Représentativité et syndicalisme (suite) : « Ne pas se tromper de diagnostic »

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on Google+Share on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Cette tribune de Karl Ghazi, syndicaliste CGT (Paris), sur les résultats de représentativité, est parue dans l’Humanité du jeudi 13 avril 2017.

Représentativité des syndicats : ne pas se tromper de diagnostic !

Karl Ghazi, leader de l'intersyndicale Clic P

Karl Ghazi

Les chiffres officiels de la représentativité syndicale ont été annoncés le 31 mars 2017 : la CGT conserve sa place de première organisation en termes d’audience (secteurs privé et public réunis) mais perd sa première place dans le privé au profit de la CFDT. Vrai séisme ou simple évolution ? Les raisons de ce changement dans la hiérarchie des organisations sont multiples et ne se résument pas aux positionnements nationaux des confédérations.

Dans un éditorial particulièrement tendancieux, le quotidien Le Monde titrait le 1er avril 2017 un très libéral « la CFDT risque et gagne » et concluait au « couronnement d’une stratégie résolument réformiste. Durant le quinquennat de François Hollande, la CFDT a pris des risques en soutenant la quasi-totalité des réformes – depuis l’accord de 2013 sur la flexisécurité de l’emploi jusqu’à la loi El Khomri en passant par le pacte de responsabilité –, alors que le président et le gouvernement s’enfonçaient dans l’impopularité. Elle s’est engagée et elle a gagné. » Ainsi, la politique du Gouvernement aurait rendu ce dernier impopulaire, mais pas la CFDT qui l’a soutenu !
Pour formuler un tel paradoxe, le quotidien « de référence » devient journal d’opinion : il pointe fortement la première place de la CFDT dans le privé en 2017 mais omet de rappeler que l’écart était déjà très réduit en 2013, lors du précédent cycle (0,77% et, entre 1992 et 2006, un écart moyen en faveur de la CGT de 1,36%). S’il rappelle que la CGT « revendique » la première place en additionnant public et privé, il omet d’indiquer que ce n’est pas la CGT qui le revendique mais les chiffres officiels qui l’indiquent (23,9% pour la CGT contre 23,6% pour la CFDT).

Il brandit, surtout, un argument massue : la CFDT aurait beaucoup plus d’adhérents (686 093 pour la CGT en 2014, quand la CFDT en affiche 860 243). Il oublie d’indiquer que ces calculs se font sur des bases différentes : la CGT compte en « FNI » (première cotisation de l’année) alors que la CFDT divise le nombre total de cotisations encaissées par 8, ce qui gonfle ses chiffres. Dans les faits, la CGT a encaissé 188.743 cotisations mensuelles de plus que la CFDT… Mais toutes les astuces sont bonnes pour nous vendre une CFDT « première organisation syndicale en France », en raison de positions « courageuses » qui seraient en phase avec le salariat d’aujourd’hui, en oubliant, au passage, que les effectifs de la CFDT ont régressé depuis 2002 (-22.917)!

Et la loi Travail, alors ? Pendant les longs mois du conflit, tous les sondages ont indiqué de manière concordante le rejet massif de ce texte, pourtant soutenu par la CFDT. Les sondages… mais aussi les élections professionnelles : durant la même période, un net redressement de la CGT était perceptible dans les scrutins. Cette évolution à l’intérieur du cycle a connu un point d’orgue avec les élections TPE de janvier 2017, qui ont donné la CGT en recul, certes, mais dix points devant la CFDT, cantonnée à 15%. Où est-il donc, le vote d’adhésion à un syndicalisme d’accompagnement ?

Cet écart, identique ou presque dans toutes les dernières élections « ouvertes » (prud’homales ou TPE) est un élément d’analyse important. Comment expliquer, en effet que dans le secteur privé, lorsque les salariés sont appelés à choisir parmi tous les syndicats, ils placent systématiquement la CGT au moins 10 points devant la CFDT, alors que le cumul des élections d’entreprise donne les deux organisations dans un mouchoir de poche  depuis 25 ans?

La raison principale en est très simple : dans les élections d’entreprise, un salarié ne peut voter que pour un syndicat présent et non choisir parmi l’ensemble des syndicats. Ainsi, la CFDT s’est adressée à un électorat supérieur de près de 500.000 électeurs potentiels à celui des listes présentées par la CGT. Car la CFDT s’implante beaucoup plus facilement dans le secteur privé, bénéficiant d’une plus grande… bienveillance patronale. De plus, cette élection ne se fait pas sans une influence directe des chefs d’entreprise sur le scrutin. A titre d’exemple, chez Monoprix (15.000 salariés) qui est souvent cité par les médias, une note interne de la direction, datée de 2013, recommandait de « cranter » la CGT, alors majoritaire avec 52% des voix. Aux élections de 2016, la CFDT est passée devant. En multipliant les listes dans des magasins où elle n’était pas présente auparavant, elle a progressé mécaniquement, alors que la CGT restait largement en tête là où elle présentait des listes, mais en nombre plus restreint.

Lorsqu’elle a signé, conjointement avec la CFDT, la déclaration commune d’avril 2008 qui prévoit de mesurer la représentativité à partir des élections d’entreprise, la CGT a contribué à élaborer le piège politique qui peut se refermer sur elle. En abandonnant sa revendication d’une mesure par branche, ouverte à tous les salariés, elle a contribué à minorer la mesure de sa propre audience.

S’il convient de rétablir les faits, si la CFDT n’est toujours pas passée première, si elle n’a pas bénéficié d’un « bonus réformiste » mais d’une bienveillance patronale, il ne faut cependant pas occulter les difficultés très importantes auxquelles l’organisation des salariés se heurte. Incontestablement, le « modèle » syndical hérité de la seconde révolution industrielle est en crise.

Comment toucher et rassembler des salariés éclatés dans leurs statuts, leurs lieux de travail, leurs horaires ? Comment leur donner des droits pour s’organiser en les protégeant de la répression ? Comment construire les rapports de forces, face à une telle atomisation du salariat ?

Le volontarisme des politiques de « renforcement » est nécessaire mais ne suffit pas : aucune organisation en France n’a répondu à ce jour à ces questions fondamentales de manière satisfaisante. L’éclatement de la communauté de travail, la généralisation des contrats atypiques, la sous-traitance, l’auto-entreprenariat ou l’économie numérique sont des défis auxquels le syndicalisme de lutte doit s’attaquer très vite, s’il veut rester au cœur du salariat et contrer la complicité du syndicalisme d’accompagnement et du patronat.

Karl Ghazi

Print Friendly

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *