Europe et syndicalisme

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La situation est peut-être en train d’évoluer en Europe. L’Allemagne, la France, d’autres pays, la Commission européenne prennent conscience d’un danger d’écroulement possible de l’Union européenne (UE), au vu des premières réactions éclatées suite à la pandémie mondiale. La crise économique faite rage. Le plan de relance proposé par la Commission européenne suscite des débats partout dans le syndicalisme, notamment en France suite à la déclaration commune adoptée par le DGB et les syndicats français CFDT, CGT, FO, CFTC, UNSA (lire ici : https://wp.me/p6Uf5o-3rK). Pour éclairer ce débat, voici une note publiée par la commission internationale de la CGT.

 

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  • Semestre européen et plan de relance : les liaisons dangereuses

 

Le 27 mai dernier, la Commission européenne a proposé un plan de relance de 750 Md€ pour faire face aux conséquences de la pandémie de coronavirus. Elle semble vouloir le piloter en s’appuyant sur le « semestre européen », un cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires au sein de l’UE, dont font parties les recommandations : des liaisons dangereuses de nature à compromettre le progrès social et l’engagement de l’Europe sur la voie d’un autre modèle  socioéconomique  qui  abandonne définitivement les politiques d’austérité et développe les communs.

 

Le  plan de relance européen : un tout petit pas vers la solidarité avec beaucoup de zones d’ombre

Pour sortir le Continent d’une récession sans précédent, la Commission européenne veut emprunter sur les marchés 750 milliards d’euros. Jamais dans l’histoire de l’Union, elle n’avait levé une telle somme au nom de l’UE. Cela permettra de relâcher un peu la pression sur les finances publiques des Etat-membres les plus endettés mais s’accompagnera de risques pour l’avenir (voir ci-dessous). Les modalités de dépense du plan mettent l’accent sur la solidarité : 500 Md€ seront déboursés sous forme de subventions aux Etats membres les plus affectés par la pandémie et ses conséquences économiques: pour l’Italie, cela représenterait 82 Md€ et pour l’Espagne77 Md€, autant d’argent que ces pays n’auront pas à rembourser à la Commission. Un mécanisme plus classique de prêt, à hauteur de 250 Md€ complète ce dispositif : ici les Etats-membres bénéficieront de taux d’intérêt plus favorables que s’ils avaient dû emprunter eux-mêmes directement sur les marchés financiers. Ces prêts  remboursables à très long terme  viendront cependant s’ajouter à l’importante dette publique déjà détenue par les États membres, notamment ceux du sud de l’Europe comme l’Italie ou la France, ce qui  pourrait les contraindre à un avenir d’austérité si le Pacte de Stabilité et de Croissance reste inchangé.

Car ce qui pose question, c’est que  cette initiative présente aussi le risque d’une emprise toujours accrue des marchés, de la finance et des investisseurs privés sur la politique européenne. Il aurait fallu financer ce plan, dont le montant doit être réévalué au regard des nécessités du moment, par la Banque Centrale Européenne. C’est ce que nous demandons, avec d’autres, il est temps de revoir le rôle de la BCE, la remettre sous le contrôle des peuples, et lui assigner comme rôle le financement des politiques européennes. Mais les traités européens et surtout le rapport de force sociopolitique entre le Capital et le Travail à l’échelle du continent ne le permettent pas encore. A nous de faire grandir cette exigence, en lien avec nos partenaires syndicaux européens.

Il nous faut aussi dire clairement que le montant de 750 Md€ envisagé pour ce plan de relance est insuffisant au regard des besoins nés de la crise issue de la pandémie mais au regard aussi des nécessités nées de la transition vers une économie bas-carbone. Rappelons ainsi que le PIB de l’Union était de 15 9OO Md€ en 2018, et que le gouvernement espagnol revendiquait un montant de 1500 Md€ pour le plan de relance, et le Parlement européen 2000 Md€.

 

Qui va rembourser l’emprunt de la Commission européenne ?

Forte de sa solvabilité auprès des marchés et à cause des pays du Nord soucieux uniquement d’orthodoxie budgétaire, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, la Commission va donc emprunter sur les marchés.

Pour rembourser sa dette, la Commission propose de créer de nouvelles taxes levées dans l’Union pour le financer le budget européen : taxe carbone aux frontières, taxe sur les géants du numérique, une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés. La Commission européenne suggère d’affecter les recettes de ces nouvelles ressources au remboursement des emprunts qu’elle contractera pour financer le plan de relance européen, ainsi que le service de cette dette. Mais rien ne dit pour l’instant que ces propositions, faites dans le cadre des discussions relatives au prochain budget européen, seront acceptées à l’unanimité des 27 Etat-membres, laquelle est nécessaire sur ce sujet. En effet,  les pays du Nord, moins touchés par la crise,  se refusent à toute solidarité. Notamment pour ceux surnommés les « quatre frugaux » – Pays-Bas, Danemark, Suède et Autriche – qui refusent déjà d’accroître leur contribution.

Pour information, les chefs d’Etat ou de gouvernement se réuniront le 19 juin prochain, dans le cadre du Conseil européen, pour un premier échange sur le plan de relance et le budget européen.

 

Quel lien avec le semestre européen ?

Il nous faut poser maintenant la question des conditions de l’octroi de ces prêts et subventions prévus par le plan de relance européen

Pour obtenir ces soutiens financiers, les pays bénéficiaires devront présenter un plan de relance national, composé d’investissements et de réformes, censé être compatible avec les priorités de la Commission européenne selon une double série de critères : les recommandations socio-économiques qu’elle émet chaque année et les priorités stratégiques  de la politique climatique européenne, notamment le Green Deal.

