Débat syndical : la FNME-CGT commente un article de JM Pernot

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Sébastien Saint-Germain, responsable la communication de la Fédération nationale mines-énergie CGT (FNME-CGT) a été interviewé dans « Energies syndicales« , bulletin préparatoire au congrès de la fédération pour commenter et critiquer l’article de Jean-Marie Pernot paru dans Syndicollectif.fr, plus particulièrement la tribune plus synthétique parue dans Le Monde (lire la tribune ici : https://wp.me/p6Uf5o-4aU et l’article ici : https://wp.me/p6Uf5o-49V). Nous publions ci-dessous cette interview avec l’accord de la fédération. Le débat continue.

fnme-cgt

 Perte d’emprise sur le social? Partagez-vous ce constat ?

Sébastien Saint-Germain: Je serais plus nuancé. Comme beaucoup de travaux sur le sujet du syndicalisme, les auteurs de c0tte tribune omettent un point absolum0nt fondamental dans l’affaiblissement bien réel du syndicalisme.

Je veux parler de la répression antisyndicale qui cible syndiqués et élus du personnel et qui n’implique pas que les monstres nord-américains du type Amazon. Des dizaines de milliers de délégués sont licenciés, voient leur carrière bloquée. C’est le concret de beaucoup trop d’entreprises y compris dans les IEG (Industries électriques et gazières) ,  nous avons de nombreux militants injustement poursuivis devant les tribunaux. Et que dire de la démocratie sociale ?La fusion des IRP s’est traduite par un recul sans précédent des moyens et prérogatives ; des élections sont repoussées, ou carrément supprimées (Sécurité sociale, prud’hommes). Rappelons-nous l’archaïsme du patronat qui a attendu 1968 pour être enfin contraint de reconnaitre les sections et délégués syndicaux ! Parler des difficultés des syndicats en oubliant cette question centrale de la répression patronale, des discriminations à l’encontre des syndiqués et des élus, de la mise en cause des droits syndicaux, voilà un point faible de l’ argumentation des experts qui se penchent sur le sort du syndicalisme

Il est indéniable que les syndicats ne se portent pas bien ?

S.-G. : Cela dépend où dans le monde. Si aux Etats-Unis et en Europe, le syndicalisme a pris des coups, ailleurs ce n’est pas le cas. On vit dans la mondialisation avec une forte concurrence entre travailleurs. Mais dans les  pays émergents,  qui comptent un milliard de salariés en plus, le syndicalisme  est en expansion, en quête de droits et de garanties sociales comme  les ont gagnés les travailleurs du « vieux monde », il y a  un  siècle.  Y  compris en France, il y a des endroits où le syndicalisme se fraie son chemin, regardez l’action collective des salaries des plateformes logis- tiques comme chez Amazon. Donc, il faut se méfier sur un certain fatalisme : non les syndicats ne sont pas condamnés  à la  spirale du déclin.

 

« Le chômage, la précarité,  les transformations du travail, la diversité des statuts, le numérique » tout cela pèse ?

S.-G. : C’est exact et les auteurs de la tribune ont bien fart d’insister sur ces points. Mais il faut aller plus loin. D’abord, si crise des syndicats il y a, du fait des transformations de la société, le syndicalisme n’est pas seul dans ce cas, il faut élargir l’analyse. Le capitalisme en profonde mutation, c’est la mondialisation digitale, générant crise sur crise. Toutes les institutions, les syndicats, les partis et le système politique, les entreprises, les médias, les Etats sont en crise. Partout 1’ubérisation est à l’oeuvre, et il est significatif que ce terme, qui désigne d’abord un processus de grave remise en cause du contrat de travail, soit utilisé aujourd’hui pour caractériser l’ensemble des remises en cause démocratiques, sociales, économiques. Et dans le chaos qui en ressort les pires des idéologies ressurgissent : la xénophobie, le nationalisme, le racisme. Ce qui constitue de nouvelles menaces pour la société et donc aussi pour les syndicats. Mais c’est toute la société qui est interpellée pas seulement le syndicalisme. Méme le syndicalisme patronal, car cela existe et il est souvent bien plus uni que celui des salariés, est remis en cause (rires). ..

 

Mais justement dans ce nouveau capitalisme encore plus sauvage avec l’individualisation, I’éclatement des collectifs, la concurrence mondiale, le syndicalisme peut-il y survivre ?

S.-G. : La question vaut pour toutes les institutions. S’agissant du syndicalisme le probléme principal qui lui est posé et que la tribune n’évoque que partiellement, c’est, tout simplement, celle de son utilité. Qu’est-ce qu’un syndicat? Une libre association des travailleurs pour défendre en commun leurs intéréts. Au bout de quarante ans de néolibéralisme, qui a commencé par les attaques de Reagan contre les syndicats des aiguilleurs du ciel et celles de Thatcher contre les mineurs, les droits et garanties sociales ont été sérieusement mis en cause, le chñmage de masse s’est installé. Dans ces conditions, quand on encaisse des reculs et que cela dure, difficile de se syndiquer, car c’est l’objet meme du syndicalisme qui est bousculé.

