Philippe Martinez énonce les enjeux pour la CGT

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Dans une interview à l’Agence Education et Formation (AEF info) , Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, analyse la politique du gouvernement, mais répond aussi aux questions sur les défis posés à la CGT, notamment en prévision de son congrès de 2019 : recrutement vital, nombre trop élévé de fédérations, formalisme de certains choix, unité syndicale…

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« Le  gouvernement  veut  des  syndicalistes  à son image, ignorant la réalité du monde du travail » (P. Martinez à AEF info)

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« On observe une centralisation des pouvoirs syndicaux, au détriment de la proximité avec les travailleurs. En fait, les ministères veulent des syndicalistes à leur image, c’est-à-dire qui ne connaissent rien de la réalité du monde du travail« , explique Philippe Martinez, lors d’un entretien accordé à AEF info, le 11 septembre 2018. Bilan des ordonnances Travail, assurance chômage, santé au travail, plan pauvreté, plan hôpital… Le secrétaire général de la CGT fait le tour de l’actualité. Sur la question de la représentativité, « on peut être premier de la classe, mais si ce n’est que sur 10 % du monde du travail, cela n’a guère d’intérêt« , assure-t-il, ajoutant que la CGT a des « efforts à faire » en matière d’implantation. À quelques mois du 52e congrès, Philippe Martinez affirme ne pas savoir s’il se représentera et se laisse deux mois de discussions en interne avant de se prononcer.

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AEF info : 15 mois après l’élection d’Emmanuel Macron, comment résumeriez-vous la ligne politique mise en œuvre ?

Philippe Martinez : La ligne est claire : Emmanuel Macron est le président des riches. Cette première année est marquée par une politique qui favorise ceux qui ont beaucoup -on l’a vu avec l’ISF-, ainsi que les très grandes entreprises avec la poursuite des politiques d’aides. Et en face, il y a la flexibilité avec les ordonnances Travail qui donnent plus de souplesses pour les entreprises et plus de contraintes pour les travailleurs. Vraiment, le cap est très clair.

AEF info : En début de semaine, le ministère du Travail s’est pourtant félicité des premiers éléments de bilan, un an après l’entrée en vigueur des ordonnances…

Philippe Martinez : Évidemment, nous n’avons pas la même analyse. On ne peut pas se féliciter, par exemple, qu’il y ait moins de contentieux prud’homaux. De fait, c’est de plus en

 

plus dur d’accéder aux conseils de prud’hommes, car il y a de plus en plus de pressions sur les salariés. Sur les CSE, le constat est clair : il y a moins de moyens pour les organisations syndicales. Le ministère cite quelques accords comme ceux de PSA ou de Renault, mais globalement, la perte de sièges est comprise entre 40 et 60 %, comme c’est le cas à la SNCF.

Ce que l’on avait annoncé est bien en train de se réaliser. Il y aura moins de syndicalisme de proximité et plus de syndicalisme de professionnels, avec le regroupement des moyens sur quelques individus qui vont être les interlocuteurs privilégiés des directions. Quand vous cumulez les questions économiques, les questions d’hygiène et de sécurité et les revendications, vous passez votre temps en réunion et au final, vous êtes quand avec les salariés ? On observe une centralisation des pouvoirs syndicaux, au détriment de la proximité avec les travailleurs. En fait, les ministères veulent des syndicalistes à leur image, c’est-à-dire qui ne connaissent rien de la réalité du monde du travail.

AEF info : Les ordonnances consacrent la négociation d’entreprise au détriment de la loi. Comment la CGT s’adapte-t-elle à cette nouvelle donne ?

Philippe Martinez : Nous sommes en faveur de la loi car elle assure que tout le monde ait les mêmes règles. Là, nous sommes dans un système où chaque entreprise va faire ses propres règles. Pour s’adapter à cette évolution, nous faisons en sorte que les accords CSE soient le moins défavorables possibles. Et puis, nous allons nous battre pour que nos élus passent le plus de temps possible en contact avec les salariés, quitte à sécher quelques réunions imposées.

AEF info : Comment analysez-vous la méthode de l’exécutif vis-à-vis des partenaires sociaux ?

Philippe Martinez : La concertation est une façon de dire « on discute, mais au final, on fait ce qu’on veut ». Au moment de l’écriture des ordonnances, Muriel Pénicaud disait partout avoir organisé 10, 50, 150 réunions de concertation. Mais à l’issue, aucune organisation syndicale n’a dit qu’elle avait été écoutée véritablement. C’est un des marqueurs de leur conception du dialogue social. La caricature a été l’accord sur la formation professionnelle que nous n’avons pas signé, avec une ministre qui déchire la copie d’un accord qui était légalement valide.

Il y a eu la petite parenthèse du sommet social du 17 juillet à l’Élysée, avec un président de la République qui nous explique qu’il allait revoir sa conception du dialogue social. Un mois plus tard, le Premier ministre passe la réunion à nous expliquer ce qu’il a déjà dit quelques jours auparavant dans le JDD. Donc la concertation n’a absolument rien changé au programme annoncé. C’est ennuyeux d’être à ce point pris pour des imbéciles… J’ai vu que j’étais dans l’agenda de la ministre du Travail, cette semaine (1). Elle ne m’a pas dit de quoi elle voulait discuter et si c’est pour me redire ce que m’a dit le Premier ministre, je n’irai pas, je n’ai pas de temps à perdre.

AEF info : Une négociation d’assurance chômage est une nouvelle fois au programme. Quels en sont les enjeux ?

Philippe Martinez : L’assurance chômage est typiquement un sujet de négociation entre organisations patronales et organisations syndicales. Or, là aussi, le gouvernement veut nous expliquer ce qu’il faut faire. Qu’ils nous laissent négocier. La négociation ne consiste pas à recopier ce que l’on nous dit de faire ! Si les partenaires sociaux n’aboutissent pas à un accord, le gouvernement pourra prendre les décisions, mais qu’on ne fasse pas l’inverse.

 

Or, ce qu’ils veulent, c’est continuer à faire la chasse aux demandeurs d’emploi. Par exemple, la proposition de dégressivité pour les cadres est proprement scandaleuse. En revanche, sur les contrats courts, depuis un an, c’est quand même beaucoup plus flou. Nous avons, nous, des propositions. Si on met en place l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, on n’a plus de problème d’équilibre financier du régime. De même, déplafonner les cotisations payées par les très hauts revenus rapporte entre 600 et 800 millions d’euros. Il existe des solutions.

AEF info : La santé au travail et les arrêts de travail figurent à l’ordre du jour du programme du gouvernement. Des concertations vont être menées en octobre, comment les abordez- vous ?

Philippe Martinez : Ce qui nous ennuie, c’est que directement après la santé au travail, le Premier ministre parle des indemnités journalières et de la prise en charge des arrêts de travail. Dire que l’augmentation des arrêts de travail coûte aussi cher qu’une journée de congé supplémentaire, est particulièrement tendancieux ; c’est considérer que les arrêts sont des jours de congé… Nous irons à la concertation, il y a des choses à faire mais pas uniquement sur la santé au travail. Il faut aborder la question du sens du travail. De plus en plus de travailleurs sont mal au travail, non pas à cause des conditions de travail mais à cause de l’absence de sens de leur travail. C’est dur à faire comprendre. Nous avons suggéré de traiter le sujet et ce, d’autant plus, que cela fait partie du programme du centenaire de l’OIT.

AEF info : Qu’attendez-vous du plan pauvreté qu’Emmanuel Macron doit présenter demain matin ?

Philippe Martinez : J’attends que l’on ait une vision solidaire de ces questions pauvreté. Et que l’on ne soit pas dans une logique de charité et de culpabilisation des pauvres. Il existe un discours de « premiers de cordée » qui consiste à dire que « si tu ne réussis pas et si tu es pauvre, c’est de ta faute ». C’est globalement la philosophie de cette première année.

Sur le fond, je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse conjuguer travail et pauvreté, qu’il y ait des gens qui travaillent et qui n’arrivent pas à en vivre. Il y a deux millions de travailleurs pauvres, il faut corriger cela. Notre explication est que les salaires ne sont pas assez élevés. Il y a aussi la question de l’accès aux services publics, car moins on y a accès, plus c’est difficile pour les personnes fragiles. De plus, il faut une autre politique de logement et redonner une vraie dimension à la politique de la ville. Jean-Louis Borloo avait fait des propositions intéressantes sur le logement social ; il faut reposer la question de la participation des entreprises au logement social.

AEF info : Et en direction de la jeunesse ?

Philippe Martinez : Nous reprenons ce que propose l’Unef avec l’allocation étudiante. Il n’est pas normal que 50 % des étudiants doivent aujourd’hui travailler pour payer leurs études, et ceci avec pour conséquences, des échecs importants.

Les organisations syndicales doivent être plus présentes sur l’accès à l’emploi. Nous connaissons nos boîtes et leurs besoins d’emploi, de stages ou de contrats en apprentissage. Nous avons un rôle à jouer pour faciliter l’entrée des jeunes dans les entreprises.

Pour les primo demandeurs d’emploi, il faut qu’ils aient accès au chômage. Ils sont demandeurs d’emploi, donc, ils doivent percevoir une indemnité chômage assise sur la solidarité.

 

AEF info : La semaine prochaine, le plan hôpital sera présenté. Quelles sont, selon vous, les mesures nécessaires ?

Philippe Martinez : L’état de la santé publique est totalement effrayant. Les conditions de travail, le niveau de rémunération avec des infirmières à bac+3 qui gagnent 1 300 euros par mois ou encore le manque de considération sont autant de scandales. Je vais souvent dans les hôpitaux et je suis admiratif de la conscience professionnelle des personnels de santé qui continuent à s’occuper des autres à n’importe quel prix. Le nombre de personnes qui parlent de leur métier avec des sanglots dans la voix est dramatique. Et malgré l’attachement au service public, beaucoup partent dans le privé et le libéral.

Aujourd’hui, on considère que tout ce qui relève de la solidarité est un coût. Considérer que la santé est un coût est une philosophie qu’il faut combattre. On reproche à la médecine de faire des progrès et aux Français de vivre plus longtemps ? Si oui, il faut le dire clairement ! La santé n’est pas une dépense, il faut donc des investissements en emplois et en matériel.

AEF info : Comment vivez-vous la concertation sur les retraites ?

Philippe Martinez : Là, on peut effectivement constater qu’il y a de réelles réunions de travail. Entre changer le code du travail en trois semaines et réfléchir à une réforme des retraites depuis huit mois, on a clairement une autre méthode. L’objectif du gouvernement est clairement de remettre en cause le système par répartition, même s’il s’en défend. Le haut- commissaire, Jean-Paul Delevoye, prend le temps de nous écouter. Après, ce n’est pas parce que le temps d’écoute est long que l’écoute est réelle. Nous attendons la multilatérale pour y voir plus clair.

AEF info : Les partenaires sociaux ont innové en organisant des réunions multilatérales entre numéros Un. Est-ce une bonne chose selon vous ?

Philippe Martinez : Se voir et se parler ne fait jamais de mal. Essayer d’établir une méthode et des principes sur ce que doit être le dialogue social, non plus. Geoffroy Roux de Bézieux arrive juste, mais il a déjà affiché un mauvais signal. Alors qu’une négociation était en cours sur le statut de l’encadrement, il a décidé de tout arrêter. Et ceci, alors même que c’était un engagement figurant dans l’accord fusionnant l’Agirc et l’Arrco…

AEF info : Une nouvelle journée de mobilisation est actée pour le 9 octobre. Ce genre de mobilisation est-elle encore efficace ?

Philippe Martinez : C’est une vraie question. En face de nous, nous avons des murs, avec le gouvernement ou les directions des grandes entreprises. Par exemple, il y a actuellement 60 militants de la SNCF menacés de sanction voire de radiation, ce qui est un phénomène tout à fait exceptionnel. Il y a aussi 350 salariés de l’énergie convoqués dans des commissariats ou devant les tribunaux… On nous accuse de fantasmer sur la répression syndicale, alors qu’elle n’a jamais été aussi présente. Avant, quand il y avait des conflits, cela se réglait dans le bureau du DRH ; aujourd’hui, cela se passe dans les commissariats ou dans les tribunaux…

Il y a des mobilisations mais elles sont plus difficiles à organiser à cause de l’éclatement du monde du travail. Hormis dans les PME-TPE, il n’y a plus une seule entreprise dans ce pays où les salariés ont le même statut, le même contrat, voire la même convention collective. C’est donc plus compliqué de faire de la cohésion.

Il y a quand même beaucoup d’actions locales qui se règlent rapidement ; parfois, il suffit de faire un tract menaçant d’une grève, pour que cela se règle. Mais au niveau national, même si c’est plus compliqué d’avoir des mots d’ordre communs, il faut quand même des journées

 

d’action. C’est une exigence de salariés estimant que si on ne se mobilise pas, on n’arrivera pas à peser sur les pouvoirs publics.

AEF info : Les élections professionnelles dans la fonction publique se tiendront en décembre prochain. Craignez-vous de perdre du terrain par rapport aux autres organisations syndicales ?

Philippe Martinez : Évidemment, être premier, c’est mieux. Mais là, on touche à un enjeu pour l’ensemble du syndicalisme français. On peut être premier de la classe, mais si ce n’est que sur 10 % du monde du travail, cela n’a guère d’intérêt. Dans le privé comme dans le public, nous avons des efforts à faire pour être présents partout. Par exemple, la CGT a toute sa place dans l’Éducation nationale. Nous avons un vrai travail de déploiement à mener pour être là où nous ne sommes pas actuellement. Nous continuons à avoir un déficit d’implantation par rapport aux autres. Et quand on s’implante, nous avons de bons résultats. Par exemple, en entrant chez Transavia, nous avons fait un carton avec 80 % sur les PNC et 25 % sur les cadres…

AEF info : Vous dites avoir vocation à davantage vous implanter dans l’Éducation nationale. Est-ce la fin de l’accord tacite de non-concurrence avec la FSU ?

Philippe Martinez : Je pense que la CGT a toute sa place partout et qu’il y a trop de syndicats en France. Plus le syndicalisme est éclaté, plus on a de chances d’être divisés et moins on est efficace pour les salariés. La question n’est pas d’aller mordre sur le terrain des autres, mais de syndiquer tous ceux qui ne le sont pas.

AEF info : Justement, où en est la CGT sur le chantier de la syndicalisation ?

Philippe Martinez : Nous reculons… Notamment à cause de problèmes d’organisation interne. Nous avons une structuration interne avec notamment 33 fédérations qui date et qui nécessite plus qu’un toilettage, mais il est encore difficile de faire évolue les choses. Cela fait des décennies que le sujet est sur la table et si on ne le règle pas, on va en crever !

Il y a des salariés qui attendent à la porte de la CGT pour savoir quelle structure va les accueillir… Ils ne viennent pas pour adhérer à telle fédération ou à telle union locale, ils viennent adhérer à la CGT. Il faut d’urgence régler ce problème.

Ce à quoi s’ajoute l’arrivée de nouveaux métiers et statuts. Cela n’a pas de sens de s’interroger pour savoir si tel ou tel travailleur a le droit ou pas d’adhérer à la CGT parce qu’ils n’ont pas de contrats de travail. Nous nous appelons la Confédération générale du Travail, donc tous les travailleurs ont leur place à la CGT. Or, il y a encore des débats en interne sur le sujet.

AEF info : Quels sont les enjeux du prochain congrès qui se tiendra en mai à Dijon ?

Philippe Martinez : Le sens du travail et la place des travailleurs dans la CGT sont les enjeux centraux de ce congrès. Seront aussi posées les questions sur l’enjeu d’unité du mouvement syndical, sur le travail avec les associations et les partis politiques, les questions sociétales et environnementales ou encore les questions internationales parce que nous devons avoir un syndicalisme européen et international fort.

AEF info : Allez-vous vous représenter pour un deuxième mandat de secrétaire général ?

Philippe Martinez : Pour l’instant, je ne sais pas. Nous allons en discuter en interne. Il me reste deux mois pour me décider…

(1) La rencontre est initialement programmée ce mercredi 12 septembre à 17h30

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