L’Union syndicale Solidaires en débat

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Le 8ème congrès de l’Union syndicale Solidaires s’est tenu à Saint-Jean-de-Monts (Vendée) du 27 au 30 septembre 2021. Nous avons déjà publié la motion d’actualité finale (voir : https://wp.me/p6Uf5o-4j2) et mettrons à disposition les résolutions adoptées, dès qu’elles seront disponibles. Notre article fait le choix d’aborder trois questions : les apports de Solidaires au fonctionnement démocratique du syndicalisme (le consensus), le défi du document sur « égalité et solidarité », et le débat sur la place de Solidaires dans le paysage syndical.

 

Extrait dossier de presse : L’Union syndicale Solidaires maintient son nombre d’adhérent·e·s autour de 110 000 depuis le dernier congrès. Solidaires est représentatif dans les trois versants de la fonction publique. En 2021, Solidaires a connu une hausse sur ses résultats aux élections TPE/TPA (4.27% contre 3.49% en 2016) et dans sa représentativité générale dans le privé avec 3,68% contre 3,46 en 2017. Solidaires est représentatif dans plus de 30 conventions collectives.

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8ème congrès de l’Union syndicale Solidaires.

Exigences, rigueur, démocratie

 

Pour les congressistes comme pour un « observateur » extérieur, un congrès de Solidaires n’est pas de tout repos, malgré le beau paysage maritime de Saint-Jean-de-Monts. Il n’y a pas beaucoup de syndicats où les délégué-es passent autant de temps à écouter les arguments, répondre, travailler, réécrire, remanier les textes, respecter les procédures, et quand même progresser vers une conclusion. Laquelle parfois semble lointaine dans les commissions qui durent jusque tard dans la nuit. Tout congressiste participe aux commissions, avec des mandats (de son interpro locale ou sa structure professionnelle) et une autonomie de décision, en plus du temps en assemblée plénière. L’appropriation des débats est donc vraiment collective. Il y a 400 délégué-es, mais ils et elles ne chôment pas.

Plusieurs cultures démocratiques ?

Les traditions démocratiques des organisations syndicales sont très différentes. Ce n’est pas une petite question si un jour des « rapprochements » (?) devaient avoir lieu. La rigueur exigeante du débat dans Solidaires peut aussi se comprendre par une certaine homogénéité culturelle, que l’on peut retrouver aussi à la FSU. Dans leur livre descriptif que nous avons déjà commenté (voir ici :  https://wp.me/p6Uf5o-42v), Sophie Béroud et Martin Thibault montrent qu’au congrès de 2017 de Solidaires, on dénombrait 4% d’ouvriers, 17% d’employés, 37% d’agents de maîtrise, 18,6% d’ingénieurs et cadres (En luttes ! Raisons d’agir-2021). Cette composition socioculturelle tranche nettement avec un congrès CGT.  On ne discute donc pas de la même façon dans ces deux organisations, notamment dans le temps important passé à préciser ce qui sera adopté au consensus, ou voté.

Mais ce serait aller trop vite en besogne que de croire que les procédures sont le strict reflet des traditions culturelles. Rechercher le consensus est certes coûteux en effort prolongé, mais apporte incontestablement un atout dans la qualité démocratique. A la CGT, on adopte à la majorité, ce qui va plus vite mais peut n’être nullement suivi d’effet. Notamment sur les structures et le fonctionnement. Voire de plus en plus sur l’action elle-même. En d’autres termes, un vote à la majorité n’a de réelle portée à la CGT que s’il est très large, ce qui se rapproche de facto du consensus : un accord général. Ce qui est par ailleurs souvent pratiqué « à la base », où l’on se connaît bien.

Concrètement, sur la résolution N° 2 du congrès de Solidaires (on va y revenir), il restait, bien après le travail de la commission préalable qui a préparé le congrès depuis des mois, 109 amendements à débattre.  Certains très semblables, d’autres plus clivants. Ce sont bien les délégué-es qui sont souverains, en séance de commission, pour déterminer si des amendements possiblement convergents peuvent être rédigés autrement pour obtenir l’adhésion. Ensuite, la commission vérifie s’il y a un consensus.  Il faut ici souligner la qualité d’écoute des arguments, le respect de tout le monde, qu’il soit issu d’une grande organisation ou d’une petite, la volonté de se convaincre. Sinon, l’amendement sera soumis au vote (avec une double exigence de 2/3 pour être adopté : 2/3 des structures locales ET 2/3 des organisations professionnelles, toutes ayant par ailleurs le même poids). Trop de procédures bloquantes ? Que toutes les organisations aient le même poids en mandat peut poser problème, par exemple si une décision importante était empêchée par le vote d’une petite structure, même sans utiliser le très rare droit de veto. Se distinguer du fonctionnement des confédérations est une identité très forte dans Solidaires. Mais il semble que la méthode consensuelle permet de conforter le collectif, et le sentiment d’avoir construit quelque chose en commun. Ce qui ne supprime pas les frustrations…

On pourra par exemple pointer le regret des délégué-es de l’Union nationale interprofessionnelle des retraité-es de Solidaires (UNIRS), structure en développement qui voulait obtenir le droit de vote dans les instances (ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent). Or, si cette évolution semble approuvée très largement (signalons que le même type de débat a eu lieu dans la CGT), elle implique une modification statutaire, soit l’unanimité dans les règles actuelles. La proposition n’a pas atteint ce chiffre très élevé (le vote d’une seule structure peut bloquer…).  Pour les statuts, la marche à franchir est donc très haute !

 

Un débat rigoureux sur les défis contemporains

 

Le congrès avait trois résolutions à traiter : l’une (N°1) sur les « alternatives…au système capitaliste », la N° 2 sur « Egalité et solidarité », la N° 3 sur « l’outil syndical » et sa place dans le champ social. Plus des évolutions statutaires.

Comme son nom très simple ne l’indique pas (« égalité et solidarité »), la commission N° 2 avait à travailler sur les questions qui produisent des débats passionnés et des conflits dans les mouvements de lutte, dans les entreprises, dans la société. Il suffit d’énumérer les têtes de chapitres du projet : discriminations, illégales ou légales, racisme et sexisme, immigration et emploi, handicap, avec les exigences « au travail », et « dans la société », les oppressions, exploitations, dominations, « intériorisées » ou non, y compris en fonction des orientations sexuelles (et transgenres), et tout ce que cela implique dans le « langage », le vocabulaire (ex : notion de « racisation »), celui du syndicat, celui des dominants (ex : la « diversité », notion passe partout), les « valeurs » que cela véhicule ou les stéréotypes. Plus les moyens d’action et les outils.

Traiter cela est un défi. Le congrès l’a relevé. On peut saluer un apport important dans la définition de certaines notions qui brouillent souvent les débats sur ces sujets : la distinction bien décrite entre exploitation, discrimination, oppression et domination. On sait que ces différences de situation ne relèvent pas toutes de la même temporalité, des mêmes responsabilités historiques et immédiates : extorsion de profit et patriarcat s’entrecroisent, mais n’ont pas les mêmes racines. Etc. Cette partie de la résolution pourrait être profitable pour tout le syndicalisme (et d’autres organisations). Elle mériterait d’être connue et diffusée.

Certains mots ou notions très clivantes dans le débat social actuel ont été discutés et parfois le vote n’a pas atteint les 2/3 requis, par exemple pour admettre le terme de « racisés » ou d’ «islamophobie ». Il y avait déjà eu dans Solidaires (par exemple dans un dossier de la revue théorique Les Utopiques) des débats complexes sur la « laïcité », non repris ici, mais redemandés par exemple par Solidaires Chimie. La question de la place des religions dans la vie quotidienne au travail est un problème redoutable.

Parmi les défis contemporains, il y a bien sûr la question écologique, qui peut bousculer fortement les traditions de travail dans l’industrie. La participation de Solidaires dans le collectif Plus jamais ça est un acquis, notamment depuis la résolution dédiée adoptée au congrès extraordinaire de Solidaires à l’automne 2020. Mais elle est à ce congrès combattue publiquement par le syndicat Solidaires Industrie, avec des arguments et un vocabulaire proche des « opposants » CGT sur cette orientation. Ainsi Solidaires Industrie dénonce l’abandon de la lutte sociale pour la lutte « sociétale ». Comme si la transition écologique n’était pas aussi une lutte sociale…Solidaires Industrie (3000 syndiqué-es) a préféré boycotter le congrès plutôt qu’y défendre ses arguments. Ce que Simon Duteil, co-porte-parole, dans une interview à Rapport de forces (lire : https://wp.me/p6Uf5o-4k2), interprète plutôt comme un « camouflage par rapport à des réalités qui ont été posées dans les instances de Solidaires ». L’avenir de ce syndicat est posé.

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« Recomposition syndicale » ?

La motion finale, dite d’actualité, adoptée par le congrès, aborde curieusement des sujets qui n’ont pas fait l’objet de véritables débats préparés, et qui ne figurent pas dans les résolutions.

Dans la résolution N° 3 qui traite entre-autre de l’unité syndicale, il n’y a pas d’innovation particulière, sinon l’insistance (coutumière dans Solidaires) à penser l’unité syndicale en lien avec les autres « collectifs » et plus généralement le « mouvement social ». Or la motion finale va bien plus loin. Après les passages sur l’action immédiate, elle alerte sur les menaces de la situation politique : « L’urgence de la situation sociale et écologique se combine avec un débat public dans lequel des positions et des propositions racistes et fascisantes s’affirment de plus en plus. […]. La prise du pouvoir politique par l’extrême-droite est une réelle menace. Cette situation inédite pour nos générations nous oblige à réfléchir à l’ensemble des réponses pour faire face […]. Se fédérer, discuter de la possibilité de la recomposition intersyndicale à la base, dans les territoires et les secteurs, ne doit pas être tabou. Il nous faut réfléchir à la façon d’être le plus efficace pour gagner. L’Union syndicale Solidaires ne construira pas des rapprochements seule et nous verrons si d’autres structures souhaitent partager cette démarche. ». Le projet initial proposé par le secrétariat proposait même de réfléchir à « la possibilité de la réunification intersyndicale à la base ». Cette terminologie a été écartée en séance, mais plusieurs articles de la revue Les Utopiques avaient déjà posé cette problématique d’unité et de « réunification », sans expliciter de frontières a priori, ce qui peut étonner dans Solidaires. Les articles publiés par Les Utopiques rappelaient que la réunification de la CGT en 1936 avait été précédée d’initiative de base et par exemple de doubles affiliations aux deux CGT. Dans l’interview à Rapports de forces, Simon Duteil insiste aussi sur l’expression : « à la base ». Il n’est pas certain, toutefois, que les situations à la base soient toujours plus faciles sur ce sujet : tout dépend des « bases » !

Dans son salut au congrès, Benoit Teste, secrétaire général de la FSU, avait lui aussi mis l’accent sur la situation politique préoccupante, décrivant « une gauche divisée et fractionnée », avec des risques opposés : « Tentation du repli ou postures de radicalité sans débouché ». Lui aussi avait invité à une « réflexion sur l’outil syndical, l’unité et l’unification » avec « des responsabilités propres de Solidaires, de la FSU et de la CGT, sans exclusives, mais d’abord ces trois organisations » [NDLR : d’après nos notes].

Il est certain que la période politique novembre 2021- juin 2022 peut interroger fortement le syndicalisme et son avenir. Il est possible d’espérer que les syndicats s’en mêlent.

Jean-Claude Mamet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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