Les 110 ans de la Vie ouvrière

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on Google+Share on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Mardi 28 janvier 2020, la Nouvelle Vie ouvrière (NVO.fr),  organisait dans la patio de la CGT une journée de débats sur les 110 ans de la fondation de la Vie ouvrière, fondée en 1909 par Pierre Monatte. La commémoration a été différée en janvier 2020 en raison des luttes sociales en cours. Ci-dessous un article paru en octobre 2019 pour annoncer cet anniversaire et retracer l’histoire de la « VO ». 

logo-nvoimg_1083-1

La Vie ouvrière : 110 ans et tout son mordant

10 octobre 2019 |
Le 5 octobre 2019, la Vie ouvrière, devenue NVO, aura 110 ans. Loin de toute nostalgie, retour sur le sens d’une expérience unique dans la presse française et dans le mouvement syndical.

«La Vie ouvrière (VO) sera une revue d’action […]. Nous voudrions qu’elle rendît des services aux militants au cours de leurs luttes, qu’elle leur fournît des matériaux utilisables dans la bataille et dans la propagande et qu’ainsi, l’action gagnât en intensité et en ampleur. »

C’est ainsi que, le 5 octobre 1909, dans son premier numéro, Pierre Monatte, fondateur de la Vie ouvrière, définit l’objectif de ce qui devient alors une revue au service des militants de la CGT. Il ajoute : « Nous croyons qu’un mouvement est d’autant plus puissant qu’il compte davantage de militants informés, connaissant bien leur milieu et les conditions de leur industrie, au courant des mouvements révolutionnaires étrangers, sachant quelles formes revêt et de quelles forces dispose l’organisation patronale, et par-dessus tout ardents. » Cent dix ans plus tard, l’enjeu demeure.

Et, en cent dix ans d’une existence qui a accompagné l’histoire de la CGT, sous divers formats, paginations, périodicités ou lectorats, la Vie ouvrière – devenue aujourd’hui le bimédia NVO – a tenté de rester fidèle à cet engagement des pionniers.

En décembre prochain, votre journal célébrera cet anniversaire ; loin de la commémoration, il s’agira bien davantage d’inviter à débattre, notamment du rôle et de la place de la presse sociale dans une société et dans un monde aux prises avec la mise en concurrence de tous contre tous et la précarisation massive du salariat et où la concentration rapide et intense de la presse donne au patronat et aux politiques gouvernementales les moyens d’un accompagnement idéologique aux allures de rouleau compresseur.

Un « foyer de coopération intellectuelle syndicaliste »

En 1909, lorsque Pierre Monatte parvient à trouver des fonds et une équipe de militants convaincus pour lancer une revue d’information et d’analyse au service de la CGT, l’organisation syndicale n’a que 14 ans (c’est en 1895 qu’est née officiellement la CGT, à Limoges). Pierre Monatte a acquis de son expérience syndicale la conviction de la nécessité d’une telle revue. Ancien répétiteur en collège, puis correcteur d’imprimerie où il découvre le syndicalisme, il devient en 1904 membre du comité confédéral de la CGT comme représentant de la bourse du travail de Bourg-en-Bresse.

Il a notamment suivi de près la catastrophe de Courrières (le 10 mars 1906, un puits de la Compagnie des mines de Courrières subit une explosion qui fera officiellement 1 099 morts ; une poignée de mineurs parvient à en réchapper, seule, en dépit de l’arrêt des recherches) et la grande grève des mineurs de 1906. Et il a déjà subi la répression et la prison. Le titre, la Vie ouvrière, fait référence à l’ouvrage de Fernand Pelloutier, secrétaire de la Fédération nationale des bourses du travail (FNBT), journaliste de talent puis, un an avant sa mort en 1901, à 34 ans à peine, co-auteur avec son frère Maurice d’une somme de plus de 300 pages intitulée La Vie ouvrière en France.

Pierre Monatte conçoit d’emblée la revue comme un « foyer de coopération intellectuelle syndicaliste », ouvrant aux débats les comités de rédaction. Mais la Vie ouvrière est à l’origine le titre du courant syndicaliste-révolutionnaire de la CGT et ne devient le journal de la CGT qu’en 1952. Les premiers tirages sont modestes, et Pierre Monatte attache une importance particulière à ce qui fait vivre une publication et lui donne sens : les abonnés. Ils seront 550 en décembre 1909, 1950 en janvier 1914. Un départ modeste, mais non négligeable pour le siècle commençant.

Les articles portent sur les luttes, la vie dans les industries, des monographies d’organisations, la « quinzaine sociale », l’international, et présente une revue des revues, des livres, et de la presse patronale, au point de passer de 64 à 80 pages. Parmi les premiers rédacteurs, on compte Alfred Rosmer, Léon Clément, Georges Dumoulin, Alphonse Merrheim, James Guillaume… et, à partir de 1913, une femme, institutrice, militante syndicale et féministe engagée, Marie Guillot. Elle écrit :

Ça manque de femmes à la Vie ouvrière, vous savez ! Croyez-vous donc faire la révolution ou opérer une transformation économique sans le concours des femmes ? […] Est-ce dédain envers nous ? Vous seriez bien mal inspirés. Le mouvement féministe pénètre et pénétrera de plus en plus les masses et il faudra compter avec lui.

Elle sera membre du bureau confédéral de la CGTU (CGT unitaire après la scission de 1921) en 1922 et 1923.

Un journal inscrit dans l’histoire de la CGT

L’histoire de la Vie ouvrière est intimement liée à celle de la CGT. Elle en accompagne les luttes, les victoires, les débats. En 1914, Pierre Monatte en sauve même l’honneur : alors que la direction confédérale de l’époque, menée par Léon Jouhaux, sombre dans l’Union sacrée et approuve la guerre, une minorité la refuse et Pierre Monatte démissionne de la direction. Le journal de la fédération des métaux publie un numéro spécial contre une guerre inter-impérialiste, puis un manifeste sur ce thème. De même que la Vie ouvrière, qui cesse de paraître, écrit (Monatte est alors sur le front) ses « lettres aux abonnés ».

Le fondateur de la VO écrira plus tard sa « stupéfaction devant l’explosion de chauvinisme au sein de la classe ouvrière, plus encore devant le déraillement de tant de militants syndicalistes et anarchistes, de presque tous les socialistes ». En 1921, naît la CGTU (« unitaire », la majorité, dont Léon Jouhaux, formant la CGT « confédérée »). L’équipe de la Vie ouvrière, elle, entend être plus utile encore. En 1919, la revue se transforme en hebdomadaire. Elle poursuit son travail d’information et de débat, et milite pour l’unité syndicale.

La VO accompagne ainsi à la fois les questions du quotidien et les grands moments du syndicalisme. Ainsi du Front populaire et de la solidarité avec les Républicains espagnols. La CGT s’est alors réunifiée. Durant la guerre, elle devient clandestine. Ses animateurs, en dépit des risques, publient les VO de la nuit et militent à la fois contre le nazisme, contre le régime de Vichy, contre l’occupation et contre le nationalisme qui divise la classe ouvrière.

1968 : le seul journal à paraître

Voir la NVO spéciale 50 ans de Mai 1968
NVO spéciale Mai 68 + 2 fac-similés historiques :
Comprendre 1968, agir en 2018

Georges Seguy, secrétaire général de la CGT de 1967 à 1982, se souvient, en 2009 (1909-2009, un siècle de Vie ouvrière, 
de Denis Cohen et Valère Staraselski, 
éditions Le Cherche midi, 176 pages, 30 €), à l’occasion du centenaire du journal, en avoir imprimé des extraits lorsqu’il apprenait le métier de typographe dans une imprimerie clandestine à Toulouse. En 1968, la VO est le seul journal à paraître. Ses journalistes sont sur tous les fronts.

Au plus fort de sa diffusion, en particulier dans les années 1960, le journal tire à plus de 600 000 exemplaires. Soit plus que Paris Match… Accompagnant les luttes des salariés, les débats de la CGT, diffusant ses propositions, la Vie ouvrière n’a cessé de tenter de poser la question du travail, interrogeant les nouvelles formes de management, tentant de mettre en lumière le coût du capital…

Changeant de formule – et de nom – la VO devient L’Hebdo de l’actualité sociale, puis la Nouvelle Vie ouvrière (NVO), elle a cherché à conjuguer la proximité et le caractère confédéral des problématiques syndicales, à donner la parole aux militantes et militants, à leur être utile, par ses reportages, ses dossiers (sur les salaires, la santé, les retraites, le droit du travail, le syndicalisme, les services publics, l’industrie, le commerce, les travailleurs migrants, les dangers de l’extrême droite, la solidarité syndicale internationale, la création et la vie culturelle, les stratégies patronales, les luttes pour les droits des femmes…), ses articles juridiques, les publications juridiques de l’entreprise de presse – qui publie également Ensemble – et le numéro spécial impôts publié chaque année. À donner toute sa place à l’image, aussi.

Des grands noms de la photographie ou du dessin de presse y ont publié leur travail, parmi lesquels Robert Doisneau, Georges Azenstarck, Gérald Bloncourt, Willy Ronis…

En ce sens, il s’agit d’une expérience unique dans la presse française et dans le mouvement syndical, prolongée par la création d’un site internet qui a transformé la NVO en bimédia, pour la rendre plus en phase avec de nouvelles habitudes de lecture et avec un lectorat militant plus jeune. Cette originalité n’empêche pas pour autant les difficultés du journal, notamment financières, liées en particulier à la réduction de ses recettes publicitaires et à la baisse drastique de sa diffusion.

Mais, tandis que se multiplient les remises en cause des conquêtes des salariés et que le patronat dispose de moyens de propagande sans précédent, il reste une conviction. Celle que décrivait Pierre Monatte dès 1909.

 

 

Print Friendly

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *