Hong Kong : le nouveau mouvement syndical

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Cet article est publié par Labor Notes (USA), à propos du nouveau mouvement syndical à Hong Kong, face aux défis du COVID et à la situation de répression. Merci à Patrick Le Tréhondat pour la traduction. 

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Le nouveau mouvement syndical de Hong Kong  face aux défis du Covid et de la loi sur la sécurité nationale

Anna Tsui et Chris Chan

 

Les travailleurs de Hong Kong ont formé des dizaines de nouveaux syndicats dans le cadre du mouvement de protestation de masse contre les atteintes à l’autonomie de Hong Kong en 2019. Dans un centre du capitalisme financier où le mouvement syndical a longtemps été faible, c’était un développement prometteur – bien que né du désespoir.

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La crainte d’une épidémie de Covid potentiellement dévastatrice au début de 2020 a renforcé la solidarité entre les citoyens de Hong Kong. Elle a également suscité une profonde colère collective face à l’inaction du gouvernement, qui a culminé avec une grève historique dans le secteur de la santé en février 2021.

Mais la pandémie a également donné l’occasion au gouvernement de Pékin de réprimer la société civile de Hong Kong en introduisant une loi sur la sécurité nationale, longtemps retardée, qui est  utilisée pour cibler les militant·es pro-démocratie. Les syndicats et les mouvements politiques de Hong Kong sont désormais entrés dans une nouvelle ère de gouvernement par la peur, symbolisée par les récentes arrestations,  de 53 militant·es démocrates de premier plan, accusées de « subversion », dont la présidente de la Confédération des syndicats de Hong Kong.

Une nouvelle vague de protestations

Hong Kong jouissait d’une relative autonomie depuis sa rétrocession à la Chine en 1997, conformément au principe « Un pays, deux systèmes » régissant la mini-constitution de Hong Kong. Ce système reposait sur la tolérance de Pékin à l’égard de cet arrangement politique de la ville tant qu’elle continuerait à récolter les bénéfices générés par le capitalisme du laissez-faire.

Cet « accord »  a perduré alors même que des veillées annuelles aux chandelles chaque 4 juin, étaient  organisées commémorant le massacre de la place Tienanmen (1989), que des mobilisations de masse en 2003 contre la précédente législation sur la sécurité nationale ont fait irruption, ainsi que pendant le « mouvement des parapluies » de 2014 protestant contre le manque de démocratie dans le choix d’un·e  chef·fe de l’exécutif.

Mais la nouvelle proposition législative permettant l’extradition vers la Chine continentale aurait sapé l’indépendance judiciaire de Kong Kong et aurait mis en danger les dissidents, y compris les syndicalistes.

À partir de juin 2019, des millions de personnes sont descendues dans la rue pour protester. La réaction de plus en plus dure de la police et des tribunaux a créé une forte résistance identitaire «hongkongaise», enracinée dans l’opposition croissante à une plus grande intégration avec le continent chinois. Cette effervescence  a permis au camp pro-démocratique de remporter une victoire écrasante aux élections des conseils de district en 2019.

Elle a également conduit à une vague de nouveaux syndicats organisés sous la bannière du mouvement de résistance. De jeunes militant·es ont formé l’alliance « HK On Strike » [Hong Kong en grève] fin 2019. Ce réseau informel était composé de 43 nouveaux syndicats représentant principalement les cols blancs et d’autres secteurs professionnels, dont des fonctionnaires, des travailleurs dans le secteur de la santé, des employés du secteur financier, des ingénieurs et des orthophonistes… Les travailleurs du secteur des services, tels que le personnel hôtelier et les employés des chemins de fer, ont également formé de nouveaux syndicats.

HK On Strike visait à syndiquer 10 % des travailleurs de chaque secteur et à leur donner une voix collective sur les questions politiques, syndicales et économiques. Elle espérait également lancer une «vraie» grève générale. Des grèves générales ont été appelées à plusieurs reprises lors du mouvement contre le projet de loi sur l’extradition, mais elles ont été entravées par un manque de coordination et une baisse des niveaux de participation au mouvement de protestation.

