Interview de Philippe Martinez (CGT) : « Passer à la vitesse supérieure »

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Dans cette interview à l’Humanité du 12 mai, le secrétaire général de la CGT évoque une semaine importante de mobilisations à compter du 16 mai (routiers, chimie, cheminots) et l’hypothèse d’une vaste consultation citoyenne, en répondant à l’idée d’un référendum proposé par Jean-Claude Mailly.

 

« La mobilisation est plus que jamais indispensable »

Entretien réalisé par Clotilde Mathieu
Jeudi, 12 Mai, 2016
L’Humanité

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AFP

Pour le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, dont le syndicat appelle à la grève aujourd’hui, mais aussi les 17 et 19 mai, le 49-3 témoigne de la « faiblesse du gouvernement ». Il appelle les salariés à « passer à la vitesse supérieure » pour forcer l’exécutif à retirer son texte.

Vous avez qualifié l’usage du 49-3 de « honteux »

Philippe Martinez Jamais le candidat Hollande n’a évoqué la casse du Code du travail dans son programme. C’est déjà un véritable déni de démocratie de mettre en œuvre des réformes qui ne font pas partie d’un programme électoral approuvé par les électeurs de gauche. Ceux-ci composent, dans leur très grande majorité, les défilés dans les rues aujourd’hui. Ce gouvernement, contrairement à l’affichage, refuse tout dialogue. Nous vivons cela depuis le départ. Nous n’avons jamais eu l’occasion de discuter réellement sur le texte. Et aujourd’hui, ce sont les députés qui sont bâillonnés, puisque aucun des amendements n’a pu être soumis au vote. C’est un gouvernement en difficulté qui s’est mis l’opinion publique à dos et qui n’a même pas réussi à convaincre sa propre majorité, son propre parti. Alors que certaines promesses de campagne comme la fin des paradis fiscaux ou le scandale des rémunérations patronales nécessiteraient plus de virulence de la part du gouvernement après les révélations des Panama Papers et les salaires extraordinaires des PDG de Renault, Sanofi et PSA, rien n’est fait pour changer un certain nombre de règles.

Pensez-vous que les députés de gauche doivent voter la motion de censure du gouvernement Valls ?

Philippe Martinez C’est l’affaire des députés. La question qui nous occupe est le retrait de ce projet de loi. Ce qui compte, c’est de savoir quelle politique doit être mise en œuvre par un gouvernement de gauche pour répondre aux attentes des citoyens, des salariés.

Presque trois mois de mobilisations sociales, beaucoup de répression policière, des réformes antisociales adoptées à coups de 49-3 : la contestation sociale est-elle encore possible en France ?

Philippe Martinez Elle est indispensable, même avec les difficultés que l’on connaît. La répression est aussi et surtout patronale. Il faut rappeler que des salariés sont aujourd’hui licenciés pour fait de grève. Et lorsqu’on gagne le Smic, faire grève est un acte fort, car il faut pouvoir finir le mois. Ce qui est déjà difficile avec une paie complète. La mobilisation est indispensable. C’est d’ailleurs le sens de notre communiqué intersyndical. Il y a besoin de passer à la vitesse supérieure.

Même si les mobilisations restent d’un haut niveau, dans les entreprises, la grève reconductible a du mal à partir. Comment l’expliquez-vous ?

Philippe Martinez Comme dans tout mouvement social fort, il y a un processus de montée en puissance. C’est le sens de l’appel de notre congrès. Jusqu’ici, nous avons réussi à mettre en échec la tentative de division du gouvernement entre la jeunesse et les salariés. Nous avons maintenu la pression, avec des mobilisations intéressantes, quand le gouvernement voulait profiter d’une période de congés scolaires pour arrêter la contestation. Les salariés pensaient légitimement qu’un gouvernement dit de gauche allait changer d’avis avec les mobilisations. Or nous nous retrouvons dans la même situation qu’en 2010 (lors du mouvement contre la réforme des retraites de Sarkozy – NDLR). Nous faisons le constat que la mobilisation ne suffit pas, c’est pour cela que nous avons appelé à rassembler les salariés, à débattre avec eux afin de durcir le mouvement, avec par exemple des grèves qui se prolongent. Ce travail commence à payer. Dès lundi soir, les routiers lancent une grève reconductible. Les cheminots devraient décider aujourd’hui (mercredi – NDLR) de deux jours de grève qui pourraient se programmer dès la semaine prochaine et reconductibles de semaine en semaine. Les salariés d’Aéroports de Paris, d’Air France, mais aussi ceux de l’énergie et de la pétrochimie discutent d’une possible grève reconductible. Le processus de renforcement de la mobilisation est en train de se mettre en œuvre. Ce sont des décisions difficiles à prendre, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton. Les salariés semblent décidés à s’engager dans un mouvement plus dur.

Après les violences survenues lors des derniers défilés, comment rassurer les salariés qui souhaitent se rendre aux manifestations ?

Philippe Martinez Il n’y a eu aucun problème dans les cortèges. Il y a des problèmes hors des cortèges, avec des groupes, toujours les mêmes, qui font des actes de violence mais qui agissent librement à chaque manifestation. Le gouvernement essaie de mettre la responsabilité sur les organisations syndicales et leurs services d’ordre pour dissuader les gens de manifester. Le gouvernement doit assumer les siennes, en interdisant ceux qui cassent de pouvoir continuer de le faire et en laissant les manifestants manifester.

Vous avez avancé une contre-proposition avec le Code du travail du XXIe siècle, plus protecteur. Pourtant, le mouvement social s’est surtout focalisé sur le retrait du projet de loi. N’est-ce pas un handicap ?

Philippe Martinez Travailler les alternatives, cela nécessite du temps. Nous vivons dans un pays et dans un monde où globalement on nous fait croire qu’il faudrait tous penser la même chose. Ceux qui souhaitent apporter une autre vision du monde sont muselés ou au mieux qualifiés d’archaïques. La CGT a fait des propositions que nous devons porter plus fort, en nous appuyant sur des éléments qui existent dans la loi. Je fais par exemple référence à la sécurité sociale professionnelle, qui pourrait nourrir le compte personnel d’activité. Il faut que les militants CGT ne lâchent rien sur les alternatives. Lorsque les perspectives se développent, la mobilisation se trouve renforcée. Les salariés veulent du changement, la CGT doit porter ce changement. Il y a un an, sur les 32 heures, nous avons tout entendu. Or je constate que, depuis, 160 personnalités très diverses ont signé un texte pour affirmer que la réduction du temps de travail est une question qui se pose aujourd’hui.

Partagez-vous l’idée d’un référendum sur la loi El Khomri comme le propose FO ?

Philippe Martinez Je ne suis pas convaincu que, à l’heure actuelle, le gouvernement soit disposé à organiser un référendum sur le sujet. En revanche, l’idée de permettre aux salariés et plus largement aux citoyens de s’exprimer retient toute notre attention. Dans le passé, nous avons organisé une votation citoyenne sur la privatisation de la poste avec un succès considérable. C’est une initiative qui est envisageable, à laquelle nous réfléchissons.

Philippe Martinez

Secrétaire général de la CGT

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