Regard sur le syndicalisme étudiant

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Robi Morder, président du Groupe d’études et de recherche sur les mouvements étudiants (GERME), nous envoie des indications sur la représentativité des syndicats étudiants et la syndicalisation. Un aperçu actuel et historique. logo_GERME_2_00_dpi

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Les miroirs feraient mieux de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images

Regards sur les syndicalismes étudiants (II) Que disent les effectifs et les élections?

Pour cet épisode II (voir ici le I)  j’avais prévu de traiter du sujet « apolitisme, indépendance, asociationnisme et syndicalisme », mais l’actualité éditoriale m’amène à remettre en perspectives quelques chiffres donnés par certains magasines. En effet, l’hebdomadaire Marianne, du 25 mars, repris ensuite par Valeurs actuelles, indique que l’UNEF représente « moins de 1,8% » du corps électoral étudiant, rappelant que la participation générale atteint rarement les 10% de participation dans les 20 premières universités françaises. Ceci est globalement vrai, la FAGE  dans ces conditions représente autour de 4 à 5% du corps électoral. Ces journaux mettent l’accent sur la non représentativité des organisations étudiantes, non représentativité électorale, et sur le déclin de l’UNEF. Pour ce faire, ils évoquent – sans autres sources que quelques témoignages – un âge d’or où l’UNEF aurait syndiqué en 1945/1946 un étudiant sur quatre. Ainsi, Jean-Loup Salzman, ancien président d’université, ancien militant étudiant, affirme à l’interviewer qu’ « Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, […], 70 à 80 % des étudiants étaient syndiqués à l’Unef ».

Or, c’est un âge d’or …mythique. L’on fait comme si le passé était glorieux pour mieux souligner l’ampleur de la chute. La réalité suffit à constater la faiblesse des syndicalismes étudiants, et si l’on veut comparer il faut aller aux sources, qu’il est possible à n’importe quel journaliste ou chercheur sérieux de se procurer auprès des chercheurs, archivistes et sites spécialisés[1] .

Sur la syndicalisation.

En 1946 Pierre Rostini, un des reconstructeurs de l’UNEF après guerre, donne aux chercheurs le chiffre de 30000 adhérents. En réalité, en avril 1946, au congrès de Grenoble de l’UNEF – celui qui adopte la déclaration des droits et devoirs des étudiants connue ensuite comme la charte de Grenoble – il y a 37000 mandats pour 123000 étudiants, soit environ 30% de syndiqués[2].Au congrès de Strasbourg en avril 1947, ce sont 38500 mandats[3] pour 135000 étudiants, soit un quart de syndiqués.

En 1956, année où l’UNEF voit la « mino » conquérir l’union pour renouer le lien avec les étudiants algériens de l’UGEMA, il y a 60 000 adhérents, soit un bon tiers du monde étudiant. L’UGE (Union des grandes écoles) rejoint l’UNEF à ce moment là[4].

L’apogée se situe à la fin de la guerre d’Algérie, autour de 100000 adhérents revendiqués, soit quasiment un étudiant sur deux. Les chiffres varient de 87000 à 110000 selon les décomptes et les témoignages. L’UNEF récolte là, malgré la scission FNEF soutenue et financée par le gouvernement Michel Debré, les fruits de la mobilisation contre la suppression des sursis militaires. Il y a à ce moment-là 244000 étudiants en université[5].

En mai 1968, la plupart des témoins s’accordent à attribuer environ 50000 adhérents pour 500000 étudiants[6], soit une syndicalisation de 10%.

Le congrès d’avril 1970 à Orléans, dernier congrès de l’UNEF « unitaire », voit 18000 mandats validés[7], mais l’on estime qu’il y a quelques milliers d’adhérents supplémentaires qui ont été invalidés dans le processus. En 1971, ce sont deux UNEF (dites « renouveau » et « unité syndicale ») qui tiennent congrès séparés, rassemblant au total moins de 20000 adhérents pour 637000 étudiants en France métropolitaine.

Quand en 1980 la « réunification » MAS/UNEF-US donne naissance à l’UNEF indépendante et démocratique, on compte 17017 mandats au congrès (dont 5000 adhésions au cours de la dernière nuit de la commission de validation[8]) pour 800000 étudiants. Toujours sous la présidence de Jean-Christophe Cambadélis, les mandats du congrès de février1982 sont établis en additionnant les cartes 1980/1981 et celles 1981/1982, ce qui donne une moyenne de 10000 chaque année[9]. La situation ne change fondamentalement pas au congrès de 1984. Devenue premier syndicat étudiant l’UNEF-ID fait ainsi adhérer alors un peu plus de 1,1% des 896000 étudiants de France[10] En 1983 L’UNEF-ID obtient 33% des suffrages au CNESER, pour une participation de 17%. Elle recueille donc les voix de 6% des étudiants.

La participation électorale

Comme souvent, les commentatrices et commentateurs considèrent comme nouveaux des phénomènes anciens ou récurrents[11]. Or, la faiblesse de la participation des étudiants aux élections universitaires n’est pas récente, loin s’en faut. Les deux premières années des élections aux conseils dans les universités, instaurées par la loi Edgar Faure à la suite de mai et juin 1968, donnent de manière exceptionnelle de hauts niveaux, 52% explique le ministre à l’Assemblée nationale en 1972. Les listes UNEF pour son renouveau (le reste de l’UNEF boycotte) récoltent 100000 voix. La participation baisse très rapidement, atteignant autour de 17/18% au milieu des années 1970, remontant à 20/25% puis baissant à nouveau autour de 17% après la loi Savary de 1984, se stabilise autour de 15% après les années 1990. Et si l’on prend l’avant 1968, la participation électorale est faible, voire nulle pour les « délégués Capitant » qui ont existé après 1945, la mobilisation est aussi basse dans les AGE de l’UNEF pour renouveler les bureaux, ou à la MNEF pour renouveler les administrateurs.Le ministère ne tient ni ne publie de statistiques centralisées de toutes les élections dans les universités, où il faut distinguer les élections au conseil d’administration de chaque université, des élections aux conseils locaux d’UFR, instituts. Marianne  a choisi de demander à chacune des 20 universités les plus importantes les résultats des élections entre 2018 et 2021. Or, les établissements de petite taille ont en général une participation plus importante, comme dans des départements ou instituts, là où la sociabilité est la plus développée, où les listes et leurs candidats sont connus « de près ». Dans une même université les taux peuvent varier de manière très importante d’une unité à l’autre. La participation peut augmenter s’il y a une activité, un militantisme de terrain, elle décroît quand les enjeux apparaissent éloignés. C’est un phénomène comparable à celui de la syndicalisation: l’UNEF de l’entre-deux-guerres et des années suivant la Libération a toujours eu à Paris (où se trouvaient entre un tiers et la moitié des étudiants de France) une faible taux d’adhésion, contrairement aux AGE de province, »petit monde » aux effectifs réduits, à la sociabilité développée. C’est ce que Durkheim note en 1918 [12], confirmé un siècle plus tard par Florence Kunian: « les petites filières professionalisées ou à forte identité  sont celles qui votent le plus ».

Nous n’avons facilement que le résultat aux organismes nationaux, CNESER et CNOUS, où seuls les élus, grands électeurs, désignent leurs représentants nationaux. Depuis la loi Jospin de 1989 c’est sur la base du nombre d’élus dans ces deux conseils nationaux que la subvention est versée à chacune des organisations y ayant obtenu des élus. Ce que l’on peut dire c’est que l’UNEF – ou plutôt les organisations qui en sont issues ou s’en réclament peu ou prou de la tradition, à savoir  les deux UNEF jusqu’en 2001, le MAS, PSA, la Cé, Solidaires-étudiants, L’Alternative, totalisaient parmi ces grands électeurs plus de 60%, puis autour de 50 des voix jusqu’en 2015, descendant ensuite autour de 40% (pour aller plus loin, voir « Résultats électoraux, 1971-2019 » dans Démocratie étudiante et citoyennetés depuis 1968, Syllepse, 2020).

Les adhésions, les votes sont des indicateurs, mais à eux seuls ils ne peuvent indiquer la force ou la faiblesse du mouvement étudiant. La Sécurité sociale étudiante est obtenue en 1948 sans grèves, ni manifestations, ni vote, par l’UNEF , malgré l’opposition d’une grande partie de sa base, par les moyens classiques du groupe de pression. Les grandes grèves de 1976 (réforme du 2e cycle) , et de 1986 (réforme Devaquet)  attestent de la force et de l’influence de ces mouvements alors que le syndicalisme étudiant était divisé, voire – comme en 1986 – en grand état de faiblesse avant la grève générale. Il y a des cas où le nombre d’étudiants mobilisés, en assemblées générales et commissions, est supérieur au nombre d’électeurs aux Crous ou conseils universitaires.

La représentation étudiante: une légitimité en question

On ne peut parler ni de désintérêt, ni de dépolitisation qui seraient attestées par cette abstention, réelle et massive, électorale et d’adhésion. Il y a un paradoxe: la participation étudiante est bien plus importante aux élections politiques (présidentielles, législatives, etc.) qu’aux élections universitaires, et il y a un engagement plus important dans les associations à vocation extra-universitaire qu’aux syndicats étudiants[13]. C’est qu’en réalité la légitimité d’une citoyenneté étudiante dans les affaires universitaires, si elle est juridiquement établie par le droit à la représentation, n’est dans la pratique pas reconnue, y compris par les premiers concernés, les étudiants, et le corps enseignant comme l’administration s’en contentent visiblement. En effet, cette absence de légitimité est intériorisée par la majorité du corps étudiant. Les jeunes ne passent que quelques années dans cette état transitoire qu’est la condition étudiante dans une université aux mécanismes complexes.  Dès lors, face à la compétence qui semble requise pour s’intéresser et participer à la vie et à la gestion des UFR, instituts, universités, s’établit une délégation de pouvoirs donnée explicitement ou tacitement à celles et ceux qui semblent « savoir », en l’occurrence les listes qui se présentent, les syndicats étudiants, les élus. Même quand on ne vote pas, on s’adresse à ces représentants pour résoudre des problèmes, ou pour bénéficier des services qu’ils rendent. Ce n’est que quand un problème collectif ne peut être résolu par cette activité routinière que les étudiants se décident, parfois, s’engagent à l’occasion de grands conflits.

Les syndicalismes étudiants ont précédé et préfiguré les problèmes qui allaient devenir ceux de l’ensemble du syndicalisme : désyndicalisation à partir du milieu des années 1970, émergence des coordinations, transformations de l’organisation du travail et conséquences sur les conditions concrètes des pratiques syndicales, montée de l’abstention aux conseils des prud’hommes (qui ont fini par être scandaleusement supprimées), perte de la fonction de sociabilité des organisations au profit d’une sorte d’utilitarisme pragmatique et d’une relation de type consumérisme avec les syndicats.

A suivre…

[1] Voir les travaux du GERME sur son site et ses publications, les archives de la Cité des mémoires étudiantes, les fonds UNEF de La contemporaine (ex-BDIC) à Nanterre, ou aux Archives nationales, les rapports et études de l’Observatoire de la vie étudiante. Quelques livres toujours disponibles : Didier Fischer, Histoire des étudiants de France de 1945 à nos jours, Paris, Flammarion, 2000 ; J-P. Legois, A. Monchablon et R. Morder (coord.), Cent ans de mouvements étudiants, Paris, Syllepse, 2007 ; Alain Monchablon, Histoire de l’UNEF, Paris, PUF, 1983.

[2] Robi Morder (coord.) Naissance d’un syndicalisme étudiant : 1946, la charte de Grenoble, Paris, Syllepse, 2007.

[3] Fonds UNEF, 4° delta 1159/1947, La contemporaine.

[4] Eithan Orkibi, Les étudiants de France et la guerre d’Algérie, Paris, Syllepse, 2012.

[5] «Les étudiants en France. Problèmes et évolution statistique de l’enseignement supérieur de1960 à 1967», Notes et études documentaires N° 1357, 31 mars 1969.

[6] Même source.

[7] Roger Barralis et Jean-Claude Gillet (coord). Au cœur des luttes des années soixante, les étudiants du PSU, Publisud, 2010.  Voir aussi « Il y a 50 ans: duCongrès d’Orléans (avril 1970)à la scission de l’UNEF (janvier 1971) », Contact ESU, n°1961,  http://www.germe-inform.fr/wp-content/uploads/2021/01/CONTACT-ESU-n%C2%B0-161-Sp%C3%A9cial-18-septembre-2020.pdf

[8] Dans un article des Cahiers du Germe, « Trois livres pour un enterrement », je reviens plus en détail sur cette période.

[9] J’étais à la commission des mandats pour ces deux congrès. Sur le site du Germe les éléments ville par ville pour le congrès de 1980. http://www.germe-inform.fr/wp-content/uploads/2020/05/CONGRES-UNEF-ID-1980-MANDATS-1.jpg

[10] Une histoire en chiffres de l’enseignement supérieur en France Antoine Prost et Jean-Richard Cytermann et (dir) Le Mouvement Social 2010/4 (n° 233), pages 31 à 46

[11] Je ne donne que quelques éléments développés dans Jean-Philippe Legois, Marina Marchal et Robi Morder (coord.), Démocratie et citoyennetés étudiantes depuis 1968, Paris, Syllepse, 2020 ;dans Jean-Philippe Legois et Jean-Louis Violeau, Institution universitaire et mouvements étudiants : entre intégration et rupture ?, Paris, L’Harmattan, 2020; dans Florence Kunian, Étude sur la participation des étudiants aux élections universitaires, rapport du CIDEM, 2005.

[12] Je cite à nouveau: « Ces masses énormes de jeunes gens ne pouvant rester à l’état inorganique, il faut que l’étudiant (…) ne se sente pas perdu dans la foule anonyme (…) de multiples groupes se sont créés pour cela», Emile Durkheim, « Histoire de l’université de Paris », dans La vie universitaire à Paris, Paris, Armand Colin, 1918, p. 28.

[13] Thierry Côme et Robi Morder (dir.), Les engagements des étudiants : formes collectives et organisées d’une identité étudiante, Coll. État des savoirs, Observatoire de la vie étudiante, 2010

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