Cependant, le développement de ce nouveau syndicalisme reflète un changement de paradigme : les citoyens de Hong Kong ont commencé à accepter l’organisation syndicale comme un mode de résistance collective. Dans le passé, l’idée de syndicat était associée aux travailleurs à faible revenu qui recherchaient une aide d’urgence. Le nouveau mouvement syndical a offert aux militant·es une autre voie ; il met en œuvre une stratégie qui comprend la confrontation avec les pouvoirs institutionnels, la résistance de masse dans la rue et le boycott des entreprises pro-chinoises par les consommateurs.

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Début 2020, alors que la nouvelle de la pandémie s’est répandue sur le continent, un nouveau syndicat de travailleurs des hôpitaux publics, l’Hospital Authority Employees Alliance [HAEA-Alliance des employé·es des administrations hospitalières], s’est retrouvé en première ligne de la résistance civique. Ses membres ont été à l’avant-garde de la bataille pour arrêter la propagation de la pandémie à Hong Kong ; le syndicat a exigé du gouvernement qu’il déploie des politiques de contrôle frontalier beaucoup plus strictes à l’égard des visiteurs de Chine continentale, qu’il étende les mesures de quarantaine obligatoires et qu’il garantisse la sécurité des travailleurs hospitaliers sur leur lieu de travail.

L’adhésion à la HAEA est montée en flèche après l’appel public à la grève pour le renforcement de la protection contre le Covid. Le syndicat est passé de 300 membres en décembre 2019 – deux mois après son lancement – à 10 000  fin janvier 2021, soit 20 % des employé·es du secteur médical public de Hong Kong. En février, 7 000 personnes ont participé à une grève de cinq jours.

La grève a pris fin après un vote démocratique des membres, les cinq revendications du syndicat n’étant toujours pas complètement satisfaites, et sans que le syndicat soit reconnu officiellement par l’administration hospitalière. Pourtant, le gouvernement a fait un certain nombre de concessions pendant la grève, notamment la fermeture de la liaison ferroviaire express avec la Chine continentale et l’annonce que toutes les personnes entrant à Hong Kong par le continent seraient tenues de s’isoler pendant 14 jours.

La grève a obtenu le soutien de syndicats d’autres secteurs. Cinquante syndicats ont formulé des revendications pour la prévention des épidémies. Outre la fermeture des frontières, ces syndicats ont également demandé aux employeurs de fournir des masques aux employé·es et aux client·es, d’annuler tous les voyages d’affaires en Chine continentale et de mettre en œuvre le télé-travail.

De nombreux syndicats, qui ont fait preuve d’un soutien actif, ont également mené une enquête auprès de leurs membres afin d’évaluer leur soutien aux actions syndicales de solidarité, qui indiquait les possibilités d’expansion du mouvement de grève.

La loi sur la sécurité nationaleHongKong-1-Oct23againstHApunishment-HAEA-cropped 2

La grève des travailleurs médicaux a démontré la capacité des salarié·es et de la société civile à développer de nouvelles formes d’action et de solidarité pendant la pandémie. Cependant, l’État autoritaire a également renforcé les contrôles sociaux pendant l’épidémie de Covid, posant de nouveaux défis aux mouvements syndicaux et sociaux.

Le projet du Parti communiste chinois (PCC) de faire adopter sa propre loi de sécurité par le gouvernement de Hong Kong avait été mis en suspens pour une durée indéterminée après une manifestation de plusieurs millions de personnes en 2003. Cependant, malgré l’opposition généralisée de la population au régime du PCC, la loi de sécurité nationale a été adoptée le 30 juin 2020 par le Congrès national du peuple à Pékin. Cette loi criminalise les actes de sécession, de subversion, de terrorisme et de collusion avec des forces étrangères, avec une peine maximale de prison à vie.

Le camp du travail et les forces pro-démocratie se sont fortement opposés à cette loi, car elles savaient qu’elle serait utilisée pour criminaliser nombre de leurs activités – des activités longtemps considérées comme allant de soi à Hong Kong, comme appeler à la solidarité internationale, critiquer le gouvernement ou organiser des manifestations. Le chef de l’exécutif de Hong Kong – choisi dans le cadre d’un processus non démocratique contrôlé par le gouvernement central chinois – a désormais le pouvoir de nommer des juges pour régler les affaires liées à la sécurité nationale, et de toute façon Pékin a le dernier mot sur la façon dont la loi est interprétée.

Primaires et arrestations massives

La démocratie à Hong Kong est limitée : seule la moitié des membres du Conseil législatif de Hong Kong sont élu·es au suffrage universel. Afin de maximiser le nombre de législateurs issus du camp pro-démocratie, une élection primaire a été organisée en juillet 2020 pour permettre aux partisans d’exprimer leurs préférences parmi les représentants pro-démocratie pour les élections du Conseil législatif initialement prévues pour septembre 2020. Plus de 600 000 électeur·trices y ont participé, un taux de participation étonnamment élevé compte tenu de la pandémie et de l’opposition du gouvernement aux primaires. (invoquant la pandémie, le gouvernement a finalement reporté les élections générales d’un an).hong kong 3

Pourtant, le 6 janvier de cette année, 53  représentant·es et militant·es qui s’étaient présenté·es aux élections primaires – issu·es de tout le spectre politique de l’opposition – ont été arrêté·es par la police en vertu de la loi sur la sécurité nationale, ce qui a assombri le paysage politique. Leur supposé projet de voter contre le budget annuel présenté par le gouvernement – ce qui faisait partie de leur programme –  visait à déclencher une clause dans la mini-constitution de Hong Kong qui obligeait alors le chef de l’exécutif à démissionner. Dés lors, ce choix constituait selon le pouvoir en place un acte de «subversion».

Les dirigeantes syndicales Carol Ng, présidente de la Confédération des syndicats de Hong Kong, et Winnie Yu, présidente de la HAEA, ont participé aux primaires en tant que candidates et ont été toutes les deux arrêtées.

Le 28 février 2021, 47 des personnes arrêtées, dont Ng et Yu, ont été formellement accusées de «conspiration de subversion» en vertu de la loi sur la sécurité nationale, qui prévoit une possible condamnation à vie.

Les arrestations massives ont également marqué la fin de l’opposition politique significative au sein du corps législatif ; il est vrai que les législateurs pro-démocratie avaient déjà démissionné en masse en novembre après la disqualification par Pékin de quatre titulaires.

Maintenant que le gouvernement est armé d’un outil juridique global de répression politique, il est devenu difficile pour les militant·es d’anticiper les conséquences sur leurs possibles mobilisations. De plus, avec l’interdiction stricte des rassemblements sociaux au nom de la lutte contre la pandémie, de nombreuses activités syndicales quotidiennes, comme les réunions de membres et les mobilisations de rue, ont été mises en suspens.

La contraction spectaculaire de l’espace démocratique a créé de sérieux défis pour les nouveaux syndicats, qui ont eu tendance à s’appuyer sur des campagnes politiques à l’échelle de la ville, plutôt  que de mobiliser autour de questions liées au lieu de travail, pour recruter des membres. Les organisateurs syndicaux avec lesquels nous nous sommes entretenus ont indiqué que les travailleurs sont moins disposés à renouveler leur adhésion en raison de l’incertitude liée à la pandémie concernant leur emploi et en raison de l’affaiblissement de la dynamique de la lutte politique.

Pour relever ces défis, les militant·es syndicaux envisagent de nouvelles approches. Certains syndicats, par exemple, sont devenus plus actifs sur les médias sociaux, en créant des vidéos et des podcasts pour mettre en évidence les traitements injustes que leurs membres subissent au travail.

Comme l’a dit la Confédération des syndicats de Hong Kong, «Le tunnel est peut-être long et sombre, mais en fin de compte, il doit y avoir de la lumière».

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2 mars 2021

Traduction de Patrick Le Tréhondat

 

Anna Tsui et Chris Chan sont chercheurs en sciences du travail à l’université chinoise de Hong Kong.

 

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