Proximités syndicales et vote politique

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Depuis 1995, un sondage exprime les proximités ou sympathies syndicales avec les votes politiques. Nous publions ci-après le tableau de 2022 paru dans Liaisons Sociales (sondage Louis Harris), et le tableau comparatif avec 2017. Il fait apparaitre une progression du vote pour le Rassemblement national (RN). Nous publions également une analyse des évolutions depuis 1995 par Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES).

proximité syndicale 1proximité syndicales 2

  • L’analyse : 
  • Proximités syndicales et vote politique,

Le premier tour de l’élection présidentielle

 

Jean-Marie Pernot

 

Le sondage traditionnel Haris Interactive pour Liaisons sociales a été publié le 12 avril. Il détaille le vote au premier tour de l’élection présidentielle des électeurs se déclarant proches des syndicats. Le résultat est analysable « tous syndicats confondus », c’est-à-dire qu’il nous éclaire sur « en quoi le fait de se déclarer proche d’un syndicat crée ou non une propension à plus ou moins voter pour tel(le) ou tel(le) candidat(e) ». Vient ensuite le détail par confédération (ou union) syndicale qui permet d’avoir une photo des opinions politiques venant en soutien à chacune des organisations. On formulera ici quelques considérations essentiellement tournées vers les syndicats « dans leur ensemble » assortie de remarques sur tels ou tels d’entre eux. On publie en outre une série de graphiques récapitulatifs de l’électorat des différentes centrales depuis 1995, date depuis laquelle nous suivons cet indicateur.

Ce sondage présente les défauts et limites de tous les sondages mais les biais qu’il présente sont reproduits à l’identique tous les cinq ans, on peut donc en tirer quand même des enseignements. Naturellement, il faut des enquêtes de terrain plus fines pour comprendre réellement ce qui se joue entre cette proximité syndicale affichée et les loyautés politiques qui la soutiennent. Rappelons aussi qu’il s’agit des « sympathisants » notion assez vague qui peut aller de l’adhérent à l’électeur lors d’élections professionnelles, voire un simple sentiment de proximité idéologique. Choisir un critère, « la proximité déclarée avec un syndicat » ne doit pas conduire à minorer les autres facteurs qui entrent en ligne de compte dans la construction du vote, les facteurs locaux, les considérations mises en lumière par les géographes, les démographes et la sociologie électorale1.

Quelques caractéristiques générales.

Le vote des sympathisants syndicaux reproduit la tripartition constatée pour l’ensemble de l’électorat, c’est-à-dire que les trois premiers candidats recueillent 73 % des suffrages exprimés pour l’ensemble des électeurs, 76 % pour la partie « sympathisants » mais aussi 72 % pour ceux n’affichant aucune proximité syndicale. Cette dernière catégorie est intéressante puisqu’elle permet d’isoler un « effet syndicalisation » sur les comportements politiques de manière plus claire qu’en se rapportant à la moyenne générale2.

La répartition entre les trois candidats de tête est en revanche bien différente, sauf sur un point : le bloc central constitué par le vote Macron est à peu près identique dans les deux parties proches et non proches du syndicalisme et donc dans la moyenne : 27 % parmi les « proches des syndicats », 29 % dans les « non proches », pour un résultat d’ensemble à 27,8. On voit dans le tableau figurant ci-dessus que le vote Macron est celui qui présente les plus grands écarts entre les syndicats, de 44 % parmi les sympathisants de la CFDT et de la CFE- CGC, à 12 % (tout de même) à la CGT et à Solidaires.

Mais aux deux pôles situés de part et d’autre du vote Macron, les comportements sont très différents entre proches et non proches d’un syndicat. En gros, être proche produit un « sur vote » de gauche de 50 % par rapport aux « non proches » (42 % pour la gauche et les écologistes dans le premier cas, 27 % dans le second). Tandis qu’à l’autre extrémité, en englobant le vote Zemmour, être non-proches accroît de 50 % la propension à voter pour l’extrême droite (25 % pour les proches, 37 % pour les non proches). Le fait d’être proche amplifie donc la propension au vote de gauche et réduit celle au vote d’extrême droite.

