’était en 2019, bien avant la création de Plus jamais ça. Il vaut la peine de rappeler certains thèmes de 2019 :

  • La responsabilité de l’industrie :

« Pendant un siècle et demi, l’industrie a constitué le vecteur d’une formidable accumulation du capital. [ […]. Elle a été au principe des logiques et des errements ayant conduit aux dérives actuelles : réchauffement climatique, épuisement des ressources, invasion des déchets, destruction de la biodiversité, la faim et la malnutrition… »

  • Une nature « exploitée» :

« La pression sur une nature exploitée comme buton par ses prédateurs, en méprisant l’équilibre écologique fondamental, s’accompagne d’une forte augmentation des inégalités sociales. »

  • Mesures à prendre :

« Des mesures urgentes doivent être prises pour mettre en place une politique énergétique et de transports tournée vers l’intérêt général, afin de pouvoir avancer vers un mix énergétique bas « carbone », notamment par le développement du transport ferroviaire, fluvial… passagers et fret. »

  • Homme et nature :

« C’est un combat qui vise à tenir ensemble l’Homme, le travail et la nature. […]. Cela suppose aussi qu’une autre économie et qu’une autre façon de consommer émergent. C’est une responsabilité confédérale qui nécessite une coopération étroite entre l’ensemble de nos organisations professionnelles et territoriales, et aussi aux côtés d’autres organisations associatives ou politiques, d’organisations non gouvernementales, de mouvements citoyens, de jeunesse… »

  • Economie circulaire :

« Actuellement, l ’activité industrielle génère des déchets que les technologies ne peuvent pas recyclées…Cela appelle à l’investissement dans des organisations industrielles de type « circulaire » où les déchets d’une phase productive sont réutilisés comme matériaux pour la phase suivante. »

  • « Réduire » certaines productions :

« Cela pose de savoir comment produire, pour quelles finalités   sociales et    avec quels impacts environnementaux ? L’urgence écologique appelle une action en termes de recherche, d’industrie et de technologie, mais aussi en termes de réduction de certaines productions et sur leur durabilité ».

On voit donc ici l’amorce d’une véritable réflexion et orientation, pas vraiment reprise pour le 53ème congrès. Cependant, depuis le congrès de 2019, des « organisations professionnelles » de la CGT ont produit leurs propres matériels.

Le débat CGT en « coopération »

Il serait très utile de recenser tous les documents dans lesquelles la CGT, ses syndicats, ses fédérations, ou parfois ses militant-es engagé-es à titre personnel, ont produit des élaborations. Il y a là sans nulle doute une richesse, probablement avec des différences d’approches. Mais une discussion dépassionnée devrait être intéressante. Nul doute qu’elle serait aussi liée à la problématique du « travail » qui a été remise à jour depuis quelques années, comme les documents de congrès successifs en témoignent, mais pas beaucoup les interventions des délégué-es.

Voici quelques exemples :

  • CGT cheminote : « Ensemble pour le fret» est un argumentaire (septembre 2020) très bien fait de la fédération cheminote qui vise à démontrer, avec 13 propositions, la nécessité et la possibilité de reconquérir le transport du fret ferroviaire. Citons l’introduction : « De 2002 à 2018, les volumes transportés par le train sont passés de 50 milliards de tonnes.km (GTK) à seulement 33. Pour chaque tonne abandonnée ou perdue par la SNCF, la moitié est allée directement à la route. »
  • Document commun CGT cheminots, métaux, transport. On peut y lire ceci : «La CGT propose le doublement de la part des modes doux (trains, transports en commun, fluvial) dans le transport de marchandises et de voyageurs, ce qui serait une véritable rupture avec la politique du tout routier ». A noter aussi :  la « gratuité » des transports pour les plus précaires, et la « sécurité sociale professionnelle » pour affronter les transitions. Cependant, les prévisions gouvernementales de transport camions et avions semblent être soutenues : « huit ans de commandes » saluées pour Airbus, alors que sur Toulouse un débat nourri existe sur l’avenir de l’aéronautique (voir ci-après).
  • Toulouse : « Penser l’aéronautique de demain» (PAD) : Depuis la phase COVID et l’arrêt des avions à l’époque, une réflexion approfondie se déroule à Toulouse sur l’avenir de l’aviation et donc sur l’industrie aéronautique. C’est une quasi-mono-industrie dans cette métropole. Il y a Airbus, mais aussi un grand nombre de sous-traitants. 100 000 emplois sont concernés. Un collectif d’associations, de syndicats et de syndicalistes (comme Xavier Pétrachi de la CGT Airbus), de chercheurs, s’est mis en place sous l’appellation « Penser l’aéronautique de demain » (PAD). Il est en relation avec l’association The Shift Project (plutôt pronucléaire sur la question énergétique). Syndicollectif a publié plusieurs travaux relatant ces débats. Bruno Jougla, un des co-auteurs d’une recherche explique :  Il faut une rupture avec les codes actuels pour que cela fonctionne. Aller vers plus de sobriété, repenser la place et le partage du temps de travail et surtout la gouvernance des entreprises. Il n’est pas normal que les salariés des grands groupes de l’aéronautique n’aient pas leur mot à dire sur les grands enjeux d’avenir”.
  • Automobile : Un document de la fédération métaux CGT se prononce contre le « tout électrique», sans le rejeter. Le tout électrique, de plus en plus prisé par les grands constructeurs pour faire du profit sur les gros modèles (SUV), a un coût écologique très élevé, contrairement aux apparences. Dans le document de la fédération métaux, on peut lire la proposition de la CGT Renault : La CGT Renault préconise la production d’un petit véhicule électrique populaire, dédié à l’usage quotidien et produit en France. …Une autonomie de 150 km est largement suffisante… ». Peut-être faudrait-il ajouter à cette proposition la nécessaire coordination avec des transports publics développés, et une sécurité renforcée sur l’utilisation encouragée du vélo dans les villes. Et donc une planification démocratique des transports.

Ces quelques exemples montrent que le syndicalisme CGT n’est pas du tout à court de réflexions. Mais il manque probablement une mise en cohérence, qui avait débuté au 52ème congrès. Par exemple : faut-il dire aujourd’hui que « la sortie du capitalisme » doit conditionner la lutte pour la transition écologique ? C’est peut-être dans le court de l’action écologique que la prise de conscience anticapitaliste peut jaillir, sans hiérarchiser. La jeunesse d’aujourd’hui ne semble pas faire de distinction. Pas plus que les femmes n’ont à attendre la fin de l’exploitation capitaliste pour agir sur l’égalité et les violences. Où les sans-papiers pour être accueillis dans la dignité. C’est le débat démocratique qui permet d’ordonner les combats à chaque moment.

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« Double besogne »

Cependant le défi écologique force à repenser autrement la façon dont tous les combats se coordonnent et se nourrissent réciproquement. Il ne suffit pas d’ajouter de l’écologie aux exigences sociales. Le développement industriel a formé une longue tradition professionnelle et donc syndicale. Le travail sur la matière, sur les énergies, sur la transformation de la nature, fait corps avec le vécu militant et humain. La CGT a voulu construire une pratique syndicale « par la porte d’entrée » du travail réel, avec les gestes et les réflexions qui en découlent, mais souvent cachés. Tout cela mérite un débat sans précipitation. Le Collectif Plus jamais ça a amorcé un échange. Mais s’il est vécu dans la CGT comme ayant été plaqué d’en haut, alors il conviendrait d’expliquer comment on avance de manière collective. Il est donc singulier que le document du 53ème congrès se prononce pour le maintien du travail avec Plus jamais ça, sans approfondir davantage le débat de fond débuté au précédent congrès.

Travailler avec des associations ou d’autres acteurs et actrices que les syndicats est en réalité une piste féconde pour poser un problème : est-ce que ce sont les salarié-es de l’automobile, de l’aéronautique, du nucléaire, de l’éducation, ou de la santé, etc. qui doivent trancher les problèmes concernant l’avenir des productions et des services publics ? Pas uniquement. Certains n’aiment pas le mot « sociétal », mais derrière ce vocable peu engageant, ce sont en réalité les questions de toute la société qui sont posées. Les travailleurs et travailleuses sont à la fois producteurs-trices dans leur champ professionnel et usagers dans la vie. Usagers et usagères des services publics, mais aussi de tous les choix faits dans l’industrie et dans l’énergie. La lutte des classes, ce n’est pas seulement le rapport à son patron, elle devient pleinement politique quand elle concerne tous les rapports humains, et leur lien avec la nature.

La transition écologique nécessite donc de partager le débat avec tous les acteurs et la population. Au moment où la CGT réhabilite la « double besogne », c’est-à-dire l’avenir de la société et de l’émancipation collective, il n’y a pas lieu de penser qu’une seule organisation a la réponse à tout.  Sans pour autant bien sûr abandonner la lutte des classes (lesquelles évoluent aussi).

Ouvrir la CGT à toute la société

Dans l’histoire populaire, le syndicalisme et les partis politiques sont des constantes de la vie publique. Les échanges sur leurs « prérogatives » supposées n’ont pas cessé, depuis la fameuse Charte d’Amiens. Cela ne signifie pas pour autant que chaque type d’organisation doit rester campée dans ses frontières, ou que les réponses des syndicats aux changements de société sont à chercher uniquement dans leur espace interne. Avant la Charte d’Amiens, en 1901 était votée la loi sur les associations. Aujourd’hui des millions de personnes en font une liberté fondamentale. Le regard historique (années 1830-1848) montre d’ailleurs que « l’associationnisme des travailleurs-euses » a été encouragé par la mémoire de la Révolution française (vécue comme « inachevée ») et l’espoir d’une République sociale. Ce fut le point de départ d’une créativité qui va se ramifier dans plusieurs types d’organisations. La Sécurité sociale ce Croizat (1946) est aussi une création ouvrière : bâtir des caisses uniques, faire voter pour les administrateurs parfois dans les entreprises.

Le syndicalisme doit débattre des défis contemporains. Il n’y a pas de sujet qui à priori ne le concerne pas. C’est ce qui fait son identité au bon sens du terme : un syndicalisme « intégrateur ». Toutes les organisations, syndicales et politiques, ont été secouées par le mouvement des femmes après 1968. Aujourd’hui, la question climatique fait irruption, y compris pour les retraites et le sens du travail. Et le féminisme va bien plus loin avec la politisation des violences sexistes et sexuelles, qui sortent du cadre « privé ».

Ce n’est pas un hasard si la CGT, l’Union syndicale Solidaires depuis toujours, la FSU, et même la CFDT avec le « Pacte du mouvoir de vivre », acceptent de dialoguer avec des associations sur des thèmes précis. Cela n’empêche nullement les débats contradictoires. Au contraire : le débat public démocratique peut proliférer. Les syndicats ne peuvent que renforcer leur légitimité à accueillir ces apports, présents dans le salariat et le monde du travail. Le patio de la confédération CGT à Montreuil pourrait être une « Agora » vivante pour croiser les points de vue.

Jean-Claude Mamet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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