CSI : le secrétaire Visentini suspendu

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Le Parlement européen est secoué par une enquête pointant des allégeances douteuses de certain-es député-es avec une ONG en lien avec le Qatar. Mais le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI), ancien secrétaire général de la CES, Luca Visentini, est lui-même mis en cause. La CSI a suspendu son mandat. Le secteur international CGT publie une note d’information détaillée sur ce scandale. On y apprend aussi que la FSM ne s’est nullement éloignée d’un soutien au Qatar à Genève au sein de la Conférence internationale du travail en 2016.

CGT-CSI-Note aux organisations sur la CSI V2-pages-1

 

Le conseil général de la CSI suspend Luca Visentini de ses fonctions de secrétaire général

 

  1. Chronologie des évènements et exposé des faits

 

  • Vendredi 9 décembre : arrestation et placement en garde à vue de Luca Visentini, secrétaire général de la CSI, pour soupçons de corruption via une ONG (Fight Impunity).

 

  • Dimanche 11 décembre : libération de Visentini sans charges retenues contre lui mais avec une mise en examen pour faits potentiels de corruption et blanchiment d’argent dans le cadre d’une organisation criminelle, assortie d’une interdiction de déplacements en dehors de l’Union Européenne jusqu’en mars 2023, renouvelable une fois par le juge.

 

  • Jeudi 15 décembre : suspension temporaire de Luca Visentini de son poste de SG de la CSI, en attente de confirmation ou non par un conseil général de la CSI, appelé à se réunir de façon extraordinaire le 21 décembre 2022.

 

  • Mercredi 21 décembre : confirmation de cette suspension, désignation de Owen Tudor en qualité de SG par intérim et convocation de deux nouveaux conseils généraux extraordinaires le 13 janvier, puis les 11/12 mars 2023 pour élire un nouveau SG.

 

  1. Préparation par la CGT de la séance extraordinaire du Conseil général de la CSI

 

Il est notable qu’une décision de suspension conservatoire ait pu être prise 5 jours seulement après l’éclatement de cette affaire. Le mouvement syndical, lorsqu’il est confronté à de telles affaires, n’est malheureusement pas toujours en mesure de prendre des décisions avec une telle rapidité. L’enjeu était donc que le Conseil général, instance équivalente à notre CCN et dans laquelle la CGT dispose d’un siège de titulaire avec droit de vote (parmi la centaine d’organisations actuellement représentées dans l’instance), puisse confirmer le « pas de côté » effectué le 15 décembre. Avant la réunion du Conseil général, un grand nombre de syndicats, principalement situés en Europe, se sont exprimés en faveur d’une révocation ou d’une démission du secrétaire général : c’était notamment le cas, en coordination intersyndicale et internationale de l’ensemble des syndicats nordiques ou du Benelux, et séparément, en ce qui concerne la CGT, la CFDT, ou le DGB. La CGT a aussi participé à une préparation collective du conseil général pour déterminer avec des organisations dont nous sommes proches, des positions communes à porter. La CGIL (Italie), les CCOO et l’UGT (Espagne), la FGTB (Belgique), la DISK (Turquie), Sentro (Philippines), la KCTU (Corée du Sud), la CUT (Brésil), Força Syndical (Brésil), la CTAT (Argentine), ou la KTR (Russie) ont participé à ces échanges.

 

L’idée était de coordonner nos prises de parole lors de la réunion pour pousser dans le même sens. Nous avons convenu d’appuyer communément quatre points principaux :

  1. Exiger une révision totale et radicale des positions de la CSI sur le Qatar et en profiter pour rompre avec d’autres positionnements problématiques (soutien à certains ACI dans les multinationales sans en référer aux OS du pays d’implantation de la maison-mère, participations à des réunions internationales sans rapport avec les objectifs de la CSI, …) ;
  2. Soit accepter la démission de Lucas si celui-ci la confirme, soit le démettre de ses fonctions;
  3. Nommer un secrétaire général intérimaire pour gérer la transition en attente d’un prochain congrès (virtuel) ou d’un autre conseil général chargé de désigner une nouvelle équipe de direction. Sur ce point, les avis divergent, le groupe réunissant des organisations, dont nous faisons partie, ayant soutenu Kemal au moment du congrès de Melbourne et d’autres ayant soutenu Luca. Nous n’avons donc pas convenu d’un nom en laissant cette question ouverte pour la suite.
  4. Désigner une commission interne et un cabinet externe pour faire la lumière sur les agissements de Luca.

 

Notons enfin qu’en dehors de ce groupe, quelques organisations ont une fâcheuse tendance à relativiser les faits, à la considérer comme mineure, voire à penser que cette affaire pourrait être instrumentalisée par des forces hostiles au syndicalisme (ce sentiment est très répandu en Europe de l’Est, en Afrique ou en Amérique Latine où la justice, sur instruction du pouvoir politique, monte souvent des affaires de toutes pièces, souvent parmi des organisations historiquement proches de nous). Il y a donc un gros travail de persuasion à entreprendre.

2- Les décisions adoptées par le conseil général du 21 décembre

 

Rappelons que le conseil général est compétent et souverain pour retirer sa confiance au SG et en désigner un nouveau par intérim, en conformité des articles 28-d et 28-e des statuts de la CSI :

« d) Le/la secrétaire général/e demeure en fonction entre les congrès aussi longtemps qu’il/elle a la confiance du Conseil général ;

  1. e) Au cas où le poste de secrétaire général/e devient vacant entre deux Congrès, le Conseil général est autorisé à désigner un/e secrétaire général /e par intérim pour la période à courir jusqu’au prochain congrès ».

