Congrès CGT : un article de Sophie Béroud

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Cet article de Sophie Béroud sur le congrès de la CGT est paru dans la revue de l’Ecole Emancipée (N° 78-juillet-août 2019), tendance de la FSU. Ce numéro contient aussi un article synthétisant celui que nous avons publié ici sur la congrès CGT (http://wp.me/p6Uf5o-2zU). 

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Syndicalisme

 

Congrès de la CGT : difficiles débats internes

Le 52ème congrès confédéral de la CGT qui s’est tenu à Dijon du 13 au 17 mai dernier pouvait nourrir un certain nombre d’attentes, au moins pour deux raisons.

 

La première tient au contexte social. La préparation du congrès – à commencer par l’élaboration du rapport d’activité et des textes d’orientation – a certes commencé avant le déploiement du mouvement des Gilets jaunes. Mais celui-ci est venu bousculer la donne, interpellant les syndicats sur leur capacité à atteindre une partie du monde du travail des zones péri-urbaines et rurales, ainsi que sur leurs modalités d’action et sur les façons de faire reculer le gouvernement. Le précédent congrès confédéral de la CGT en 2016 s’était déroulé sur fond d’intense mobilisation contre la loi Travail : les débats sur la stratégie d’action et sur le rapport à Nuit Debout y avaient été importants. Il faut dire que la CGT occupait dans cette lutte une place centrale. La situation trois ans plus tard est très différente, puisque la CGT est confrontée à un mouvement social d’ampleur qui s’est construit en dehors d’elle et avec lequel certaines de ces équipes militantes ont tenté d’établir des convergences. La question de la forme prise par les luttes sociales apparaît ainsi comme un enjeu déterminant pour la CGT et plus largement pour l’ensemble du syndicalisme pour les années à venir.

Une deuxième attente quant au contenu du congrès, aux messages que celui-ci pouvait délivrer, tient au fait que Philippe Martinez s’y présentait pour un troisième mandat de secrétaire général, a priori le dernier. Au précédent congrès, il avait à cœur de montrer que sa légitimité venait bien des syndicats, ayant été désigné secrétaire général par les membres du Comité Confédéral National (CCN) en 2015, suite à l’affaire Lepaon. En 2019, les choses ont changé : Philippe Martinez n’a plus à démontrer qu’il est adoubé par les syndicats. On pouvait penser qu’il avait davantage de latitude pour endosser des projets d’envergure, sur la réforme des structures de l’organisation par exemple – qu’il s’agisse de la refonte de certains champs fédéraux ou du rôle donné aux différentes structures territoriales -, sur les axes revendicatifs de la centrale et la place accordée aux enjeux environnementaux ou encore à l’analyse des transformations du travail (deux thèmes bien présents dans le document d’orientation).

Le congrès a largement déçu ces attentes. Il a monté une organisation crispée autour de débats en décalage par rapport aux enjeux précédemment énoncés. Le document d’orientation n’a finalement que peu été discuté sur le fond, tant l’enjeu a pu consister à « se compter » et en particulier à compter les opposant-es à la ligne confédérale. Le point d’orgue de cette crispation a été le vote d’un amendement lors des débats du mercredi 15 mai sur la possibilité pour les organisations de la CGT d’entretenir des contacts non seulement avec la Confédération Syndicale internationale (CSI), mais également avec la FSM (Fédération Syndicale Mondiale). Il s’agit là d’un cheval de bataille que s’est donné une partie de l’opposition menée par les fédérations de l’Agroalimentaire, de la Chimie, du Commerce et par des UD comme celles des Bouches-du-Rhône, de la Haute-Garonne, du Nord et du Val de Marne. Les militant-es qui s’y retrouvent – une fraction d’entre eux étant liée au POI et à des courants « orthodoxes » du PCF – estiment que la CGT s’éloignerait d’une ligne de lutte des classes en restant dans des organisations internationales comme la Confédération Européennes des Syndicats (CES) et la CSI. Le fait que Laurent Berger soit devenu Président de la CES en mai 2019 apporte à leurs yeux un élément de preuve supplémentaire de cette dérive et de l’enfermement de la CGT dans un carcan idéologique.

Les opposants à la ligne Martinez ont rassemblé entre 30 et 35 % des suffrages sur différents votes lors du congrès. Pour certains militant-es, la situation est désormais très tendue dans la CGT ; des risques de scission sont même parfois évoqués. Un secrétaire général de fédération peut ainsi confier que selon lui « si le rapport entre les votes passe à 40/60, l’organisation éclate ». Le CCN qui s’est tenu lors du congrès a laissé un goût amer à bien des militant-es : l’éviction de Gisèle Vidallet, ancien secrétaire générale de l’UD de la Haute Garonne et membre sortante du bureau confédéral, de la liste finale pour la Commission exécutive confédérale (CEC) et parfois présentée comme l’une des chefs de file d’une opposition pourtant hétérogène, s’est faite dans un contexte très tendu, avec un décompte des voix par mandats. En retour, certaines fédérations n’ont pas apporté leur voix à Philippe Martinez, voire ont voté contre lui, ce qui est relativement nouveau dans la CGT où l’allégeance à l’organisation demeure forte.

