Chez SMART, on a vu que ce que donnait le référendum d’entreprise

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on Google+Share on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Cet reportage dans l’usine SMART de Martine Hassoun, journaliste à Options (mensuel de l’UGICT-CGT), montre bien les effets délétères et anti-syndicaux de l’utilisation du référendum pour imposer des mesures scandaleuses dans les entreprises (et procédure illégale dans le cas d’espèce). Le chantage à l’emploi autorise tout, les salariés ont le pistolet dans le dos.

 

 

11ff9b4c887cc2e009006cc7fd3aeb4c_L

 

Smart, an 01 avant les référendums

 

Travailler plus pour gagner plus : quand les commandes explosent, ça peut se négocier. Mais travailler plus pour gagner moins, qui plus est, quand la demande est atone ? Depuis plusieurs mois, à l’usine Smart d’Hambach, près de Sarreguemines, la durée hebdomadaire de travail peine à atteindre les 35 heures. N’empêche. Depuis le début de l’année, la quasi-totalité des 800 salariés en poste travaillent ici 37 heures par semaine. Et, ont-ils concédé, passeront aux 39 heures en 2017. Seule compensation : deux heures de plus rémunérées –donc deux effectuées gratuitement- et une prime de 1 000 euros, versée pour moitié en 2016 et pour l’autre en 2017. Aucun accord ne le consigne, seulement un avenant au contrat de travail que chaque salarié, ou presque, a accepté de signer.

 

Forcément, la méthode surprend. Non seulement, témoigne Jean-Luc Bielitz, délégué syndical dans l’entreprise, parce que « cette opération devrait permettre à la filiale française de SMART d’économiser plus de 2 millions d’euros ». Deux millions d’euros au détriment du revenu et des conditions de travail des salariés pour un groupe qui, en 2015, a affiché 8,4 milliards d’euros de bénéfice net : c’est peu, bien peu. Mais plus encore, parce que, si l’entreprise pense avoir des difficultés, pourquoi n’a-t-elle pas proposé aux syndicats de négocier un accord compétitivité-emploi ? La réponse est simple : elle aurait dû en justifier la pertinence. Justifier ses intentions, argumenter ses positions : ce que la direction de l’usine Smart d’Hambach semble exécrer. Bien avant la loi « travail », ce site restera dans les annales comme le symbole des relations sociales telles que le MEDEF en rêve.

 

A défaut du droit, la légitimité de l’événement

 

Petit rappel des faits. Si le passage aux 39 heures s’est imposé dans l’usine mosellane, ce n’est pas par la négociation mais au forceps. Avec 37% des voix, la CGT est  la première organisation syndicale. Et dès juillet 2015, alors que la direction affiche ses intentions, avec la CFDT, elle annonce son opposition à ce projet. Avec son homologue, elle est majoritaire en absolu: 53% des voix contre 47% pour la CFTC et la CGC, prêtes, elles, à souscrire aux propositions de l’entreprise. Le droit est pour elle…Elle pense pouvoir l’imposer. Mais, en septembre, stupeur : la direction annonce que, plutôt que par un compromis, c’est par une seule question posée aux salariés que se tranchera la controverse. La question est celle-ci : « oui » ou « non », chacun d’entre eux accepte-t-il « de passer de 35 à 39 heures par semaine en échange d’un maintien de l’emploi garanti jusqu’en 2020 ? ».

 

Légalement, ce sondage n’a aucune valeur. Juridiquement, la consultation des salariés par voie référendaire n’est alors permis aux directions que dans des cas très particuliers. Concernant la signature d’accords, dans les entreprises de plus de 50 salariés lorsqu’il n’y a pas de délégués syndicaux et, dans les entreprises de moins de 50, en l’absence de délégués du personnel désignés comme délégués syndicaux.Rien à voir avec la situation de la Smart. Qu’importe. A défaut d’avoir le droit pour elle, l’entreprise décide d’agir en s’appuyant sur la légitimité de l’évènement. Elle, et elle seule, va faire savoir ce que les salariés pensent d’un allongement du temps de travail. Jean-Luc Bielitz se souvient encore de ce jour où il a vu débarquer de toute la France des journalistes venu couvrir la consultation. « Jamais, je n’aurais imaginé que l’affaire intéresserait jusqu’à la presse nationale ».

