Contre Uber : l’action syndicale

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Après les révélations sur les relations très amicales entre les dirigeants d’Uber et le chef de l’Etat, l’Humanité du 15 juillet publie une interview de deux syndicalistes qui se battent pour faire reconnaitre les droits de salariés piétinés par la multinationale. Si celle-ci trouve des milliards de dollars en bourse, c’est parce qu’elle veut détruire toute espèce de Code du travail, ce qui plaît beaucoup à la start up nation de Macron.

  • Retrouver ici (sur le statut salarié) notre interview de Arthur Hay, du syndicat CGT des livreurs à vélo de Bordeaux : https://wp.me/p6Uf5o-3O5

 

Uberfiles. « Derrière ces collusions, le retour des tâcherons »

 

L’Humanité le vendredi 15 Juillet 2022

Brahim Ben Ali  Secrétaire général du syndicat INV (ci-dessous à gauche)

Ludovic Rioux  Secrétaire général de la CGT livreurs (ci-dessous à droite)

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La confirmation des rapports incestueux entre la Macronie et les géants étatsuniens du numérique a de quoi inquiéter les travailleurs. Cela révèle une stratégie concertée du pouvoir en place et des plateformes pour casser le droit social. Mais les syndicats du secteur ne comptent pas baisser les bras, comme nous le confirment Brahim Ben Ali, fondateur d’INV, le principal syndicat de chauffeurs VTC, et Ludovic Rioux, secrétaire général de la CGT livreurs.

Les « Uber Files » sont-ils pour vous une surprise ? Qu’est-ce qui vous a le plus marqués ?

Ludovic Rioux La vraie surprise, ce sont les documents écrits. Pour le reste, on ne peut pas être étonné qu’il y ait des liens étroits entre le principal représentant politique du capital, Emmanuel Macron, et les grands capitalistes comme Uber. On voit quand même que cette collusion date d’il y a déjà longtemps. Maintenant, on voudrait connaître concrètement le contenu des négociations entre Uber et le Macron ministre de l’Économie, puis président. Les documents s’arrêtent à 2016-2017, mais les liens ont forcément continué dans les années qui ont suivi. Pour preuve, en quittant Uber, le lobbyiste en chef s’est occupé de récolter des fonds pour la campagne de Macron.

Brahim Ben Ali J’avais eu accès à beaucoup de ces informations il y a plus d’un an, mais sans rien pouvoir dire pour laisser travailler le Consortium des journalistes. Mais cela nous a permis, avec l’eurodéputée (GUE-NGL) Leïla Chaibi, d’avancer sur le projet de directive européenne, qui reconnaît aux travailleurs des plateformes la présomption de salariat, et de mettre en place notre stratégie. J’ai aussi mieux compris pourquoi j’étais si mal reçu dans les ministères… Cette collusion entre Uber et le gouvernement, je la dénonce depuis plusieurs années. Par exemple, dans la loi d’orientation sur les mobilités de 2019 portée par Élisabeth Borne, c’est déjà le cabinet qui représentait les intérêts d’Uber devant le conseil des prud’hommes, qui avait soufflé l’article 44, visant à protéger les plateformes contre les « risques » juridiques. Et, aujourd’hui, on retrouve à la tête de l’autorité qui organise les élections des travailleurs des plateformes quelqu’un ayant travaillé aussi pour Uber. On est dans une forme de constance, et ces pratiques continuent.

Comment interprétez-vous l’attitude de Macron comme d’Uber d’assumer leur proximité ?

Ludovic Rioux Certains diraient qu’il y a un conflit d’intérêts derrière ces collusions, moi j’y vois un vrai conflit de classes. Et Macron comme Uber pensent que le rapport de forces est tellement en leur faveur qu’ils peuvent l’assumer de manière ouverte. Mais qu’il puisse se permettre de dire : « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre », c’est quand même incroyable. On voit une classe défendre ses intérêts de manière décomplexée. Ce ne sont plus des réunions secrètes, des discussions d’antichambres : les capitalistes donnent carrément leur agenda aux dirigeants, qui les soutiennent.

Brahim Ben Ali Le fait que Macron comme Uber disent : « Oui, c’était comme ça, on assume et on ne s’excuse pas » est particulièrement effrayant. Voilà des années que le pouvoir essaie de nous faire croire qu’il veut réguler, protéger les travailleurs des plateformes… Mais ces attaques contre le Code du travail étaient pensées dès le début, en toute complicité. Deux modèles sont menacés en fait : l’indépendance, la vraie, d’un côté, et le salariat de l’autre. Ce que veulent Macron et Uber, c’est revenir au système du tâcheronnage.

Les « Uber Files » vont-ils changer des choses ? Espérez-vous un sursaut de mobilisation ?

Brahim Ben Ali Je me dis surtout que les cinq prochaines années vont être très dures. Les premiers retours des chauffeurs sont pessimistes : se battre contre Uber, une multinationale, c’est déjà David contre Goliath, mais, maintenant, ils ont ouvertement le président dans leur poche. À quoi ça sert de se mobiliser ? me demandent-ils. En plus, à chaque fois, les autorités nous sanctionnent. À la dernière manifestation, place Vauban, malgré la déclaration à la préfecture, les camarades se sont pris des amendes pour stationnement gênant. J’ai essayé d’organiser un rassemblement, mercredi, devant le siège d’Uber, le dispositif policier était tel qu’on n’a même pas pu approcher… Alors, peut-être que l’opposition va lancer une enquête parlementaire, mais le président a l’immunité, il ne sera même pas obligé de se présenter pour répondre aux questions des députés. Le plus important pour moi reste la directive européenne. Mais le temps qu’elle passe, qu’elle soit retranscrite dans le droit français, cela risque d’être long. En tout cas, moi, je ne baisserai pas les bras.

Ludovic Rioux Ces révélations nous apportent des arguments politiques, des éléments de preuve pour mieux comprendre ce qui est à la manœuvre et demander des comptes. C’est à nous de nous en saisir, de construire un rapport de forces. De la même manière, pour la directive européenne sur la protection des travailleurs des plateformes, il va falloir être vigilant pour qu’elle garantisse le maintien dans l’emploi, qu’elle permette la régularisation des travailleurs sans papiers et le rattrapage des cotisations sociales. Mais il va falloir se battre, parce que ce gouvernement fait tout pour la bloquer et la saboter.

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