Congrès de la CGT (2) : la question de l’unité

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Nous ouvrons ici des articles qui aborderont des thèmes en débat dans le syndicalisme et le 53ème congrès CGT. Au moment où est écrit cet article, le mouvement social bat son plein contre la « réforme » Macron-Borne sur les retraites. Les mobilisations unitaires interprofessionnelles ont franchi le cap de deux millions selon la CGT. Or ces derniers mois, les traditionnelles « journées d’action » peinaient à se faire entendre, en dépit de nombreuses grèves d’entreprises. A tel point qu’on pouvait s’inquiéter d’un syndicalisme interprofessionnel qui n’accrochait plus. Mais la très large unité d’action actuelle rebat les cartes. C’est ce qu’il faut discuter.

Syndicats en France, nuage de mots

Un pas vers un syndicalisme unitaire ?

Nul ne sait à cette heure (le 20 février 2023) ce qu’il adviendra de cette lutte de classe un peu particulière, où même des « petits patrons » facilitent ici ou là le départ en manifestation de leurs salarié-es, voir y participent ! La jonction de la base sociale des Gilets jaunes et du socle syndical n’est-elle pas en train de se produire dans les faits, notamment dans les villes moyennes ? La lutte est loin d’être terminée. La prudence s’impose sur son aboutissement.

Et pourtant, c’est bien une page du 53ème congrès de la CGT (27 au 31 mars 2023) qui est peut-être en train de s’écrire, pour débattre dans l’action du document soumis aux 1000 délégué-es du congrès de Clermont-Ferrand. L’enjeu est grand, assurément.

Oui, « la force de l’unité »

Le but de cet article est de discuter autour d’un chapitre du projet de résolution du congrès CGT. Il est intitulé : « Pour des luttes efficaces », « la force de l’unité : un syndicalisme qui rassemble ». Depuis les 19 et 31 janvier 2023, et 11 février, il faut saluer en effet « la force de l’unité » !

Extraits du document de congrès CGT :

  •  Paragraphe 507 : « Le 53ème congrès décide d’aller plus loin dans sa démarche unitaire…Il s’inscrit dans une démarche de réunification du syndicalisme ».
  • 509 : « …ce travail…doit aboutir à une recomposition syndicale. Le syndicalisme de transformation sociale, de lutte et de propositions ne peut se satisfaire de ses divisions, il doit mettre en œuvre sa recomposition ».
  • 510 : « L’unification du syndicalisme est une dimension identitaire de la CGT qui, dans l’article 5 des statuts confédéraux, indique que la CGT promeut un syndicalisme unifié et se prononce pour l’édification d’une seule organisation de salariés. […]. Elle nécessite un travail commun avec les organisations syndicales qui souhaitent en finir avec l’éparpillement syndical. Les échanges réguliers et déjà anciens entre la CGT et la FSU forment un socle pour avancer. Solidaires est aussi engagée dans cette réflexion unificatrice.

C’est un passage obligé de tous les congrès CGT de rappeler son orientation vers l’ « unification du syndicalisme », qui figure dans ses statuts. Pourtant l’expression couramment utilisée, depuis le 45ème congrès de décembre 1995 (en pleine grève contre le plan Juppé !), est plutôt la proposition de « syndicalisme rassemblé » avec des concrétisations variables. Louis Viannet, qui a popularisé la formule depuis 1993, dira même (à titre personnel, précise-t-il) qu’il ne croyait pas souhaitable l’idée d’une seule organisation syndicale.  Mais la proposition de « syndicalisme rassemblé » a elle-même perdu sa force propulsive ces dernières années, devenant incantatoire. Comment l’actualiser sans en supprimer la portée constructive ? Comment relier entre elles la « grande unité » qui insuffle une puissance incontestable au mouvement actuel, et le projet enfin mis en débat d’un projet de rassemblement (apparemment) plus restreint, concernant la CGT, la FSU, et Solidaires ?

Le document du 53ème congrès, préparé en 2022 (donc avant la lutte actuelle), s’attache à préciser les rapports entre la CGT et la FSU, ainsi qu’avec l’Union syndicale Solidaires. Depuis 2009, ces dialogues ont débuté « au sommet » (surtout avec la FSU). Mais c’est la première fois qu’ils sont réellement mis en débat dans la CGT, alors que la FSU en discutait très régulièrement.

C’est aussi la première fois que la CGT va plus loin et utilise l’expression de « recomposition syndicale », mise en avant au congrès de Solidaires de l’automne 2021 (face au danger d’extrême-droite notamment), et reprise dans l’intervention de Philippe Martinez au congrès de la FSU en février 2022 (lire ici : https://wp.me/p6Uf5o-4yl). A ce congrès, la FSU a adopté la proposition d’un « nouvel outil syndical », visant la CGT et Solidaires, en ajoutant : « sans exclusive ». Il y a donc une ouverture à d’autres syndicats. Comme la CGT, la FSU porte l’idée d’une « réunification », terme issu de la scission CGT de 1948, refusée par une partie du mouvement syndical, qui se structure alors dans l’autonomie par rapport à la CGT et FO (autonomie portée par la FEN, et plus tard par le Groupe des dix, composante co-fondatrice de Solidaires en 1997).

Au congrès de la FSU de février 2022, la conviction était largement partagée d’un pas en avant possible, en pointant une « organisation commune », mais aussi la perspective plus vaste « d’Etats-généraux » du syndicalisme. Dans la FSU domine l’idée que l’autonomie n’a plus de raison d’être. Il faut donc construire un projet interprofessionnel commun. Quoi de plus logique en effet que rassembler sous le même toit des syndicats, certes différents, mais qui depuis 1995 cheminent côte à côte dans la plupart des grandes mobilisations nationales (notamment sur les retraites, les droits des chômeurs, le droit du travail, les luttes féministes, antiracistes, écologistes, etc.). Dans la CGT, les fédérations qui côtoient le plus souvent la FSU et Solidaires, comme l’Union fédérale des syndicats de l’Etat (UFSE), et la Fédération de l’éducation et de la recherche (FERC) ont adopté dans leurs congrès récents des orientations ouvrant la perspective de rapprochements. Dans Solidaires, des réticences ou difficultés peuvent cependant exister dans certaines fédérations ou syndicats côtoyant les mêmes structures CGT (cheminots, poste…).

Il convient donc de ne pas négliger les histoires et les cultures organisationnelles très différentes (règles de prises de décision notamment). Le défi à relever est sans aucun doute très important, et mériterait à lui seul un grand débat.

Le terrain est donc préparé mais pour quel but commun ?

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Quid de la « transformation sociale » ?

Chaque proposition unitaire des uns ou des autres précise qu’il s’agit de rassembler le syndicalisme « de transformation sociale », ce qui nécessiterait une explication. Cette terminologie est en effet couramment employée, y compris par la CFDT. Beaucoup moins par FO, qui met surtout en valeur « la république », tout en rappelant son attachement à la Charte d’Amiens (laquelle vise « l’émancipation intégrale » des travailleurs, et même « l’expropriation capitaliste » !). La FSU explique depuis longtemps qu’il n’y a pas « d’exclusive » à mettre. Les congrès de la CGT depuis 1995 ajoutent que la proposition de « syndicalisme rassemblé » est adressée à tout le monde, à qui veut l’entendre.

Cependant les responsables CGT et FSU expliquent aussi qu’il faut refuser la théorisation entre deux types de syndicalisme : un syndicalisme dit « contestataire » et un syndicalisme dit « réformiste » (expression souvent amplifiée par certains médias). Là encore, cette question mériterait d’être explicitée. Surtout au moment où dans la CGT notamment, des structures s’organisent pour contester une dérive de « recentrage » et de « réformisme » qui atteindrait la CGT dans le sillage de la CFDT et du « syndicalisme rassemblé » (voir notre critique : https://wp.me/p6Uf5o-5fb).

Aucun doute n’est possible sur le fait que la CGT par exemple, pour ne prendre qu’elle, se situe dans une logique générale de lutte contre le capitalisme (« syndicalisme de lutte de classe »). Sa proposition de Nouveau statut du travail salarié va dans cette direction : la contestation du marché capitaliste de l’emploi, même si la CGT ne le dit pas toujours clairement. Le vide sur ce point tend alors à se remplir par le retour nostalgique d’un passé « révolutionnaire ». Pendant des décennies, elle a formé des militants et militantes dans cette culture anticapitaliste, indissociable de la référence à une solution politique extérieure au champ syndical (le PCF pour beaucoup, et au moins l’Union de la gauche). Dans cette conception, la « solution politique » s’imposait hiérarchiquement au syndicalisme. Il serait aujourd’hui nécessaire que la CGT formule elle-même un projet d’émancipation, sans dépendre d’apports politiques extérieurs (ni les méconnaitre). Telle est bien le sens de la « double besogne » présente dans la Charte d’Amiens (et que le document de congrès rappelle opportunément).

La CFDT s’est aussi construite, autour de 1968 et après, en mobilisant un imaginaire militant sur le triptyque : autogestion, planification démocratique, appropriation des moyens de production. Elle s’est engagée comme la CGT dans le soutien à l’Union de la gauche, y compris pour certains de ses responsables dans les Assises du socialisme en 1974.  A partir de 1977, le « recentrage » a d’abord signifié la nécessité de renforcer sa responsabilité syndicale propre, sans attendre le miracle politique externe. Mais cette dynamique, accompagnée de vifs débats contradictoires (avec des départs par vagues successives) l’a menée très loin, vers une acceptation consensuelle du cadre capitaliste, mais aussi du syndicalisme comme « corps intermédiaire » apte à concilier des intérêts divergents.