Energies_syndicales fnme

Donc cela veut dire que l’Etat social c’est fini, que les syndicats n’arriveront pas à enrayer sa régression ?

S.-G.: Encore une fois, c’est moins binaire que cela. « L’Etat social » est en pleine construction dans une large partie du monde. Chez nous, il est ébranlé mais pas abattu. La Sécu, çà existe encore et heureusement, on en a vu l’intérêt avec la pandémie. Dans les IEG, le Statut est toujours debout. Le syndicalisme y reste bien implanté, notamment la CGT.

Et cela paye, la CGT a signé un nombre appréciable d’accords de branche, car ils contenaient encore des avancées. Mais évidemment la question de fond pour le syndicalisme comme pour beau- coup de partis et forces sociales, c’est celle du rapport de force. Comment arriver à mener des luttes gagnantes pour défendre et encore mieux rénover le module social ? La tribune considere que les luttes sont finies ou qu’elles se font en dehors des syndicats ce qui me semble inexact.

 

N’assiste-t-on pas a un repli des luttes sociales ?

S.•G.: La aussi gare aux idées toutes faites. En Inde, il y a quelques mots, se sont déroulées les plus grandes  gréves  de l’histoire  de  ce pays. Partout avec les « printemps », des révoltes populaires éclatent d’une fa9on continue. Des luttes planétaires apparaissent pour le droit des femmes, pour le climat, contre les violences policiéres. Sans se focaliser sur ces mouvements, en France, les gilets jaunes puis d’une certaine façon les manifestations anti-passe, que l’extrême-droite a essayé de récupérer, démontrent le caractère frondeur et batailleur des Français.

Notre histoire est marquée par de forts mouvements sociaux qui rythment notre histoire : 1789, 1871, 1936, 1946, 1968, 1995. Les dirigeants actuels comme leurs prédécesseurs ont une grande crainte de ces actions populaires car même quand elles sont réprimées, elles font toujours avancer les choses. Pas de luttes sociales ? Mais alors les millions de travailleurs qui ont défilé contre la réforme des retraites, c’était quoi ? La victoire des électriciens et gaziers qui ont fait reculer Hercule, c’est quoi ? D’ailleurs  la bataille récente nous donne les clés : donner tous les éléments d’explication aux salariés pour qu’ils décident des mobilisations, rechercher en permanence l’unité des travailleurs donc des organisations syndicales, gagner la bataille de l’opinion en s’adressant massivement aux usagers et citoyens, construire un plus large rassemblement possible avec les parlementaires, les élus, les collectivités, les partis, les associations de consommateurs, les ONG, bref rendre convergentes et élargir les luttes. On reproche souvent aux électriciens et gaziers d’être une corporation, mais c’est injuste, la lutte récente a démontré au contraire leur grande ouverture et leur solidarité avec le reste de la société. Ce sont des luttes d’intérêt public !

 

Une analyse valable pour les Industries électriques  et  gazières mais au-delà? Peut-on avoir une « forteresse syndicale » dans un océan de précarité ?

S.-G. : Je viens de le démontrer le syndicalisme CGT dans l’énergie n’est pas une « forteresse » ; c’est an contraire un syndicalisme ouvert sur les besoins de la société, qui cherche les convergences, un syndicalisme porteur de solidarités. Ce qui est vrai pour Edf, Engie, etc. peut le devenir à l’échelle du pays pour la défense du modèle social. Contrairement à ce que disent les auteurs de la tribune, la CGT ne se réfugie pas dans un « bunker ». C’est tout le contraire. Mais nous rencontrons cependant une difficulté : les syndicalistes ont tendance a sonner le tocsin en permanence, à alerter les salariés des mauvais coups, à peindre la situation en noir, non sans raison. Et donc à ne pas suffisamment montrer qu’on peut gagner, que le patronat n’est pas si fort que cela, que les crises disqualifient le capitalisme. A ne pas suffisamment popularises aussi les succès obtenus par les luttes qui sont bien réels. Pour rappel la FNME-CGT a signé beaucoup d’accords de branche et d’entreprises ces dernières années car ils garantissent, voir ils renforcent certains conquis. Un défaut sans doute à mesurer combien les luttes sociales, sur tous les terrains, arrêts de travail, manifestations, pétitions, dénonciations, démarches juridiques individuelles ou de groupe, payent véritablement.

 

Mais des  dysfonctionnements  sont   indiscutables,   les déserts syndicaux existent, le fonctionnement « institutionnel » des IRP, voire le syndicalisme numérique éloignent les délégués des salariés

S.-G. : C’est tout a fait exact et c’est un constat que la CGT a fait depuis longtemps ; nous essayons d’y remédier mais dans le contexte de dure bataille et de répression, de désindustrialisation et de chômage, cela ne va pas de soi.

Voyons aussi que deux siècles de luttes ouvrières ont permis de faire en sorte que le droit syndical et le droit de grève soient reconnus par la loi et la Constitution, donc l’institutionnel, cela a aussi du bon. Les IRP viennent d’être durement rabougries, sans sombrer dans la réunionite il faut veiller a qu’elles représentent avec efficacité les salariés en les associant à leur action. Et prenons garde a ne pas opposes négociations indispensables pour acter de nouvelles conquêtes et freiner les attaques ; et les luttes encore plus indispensables si on souhaite que les négociations aboutissent.  Après, en ce moment de grande défiance des populations et des salariés vis-à-vis de toutes les institutions, avec le risque permanent et dangereux de s’abstenir ou de se replier sur soi, plus que jamais la CGT doit se déployer sur tous les champs du travail et s’ouvrir à toutes les formes de luttes. Cela demande des mesures d’organisation précises et constantes. Se déployer vers les salariés des filiales et de la sous-traitance, ceux des PME. Redoubler de contacts avec des salaries moins syndiqués, les cadres, les femmes, les seniors, les précaires. C’est pour cela, pour construire le « tous ensemble » a même d’infliger une défaite majeure an patronat, que nous invitons les  syndicats  a  couvrir  plusieurs  entreprises  et  statuts, à s’investir dans les unions  locales,  départementales, régionales,  à coopérer entre fédérations, à multiplier les actions communes avec les associations, les mutuelles, les ONG, les partis, à renforcer en permanence le rassemblement. Les auteurs de la tribune appellent à un profond renouvellement, je dirais plutôt que malgré les difficultés de la période, la CGT doit mettre en oeuvre plus vite les nouvelles pratiques qu’elle a décidées déjà depuis longtemps. Car un syndicat cela sert aussi, an-delà des mouvements sociaux conjoncturels, des colères ponctuelles, des révoltes passagères, à inscrirel l’action dans la durée, le syndicalisme cela permet une lutte durable et permanente.

 

La tribune avance un changement profond des modes d’organisation ?

S.•G. : Le syndicalisme actuel a été façonné par la révolution industrielle, les luttes ont gagné des conventions collectives de branche, elles ont toujours été politiques en ce sens que l’Etat a toujours été impliqué pour réprimer les luttes ou pour minorer les exigences patronales suivant le rapport de force. Avec les gigantesques mutations du capitalisme, la mondialisation, il est évident que le syndicalisme évoluera comme toutes les institutions de nos sociétés. Il ne faut pas pour autant sombrer dans le catastrophisme. Tout dépendra des luttes. Ne cédons pas à l’injonction du changement permanent qui cache souvent, dans les entreprises, des reformatages régressifs. Ne rejetons pas non plus l’avancée des sciences et techniques qui offre de nouvelles potentialités. Après les confinements et les mesures liberticides contre les droits syndicaux et du travail, qui avaient d’ailleurs commencé bien avant la COVID-19 avec le prétexte de la guerre au terro-

risme, la question du numérique a pris une tournure prioritaire. Pour négocier et gagner un télétravail protecteur et maitrisé par les salariés, pour que les salariés des plateformes soient considé- rés comme tels. Mais aussi pour que les syndicats s’emparent des nouveaux moyens de communication, comme le fait massivement la jeunesse en lutte, en leur donnant un contenu et une pratique émancipateurs. Il s’agit de formidables accélérateurs des mobilisations y compris l’échelle planétaire. Certes le digital est lourd de dangers à commencer par le fait que sa diffusion accélérée dans un contexte de vive concurrence avec le poids écrasant des GAFAM, est à peine maîtrisé, y compris par les patrons ; les plantages sont légion. Ne surestimons donc pas la toute-puissance technologique ; les travailleurs peuvent s’emparer de l’internet et des réseaux et en faire des vecteurs de luttes. Après comme branches, entreprises, modes de vie et de travail vont se transformer les syndicats en feront autant. Mais cela sera le choix des syndiqués au service des indispensables luttes. Et non pas à la traîne du patronat ; ou pour un illusoire accompagnement des mutations régressives du capitalisme.

Voyons que les « réseaux » peuvent être un instrument de revitalisation des démocraties syndicales et sociales ,qui sont les moteurs vitaux du syndicalisme de lutte et de transformation. Ce qui est à  l’ordre du jour, c’est de construire un syndicalisme rassemblant le plus grand nombre de travailleurs de différents statuts pour la conquête de nouveaux droits, et notamment un nouveau statut du travail salarié.

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