Il reste néanmoins une forte progression du vote en faveur de l’extrême droite parmi les proches d’un syndicat : 13 % en 2017, 25 % entre Le Pen et Zemmour en 2022, c’est un niveau qui interroge, surtout au regard du rapport entre ces deux entités : l’extrême droite déteste les syndicats qui le lui rendent bien (à l’exception de FO, il faut le noter, qui défend encore un principe de neutralité politique). Le recouvrement des deux à hauteur de 25 % a de quoi interroger et va nourrir, n’en doutons pas, quelques réflexions dans les semaines et les mois à venir. Disons pour l’instant que deux facteurs se cumulent manifestement et peuvent rendre compte de l’évolution entre les deux dates : le « nouveau » discours de Le Pen et la moindre perception du discours syndical.

Marine Le Pen a opéré un rapt en partie réussi sur le social. Au prix de pas mal de contorsions et de beaucoup de dissimulations, elle a pu capter l’attente sociale de larges franges de l’électorat populaire désabusées par la gauche « de gouvernement » et écœuré par le macronisme. Le thème de la dédiabolisation, complaisamment relayé par une partie des commentateurs, a pu contribuer à abaisser les préventions à son égard, y compris parmi un public touché par les syndicats : « ils exagèrent, le RN a changé, etc. » auquel il faut ajouter une exécration de la personne de Macron, largement répandue et utilisée par Le Pen et Zemmour jusqu’à l’overdose.

Le deuxième facteur est la manifestation d’une moindre capacité syndicale à faire valoir le rejet de l’extrême droite. Outre les insuffisances syndicales analysées ailleurs, le dédain assez général avec lequel est traité le point de vue des syndicats a rarement été aussi élevé dans l’espace public : l’exemple vient de haut mais il s’est facilement répandu dans les médias où la parole syndicale a été largement démonétisée au cours des cinq dernières années. Dit autrement, la voix syndicale apparaît certainement moins crédible qu’il y a 5 ans auprès des personnes extérieurs aux catégories directement exposées à l’activité syndicale. Même s’il y a beaucoup de luttes, elles ne suffisent pas à la production d’un « nous » capable d’affronter aussi bien le patronat, le gouvernement et les thèses de l’extrême droite qui offrent une grille de lecture facile avec le rejet de l’étranger ou prétendu tel.

On peut poursuivre les réflexions de Tristan Haute qui cherche dans les évolutions du travail et du rapport salarial une des causes d’un retrait du politique produisant de l’abstention dans les catégories populaires3 ; cet affaiblissement de la socialisation rend également plus vulnérable aux thèses consolatrices de l’extrême droite qui désigne des boucs émissaires plus proches, immédiatement visibles ou totalement fantasmé. Cette remarque mériterait d’être étayée, le risque principal de ces macro explications étant de délaisser les dynamiques géographiques et sociales déterminantes du vote. On renverra sur ce point aux analyses à venir, sans doute, des démographes et des politistes déjà évoqués pour donner chair ou invalider ces premières approximations.

Une approche par syndicat

On raisonne jusqu’à présent globalement en évoquant un vote des « proches » des syndicats. En réalité, ce vote n’existe pas, il est la résultante de multiples sous électorats propres à chaque syndicat dans une configuration de votes à chaque fois singulière. Là encore, il faudrait ajouter un peu de complexité en tenant compte de l’influence différente des centrales syndicales selon les PCS (professions et catégories socioprofessionnelles) et les territoires. Plusieurs remarques s’imposent néanmoins en première lecture.