 

Incapacité à organiser: un débat collectif

 

Or, c’est justement le durcissement de ces tensions qui semble le plus important à analyser à la suite du congrès. La CGT est une organisation où la discussion interne ne parvient pas à se construire. Nombre de militant-es s’accordent sur le constat : le congrès a très peu été préparé en amont en termes de débats. Soucieux de renforcer son autorité, le Bureau confédéral n’a laissé que peu de place à la CEC durant le mandat 2016-2019. « À la fin, nous n’étions que vingt à y assister », confie un de ses membres réélu. Cette incapacité à organiser un débat collectif avec une confrontation claire des points de vue n’est pas nouvelle. La façon dont a été menée la succession de Bernard Thibault avait déjà montré toutes les difficultés à penser des modalités autonomes de démocratie interne (par rapport à ce qui existait auparavant en termes de subordination à des décisions venant du PCF), à confronter plusieurs candidatures, voire plusieurs programmes. Les courants ou tendances ne sont pas admis, ceux qui se manifestent sont fortement stigmatisés.

Parler d’une opposition ne fait pas vraiment sens tant celle-ci est diverse : il y a ainsi peu en commun, en termes de pratiques, entre une fédération du commerce en proie à des crises de direction récurrentes, qui bénéficie de sources de financement confortables grâce au paritarisme et dont les dirigeant-es se soucient assez peu de démarches de syndicalisation et l’UD des Bouches du Rhône qui affirme une position idéologique radicale avec un travail permanent de mobilisation, y compris du côté des plus précaires.

 

De nouvelles tensions à venir

 

Parler d’une « ligne » confédérale conduit également à trop homogénéiser la situation. Les militant-es communistes qui occupaient auparavant des positions de pouvoir dans les fédérations et les UD et qui contribuaient à structurer des débats – certes dans une approche très légitimiste par rapport à la direction – sont en net recul : une grande majorité d’entre eux est d’ailleurs partie à la retraite. Une large partie des cadres militant-es de la CGT dispose aujourd’hui d’une formation politique très en deçà de ce qui a pu exister dans le passé. Face à des discours portés par des militants au contraire très politisés, comme ceux du POI, les « cadres » au service de la direction ne proposent guère d’éléments de réponse.

On est donc loin d’une opposition entre une aile dure et une aile « moderniste », comme cela avait pu être le cas à la fin des années 1980 – avec des positionnements étayés – ou loin de la synthèse proposée sous l’ère Viannet entre ces différents éléments. Aujourd’hui, les cadres dirigeant-es de la CGT ne disent pas grand-chose, les « patron-nes » des grosses fédérations s’emploient surtout à préserver leur pré-carré. Une guerre de tranchée entre fédérations n’est ainsi pas à exclure : avant le congrès, le secrétaire général de la fédération des cheminots avait ainsi cherché à réunir les fédérations qui lui apparaissent comme « fiables » (métallurgie, transport, santé, services publics…) pour pousser la direction confédérale à agir. Mais parmi ces fédérations, certaines, comme la santé, sont en confrontation avec la direction confédérale depuis 2015 (ce qui se traduit par l’éviction de leur candidate à la CEC). On voit mal dans ces conditions, sans espace pour débattre des choix proposés, comment la succession à venir de Philippe Martinez ne créera pas de nouvelles tensions difficiles à maîtriser pour l’organisation.

Face à ces guerres entre fédérations, à des débats très codés, la très grande majorité des délégué-es au congrès se retrouve quant à elle un peu perdue et ne trouve guère d’appui pour leur action au quotidien. Nombre d’intervenant-es ont ainsi fait part de leur déception quant à la teneur des échanges lors du congrès, déception qui peut se traduire par un certain découragement militant.

Cette incapacité collective à proposer des débats constructifs pour l’organisation se traduit dans un relatif immobilisme que Philippe Martinez est de façon paradoxale le premier à décrier : immobilisme par rapport aux transformations du salariat et des entreprises, quant à la façon de redéfinir la dimension politique du syndicalisme, le rapport aux associations, aux collectifs de lutte, immobilisme aussi sur la conception d’un « syndicalisme rassemblé » qui fait figure de fétiche pour les militants oppositionnels et qui ne constitue en rien un outil pour penser les évolutions internes au champ syndical et les relations sur le terrain avec des équipes de la FSU et de Solidaires. ●

 

Sophie Béroud,

politiste, Université Lyon 2

 

 

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