Gilets jeunes !

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Cette note de Robi Morder est parue dans son blog Médiapart. Robi Morder est un animateur du Groupe d’études et de recherches sur les mouvements étudiants et jeunes (GERME).

Germe : www.germe-inform.fr

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Des gilets jaunes aux gilets jeunes?

Quelques premières et rapides réflexions sur les mobilisations qui ont touché la semaine passée 700 lycées sur 2400 lycées publics: rapports avec les Gilets jaunes, éléments récurrents et inédits dans l’histoire des mouvements lycéens.

 

« Les revendications des lycéens n’ont rien à voir avec celles de gilets jaunes » nous explique doctement le ministre de l’Education. Et pour mieux éviter une convergence possible, le gouvernement tente d’étouffer un mouvement naissant par une répression dont l’objectif est de décourager toute velléité de participation des jeunes à une action collective non institutionnelle.

Les jeunes mobilisés sont-ils si éloignés des Gilets jeunes ? Les revendications ne sont pas les mêmes à première vue : d’un côté la réforme du bac, parcours sup, de l’autre la fiscalité, les revendications salariales, le pouvoir d’achat. Quoiqu’il y en a désormais bien d’autres (Voir le recueil de documents que Syllepse vient de faire paraître) car dans un mouvement la revendication est un élément, pas la totalité, et parfois même pas l’essentiel. Derrière le contenu manifeste (l’objectif affirmé) il y a le contenu latent, c’est-à-dire ce que la mobilisation révèle de l’état d’esprit d’une collectivité, d’un groupe social, d’une situation subie devenue insupportable. C’est bien la raison pour laquelle dans tout mouvement – et les mobilisations actuelles n’y dérogent pas – les revendications évoluent parce que justement ce qui semblait irréaliste devient possible . Le 14 juillet 1789 les Parisiens qui prennent la Bastille ne pensent pas un seul instant qu’un autre régime que la monarchie est envisageable. Et pourtant…

Pour les lycéens entrant en action, l’action des Gilets jaunes et les premiers effets avec des reculs du gouvernement, peut autoriser à penser qu’en osant lutter on peut vaincre. Au printemps dernier les échecs des mobilisations contre la Loi travail (2016) et les ordonnances (2017) ont pesé lourd dans l’appréciation de ce qui était possible. L’heure était aux révisions du bac, et Parcours sup ferait peut-être mieux que le tirage au sort semblaient dire ces jeunes qui laissaient ainsi une chance au gouvernement. Même l’affaire de l’intervention de la police au lycée Arago à Paris le 1er mai et les dizaines de garde à vue d’élèves n’avait provoqué grèves ou manifestations d’ampleur. Depuis, « parcours sup » a fait ses preuves, et s’y rajoute la réforme du bac, sans oublier le « travail militant » des organisations lycéennes, la circulation de l’information par les réseaux sociaux étant à elle seule nécessaire mais insuffisante. La mémoire collective des mouvements passés et des répertoires d’action passe aussi par des vecteurs que sont les organisations.

Cependant le rapport avec les Gilets jaunes n’est pas qu’un rapport d’exemplarité quand un groupe social trouve une inspiration dans un autre groupe social, fut-il distinct. Or, la cartographie des centaines d’établissements touchés peut faire présumer qu’il y a là les filles et fils des gilets jaunes, dans les quartiers populaires, les zones rurbaines. Dans leurs familles, chez leurs ami.e.s le chômage, la précarité, les fins de mois difficiles sont le quotidien.  N’ont-ils rien de commun avec celles et ceux qui occupent les carrefours ce millier d’élèves qui ont manifesté à Digne la semaine dernière ? La question de la dignité n’est-elle pas latente pour ces élèves, notamment dans les filières professionnelles, quand ils ont appris, par leurs ami.e.s, par les medias, les résultats de Parcours sup discriminant même les « bons » quand ils sont issus de départements ou villes stigmatisées ?

Il y a lieu d’y rajouter une répression inédite. Le texte des « 130 ex-lycéens », a pu être critiqué par certains qui ont rappelé que dans les années 68 jusqu’au milieu des années 1970 il y eut des affrontements entre lycéens et forces de l’ordre. Tout ne peut être dit dans un court texte écrit à plusieurs dizaines de mains, et nous avons rappelé dans Quand les lycéens prenaient la parole (Syllepse 2018) l’investissement par la police du lycée de Rueil, la grenade qui a enlevé un œil à Richard Deshayes en 1971 (voir sur le site du Germe). Et la liste est longue sur 50 ans. Mais ce qui pouvait être de l’ordre de la « bavure », est, selon les informations recueillies, devenu système ces derniers jours. Comme s’il y avait une présomption de mauvaise intention : « Tu es lycéen, tu arrives en avance devant ton bahut, c’est donc que tu vas bloquer, incendier, casser ! ». Il n’est pas certain que cette stratégie produise le résultat attendu. Pour celle ou celui qui ne trouvait pas de motif à se mobiliser, elle offre au contraire toutes les raisons d’entrer dans l’action comme en atteste l’histoire des mobilisations de la jeunesse.

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