  1. L’importance du vote Macron est particulièrement marquée chez les sympathisants de la CFDT et de la CFE-CGC (44 % dans les deux cas). Il correspond à une petite érosion à la CFDT (il recueillait 48 % en 2017) mais à un transfert important en provenance de la droite à la CFE-CGC. Fillon recueillait en effet 43 % des sympathies de l’électorat CFE- CGC en 2017, Pécresse n’en conserve que 10, Macron passe de 31 % à 44, l’extrême droite passant de 13 à 25, avec une surprise toutefois dans un vote de gauche ascendant (de 9 à 17 % en comptant le vote Jadot comme un vote de gauche). A la CFDT, la partie droite / extrême droite se redistribue les pourcentages : 22 % dans les deux cas mais avec Fillon 15, Le Pen 7 en 2017 et Pécresse 4 Le Pen / Zemmour 18 en 2022. Le seul mouvement perceptible, est la baisse de Macron et le déport (léger) vers les écologistes sachant que Mélenchon recueille le même pourcentage de soutien entre les deux dates (14 %). Ce soutien élevé à Macron peut surprendre étant donnée la dérive droitière de son action politique au cours des cinq années passées mais il convient de souligner deux particularités : se souvenir d’abord de la présence toujours importante d’un vote centriste et de droite modérée parmi les sympathisants de la CFDT. Dans les années 1970, alors qu’elle se présentait comme socialiste et autogestionnaire, la CFDT avait des sympathisants votant majoritairement pour le Centre démocrate et la droite modérée. Seules les années 1980 et le début des années 1990 voient un vote de gauche majoritaire. En 2002, la gauche repasse sous la barre des 50 % (43 % en 2007 accompagné de 24 % de vote en faveur de Bayrou), avec une exception : le soutien très large à François Hollande en 2012 (56 %) malgré la présence de F. Bayrou (4 %). La géographie joue à plein dans cette caractéristique, la trace culturelle de la démocratie chrétienne restant forte en Bretagne et dans les Pays de Loire, pays de forte influence cédétiste ; enfin, deuxième remarque, la question de l’Europe, au cœur des aspirations cédétistes, est un marqueur puissant du ralliement à Macron.
  1. Malgré des campagnes et un discours d’une grande vigueur contre l’extrême droite, la CGT voit celle-ci soutenue par 26 % de ses sympathisants (15 % en 2017, 9 % en 2012) ; les votes en faveur de la gauche passent juste sous la barre des 60 % (en englobant de plus les 4 points du vote écologiste), ce qui est historique. Ce vote de gauche est de même ampleur que pour la FSU avec une structure très proche : Mélenchon à 42 %, Fabien Roussel obtenant 8 % à la CGT contre 4 % à la FSU les sympathisants de celle-ci votant plus pour Jadot que les cégétistes (8 % contre 4 %). Le vote Mélenchon (42 %) est moindre à la CGT qu’en 2007 (51 %), différence entièrement expliquée par le vote Roussel (8 %). Le vote socialiste/écolo de 2017 (Hamon 13 %) s’est répartie entre Hidalgo (3 %) et Jadot (4 %) avec une déperdition de 6 points partis ailleurs. L’examen des difficultés à « imprimer » les consciences vis-à-vis de l’extrême droite, qui vaut aussi bien pour Solidaires d’ailleurs, doit naturellement tenir compte de la dimension multifactorielle des déterminants du vote déjà évoquée.
  1. Force ouvrière renforce un peu plus sa spécificité. Depuis l’émergence du vote Le Pen, au milieu des années 1980, FO refuse de faire un cas à part de l’extrême droite dans son expression En 2015, la direction de la centrale a refusé de s’associer à la campagne « Vivre ensemble, travailler ensemble » lancée en commun par l’ensemble des autres organisations (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, Unsa, FSU et Solidaires). L’importance du vote d’extrême droite dans ses rangs depuis l’origine n’est pas la seule explication de ce silence car la CFTC est tout aussi concernée par cette évolution et se joint néanmoins à des manifestations publiques de rejet des valeurs de l’extrême droite. En 2022, 35 % des sympathisants de FO ont voté pour l’extrême droite (31 % Le Pen, 4 % Zemmour), contre le quart en 2017 (29 % si on y ajoute Dupont-Aignan et Asselineau). Le glissement du vote LR vers Macron d’un côté et l’extrême droite de l’autre, déjà amorcé en 2017, se poursuit (Fillon 7 %, Pécresse 3 %), le vote de gauche régressant spectaculairement en 2022 (41 % en incluant Jadot, 48 % en 2017).
  1. A la CFTC, c’est l’effondrement du bloc LR (Fillon 34 %, Pécresse 6 %) qui nourrit un ralliement très important à l’extrême droite (Le Pen double son influence, 14 % en 2017 devenus 29 % en 2022) et une forte appétence Zemmourienne (9 %). Cette consolidation d’une forte composante d’extrême droite s’accompagne d’une curieuse croissance du vote de gauche (de 13 à 24 %) avec un surprenant Mélenchon passant de 7 à 18 %. Les soutiens de la CFTC apparaissent ainsi extrêmement écartelés, augurant d’une cohésion interne hautement problématique et dotée d’un plateau extrême droitier très pesant.

L’Unsa connait également un quasi- doublement des soutiens à l’extrême droite (Le Pen 14% en 2017, 19 % en 2002 et Zemmour à 7 %) ; elle est la seule organisation connaissant un recul très brutal du vote Macron (42 % en 2017 devenu 28 % en 2022), nourrissant l’extrême droite ; ce recul favorise également un léger déplacement vers la gauche (+ 3 points) : le vote utile à gauche a joué à plein pour JL Mélenchon qui passe de 16 à 24 % alors que le vote socialiste, emblématique de l’ancienne FEN, passe à 3 % pour le PS et 3% au vote écologiste (Hamon 13 % en 2017).

La FSU de son côté confirme sa réticence au macronisme (19 % aux deux dates) et connaît une légère montée (et encore !) de l’extrême droite (Le Pen 9% en 2017 mais avec Dupont-Aignan à 7 %, Le Pen 10 % et Zemmour 4 % en 2022 avec ɛ -epsilon- pour Dupont-Aignan).

Les configurations idéologiques qui constituent une sorte de halo autour de chaque syndicat pris isolément montre des caractéristiques différentes avec une forte composante historique (un effet diachronique ou un chemin de dépendance comme on voudra l’appeler) mais aussi une synchronicité partagée avec un glissement à peu près général face à la montée des idées de l’extrême droite dans le champ politique et social. C’est naturellement un défi supplémentaire pour un syndicalisme qui en connaît déjà d’autres (son implantation, ses propres divisions, etc.). Il convient cependant de prendre en compte les situations très comparables rencontrées par les syndicats espagnols, italiens et aujourd’hui allemands, confrontés au même phénomène. Ce constat empêche d’attribuer ces difficultés à la seule faiblesse présumée des syndicats français.

NOTES :

1 Voire notamment les travaux d’Hervé Le Bras, Emmanuel Todd ou Jérôme Fourquet, Vincent Tiberj ou Nonna Mayer. Pour quelques rappels méthodologiques sur le scrutin du 10 avril voir la note de Vincent Grimault sur le site d’Altereco : / https://www.alternatives-economiques.fr/presidentielle-2022-a-vote-quoi/00103011

2 Le sondage inclut également des indications relatives au « syndicalisme patronal », regrettable confusion à notre sens. Cet inconvénient se retrouvant à chaque fois, nous convenons de nous en tenir aux « salariés » proches d’un syndicat sachant que la catégorie « non proches » ne précise pas s’il s’agit des seuls salariés.

3 Tristan Haute, 30 mars 2022 ; Le travail, ultime lieu de fabrique de la politique (et de l’abstention) ? (theconversation.com), 30 mars 2022.

4 Solidaires est mesuré depuis 2002, l’Unsa et la FSU sont prises en compte depuis 2007.

5 On a construit cinq catégories permettant de suivre les grands courants d’opinion citées en regard des graphiques (extrême gauche, gauche, centre, droite extrême droite). Il faut quelques conventions, par exemple classer De Villiers à l’extrême droite en 2007 ou encore classer le parti communiste à gauche et pas à l’extrême gauche. Les écologistes sont comptés avec la gauche. Compter Macron au centre en 2022 peut être critiqué mais il s’agit bien de positions relatives.

 

  • Avant les tableaux, un rappel préalable : premier tour de la présidentielle, l’électorat en général par PCS en tenant compte de l’abstention (source : Cevipof).

 

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