La stratégie intersyndicale débattue dans Rapports de forces

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Le site Rapports de force rend compte de la journée du 31 janvier 2023 et commente les stratégies intersyndicales : 7 février et samedi 11.

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mobilisation

Mobilisation retraites le 7 et 11 février : la stratégie de l’intersyndicale décryptée

 

 

Plusieurs options étaient sur la table de l’intersyndicale contre la réforme des retraites, au soir d’une journée de mobilisation très réussie dans la rue ce 31 janvier. Finalement, les huit syndicats annoncent ensemble une prochaine journée de grève le mardi 7 février et une manifestation le samedi suivant. Décryptage.

 

Le choix de l’accélération l’a plutôt emporté lors de la réunion de l’intersyndicale contre la réforme des retraites. Les huit syndicats qui la composent ont décidé que la prochaine journée de grève aurait lieu mardi 7 février, soit dans une semaine exactement. Mais ce n’est pas tout. Dans la foulée, le samedi 11, ils organisent également une journée de manifestation pour rassembler les salariés pour qui il est difficile de se mettre en grève.

 

Des stratégies syndicales différentes à concilier

 

Laurent Berger de la CFDT n’en a pas fait mystère : son syndicat n’est pas partisan d’un appel à la grève reconductible et fonde plutôt sa stratégie sur des démonstrations de force dans la rue pour faire flancher l’exécutif et fragiliser la possibilité d’une majorité parlementaire votant le projet de loi. A l’inverse, au moins la CGT et Solidaires poussent à la grève et à sa possible reconduction pour contraindre le gouvernement à abandonner tout recul de l’âge de départ à la retraite.

Mais une chose est certaine : les huit syndicats sont quasiment condamnés à se mettre d’accord. Tous sont convaincus que leur union a été un levier important du succès des deux premières journées de mobilisations. C’est probablement ce qui explique que chacun accepte des compromis. D’abord la CFDT, en acceptant la date du 19 janvier, alors qu’elle préférait laisser passer le Conseil des ministres du 23 janvier avant de se mobiliser. Puis, les syndicats de transformation sociale, qui ont accepté à leur tour le 31 janvier, plutôt que le 26 janvier, alors que la CGT avait cette date en tête.

En outre, une troisième stratégie est sur la table. Elle est portée par 4 fédérations de la CGT. Celle de la chimie (FNIC), celle de l’énergie (FNME), les cheminots ainsi que les ports et docks. Toutes ont d’ores et déjà fait part de leurs volonté d’observer plusieurs jours de grèves entre le 6 et le 8 février.

 

Une mobilisation historique dans la rue

 

C’est pourquoi ce 31 janvier au soir, l’équation permettant de trouver le bon calendrier de mobilisation était difficile à résoudre. Surfer sur des manifestations énormes pourrait apparaître comme une évidence.

Le nombre de manifestants à battu tous les records des grandes mobilisations sociales. Avec 2,8 millions de manifestants dans tout le pays selon la CGT (1 272 000 selon le ministère de l’intérieur), il y avait plus de monde ce 31 janvier qu’en 1995, en 2010 ou en 2019.

Les cortèges ont été très importants dans la capitale avec 500 000 personnes dans les cortèges (87 000 selon la police), dans les grandes villes et plus encore dans des villes moyennes. Les 14 000 manifestants de Saint-Nazaire ou les 20 000 de Brest, selon Ouest France, en sont une démonstration nette. De la même façon, le nombre de points de rassemblements a presque atteint les 300 sur l’ensemble du territoire. Là aussi, un niveau très important.

Autre élément notable, même si c’est loin d’être une déferlante, la jeunesse a participé aux mobilisations du jour. Le syndicat L’Alternative affirme que 150 000 jeunes étaient présents dans la rue cette fois-ci : au moins deux fois plus que le 19 janvier. De son côté, le syndicat La Voix lycéenne revendique 200 blocages et 300 lycées mobilisés. Des chiffres contredits par le ministère de l’Éducation nationale qui compte 11 lycées bloqués, 4 tentatives et 17 filtrages. Pour autant, les actions lycéenne se sont élargies au-delà de la capitale, contrairement au 19 janvier.

Pourtant, malgré un succès majeur dans la rue, les taux de grève dans les secteurs traditionnels et le niveau de fréquentation des assemblées générales ne traduisent pas une poussée de la grève.

 

Les secteurs traditionnels légèrement moins mobilisés

 

Une chose est sûre, les raffineurs sont au rendez-vous lors des journées de grève. La CGT TotalEnergies a annoncé, ce mardi 31 janvier, 75 à 100 % de grévistes dans les raffineries et dépôts de l’entreprise. La raffinerie de Normandie compte 75% de grévistes, celles de Feyzin (Rhône) et Donges (Loire-atlantique) respectivement 80 et 90% de grévistes.

Mais outre ce secteur fer de lance, la mobilisation est légèrement plus faible dans les secteurs les plus habitués à la grève. Du côté des énergéticiens, la mobilisation est massive mais légèrement moins forte que le 19 janvier. Selon les chiffres de la direction, le taux de gréviste à la mi-journée s’élève à 40,3 % chez EDF, en très légère baisse par rapport au 19 janvier où il était de de 44,5 %.

A la SNCF, le taux de gréviste est également important : 36,5% pour cette deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, a appris l’AFP de source syndicale. Toutefois, le 19 janvier, ils étaient 46,3%. Pour l’heure, la direction de la SNCF n’a pas annoncé ses chiffres.

Petit affaissement également chez les enseignants. Le SNES-FSU (syndicat majoritaire) annonce 55% de grévistes dans l’enseignement secondaire. Dans le premier degré, le SNUipp-FSU (également majoritaire) avait déjà annoncé 50% de grévistes lundi 30 janvier. C’est légèrement moins que le 19 janvier, où les deux syndicats avaient respectivement annoncé 65% et 70% de grévistes. De son côté, le ministère annonce 26,65% de grévistes dans le premier degré et 25,22% dans le second degré. Le 19 janvier, il déclarait respectivement 42,35% et 34,66%. Les chiffres du gouvernement sous-évaluent souvent la mobilisation du fait de la méthode de calcul utilisée.

Enfin, selon le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, le nombre de grévistes à la mi-journée dans la fonction publique d’État passe de 28 % le 19 janvier à 19,4 % ce 31 janvier. Cela confirme une mobilisation un peu moins exceptionnelle dans l’Éducation nationale, qui constitue le gros des effectifs de ce versant de la fonction publique. Petite baisse également dans la territoriale (7,9 % contre 11,3 % le 19 janvier) et l’hospitalière (8,5 % contre 9,9%), soumise à réquisition.

 

L’inconnu du privé

 

Comment dès lors expliquer que, malgré des chiffres de grève légèrement plus bas, les mobilisations soient encore plus massives dans la rue ce 31 janvier ? Sur ce point, on ne peut faire que des hypothèses. La première, c’est que de nombreuses grèves ont lieu dans des secteurs faiblement syndiqués, dans lesquels il n’est donc pas possible d’obtenir de remontées chiffrées du nombre de grévistes. En somme, une sorte de grève invisible du privé.

Nathalie Cagny, secrétaire régionale CFDT en charge du département de la Somme et salariée au centre d’appel Coriolis d’Amiens, observe un fort taux de gréviste dans sa boîte, complètement resté sous les radars. « Au centre d’appel Coriolis d’Amiens, on a plus de 50% de grévistes, sur 700 à 800 salariés », souligne-t-elle.

Du côté de la CGT, on confesse aussi volontiers ce manque d’ancrage et de remontées. Une partie du travail de construction de la grève, effectué ces derniers jours, consistait d’ailleurs à recontacter les mandatés CGT pour leur demander d’effectuer ce travail de documentation tout en mobilisant leurs collègues (voir notre article). La confédération annonce toutefois quelques données : 5 000 grévistes chez Airbus, plus de 90% de grévistes dans les ports et 100% des dockers, du Havre à Ajaccio, de Brest à Bayonne, de Cherbourg à Marseille.

La possibilité que de nombreux salariés aient posé des jours de RTT pour participer à la manifestation n’est pas non plus à exclure. D’abord parce que l’étiquette gréviste peut être stigmatisante dans certaines entreprises. Ensuite, parce que certains salariés peuvent essayer de limiter le coût de leur participation aux mobilisations dans un contexte de forte inflation. Un choix que l’on retrouve aussi parfois dans la fonction publique : « plusieurs de mes collègues ont préféré poser des RTT pour aller manifester, au vu de la crise actuelle… », confiait ainsi Éric, de la CGT Territoriaux, lors d’une AG ce matin au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis).

 

Stéphane Ortega et Guillaume Bernard

Crédit photo : Ricardo Parreira

 

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