 

Dans un tel contexte, le Conseil général de la CSI a acté le 21 décembre :

  • La confirmation de la suspension de Lucas Visentini jusqu’à un Conseil général extraordinaire virtuel le 13 janvier, puis les 11 et 12 mars 2023 (en présentiel) qui élira un ou une nouvelle Secrétaire générale pour l’organisation.
  • En attendant une réunion de son conseil (la Présidente, les trois secrétaires généraux adjoints (SGA), et les Secrétaires généraux des organisations continentales) en janvier, Owen Tudor (actuel SGA issu des TUC britanniques) fait office de secrétaire général par Interim. Les autres noms évoqués lors de la réunion (Philip Jennings issu de UNI, Kemal Ozkan, issu de Industriall) ne faisant pas l’unanimité, cette date intermédiaire en janvier a été décidée pour mettre en place un nouvel intérimaire en attendant le CG de mars.
  • Le conseil général a par ailleurs décidé la mise en place de deux procédures d’enquête en parallèle : un audit externe chargé d’établir les infractions à la loi et aux règles et procédures de la CSI ; et la mise en place d’une commission interne chargée d’enquêter sur les allégations de corruption. Les termes de référence de l’audit externe et la composition de la commission d’enquête interne seront prochainement communiqués aux affiliés. Les rapports de ces deux procédures parallèles seront présentés en amont et discutés pendant le Conseil général de mars.
  • Enfin le conseil réitère la totale condamnation de la CSI pour les actes de corruption.

Le conseil a commencé par une pénible audition de Luca qui tout en reconnaissant les actes (réception d’une somme de 46000 euros en liquide, remboursement sur cette somme de ses frais de campagne et versement du solde au fond de solidarité de la CSI), protestait de sa bonne foi sinon de son innocence. Nous avons de notre côté, tenu la ligne en quatre points telle qu’établie en commun avec près d’une trentaine d’organisations (cf. point 2).

Nous pouvons considérer que nos demandes sont globalement satisfaites en tout cas sur les points 2 à 4. Nous avons porté le point 1, mais il a été objectivement peu repris par d’autres organisations.

 

3- Les positions d’autres organisations sur cette affaire et sur le Qatar

 

L’affaire Visentini, c’est bien normal, suscite un grand nombre de commentaires qui parfois amalgament les comportements d’un homme avec les positionnements de l’organisation. La CGT ne se trompe pas de cible dans cette situation : Luca Visentini devait démissionner ou être démissionné par l’organisation car ses actes violent les règles morales et financières élémentaires de la CSI et cette dernière devait réaffirmer son engagement à lutter contre la corruption. C’est chose faite depuis le 15 décembre et confirmé par le conseil général du 21.

 

Il est utile de rappeler que d’autres organisations, bien plus tôt, ont développé d’étonnantes positions de soutien au Qatar, à un moment où la CSI et l’Internationale du Bois et du Bâtiment développaient une active campagne contre ce pays (entre 2014 et 2021, notamment dans le cadre de la campagne « Carton rouge contre le Qatar »). Les propos du représentant de la FSM lors de l’examen du cas Qatari le 6 juin 2016 à Genève en séance plénière de la Commission d’Application des Normes de la Conférence Internationale du Travail éclairent utilement cet aspect : « le représentant de la FSM salue les mesures prises par le gouvernement Qatari pour l’abolition du système de parrainage (kafala) et la possibilité donnée aux travailleurs de changer de travail sans souffrir du risque de discrimination ou de sanction. En ce qui concerne l’égalité de genre, il a indiqué que la constitution Qatari maintenait la discrimination car les femmes étaient supposées prendre soin de leur famille conformément à la culture et aux traditions locales. Il a ajouté que, bien qu’il existe des garanties légales pour prévenir les cas de harcèlement sexuel, il y avait cependant peu de cas reportés en la matière, comme dans d’autres pays, et qu’il n’existait pas de solution pour les éviter complètement. Il a souligné enfin que de manière générale, il y avait des indications claires et positives que le gouvernement Qatari souhaitait aller de l’avant en matière de respect de la convention (111 -lutte contre les discriminations) et qu’il souhaitait que cette attitude positive du gouvernement se poursuive dans le futur ».

 

(Ce qui donne dans le texte en Anglais consultable dans le lien ci-dessous (site officiel du Bureau International du Travail) « World Federation of Trade Unions (WFTU) welcomed the steps taken by the Government for the abolition of the sponsorship system (kafala) and to allow workers to change jobs without the risk of suffering discrimination or punishment. With regard to gender equality, he indicated that the Qatari Constitution ensured that women could take care of their families based on local culture and traditions. He added that, despite legal provisions in place to prevent sexual harassment, a few cases were reported, like in other countries, and there was no way to prevent this. He emphasized that in general there were clear positive indications that the Government was moving forward in its compliance with the Convention and he expected similar positive responses by the Government in future ».

 

http://www.ilo.ch/dyn/normlex/en/f?p=NORMLEXPUB:13100:0::NO::P13100_COMMENT_ID:3284602

 

Ces propos venaient prendre la défense de l’Etat voyou du Qatar dès 2016, alors qu’il se trouvait visé par une plainte de la CSI, soutenue par la CGT et de nombreuses autres organisations !

 

 

P.S. : pour compléter ce dossier, la déclaration de la CGT au congrès de Melbourne abordant le Qatar, les résultats du vote (la CGT soutenait Kemal Ozkan) et le communiqué intersyndical sur le Qatar produit à l’ouverture du congrès et de la coupe du monde ont déjà fait l’objet d’un renvoi aux organisations.

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