 

Comme la CFDT, la CGT aurait pu alors appeler à boycotter le scrutin. Sauf que, sur le fond, elle n’est pas opposée à la consultation des salariés. « La démocratie sociale est l’un des fondements de notre organisation », explique Agnès Le Bot, membre de la délégation CGT lors des négociations sur le dialogue social et membre de la commission exécutive de la CGT. Le syndicat Smart n’a aucune raison d’en contester le principe. Bien sûr, les modalités d’organisation de ce scrutin sont déloyales. « De quelle sondage parle-t-on quand les termes de la consultation ont été définis par une partie en présence et une seule ? », demande la dirigeante syndicale ; ou « lorsque l’invitation à s’exprimer est alimentée par un discours fondé sur la peur et le contournement des organisations syndicales », ajoute Denis Bréant, responsable de l’activité « automobile » à la fédération CGT de la métallurgie. « Lorsque seuls les salariés en poste sont consultés et pas les intérimaires ni les sous-traitants qui représentent à eux seuls plus de 600 salariés ».

 

De 56,1% à 97% des salariés

 

Sauf que, sur le terrain, la réalité est pressante. La CGT ne peut pas se défausser. Tandis que la CFDT recommande de s’abstenir, la CGT appelle à participer au scrutin mais en votant« non ». Au soir du 11 septembre, les premiers résultats tombent :93,3% des salariés sont allés voter, 56,1 % d’entre eux « en faveur d’un retour provisoire aux 39 heures en échange d’une garantie de l’emploi » -74% parmi les cadres qui, dans l’affaire, risquent de perdre 10 jours de RTT, 39 % parmi les ouvriers pour qui s’annoncent dix samedis travaillés et plusieurs précieuses minutes en plus sur les chaines de fabrication-.« Vous allez voir. On va vous répondre à vos attentes! », avait lancé en juin dernier, le directeur des ressources humaines à Jean-Luc Bielitz avant l’ouverture des négociations sur les salaires alors que le militant rappelait les demandes insistantes des salariés à être augmentés. La CGT a vu. D’abord, en juillet, un détournement des Négociations annuelles obligatoires (NAO) : une augmentation de salaire assuré aux personnels par le seul truchement d’une augmentation de leur temps de travail, ce que le Code du travail interdit. Ensuite, le contournement en septembre des organisations syndicales majoritaires par l’organisation d’un référendum… Enfin, les syndicats le découvriront quelques semaines plus tard, l’envoi par la direction d’une lettre à tous les salariés leur enjoignant de signer un avenant à leur contrat de travail matérialisant l’adhésion de chacun à un passage aux 39 heures. Missive qui, pour que les choses soient bien claires, est assorti d’un avertissement : si l’entreprise ne recueille pas 75% de réponse positive, elle lancera un plan social.

 

Clair, net et précis. A Hambach, les salariés restent traumatisés par la crise causée par la fermeture des mines à la fin des années 80… Résultat, mi-décembre, ce ne sont plus 56,1% des salariés qui acquiescent à l’injonction patronale mais plus de 97%. « L’ensemble des salariés sauf vingt-huit d’entre nous », confie Jean-Luc Bielitz. Vingt-huit sur la centaine d’adhérents que compte la CGT… « Si ce n’est pas une machine de guerre contre les droits et repères collectifs, un chantage à l’emploi fondé sur la peur et l’illusion d’un sauve-qui-peut généralisé, je ne sais pas ce que c’est », s’insurge encore Denis Bréant.

 

Depuis le début de l’année, la fédération de la métallurgie, l’UD CGT de Moselle et l’UL CGT de Sarreguemines se réunissent chaque mois avec le syndicat de la Smart. Dans un établissement divisé comme jamais entre personnels « cadre » et personnels « non cadre », l’objectif est clair : aider ses militants à reprendre confiance en trouvant les moyens de renouer le contact avec les salariés ; définir les moyens de d’avancer autant sur la sauvegarde de l’emploi que sur celle des conditions de travail, sur la défense des droits syndicaux et la rémunération des salariés. Alors que les élus CHSCT constatent jour après jour la montée des troubles musculo-squelettiques dans l’usine, l’idée d’une demande d’expertise sur les effets de l’allongement du temps de travail fait son chemin.

 

Autre projet : une action en justice pour amener la direction à revenir à la table des négociations. Ralph Blindauer, avocat à Metz et conseil du syndicat, a plusieurs pistes à proposer pour cela. Notamment, celle-ci : demander l’interdiction de l’application des avenants au contrat de travail compte tenu de la violation qu’ils constituent au respect du droit d’opposition lancé par la CGT et la CFDT. « Une approche, assure-t-il, qui aurait le mérite de ne pas remettre en cause la prime déjà versée ». « Tout est possible. Tout, assure Samir Boualit, le nouveau secrétaire du syndicat, à condition d’être suivi ». Moins que jamais, explique-t-il avec Bernadette Hilper, la secrétaire de l’Union locale (UL) de Sarreguemines, « nous ne pouvons prendre le risque d’avancer seuls. Même si nous sommes persuadés d’avoir raison, nous avons résolument besoin de l’adhésion des salariés ». Rien de nouveau ? Si : les leçons d’un syndicat à l’ère de la validation des accords par référendum.

Martine Hassoun

 

Print Friendly

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *