Encore sur « syndicalisme et politique » : deux points de vue de René Mouriaux

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Le premier document (8 décembre 2010) que nous publions ci-dessous est issu d’un séminaire de l’Institut de recherche de la FSU (www.institut.fsu.fr). Pour analyser l’attitude syndicale face au néolibéralisme, René Mouriaux donne des indications plus générales et historiques sur les rapports entre le syndicalisme et les questions de transformation sociale, voire politiques (même si ce n’est pas traité directement).

Le deuxième document est une conférence prononcée le 29 avril 2014 à l’Institut d’histoire sociale (www.ihs.cgt.fr) de la CGT, dont René Mouriaux est également membre. Partant de raisonnements en terme de « logique », il invite à ne pas confondre, dans le débat sur « syndicalisme et politique »,   le « contraire » (ou « l’impossible« ) et le « contradictoire« , qui se résout comme chacun sait dialectiquement en une synthèse nouvelle !

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Cliquez : pdf_Conference_Rene_Mouriaux_-_Syndicalisme_et_apolitisme

 

 

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Politiques néolibérales

Les syndicats face au néolibéralisme par René Mouriaux

Ce texte a été présenté et discuté lors de la séance du séminaire « Politiques néolibérales et action syndicale » le 8 décembre 2010. Pour René Mouriaux étudier le rapport entre syndicats et néolibéralisme incite à examiner les dimensions de la relation des partisans de la liberté économique avec le « fait syndical ». Cela conduit aussi à indiquer des pistes de répliques pour les organisations qui n’entendent pas se rallier aux sirènes du laisser-faire, laissez-passer.

Le mot « syndicat » est attesté en 1477 et signifie « charge ou fonction de syndic ». Le terme provient du grec (syndic, qui dit le droit) en passant par le latin (syndicus, défenseur des droits). En francais, jusqu’au XVIIIe siècle, syndic désigne quiconque assure une fonction de délégué. Alors que « les chambres syndicales » apparaissent à partir de 1864 avec la suppression de l’interdiction de la grève, de la coalition, la lexie « syndicat professionnel » s’impose avec la loi de 1884. Syndicat relève ainsi fortement du vocabulaire juridique et vaut pour toutes les organisations qui s’en prévalent, qu’elles soient révolutionnaires, réformistes, réformatrices voire fascistes. Syndicalisme apparaît en 1893, deux ans avant la création de la CGT. Dans son Dictionnaire du Socialisme (Giard et Rivière, 1911), le guesdiste Charles Vérecque retrace de manière assez exacte l’histoire du mot, d’abord général, puis accaparé par le courant révolutionnaire de la CGT qui ne comprend pas que des ouvriers anarchistes mais aussi des blanquistes. « Syndicalisme. Pour les socialistes, le syndicalisme n’est pas autre chose que l’organisation syndicale ou corporative de la classe ouvrière. C’est ainsi qu’on pourrait retrouver, sous la plume de Guesde, l’emploi de ce mot dans le Socialiste de 1893, et s’appliquant à cette organisation. Mais depuis quelques années, sous l’influence anarchiste, ce mot a subi une transformation : on lui donne un sens qu’il n’avait pas autrefois, et qu’il ne peut pas avoir, et une valeur d’affranchissement, comme le socialisme, auquel souvent certains l’opposent. Ce qu’on appelle le syndicalisme est considéré par ses partisans comme une méthode d’expropriation de la classe capitaliste. Il existe même des partisans qui déclarent, audacieusement et inconsciemment, que c’est la seule méthode d’expropriation capitaliste. » (Op. cit. p.466)

La coloration apportée par les partisans de l’action directe (boycott, label, grève, sabotage) a conduit à accoler un adjectif pour distinguer le syndicalisme « réformiste » du « révolutionnaire ». Il n’est pas question d’étudier la floraison de qualificatifs utilisés (chrétien, confessionnel, jaune, social-démocrate, marxiste, etc.) sans oublier les typologies savantes. Il suffit de souligner dans les usages contemporains les deux acceptions, la première désignant le mouvement et l’autre l’action exercée par et dans l’organisation relevant de la loi de 1884. Le terme de libéralisme a été forgé par Maine François Pierre Gontier de Biran, dit Maine de Biran qui l’utilise en 1818 dans son Journal comme nom de la « doctrine favorable au développement des libertés ». Le pluriel indique la liaison entre économie, politique, religion et culture. Mais le général Augusto Pinochet a dans les années 1970 montré à quel point le libéralisme économique pouvait être dissocié du politique. Néolibéralisme apparaît en 1844 alors que paraissent les premiers ouvrages d’Alexis de Tocqueville et de Frédéric Bastiat. Le malheur est que d’autres acteurs impriment des cours nouveaux à la doctrine de la liberté économique. Les « néos » se succèdent, révélant la faiblesse de ce préfixe. Au début du XXIe siècle, le néolibéralisme désigne la conception de l’économie énoncée par John Williamson dans Le consensus de Washington et qui s’inspire de Hayek. Étudier le rapport entre syndicats et néolibéralisme incite à examiner d’abord les deux dimensions de la relation des partisans de la liberté économique avec le « fait syndical » et en troisième lieu à indiquer des pistes de répliques pour les organisations qui n’entendent pas se rallier aux sirènes du laisser-faire, laissez-passer.

I La stratégie anti-syndicale des libéraux

De manière explicite et qui sera durable, les libéraux ont, par la Loi le Chapelier du 4 juin 1791, nié l’existence de « prétendus intérêts communs ». Le salarié est un individu qui contracte librement avec l’employeur. Pas de corporation, pas de coalition. Le mouvement ouvrier a réussi à ébranler le dogme individualiste. La contre-offensive libérale à partir de Reagan et de Thatcher a visé à détruire les conquêtes sociales antérieures à la crise du keynésiano fordisme. La révolution conservatrice « made in France » d’abord rampante sous la gauche ralliée à l’économie de marché, puis explicite avec Jacques Chirac et proclamée avec Nicolas Sarkozy, comporte trois dimensions. Tout d’abord, le patronat se préoccupe de « reprendre la main » dans l’entreprise. Certes, il a toujours veillé à s’assurer l’allégeance des salariés à travers des formes de management successives, paternalisme, taylorisme, D.P.O. et les pratiques communicationnelles. Toutefois avec la crise, la gestion du personnel est devenue agressive. Le collectif de travail a été démantelé par l’externalisation et la sous-traitance. Les statuts sur le même site se sont multipliés : intérim, stagiaires, temps partiel, CDD, de telle sorte que les CDI ont été réduits au strict minimum. La mise sous pression engendre un tel stress que les suicides au travail se banalisent. Les patrons voyous sont montrés du doigt mais le chantage à la délocalisation est pratiqué par de grands groupes. En second lieu, le patronat dans son ensemble s’en est pris aux « rigidités » du droit du travail et les pouvoirs publics ont pris en charge leurs doléances. En 2008, la requalification du Code du Travail a permis de rétrograder nombre de dispositions légales en réglementaires. Les accords de procédures ont été favorisés aux dépens des normes. Les accords dérogatoires ont chamboulé la hiérarchie des textes. Le Statut de la Fonction publique a été déstructuré et la grève dans le secteur public muselée. Enfin, la répression contre les militants s’est amplifiée. Les licenciements abusifs relèvent du quotidien comme l’attestent les décisions de Prud’hommes exigeant la réintégration de délégués injustement sanctionnés. Un doctorant en économie, Thomas Breda a évalué à 20 % en moyenne le retard salarial des délégués syndicaux CGT par rapport à leurs collègues (L’Humanité, 15 novembre 2010, p.9). La crainte de représailles explique en partie la non syndicalisation.

II Intégrer le syndicalisme

Quand le syndicalisme de conquête s’avère être un danger trop pressant, le patronat n’hésite pas à susciter des contre-feux (Jaunes, SPF, CSL) ou à provoquer des scissions. Dans la période contemporaine, à côté de la répression, le patronat libéral ne se prive pas de recourir à des manœuvres de séduction (et même de corruption) ainsi que d’assujettissement. D’incessantes campagnes médiatiques sont menées contre le syndicalisme de transformation sociale, accusé de quatre vices principaux : son archaïsme (une pensée du XIXe siècle ou du CNR), son corporatisme (opposé à l’intérêt général défini par les employeurs et la majorité présidentielle), son caractère anti-démocratique (les bloqueurs minoritaires prennent en otages les usagers). En même temps, les projets de contre-réforme sont acclimatés par des échanges avec les dirigeants syndicalistes favorables au dialogue social. Sur le plan européen, les rencontres du Val Duchesse ont rempli ce rôle. Dans l’hexagone, on peut citer la Fondation Saint-Simon et particulièrement depuis 1999, l’Université d’été du Medef (succédant au CNPF en1998) qui invite le secrétaire général de la CFDT. Le credo libéral, à force d’être répété, apparaît comme évident, et le consensus inévitable. À défaut de le supprimer, une partie du patronat libéral envisage d’intégrer le syndicalisme.

Comment justifier pareille entorse au dogme individualiste ? Historiquement en France, deux tentatives ont été effectuées en ce sens avant la loi de 1884. Tout d’abord, il faut évoquer la notion de « corps intermédiaires » qui sont envisagés pour contribuer à la stabilisation de la société. Sauf erreur, la notion apparaît pour la première fois sous la plume de Benjamin Constant dans De l’esprit de conquête (1814). Le grand libéral français participe en 1815 au Projet constitutionnel de Napoléon Ier, de retour de l’île d’Elbe. Il suggère une représentation des intérêts professionnels, disposition qui sera baptisée « la Benjamine ». L’idée chemine, quoique toujours menacée d’être taxé de « corporatisme ». Jean-Philippe Perrot est le seul chercheur à fournir des repères pour l’histoire de cette notion dans La représentation des intérêts dans le mouvement des idées politiques (PUF, 1974). Après la FEN, l’UNSA utilise fréquemment la notion de corps intermédiaires pour exprimer sa conception du syndicalisme réformiste.

