Retraites: la CFDT refuse le projet Macron

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Dans son interview à France 2, le président Macron avait esquissé une proposition clairement adressée à la CFDT : au lieu de retarder l’âge officiel de départ, augmenter la durée des annuités pour le taux plein. La CFDT avait approuvé cette solution sous le quinquennat Hollande (réforme Touraine). Mais le congrès CFDT de juin 2022 a voté un amendement refusant cette option (lire ici : https://wp.me/p6Uf5o-4LH). Laurent Berger confirme cette opposition dans une interview au Figaro.

imageLaurent Berger : Image La Dépêche

Laurent Berger: «La CFDT dit non au report de l’âge de départ en retraite»

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ENTRETIEN EXCLUSIF – Le patron du premier syndicat de France ne veut pas d’une mesure d’âge pour réformer les retraites. Il juge le climat social ambiant très inquiétant.

Emmanuel Macron a proposé, mercredi dernier, aux partenaires sociaux de ne pas relever l’âge légal de départ en retraite à 65 ans, comme il l’a promis durant sa campagne, mais à 64 ans, en contrepartie d’une hausse de la durée de cotisation pour bénéficier d’une pension à taux plein. Une ouverture à laquelle, dans un entretien au Figaro, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, répond par la négative. Il explique pourquoi.

LE FIGARO. – Emmanuel Macron propose de ne pas repousser l’âge légal jusqu’à 65 ans si vous acceptez de relever la durée de cotisation pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein. Que lui répondez-vous?

Laurent BERGER. – D’aucuns ont parlé d’une main tendue du président, mais ce n’en est pas une. En faisant cette proposition, il privilégie le compromis politique au compromis social, en s’adressant plus aux députés LR et centristes qu’aux partenaires sociaux. Avec cette proposition, Emmanuel Macron se préoccupe plus des conditions du vote de son futur projet de loi à l’Assemblée que de son contenu, dont nous sommes en train de discuter avec le ministère du Travail. Quoi qu’il en soit, la CFDT reste opposée à tout report de l’âge légal de départ, à 64 ans ou 65 ans, et à toute augmentation en parallèle de la durée de cotisation. La CFDT y est d’autant plus opposée qu’une telle option impacterait les travailleurs précaires, notamment de la «deuxième ligne», qui se sont battus depuis deux ans contre le Covid et se battent aujourd’hui pour avoir de la reconnaissance et des hausses de salaire. Avec sa proposition, le président pose la question du financement du système de retraites alors que les discussions sur ce point ne débuteront pas avant un mois et qu’on parle actuellement de sujets très importants comme l’emploi des seniors, la pénibilité au travail, les aménagements de fin de carrière, les inégalités qui touchent les femmes…

 

Pourtant, la CFDT a toujours soutenu – souvenez-vous de 2003 et 2014 – les réformes qui privilégient la durée de cotisation. Une mesure plus juste, à vos yeux?

Le système français de retraite se caractérise, par rapport à ses voisins, par un double effet avec une durée de cotisation élevée (43 ans à terme) et un âge légal de départ contraignant (62 ans), si bien que l’âge effectif de départ est aujourd’hui de 63 ans et sera demain de 64 ans. L’âge légal est un totem autour duquel tout le monde tourne, alors que le sens de l’histoire, c’est de créer une retraite à la carte avec plus de liberté de choix. Quand on s’est engagés en 2003 et en 2014 en soutenant une augmentation de la durée de cotisation, c’est parce que la survie du système de retraite était en jeu. Ce n’est pas le cas aujourd’hui: on cherche 10 milliards d’euros par an à moyen terme, sur un total de 320 milliards de dépenses. On est loin de la faillite du système…

Quel serait le sens de porter l’âge de départ à 64 ou 65 ans si on omet de parler des salariés de plus de 55 ans mis à la porte par leur entreprise qui les juge improductifs et coûteux? Il y a une hypocrisie générale sur ce point: 40 % des seniors qui partent en retraite ne sont plus en activité. Le sujet, c’est la vie au travail, l’accompagnement des travailleurs en fin de carrière dans de bonnes conditions, et, sur cet aspect comme sur les autres, la CFDT a des propositions à faire. Aujourd’hui, tous les sujets sont sur la table: l’emploi, le travail, les retraites, la protection sociale, la discontinuité des carrières… Tous les sujets sont liés, et le gouvernement devrait proposer un projet de loi global sur la question du travail et non sur le seul sujet des retraites.

Le président a promis des avancées sur les carrières longues, l’emploi et la formation des seniors, la pénibilité au travail…

Je reconnais que le président de la République a pour la première fois employé le terme de «pénibilité au travail», ce qu’il se refusait jusqu’alors de faire. C’est un point positif s’il se transforme en acte: les travailleurs qui ne peuvent pas finir leur carrière parce qu’ils ont un métier pénible veulent des avancées concrètes. Il faut par ailleurs conserver un véritable dispositif de carrières longues. La proposition du chef de l’État de jouer sur l’âge et sur la durée n’est au final qu’un durcissement des règles actuelles. Laissons la concertation actuelle aller à son terme et jugeons ensuite…

« La CFDT restera fidèle à sa ligne : on discutera jusqu’au bout, on jugera ensuite des avancées concrètes pour les travailleurs »

 

Quid de la suppression des régimes spéciaux, que le président a confirmée? Et de son engagement de ne pas toucher aux modalités de départ en retraite des fonctionnaires et aux catégories dites actives?

