La lettre de démission de Pascal Pavageau

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La crise qui secoue Force ouvrière, après d’autres épisodes, va sans doute avoir, malheureusement,  des effets plus généraux sur la façon dont le syndicalisme est perçu. A nous tous et toutes d’y réfléchir. Ci-dessous la lettre de démission de Pascal Pavageau.

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Cher(e)s camarades,

Visiblement, la cabale ne s’arrêtera pas là. Je savais qu’en acceptant le mandat de Secrétaire général, tous mes actes seraient passés au crible, mais jamais à ce point.

La CNIL vient de se saisir de l’affaire concernant le tableau relatif aux cadres de l’organisation. Je vous informe afin de ne pas faire de raccourcis faciles, que la Confédération a déposé plainte pour la diffusion de ces documents, certes stupides et déplacés mais confidentiels. Suite au vol effectué dans le bureau de la responsable du personnel le 1er octobre 2018, pour lequel tant cette personne à titre individuel que la Confédération ont déposé plainte, plusieurs fichiers sensibles et confidentiels concernant les salariés et les secrétaires confédéraux du siège devraient être diffusés.

Pour l’ensemble de ces documents et ces erreurs de fonctionnement qui ternissent l’image de notre Organisation ainsi que mes actions, je vous présente sincèrement mes excuses.

Mais au-delà de cela, comment est-il acceptable que des personnes qui se comptent sur les doigts d’une main aillent jusqu’à transmettre les informations liées au projet que je portais et dont ils disposent depuis des années – et qu’ils ont eux-mêmes alimentées – tout ça parce que je me suis refusé de nourrir leurs ambitions personnelles ?

Comment est-il possible que certains responsables de l’Organisation aient ces documents depuis plusieurs semaines, qu’ils ne m’en aient pas informés et qu’ils aient choisi la presse comme moyen de diffusion ?

Comment se fait-il que depuis la sortie de ces documents, certains secrétaires confédéraux se désolidarisent et se saisissent de ce prétexte pour rebattre les cartes ?

Désormais je ne comprends que trop bien. Tout ce petit monde ne cherche pas uniquement à ce que des têtes tombent, mais poussent aussi par leurs agissements intéressés à ce que notre Organisation cesse de bouger et que certains tiroirs ne soient jamais ouverts.

Après au tour de ma vie personnelle vu qu’on en est là.

Depuis le lendemain de mon élection en avril, plusieurs rédactions et médias m’ont averti qu’ils recevaient chaque semaine des données sur FO, y compris sur ma vie privée. Jusqu’à mon chat.

Tout d’abord mes enfants. Si j’avais cru une seule seconde qu’on en arriverait là, je n’aurai jamais, jamais brigué ce mandat. La presse m’informe dès le mois de mai que mon fils aîné est attaqué. Alors qu’il était en décrochage complet de ses études, ma Fédération d’origine me fait part à l’époque de sa recherche d’une personne sans qualification pouvant aider à la communication de la FD. Je propose, sans trop y croire, à mon fils d’y postuler. Après une semaine d’essai, il a été embauché, au SMIC en contrat en alternance puis en CDI. Mais ça ne s’arrête pas là selon ce que me rapporte la presse. Le fait d’avoir hébergé régulièrement mon fils serait suspect au titre que je vivrais auprès de ma nouvelle compagne, comme s’il n’était pas possible de nos jours de vivre chacun chez soi. J’ai en effet habité avec mon fils, fragile à l’époque, dans l’appartement de fonction payé par FO. Enfin, pour finir ce paragraphe abject, mon fils loge depuis plusieurs mois dans un appartement qu’il paie intégralement lui-même. 370 euros par mois pour 9 m2. S’il est un crime d’héberger son enfant, alors je plaide coupable.

Ensuite professionnellement avec mon « Cabinet ». Alors que c’est une appellation qui assume une pratique antérieure, certains m’ont expliqué qu’il n’avait pas lieu d’être. Pas de Directrice de Cabinet, pas de Chef de Cabinet, pas de RH, même pas d’Attachée de presse et encore moins de Chargée des Relations Institutionnelles. Bref, pas d’équipe. Pour autant c’est ce qui nous a permis d’avoir une telle force de frappe, une telle réactivité, une telle accessibilité de nos revendications et positions par un travail d’analyse approfondie et de pédagogie. Mais oui, j’oubliais, il ne faut pas parler de « visions », de « valeurs », de « travailleurs ». Utiliser les erreurs datant d’avant mon élection pour réclamer leur tête est bien peu honorable. On m’explique qu’il ne faut pas toucher aux Secrétaires confédéraux même lorsque que ceux-ci mettent en danger des salariés dont ils ont la responsabilité, mais pour mon équipe, c’est tolérance zéro. En particulier pour ma « maîtresse », puisque c’est ainsi qu’elle est qualifiée toujours dans le style très misogyne cher à certains dans notre Organisation. Etant ma Directrice de cabinet et ma compagne dans la vie, son influence, l’oreille plus qu’attentive dont elle dispose dérange beaucoup. Aujourd’hui, visiblement pour être « politique » et traité avec respect, il faut être « élu », et les « technocrates » devraient se résumer à servir les élus. Parler de « technocratie » de la part de quelques-uns qui réduisent l’Organisation à son appareil et à ses courants, cela relève d’une grande hypocrisie et duplicité. Pour moi, ce n’est pas ça le militantisme et heureusement que la Confédération compte des salariés militants qui permettent aux Secrétaires confédéraux de s’appuyer largement sur eux. Comment est-il acceptable au travers des multiples coups de fil passés ces derniers jours avec quelques « grands barons » de notre Organisation, de s’entendre dire qu’il est « dans l’intérêt de mon équilibre personnel » de me séparer de ma compagne et que mon Cabinet n’a plus lieu d’exister, alors que c’est l’équipe la plus qualifiée et compétente pour ces postes ? 4 licenciements, tel est le prix à payer. Et en 24h, alors que j’ai annoncé devoir prendre du recul ce qui se transforme en arrêt maladie qui n’a jamais existé, les intimidations de certains secrétaires confédéraux en convoquant arbitrairement les salariés de mon équipe restante, en forçant à résidence dans son bureau une des personnes licenciées et en essayant même de revenir sur la transaction financière des 4 personnes histoire que l’humiliation soit totale, c’est indigne.

Alors, à vous « camarades », qui de l’interne ont décidé, au-delà des pressions, des fouilles, des vols, de recourir à de telles méthodes, soyez fiers. Soyez fiers du mal que vous m’avez fait ainsi qu’à l’Organisation en choisissant de faire passer vos intérêts personnels, votre petit pouvoir ou votre aigreur avant tout.

La première chose que vous avez cherché à m’imposer d’arrêter est la mise en place d’un audit sur l’état des finances internes. Je trouvais pourtant cet audit très « réformiste-compatible » et totalement dans la transparence que beaucoup prônent à juste titre, mais visiblement pour les autres.

Je fais partie de ces militants qui portent un idéal, une vision pour notre Organisation. Je pense avoir prouvé en l’espace de quelques mois à peine que notre gros paquebot avait la ligne, les moyens, les revendications et les militants nécessaires pour faire écho auprès de l’ensemble des travailleurs de ce pays. J’ai respecté à la lettre le mandat qui m’a été confié au Congrès confédéral et il me semble que le dernier CCN l’a largement reconnu. Si j’ai fait, je fais et ferai encore des erreurs, je m’en suis toujours excusé et je les ai assumées ou corrigées.

L’indépendance est un combat, mon combat quotidien et ma plus grande fierté. Mais aujourd’hui, l’indépendance perd et quelques courants manœuvrent. Pourtant depuis le Congrès, j’ai écouté et tenu compte de l’ensemble des conseils qui m’ont été prodigués par tous les élus du CCN comme par tous les militants que j’ai pu croiser, mais la mise sous contrôle, à l’exception de celle du mandat, n’est pas pour moi. J’ai cherché, depuis quelques mois, à mettre plus de transparence, plus de transversalité et plus de démocratie dans nos instances internes afin tant de recaler régulièrement le mandat selon la plus grande majorité, mais également pour ne pas décider seul ou à quelques-uns comme cela était le cas précédemment. Je n’ai pas d’interlocuteur privilégié, vous l’étiez tous, ce que quelques barons, chefs de clans, ne supportent pas.

Mon militantisme est chevillé au corps, je ne suis pas de ceux qui acceptent la compromission et la mise sous tutelle pour s’assurer un poste, un chapeau à plume ou un portefeuille de missions. Si mes ambitions pour Force Ouvrière et mes méthodes en inquiètent plus d’un qui préfèrent s’assurer la sécurité d’un environnement où rien ne bouge et où les privilèges de quelques-uns au sein d’un syndicalisme daté perdurent, je ne suis pas votre homme.

Alors, aujourd’hui, je rends le mandat que vous m’avez confié à 96 % il y a tout juste six mois. Je rends le mandat parce que j’y suis contraint face à la violence et à la haine de certains qui exigent de moi des sacrifices que personne ne devrait avoir à faire : vivre à genoux, une laisse autour du cou, sans plus aucune ambition pour FO et en me séparant de ceux que j’aime. Je suis un militant, pas un martyr.

A tous les adhérents, je m’excuse de lâcher, mais c’est trop dur. Je sais que pour certains cela relèvera de la désertion voire de la trahison, tant de la classe ouvrière que de ceux avec lesquels j’ai tissé des liens indéfectibles et qui y croyaient tant. J’ai donné mes tripes parce que je suis viscéralement convaincu de ce que je défendais, des propositions que je portais. Cette page de ma vie se ferme dans la douleur, mais je reste fier de rester un militant de base, fier de ce que nous avons réalisé en six mois pour ouvrir les portes et les fenêtres de notre grande et belle maison, pour avoir le courage d’assumer un positionnement syndical clair et novateur mais toujours au service des revendications, en cherchant à amener toujours plus de travailleurs, pas uniquement des salariés, à s’unir dans le collectif que nous formons.

J’ai résisté tant que j’ai pu, j’ai revendiqué chaque jour de ma vie, je n’ai pas su reconquérir.

 

Pascal Pavageau

Militant

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