Il suffit sur ce plan de citer Marcel Grignard, secrétaire national CFDT, dans un très long rapport de bilan CFDT en juin 2009, avant un congrès. Revenant sur le moment 1995, il explique tout de go : « En 1995, la CFDT passe à l’acte. Elle soutient une réforme venant d’un gouvernement de droite ». Il revient aussi sur certaines erreurs, notamment sur l’assurance-chômage, mais analyse la crise de 2003 (signature en pleine lutte d’un compromis retraites au rabais avec Fillon) comme « une réussite dans la douleur » (plusieurs dizaines de milliers de départs). Il assume néanmoins une stratégie CFDT clairement opposée à celle de la CGT. Ce que la CGT refuse de codifier sur les deux types de syndicalisme, la CFDT n’hésite pas à le penser et le pratiquer : « Nous avons mandat de construire un compromis qui est clairement une coproduction salariés/employeurs ». Cela n’empêchera pas le conflit unitaire de 2010 sur le passage de 60 à 62 ans de l’âge de départ à la retraite. Mais un peu plus tard, Bernard Thibault confiera à Eric Dupin dans le Monde Diplomatique : « La CFDT se définit comme un intermédiaire social. Nous on est clairement du côté des salariés » (Où vont les syndicats ? décembre 2010).  Dans le même article Jacques Chérèque confirme : « Il y a deux cultures syndicales en Europe ».

Mais après une période de renforcement numérique et institutionnel, la CFDT marque le pas. Son congrès de juin 2022 l’a acté : elle ne recrute plus, elle baisse, comme la CGT. Elle n’obtient rien. Le néolibéralisme ne donne aucun espace privilégié à un syndicalisme de « dialogue » fictif, condamné à se satisfaire des miettes.

L’hypothèse d’une confédération unitaire du travail

Il n’y a donc aucun doute que la CFDT, revenue de son passé 1968, ne donne pas à la « transformation sociale » le même contenu que la CGT, la FSU et Solidaires.  Ce qu’elle recherche, c’est en fait un capitalisme intelligent, mais inexistant, sauf dans le rêve social-libéral sans base populaire, qui fait le lit du RN. Une partie des cadres CFDT (d’inspiration sociale-démocrate classique ?) commencent peut-être à penser qu’il faudrait réellement déployer un rapport de force conséquent pour qu’un hypothétique compromis soit possible. La CFDT a perdu cette habitude de la lutte (sur le plan national s’entend).  Elle semble aujourd’hui ravie de s’y retrouver. Autrement dit, en dépit de clivages stratégiques, le syndicalisme doit apporter des résultats, et dans ce mouvement, d’autres possibles peuvent apparaitre (comme dans le monde politique). Le mouvement des Gilets jaunes, la crise sociale, aggravée en ressentiment, la menace angoissante d’extrême-droite, la faiblesse criante du syndicalisme interprofessionnel ces dernières années, finissent par pousser à une demande de résistance et d’action. « Le syndicalisme est mortel » a pu dire Laurent Berger. Une phrase ambigüe qui concernait aussi la CFDT. Cette menace générale pèse sur toutes les organisations, comme le livre de Jean-Marie Pernot le décrit (Le syndicalisme d’après, sous-titré : ce qui ne peut plus durer, éditions du Détour).

Dès lors, la question posée est celle-ci : va-t-on se tourner le dos en observant l’effondrement général ? Veut-on cultiver ses convictions dans l’isolement croissant ? Ou à l’inverse avoir le courage et l’audace de mettre à disposition du monde du travail un Espace commun, une arène où la discussion publique peut avoir lieu ? N’est-ce pas la seule façon d’encourager la majorité du salariat et de la jeunesse à ne plus subir mais à réagir sans à priori ? Tel est l’enjeu de la « grande » unité syndicale actuelle dont le document du congrès CGT ne parle pas vraiment, mais qui pointe à travers la réaffirmation d’un processus « d’unification ».

Le monde a suffisamment bougé depuis l’offensive mondiale du néolibéralisme, le salariat a muté, s’est précarisé dans ses statuts, mais aussi féminisé, écologisé même. Il accueille des sans-papiers issus des migrations. Il traverse des épreuves nouvelles (la guerre…). Dès lors, un syndicalisme est à inventer, car le contexte est au moins aussi bouleversé qu’à la fin du 19ème siècle quand la CGT s’est confédérée. Aujourd’hui, on peut imaginer une confédération nouvelle et unitaire pour le monde du travail.

Il y a donc deux intersyndicales entremêlées : celle qui permet de « faire masse » et celle qui espère préparer la consolidation d’un outil commun (CGT, FSU, Solidaires). La réussite de l’une peut accélérer l’autre. Mais d’ores et déjà, des centaines de milliers de personnes ont fait l’expérience d’une force unitaire et d’un nouvel espoir. Il peut inspirer le monde syndical dans son entier. Le congrès de la CGT aura la parole pour le dire.

Jean-Claude Mamet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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