Déclaration de Alexander Yarashuk, de la confédération syndicale biélorusse

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Le site A l’Encontre publie une déclaration de Alexander Yarashuk, secrétaire général du Belarusian Congress of Democratie Trade Unions (BKDP), au peuple et aux travailleurs de Bélarus pour qu’ils s’engagent « contre l’envoi de troupes biélorusses en Ukraine » (pour soutenir la guerre de Poutine) : ce « n’est pas notre guerre« .

Pour information : nous mettons plus bas un rappel sur le « paysage syndical » biélorusse selon la CGT. 

 

Biélorussie. «La guerre de la Russie en Ukraine n’est pas notre guerre. Nous pouvons l’arrêter, nous devons l’arrêter!»logo-big

Par Alexander Yarashuk (Belarusian Congress of Democratic Trade Unions)

«Chers compatriotes, chers travailleurs et travailleuses,

La guerre de la Russie contre l’Ukraine dure depuis plus d’un mois. Depuis le début de la guerre, la Biélorussie s’est rangée du côté de la Russie. Ses troupes entrent en Ukraine depuis notre territoire, des roquettes sont lancées et des avions décollent depuis notre territoire. Et plus la Biélorussie s’implique dans la guerre, plus sa participation à l’agression détruit des infrastructures, des maisons, tue des civils ukrainiens, des femmes, des personnes âgées et des enfants, plus les sanctions de la communauté internationale contre elle augmentent.

Nous commençons à en ressentir les effets. Les prix augmentent, les entreprises ferment ou passent à temps partiel, et les problèmes de salaires commencent. La crise a déjà touché des entreprises stratégiques comme MZKT [usine de tracteurs], les raffineries de pétrole et Belaruskali [une des plus grandes entreprises publiques: productrice d’engrais]. Pour la première fois depuis de nombreuses années, Belaruskali a dû contracter un emprunt bancaire pour payer les salaires de ses employé·e·s.

Mais ce n’est qu’un début. La détermination de la communauté internationale à punir les responsables de la guerre et l’ampleur des sanctions sont telles que, dans quelques années, il ne restera plus grand-chose de l’économie moderne du pays. La Biélorussie n’a jamais été confrontée à un tel défi dans son histoire.

Le pays se dégradera progressivement pour atteindre le niveau technique et technologique de l’économie du milieu du siècle dernier. Cette dégradation s’accompagnera d’un chômage endémique, de salaires extrêmement bas, de pauvreté et d’une existence misérable de la population.

De plus, la Biélorussie, avec la Russie comme agresseur militaire, devra payer des milliards de dollars de réparations à l’Ukraine pour les énormes dommages causés par la guerre. Tout comme l’Allemagne nazie a payé des réparations à l’Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi que les usines de MAZ [usine d’automobiles], MTZ [machines agricoles], Motovelo [motocycles] et autres ont vu le jour à Minsk.

Ainsi, la Biélorussie va payer, en mettant en jeu son propre avenir, l’aventure d’avoir participé à la guerre contre l’Ukraine. Pour les années à venir, le pays a mis en jeu son existence en tant qu’Etat indépendant et souverain, et sa population sera à la limite de la survie physique.

Peu de pays dans le monde ont connu dans leur histoire des guerres aussi meurtrières que le nôtre. Nous devons tout faire pour retrouver une bonne réputation, afin que la Biélorussie ne soit jamais considérée comme un agresseur militaire. Et qui d’autre que nous peut le faire? Le nom de notre pays, les noms de nos villages et de nos villes ne doivent pas incarner la menace et le danger pour le peuple de l’Ukraine voisine, un peuple qui est notre frère. Ils ne doivent pas incarner la mort.

C’est à vous que je m’adresse, moi, le président du Congrès des syndicats démocratiques de Biélorussie, Alexandre Yarashuk. La guerre de la Russie en Ukraine n’est pas notre guerre. Nous pouvons l’arrêter, nous devons l’arrêter! La majorité absolue des Biélorusses, 97%, ne veulent pas que la Biélorussie participe à la guerre en Ukraine! Nos descendants ne nous pardonneront pas notre silence au moment le plus critique de notre histoire! N’ayez peur de rien ni de personne Il est difficile d’imaginer quelque chose de pire que ce qui nous arrive aujourd’hui. Jamais et nulle part dans le monde l’exigence de mettre fin à la guerre n’a été un crime! Et jamais et nulle part dans le monde il n’y a eu de cause plus noble que de s’opposer à la guerre, au meurtre de personnes innocentes, de femmes, de personnes âgées et d’enfants!

Exigez sur vos lieux de travail, au nom des collectifs de travail: Non à la guerre, Non à la participation de la Biélorussie à celle-ci! Exigez l’interdiction d’envoyer des troupes biélorusses en Ukraine! Exigez le retrait des troupes russes de notre pays! Faisons-le maintenant, faisons-le aujourd’hui! Parce que demain il sera tard! Parce que demain, pour les Biélorusses, il n’y aura peut-être jamais de demain!

Ce scénario apocalyptique pour le pays ne peut être évité que dans un seul cas. Si la Biélorussie refuse d’envoyer ses troupes en Ukraine et exige le retrait des troupes russes de son territoire. Ce n’est qu’alors que le pays pourra éviter l’inévitable destruction de l’économie par des sanctions sans précédent. Chers compatriotes, chers travailleurs et travailleuses, le sort de notre Biélorussie natale, le sort de notre peuple, le sort de nos enfants et petits-enfants dépend de nous aujourd’hui. Et ce ne sont pas seulement des mots solennels. Ils n’ont jamais reflété aussi bien toute la tragédie de ce qui est arrivé aux Biélorusses. La Biélorussie n’a jamais été aussi proche d’une catastrophe dans son histoire et n’a jamais connu une telle honte.» – Minsk, 29 mars 2022

(Texte transmis par l’International Labour Network of Solidarity and Struggles; traduction rédaction A l’Encontre)

 

  • Rappel sur le paysage syndical en Belarus selon l’espace international CGT :

« Le pays compte deux centrales syndicales :

La FPB (Fédération des syndicats du Belarus), héritière des syndicats soviétiques, adopte au début des années 90 une ligne d’accompagnement des réformes et de négociations avec le pouvoir, avant et après l’accession de Loukachenko au pouvoir. Mais cette ligne réformiste ne résistera pas à l’autoritarisme du président élu en 1994. Dans la deuxième moitié des années 90, la FPB se rapproche de la BKDP et commence à s’associer aux plaintes de cette dernière auprès de l’OIT. En 2001, le président de la FPB, Vladimir Gontcharik, militant historique de la gauche biélorusse, est le candidat unique de l’opposition aux élections présidentielles. La réélection de Loukachenko le contraint à démissionner de la direction du syndicat. Le pouvoir poursuit ses pressions allant jusqu’à couper l’électricité dans les locaux de la FPB et parvient en 2003 à imposer à sa tête un haut fonctionnaire issu de l’administration présidentielle de Loukachenko. Depuis cette date la FPB, qui revendique quatre millions de membres, est sous le contrôle direct du pouvoir. Alexandre Loukachenko en est membre en sa qualité de « travailleur d’Etat » et participe comme délégué aux congrès de l’organisation mais avec un droit à la parole qui surclasse tout autre adhérent. L’actuel président de la FPB, Mikaïl Orda, a été le directeur de campagne de Loukachenko aux élections de 2020. Son prédécesseur était directeur de l’administration présidentielle (équivalent de SG de l’Elysée). La FPB est adhérente à la FSM.

Le BKDP (Congrès des syndicats démocratiques du Belarus) voit officiellement le jour en 1993. Sa création résulte du rapprochement des nouveaux syndicats indépendants qui éclosent dans le pays dès la fin des années 1980 et de quelques fédérations professionnelles qui quittent la FPB. La naissance du mouvement syndical indépendant est très étroitement liée à l’exercice effectif du droit de grève et à sa contestation par Loukachenko. Une autre ligne de fracture essentielle avec le syndicalisme officiel passe par le refus d’accepter dans ses rangs la direction des entreprises. Avec l’arrivée de Loukachenko au pouvoir, la mise sous pression du syndicalisme indépendant devient une constante. Le BKDP fait face au refus des autorités d’enregistrer légalement ses syndicats de base, leurs membres étant sommés de rejoindre les syndicats officiels sous la menace de licenciements. Le BKDP est systématiquement écarté de la négociation collective au niveau local comme national. Ses effectifs sont aujourd’hui de l’ordre de 10 000 membres déployant leur activité syndicale dans une constante adversité. Les militants du BKDP prennent une part active à l’explosion sociale qui a suivi l’élection présidentielle, animent un grand nombre de comités de grèves et plusieurs de ses dirigeants, dont le président Alexandre Yaroshuk, pilotent le comité national de coordination des grèves, et sont membres du Conseil de coordination qui réunit l’opposition depuis le 18 août. Le BKDP est adhérent à la CSI.« 

 

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