On n’est plus dans le cadre d’une réforme systémique, comme lors du premier quinquennat, et les cas particuliers doivent être discutés dans chaque régime. Je le redis, une réforme des retraites, c’est complexe, notamment si on a l’ambition de traiter la question de l’emploi des seniors, de la pénibilité… Cela ne peut passer que par la concertation, et on n’a pas besoin d’un sablier sur la table ou d’un pistolet sur la tempe pour avancer. Le sujet est suffisamment anxiogène pour qu’on se donne le temps d’en mesurer les impacts, surtout dans le contexte actuel de tension sur le pouvoir d’achat, d’inflation galopante, d’explosion des prix de l’énergie et de guerre en Europe. Donnons-nous le temps d’aller au bout des discussions, car on a besoin d’un compromis pour éviter une explosion sociale.

 

Sur quoi un deal est-il possible avec le gouvernement?

C’est une concertation et non une négociation. Il n’y a pas de recherche formelle d’un accord. Sur le report de l’âge légal de départ à la retraite, à 65 ans ou 64 ans, la CFDT est claire: non. Mais, sur la question du travail, si on va au-delà du seul sujet des retraites, il peut y avoir du grain à moudre, oui, et la CFDT restera fidèle à sa ligne: on discutera jusqu’au bout, on jugera ensuite des avancées concrètes pour les travailleurs et on dira, quand on connaîtra le texte final, ce qui nous va et ce qui ne nous va pas, et nous agirons en conséquence.

« Il faut faire attention au climat social ambiant, particuliè-rement éruptif et qu’une petite étincelle peut embraser »

 

Vous croyez donc que les dés ne sont pas pipés…

Les choses ne sont pas écrites. Un syndicaliste doit être là où la vie des travailleurs se joue. On finit de discuter de l’emploi des seniors et on va attaquer la question de la pénibilité, un sujet important, alors que, par exemple, les quatre facteurs exclus du compte pénibilité en 2017 – les ports de charges, les postures pénibles, les vibrations et les agents chimiques – représentent 95 % des maladies professionnelles reconnues en 2019. Aujourd’hui, on ne peut pas déserter la concertation.

Certes, mais aucun accord n’est possible entre vous, et tout le monde sait que vous allez finir par appeler les Français à faire grève contre la réforme des retraites. La CGT s’est déjà mobilisée trois fois… Quand allez-vous le faire?

Pour l’instant, les discussions continuent, et on verra quand le gouvernement présentera son texte, même si je ne fais pas de mystère: nous ne sommes pas et ne serons pas d’accord avec un relèvement de l’âge légal de départ en retraite. Il faut faire attention au climat social ambiant, particulièrement éruptif, et qu’une petite étincelle peut embraser. Il y a énormément de conflits aujourd’hui – mais aussi d’accords, dans les entreprises sur les hausses de salaire -, des craintes fortes sur l’emploi et une fatigue démocratique qui s’accentue sur fond de guerre en Europe. Attention, collectivement, à garantir la cohésion sociale.

« Les relations au travail ont évolué. Il est plus important de se demander comment on attire les candidats plutôt que de sanctionner les chômeurs »

 

Plus globalement, ce gouvernement fait-il plus de cas des partenaires sociaux que sous le premier quinquennat Macron? À l’écouter, vous êtes associés à toutes les décisions…

Entre le Conseil national de la refondation, la concertation sur les retraites, les discussions sur le travail… les espaces de discussion existent. Le problème, ce n’est pas d’être écouté, mais d’être entendu. Sur certains sujets comme les assises du travail, c’est possible ; mais sur d’autres, c’est plus compliqué. On doit par exemple avancer sur la conditionnalité des aides publiques, le partage de la valeur, la lutte contre la pauvreté. Mais tout ne relève pas du gouvernement, il y a aussi une responsabilité patronale. Mais c’est vrai que, dans un contexte compliqué, le gouvernement doit prendre en considération ce que dit la société civile. Pour trouver des solutions aux problèmes des citoyens et des travailleurs, la CFDT est toujours prête à prendre sa part de responsabilité pour le progrès et la justice sociale.

 

Sur l’assurance-chômage, le chef de l’État a réaffirmé son souhait de rendre les règles contracycliques. Pourquoi y êtes-vous opposé? Ça semble une bonne idée sur le papier…

Avec la réforme de l’assurance-chômage, le gouvernement croit régler le problème des tensions de recrutement dans les entreprises en incitant les 4 millions de demandeurs d’emploi à reprendre une activité, et ce alors que la grande majorité d’entre eux ne touchent aucune allocation-chômage. Mais son texte, contracyclique ou pas, ne résoudra rien. Les aspirations au travail ont changé, les jeunes ne sont plus accrochés au CDI et sont beaucoup plus mobiles. Les relations au travail ont évolué, et il est plus important de se demander comment on fidélise les salariés et attire les candidats plutôt que de sanctionner les chômeurs. Il vaut mieux développer des initiatives, comme territoires zéro chômeur de longue durée, que de stigmatiser les demandeurs d’emploi.


Succession en vue

Réélu en juin pour un troisième mandat à la tête de la CFDT, Laurent Berger a prévenu qu’il n’ira pas à son terme, en 2026. Et quand on lui demande s’il connaît la date de son départ, l’intéressé répond, tout sourire: «oui», sans en dire plus. Il tient à garder l’information secrète, comme l’identité de son successeur. Deux noms circulent: Marylise Léon, sa numéro deux, et Yvan Ricordeau, qui a repris en septembre le dossier retraites après le décès brutal de Frédéric Sève, le 25 juillet.

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