Il ne s’agit donc pas de procéder pour chaque état en fonction de ses priorités ou des urgences sociales, mais bien de répondre aux directives européennes. Il faut de plus impérativement clarifier l’articulation entre ces deux critères et s’assurer de la primauté des objectifs climatiques sur des recommandations qui ont, jusqu’à présent, fait la part belle au dogme néolibéral.

Ces orientations sont fixées pour chaque état par la procédure dite du « semestre européen », qui est un cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires au sein de l’UE. Il s’inscrit dans le cadre de la gouvernance économique de l’Union européenne.

Dans le cadre du Semestre européen, les États membres alignent leurs politiques économiques et budgétaires sur les règles et les objectifs arrêtés au niveau de l’UE.

Chaque état membre présente alors son plan national de réforme qui vise essentiellement à assurer un équilibre budgétaire via des réformes structurelles dans le but d’assurer la viabilité des finances publiques conformément au pacte de stabilité et de croissance et à prévenir les déséquilibres macroéconomiques excessifs.

Avec la crise du coronavirus la procédure du semestre européen aurait dû être revue, réorientée sur les politiques sociales, il aurait fallu revoir ou annuler les réformes prévues, comme celle des retraites en France qui figure dans les orientations du semestre européen.

Le document qui a été présenté cette année fait état de la situation exceptionnelle que nous traversons, mais reste très timoré quant à la levée des contraintes qui pèsent sur les politiques publiques et budgétaires. En l’état nous ne sommes pas en capacité d’entrevoir ce qui va se dessiner, ni comment l’Europe va relever le défi social et économique qui se pose à elle. Mais une chose est certaine : Elle doit sortir du carcan libéral de l’équilibre budgétaire.

 

Est-il permis d’espérer ?

Les recommandations abordent cette année des questions telles que l’investissement dans la santé publique, la préservation de l’emploi par un soutien au revenu des travailleurs touchés (et non plus uniquement aux entreprises), l’investissement dans le capital humain et les compétences, le soutien au secteur des entreprises (en particulier aux petites et moyennes entreprises) et la lutte contre la planification fiscale agressive et le blanchiment de capitaux.

Les recommandations par pays en matière budgétaire sont, cette année, de nature qualitative et s’écartent des obligations budgétaires qui s’appliqueraient normalement. Elles tiennent compte de l’activation de la clause dérogatoire générale de suspension temporaire du Pacte de Stabilité et de Croissance, et recommandent aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre la pandémie, soutenir l’économique et favoriser la reprise par la suite.

 

Suivi de la situation budgétaire

La Commission est tenue d’établir ces rapports pour les États membres qui prévoient eux-mêmes, pour des raisons liées au coronavirus, de dépasser la limite de déficit de 3 % en 2020. Cependant, les rapports concernant la France, la Belgique, Chypre, la Grèce, l’Italie et l’Espagne évalueront le respect, par ces États membres, du critère de la dette en 2020 en tenant compte du plan de relance.

Ces rapports tiennent compte des effets négatifs de la pandémie de coronavirus sur les finances publiques nationales. Compte tenu du niveau exceptionnel d’incertitude lié aux conséquences budgétaires et macroéconomiques sans précédent de la pandémie, la Commission estime qu’en l’état actuel des choses, il n’est pas opportun de décider s’il y a lieu de soumettre des États membres à la procédure pour déficit excessif. Ce qui laisse planer la menace d’un retour strict au carcan de l’équilibre budgétaire et à l’austérité.

 

 

 

Prochaines étapes

Une réaction économique coordonnée à l’échelle européenne est indispensable pour relancer l’activité économique, atténuer les dommages causés au tissu économique et social et réduire les écarts et les déséquilibres. Il nous faut cependant aller beaucoup plus loin, la crise qui s’ouvre doit être l’occasion de réorienter l’Union Européenne sur des politiques sociales qui ne seront plus uniquement commandées par les règles budgétaires. Le Semestre européen pour la coordination des politiques économiques et des politiques de l’emploi constitue donc un élément essentiel de la stratégie de reprise et la CGT fera un certain nombre de propositions très concrètes pour sortir de la crise et refonder une Europe sociale et solidaire.

 

Encadré : contenu et structure du plan de relance européen

 

Le plan de relance européen repose sur trois piliers distincts.

1/ Premier pilier : aider les États membres à récupérer des effets de  la crise et à préparer l’avenir :

– Création d’une « facilité européenne  pour la reprise et la résilience » destinée à financer des plans de relance nationaux (560 Md€).

– Financement de la politique de cohésion territoriale européenne augmenté de 55 Md€.

– Renforcement des moyens alloués à la transition écologique vers une économie neutre du point de vue climatique de 40 Md€ pour le Fonds pour une transition juste et de 15 Md€ pour le Fonds européen de développement rural.

2/ Deuxième pilier : cible les entreprises et les investisseurs privés, avec 31 Md€ pour le soutien à la solvabilité des entreprises et 15 Md€ de garanties bancaire pour les investissements.

3/ Troisième pilier : « tirer les enseignements de la crise et relever les défis stratégiques auxquels l’Europe est confrontée » :

– Nouveau programme intitulé «L’UE pour la santé», doté d’un budget de 9,4 Md€ d’euros, de façon à renforcer la sécurité sanitaire et à se préparer à de futures crises sanitaires.

– Augmentation du budget du mécanisme de protection civile de l’UE (rescEU), porté à 3 Md€ pour faire face aux urgences de grande ampleur en permettant à l’UE d’acquérir directement des moyens de réaction aux différents types de situations d’urgence, y compris celles liées à une maladie infectieuse. Ces moyens communs (équipement médical, avions, etc.) seront positionnés stratégiquement dans toute l’UE pour permettre leur déploiement rapide à tout moment et en tout lieu.

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