Une seconde tentative de tempérer l’individualisme pour mieux le défendre a été entreprise par le directeur du Journal des Économistes, Gustave de Molinari. Cet auteur prolifique a publié les Bourses du travail en 1849 (réédition 1893). À l’instar des Bourse de valeurs qui agrègent les capitaux et favorisent les échanges, les ouvriers réuniraient leurs offres d’emploi et les mettraient en rapport avec les demandes. Molinari tente d’obtenir l’approbation et l’appui des organisations ouvrières. De manière convaincante, Peter Schöttler a relativisé l’importance de l’économiste belge dans la Naissance des Bourses du travail (PUF, 1989). Mais du point de vue théorique, la contribution de Molinari est importante. Par un anti-étatisme forcené, l’hyper libéral envisage une organisation autonome de la société civile. Quand les libéraux s’occupent du syndicalisme, ils visent à le domestiquer. Émile Ollivier, l’homme-clé de l’Empire libéral et principal auteur de la version finale de la loi du 25 mai 1864 autorisant la grève affirme : « La liberté de coalition tuera les grèves ».

La loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels, votée après de nombreux reports, pose le principe de spécialité. Les syndicats ont en charge les questions économiques et ne doivent pas déborder sur le champ politique. La circulaire de Jules ferry aux préfets qui accompagne le texte incite ces derniers à favoriser, avec doigté, la création de ces associations. L’intention d’intégration relève de l’évidence. D’où l’opposition militante au lendemain du vote. La logique de la loi de 1884 a été poursuivie à travers divers dispositifs, à commencer par le paritarisme (terme de 1961 alors que paritaire remonte à 1920). Dans son Cahier de prison 16 (1934) Antonio Gramsci relève la duperie de la notion – ce qui ne signifie pas le refus radical de la pratique. « §18. « Paritaire ». La signification de « paritaire » est des plus intéressantes et « significatives ». Elle signifie que 1 000 000 a les mêmes droits que 10 000, parfois qu’un seul a les mêmes droits que 50 000. » (Traduction Gallimard, 1990, p.235).

L’autonomisation de la démocratie sociale promue à partir des années 1980 avec la disqualification de la loi et l’exaltation de la régulation conjointe (réglementation négociée, convient-il plutôt de dire) est amplifiée par la refondation sociale du Medef. L’influence du volontarisme juridique britannique est perceptible. On le retrouve jusque dans les accords de Bercy du 23 mai 2008 où les comités de suivi sont réservés à ceux qui ont signé les accords (Partie 3-section 3).

III Réplique du syndicalisme à l’offensive néolibérale.

Cette troisième partie sera rapide car le thème forme l’objet même du séminaire. A titre propédeutique, il est possible d’avancer trois pistes de réflexion. La première consiste à envisager les pratiques anti-institutionnalisation. Les négociations, la présence dans les institutions paritaires relèvent de la nécessité et du danger du face-à-face intégrateur. La FSU est consciente du problème et a dès sa naissance organisé la consultation des personnels après la signature d’un accord. Un bilan de cette pratique serait instructif, comme celui des décisions de boycott ainsi que des comptes-rendus de mandats. Le second axe concerne la bataille des idées. Le néolibéralisme est une idéologie conquérante. Le combattre requiert de mettre à nu ses fondements et ses ruses, ses visées et ses relais. En 2009, la CGT a édité un Lexique usuel critique de l’idéologie dominante économique et sociale (LUCIDES) que son IHS a élaboré avec des chercheurs comme Jacques Freyssinet et Josette Lefèvre. L’institut de la FSU a édité en 2002 un Nouvel ordre éducatif mondial de grande qualité. Comment mieux populariser ces travaux, comment accroître le rayonnement de la pensée critique ?

La troisième piste concerne la construction d’un projet syndical alternatif. La lutte de l’automne 2010 a montré le handicap que représentait l’absence d’une proposition syndicale cohérente pour l’avenir des retraites. L’indépendance syndicale est à ce prix. Lier la défense des retraites à l’emploi et à l’amélioration des salaires est pertinent mais il faut aller au bout de la démarche en explicitant les conditions, y compris au niveau de l’UE, pour obtenir les trois objectifs. Dans la conjoncture présente, à crise systémique, revendications systémiques. Évidemment, il est plus aisé d’écrire que de construire : il faut passer de la défensive à l’offensive.

René Mouriaux Docteur d’État en Science Politique

 

 

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